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Date : 20060215

 

Dossier : T‑2151‑05

 

Référence : 2006 CF 205

 

Vancouver (Colombie-Britannique), le mercredi 15 février 2006

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX                          

 

 

ENTRE :

 

                                                       JAMES RUSSELL BAIRD

 

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

 

 

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

 

                                                                                                                                      défenderesse

 

 

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               La partie demanderesse, M. James Russell Baird, non représentée par un avocat, est un inventeur qui est titulaire de brevets canadiens et américains portant sur une méthode d’élimination de matières radioactives et de matières toxiques, comprenant le stockage des déchets dans des dépôts pratiqués à cette fin à partir de galeries d’accès aménagées dans une plaque tectonique subduite située immédiatement à côté ou le plus près possible d’une zone de subduction.  Les déchets plongent avec la plaque tectonique dans le manteau de la Terre (« Méthode d’élimination de déchets par subduction » ou « Invention »).


 

[2]               Le 6 décembre 2005, M. Baird a signifié et déposé une déclaration de 18 pages serrées par laquelle il constituait comme défenderesse Sa Majesté la Reine du chef du Canada (SMR) et réclamait des dommages-intérêts de plus de 30 milliards de dollars. SMR demande maintenant la radiation de cette déclaration aux motifs suivants :

1.         Elle ne contient pas l’exposé des faits substantiels qu’exige l’article 174 des Règles de la Cour fédérale (1998) [les Règles], ni les précisions sur chaque allégation qu’exige leur article181.

2.         Elle ne révèle pas de cause d’action valable; elle est scandaleuse, frivole et vexatoire; et elle constitue autrement un abus de procédure.

 

[3]               Le demandeur formule la partie essentielle de son grief au paragraphe 7 de sa déclaration :

[traduction] De la fin de 1998 à la fin octobre 2005, moment où les effets accumulés des actes de la défenderesse énumérés dans la présente déclaration ont entraîné la destruction de la vie économique du demandeur, celui‑ci a essayé de mettre en œuvre l’invention et ses améliorations au Canada afin de résoudre les problèmes que posent, au Canada comme à l’échelle mondiale, les combustibles nucléaires usés, ainsi que les armes nucléaires, et les matières y afférentes, excédentaires par rapport aux besoins de défense.

 

 

 

[4]               La demande de M. Baird fait état de plusieurs délits civils. La Couronne fédérale, par l’intermédiaire de ses préposés et par ses actes, l’a lésé, soutient‑il, des manières suivantes :

 


a)         elle a manqué à [traduction]  « ses obligations fiduciaires, d’origine législative et/ou de common law envers le demandeur » relativement à l’application de plusieurs lois fédérales, notamment la Loi sur la concurrence;

 

b)         elle a manqué à [traduction] « ses obligations fiduciaires, d’origine législative et de common law envers le demandeur », et s’est rendue coupable de négligence, dans l’établissement, le financement, l’exploitation, la surveillance et la gestion de la Commission Seaborn (commission d’évaluation environnementale qui, de 1989 à 1998, a effectué un examen du concept de gestion et de stockage des déchets de combustible nucléaire), ainsi que de la Société de gestion des déchets nucléaires (SGDN), créée en application de la Loi sur les déchets de combustible nucléaire (2002);

 

c)         elle s’est rendue coupable d’[traduction] « abus de pouvoir dans ses relations avec le demandeur » et en promulguant la Loi sur les déchets de combustible nucléaire dans son propre intérêt;

 

d)         en violation de la Loi sur la concurrence, elle a comploté en vue de limiter la fourniture de services de stockage de déchets de combustible nucléaire au Canada et elle a restreint indûment l’offre de tels services;

 


e)         [traduction] « du fait de la négligence de ses préposés, employés et mandataires, et en violation de ses obligations de diligence – fiduciaires, morales, d’origine législative et de common law –, elle a traité déloyalement avec le demandeur ». Les précisions relatives à cette allégation, dont la plus grande partie se rapporte aux questions examinées par la Commission Seaborn ou la SGDN, sont données aux alinéas a à p du paragraphe 28 de la déclaration;

 

f)          elle s’est rendue coupable d’expropriation larvée;

 

g)         elle a réduit la valeur de la technologie du demandeur.

 

[5]               Le demandeur sollicite également un certain nombre de décisions déclaratives touchant ses multiples allégations, notamment une décision portant que la Loi sur les déchets de combustible nucléaire est discriminatoire à son égard, en violation de l’article 15 de la Charte.

 


[6]               Les revendications de la demanderesse contre la Couronne fédérale sont présentées dans un contexte de concepts rivaux en matière d’élimination de déchets radioactifs, soit, d’une part, ce que la demanderesse décrit comme le concept préféré d’élimination en formations géologiques profondes dans le Bouclier canadien, décrit par l’Énergie atomique du Canada limitée (EACL) et étudié par la Commission Seaborn, et, d’autre part, la méthode décrite dans son invention, c’est‑à-dire l’élimination par subduction qui est un procédé comprenant l’aménagement de dépôts pour déchets radioactifs dans une plaque tectonique en subduction, au cours duquel les déchets seront entraînés avec la plaque en question qui plonge sous une autre plaque en étant réabsorbée dans le manteau de la Terre.

 

[7]               Ayant lu plusieurs fois la déclaration du demandeur et examiné les observations écrites qu’il a déposées le 3 février 2006, je conclus que ladite déclaration doit être radiée sans autorisation de la modifier, mais sans préjudice du droit d’intenter contre la Couronne fédérale une nouvelle action, à condition qu’elle soit formulée avec beaucoup plus de précision et conforme aux Règles.

 

[8]               Dans sa version actuelle, la déclaration du demandeur me paraît radicalement dépourvue de l’exposé des faits substantiels et des précisions sans lesquels la défenderesse ne saurait la contester intelligemment. Quelques exemples suffiront.

 

[9]               Premièrement, les allégations du demandeur portent sur une période de 16 ans – soit de 1989 à 2005. Il n’expose pas les faits substantiels ni les précisions qui appuieraient ces allégations ou causes d’action, pas plus qu’il ne spécifie les moments où auraient été commis les actes délictuels dont elles découlent. Or, il se pourrait que certains de ces actes relèvent de la prescription ou de la chose jugée.

 

[10]           Deuxièmement, le demandeur ne désigne nommément aucun préposé de la Couronne à qui pourrait être attribuée la responsabilité des actes dont il se plaint.

 

[11]           Autrement dit, la déclaration du demandeur est à mon sens radicalement défectueuse, au motif qu’elle ne répond pas aux questions essentielles que la Couronne doit se poser touchant sa responsabilité hypothétique envers lui : qui? quand? où? comment? et quoi? L’avocat de SMR a raison de dire que le défendeur n’invoque que des allégations et des conclusions, et non les faits essentiels fondant ses prétentions ou causes d’action (voir Bashi c. Canada, 2004 CF 80, décision du défunt protonotaire Hargrave).

 

[12]           Il y a une autre raison fondamentale de radier la déclaration du demandeur : elle constitue un abus de procédure. En effet, elle contient un si grand nombre d’allégations non assorties de précisions et demande tant de mesures de redressement que, dans le cas où elle serait retenue, il serait presque impossible à la Cour de régler l’instruction [voir une autre décision du protononaire Hargrave : Détenus de la prison Mountain c. Canada (1998), 146 F.T.R. 265].

 

[13]           Comme les faits substantiels et les précisions nécessaires n’ont pas été communiqués à la Cour, il ne serait pas sage de sa part de trancher la question de savoir s’il est évident que certaines des allégations de délits civils formulées par le demandeur ne révèlent pas de causes d’action valables.

 


                            ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la déclaration du demandeur soit radiée sans autorisation de la modifier, mais sans préjudice de son droit d’intenter une nouvelle action. Les dépens sont adjugés à la défenderesse.

 

                    « F. Lemieux »         

     Juge                          

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

 

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :               T‑2151‑05

 

INTITULÉ :              JAMES RUSSELL BAIRD

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER, SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 15 FÉVRIER 2006

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

James Russell Baird                                          POUR SON PROPRE COMPTE

 

Vladena Hola                                                   POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

s/o                                                                    POUR SON PROPRE COMPTE

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)                               POUR LA DÉFENDERESSE

 


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