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Date : 20190605


Dossier : T-1955-17

Référence : 2019 CF 783

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2019

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

GLEN CARTER

 

demandeur

et

COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Carter demande le contrôle judiciaire d’une décision du commissaire à la protection de la vie privée du Canada (le commissaire) en application de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, ch P-21, (la Loi), et de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F-7.

[2]  Au paragraphe 29 de son mémoire, le commissaire fait remarquer, selon moi à juste titre, que même si M. Carter a invoqué l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, [traduction« sa preuve par affidavit, ses arguments et les réparations demandées semblent se rapporter à l’exercice du recours en révision prévu à l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels », libellé comme suit :

L’individu qui s’est vu refuser la communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à la protection de la vie privée peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 35(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.

[3]  Il n’y a aucun empêchement important à ce que l’affaire ne soit examinée qu’au regard de l’article 41 de la Loi, puisque cette disposition confère à la Cour la compétence pour réviser les décisions du commissaire.

[4]  La décision que M. Carter souhaite faire réviser est une décision du commissaire rendue par courriel le 10 juillet 2017, puis précisée, toujours par courriel, le 26 juillet 2017 (collectivement, la décision).

[5]  Les parties ont convenu que la présente demande serait jugée sur dossier sur le fondement des volumineux dossiers qu’elles ont chacune produits. Les faits qui se dégagent de ces dossiers proviennent de la preuve documentaire et par affidavit.

[6]  Si l’on veut comprendre la décision et la position de M. Carter dans la présente demande, il faut décrire de façon assez détaillée les événements à l’origine de la décision. La demande précise faite par M. Carter en 2017, qui a mené à la décision, n’était pas sa première demande de communication présentée au titre de la Loi.

[7]  Le 5 septembre 2014, M. Carter a demandé au commissaire à la protection de la vie privée (le CPVP) de lui communiquer les renseignements personnels suivants conformément à l’article 12 de la Loi (la demande de communication de 2014) :

[traduction]

1. L’éventuelle ordonnance remise par la Foreign Intelligence Surveillance Court (cour de surveillance des renseignements étrangers) (FISC) au CPVP au sujet d’une demande de collecte de renseignements personnels à mon sujet (Glen Carter).

2. Les renseignements personnels à mon sujet (Glen Carter) qui auraient été communiqués à des tiers (y compris les gouvernements fédéral et provinciaux et les administrations municipales).

3.  Toute instruction donnée au CPVP concernant mes renseignements personnels.

4.  Toute communication reçue par le CPVP de la part d’un tiers concernant la demande que j’ai présentée à la Cour fédérale, dossier T-1523-08.

5.  Tout autre renseignement personnel que le CPVP aurait recueilli auprès de tiers (y compris les gouvernements fédéral et provinciaux et les administrations municipales).

6. Tous les renseignements personnels contenus dans les plaintes que j’ai déposées auprès du CPVP.

[8]  Le CPVP a répondu à la demande de communication de 2014 dans une lettre datée du 17 octobre 2014. Il lui a communiqué 347 pages de documents, sans toutefois divulguer les renseignements visés par les exceptions prévues à l’article 26 (renseignements concernant un autre individu) et à l’article 22.1 (renseignements obtenus par le commissaire dans le cadre d’une enquête) de la Loi.

[9]  Le 13 novembre 2014, M. Carter a déposé une plainte auprès de la commissaire spéciale à la protection de la vie privée dans laquelle il demande la révision du traitement par le CPVP de sa demande de communication de 2014 et des exceptions dont ce dernier s’était prévalu pour la réponse. Après examen, la commissaire spéciale à la protection de la vie privée a conclu que la plainte n’était pas fondée.

[10]  M. Carter n’a pris aucune autre mesure concernant la demande de communication de 2014.

[11]  En janvier 2017, M. Carter a demandé au CPVP (la demande de communication de 2017) la communication des renseignements personnels suivants, conformément à l’article 12 de la Loi :

[traduction]

1. Communication de la décision administrative rendue secrètement à mon égard dans le cadre d’une instance à huis clos tenue en 1994 ou vers 1994 et qui se trouvait dans des documents que j’ai cherché à obtenir du CPVP en 2015.

2. Communication de la liste des parties (personnes physiques, ministères, organismes responsables de l’application de la loi et organismes bénévoles) auxquelles cette décision a été communiquée.

3. Communication de tous les renseignements de sécurité figurant dans les documents susmentionnés et se rapportant à des actions prises secrètement à mon égard.

[12]  Ne sachant pas de quelle « décision administrative » M. Carter parlait dans sa demande, le CPVP a amorcé des échanges par courriel avec lui. Dans un courriel daté du 15 mars 2017, le demandeur a indiqué les numéros de dossier suivants, qui se rapportent aux enquêtes du CPVP : 7100-03552, 7100-03537, 7100-03050 et 6100-010427. Il a précisé invoquer le paragraphe 22.1(2) de la Loi pour demander [traduction] « le plein accès à tous les dossiers de gestion de cas » créés par le CPVP en lien avec les dossiers susmentionnés. Il a aussi demandé [traduction] « un examen des fichiers inconsultables du dossier du SCRS nº SIS PPU 045 ».

[13]  Après comparaison des numéros de dossier indiqués par M. Carter et ceux de la demande de communication de 2014, le CPVP a pu confirmer qu’on avait communiqué à M. Carter, en réponse à la demande de 2014, les renseignements personnels maintenant demandés. C’est ce que le CPVP a dit à M. Carter le 15 mars 2017, par courriel, en lui proposant de lui renvoyer les renseignements qu’on lui a déjà divulgués en réponse à la demande de communication de 2014.

[14]  M. Carter a également été informé qu’il n’appartenait pas au CPVP de trouver des renseignements possiblement conservés dans des bases de données d’autres institutions (c.‑à‑d. le SCRS) et qu’il considérait donc que, vu cette réponse, la demande à cet égard était close.

[15]  Le 15 mars 2017, M. Carter a répondu par courriel qu’il souhaitait lire, comme il était en droit de le faire, les [traduction« notes, courriels, communications et lettres déposés dans le Système de gestion des cas du Commissariat » relatifs aux dossiers qu’il avait mentionnés. Il a redemandé que le CPVP examine les fichiers inconsultables mentionnés dans sa demande.

[16]  Le 16 mars 2017, le CPVP a de nouveau répondu qu’il lui avait déjà communiqué tous les renseignements demandés et n’était pas responsable de l’examen des fichiers inconsultables. Encore une fois, M. Carter a été informé qu’il pouvait transmettre sa plainte à la commissaire spéciale à la protection de la vie privée, ce qu’il a fait. Cette dernière est parvenue à la même conclusion que la fois précédente : la plainte n’était pas fondée.

[17]  Le 28 mars 2017, M. Carter a déposé trois plaintes auprès du CPVP contre le ministère de la Défense nationale, le Service canadien du renseignement de sécurité et Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Le CPVP a conclu que ces plaintes avaient trait à des questions sur lesquelles il avait enquêté à la suite de plaintes déposées par M. Carter en 2007. À son avis, M. Carter demandait de procéder à la révision des exceptions dont ces ministères s’étaient prévalus pour lui refuser la communication de certains renseignements en 2007 pour voir si ces exceptions s’appliquaient toujours en 2017.

[18]  Le 10 juillet 2017, le CPVP a informé M. Carter qu’il n’accepterait pas d’enquêter sur ses plaintes. Il a indiqué qu’aucune révision n’était possible, car tous les renseignements associés à ces enquêtes antérieures avaient été détruits conformément aux périodes de conservation des dossiers d’enquête prévus par la Loi. Le CPVP l’a également informé qu’il devrait présenter à ces institutions de nouvelles demandes de communication de renseignements personnels pour savoir si les exceptions s’appliquaient toujours.

[19]  En réponse à un courriel en date du 10 juillet 2017, le CPVP a réitéré que ses dossiers d’enquête concernant les plaintes déposées en 2007 avaient été détruits conformément à la Loi et à sa politique de conservation. Cette politique prévoit la conservation des dossiers d’enquête du CPVP pendant cinq ans après la dernière mesure administrative prise en vertu de la Loi et pendant dix ans dans le cas de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000, ch 5.

[20]  Au cours de la présente instance, M. Carter a présenté, conformément à l’article 317 des Règles des Cours fédérales, une requête en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant au CPVP de fournir certains documents [traduction] « une fois qu’on aura tiré la conclusion de fait […] que le commissaire n’avait pas de motifs raisonnables de refuser de communiquer ces renseignements personnels ». Cette requête a été rejetée. La Cour a fait droit à une requête en ordonnance enjoignant à l’administrateur de la Cour de préparer le dossier du demandeur dans la présente instance.

[21]  La seule question en litige en l’espèce est la révision de la décision du commissaire par la Cour conformément à l’article 41 de la Loi.

[22]  Le CPVP a déposé un affidavit dans lequel la directrice – Accès à l’information et protection des renseignements personnels (AIPRP) atteste que la politique de conservation du CPVP prévoit que les dossiers sont conservés pendant cinq ans après la dernière mesure administrative. Elle atteste que, conformément à cette politique :

[traduction] Les dossiers d’enquête nº 7100-03552, 7100-03537 et 7100-03050 n’existent plus. Toutefois, la division de l’AIPRP a des exemplaires des documents de ces dossiers d’enquête qui ont servi à répondre à la demande de communication de 2014 présentée par le demandeur. Le CPVP a déjà communiqué tous ces dossiers au demandeur dans la trousse de diffusion de 2014. Une petite partie des renseignements était caviardée conformément aux exceptions prévues par la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[23]  Aucun ministère ne peut donner accès à des documents qui n’existent plus. La déposante n’a pas été contre-interrogée, et rien n’étaye la prétention que ces documents sont accessibles. La seule question qui se pose est donc de savoir si les exceptions invoquées par le CPVP pour les documents encore existants sont raisonnables.

[24]  Conformément à une ordonnance rendue le 13 mars 2018 par la protonotaire Aylen, un affidavit a été déposé sous scellé avec les renseignements protégés. Les documents contenant ces renseignements ont été caviardés et sont illisibles. La Cour a demandé et obtenu du CPVP les exemplaires non caviardés afin de procéder à une évaluation éclairée du caractère raisonnable des exceptions invoquées.

[25]  Les exceptions sont demandées conformément aux articles 22.1 et 26 de la Loi, libellés comme suit :

22.1 (1) Le Commissaire à la protection de la vie privée est tenu de refuser de communiquer les renseignements personnels demandés en vertu de la présente loi qui ont été créés ou obtenus par lui ou pour son compte dans le cadre de toute enquête faite par lui ou sous son autorité.

(2) Toutefois, il ne peut s’autoriser du paragraphe (1) pour refuser de communiquer les renseignements personnels créés par lui ou pour son compte dans le cadre de toute enquête faite par lui ou sous son autorité une fois que l’enquête et toute instance afférente sont terminées.

26 Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui sont protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client.

Les dispositions pertinentes de l’article 8 sont celles du paragraphe (1), dont voici le libellé : « Les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent, que conformément au présent article. »

[26]  Au paragraphe 3 de son affidavit scellé, Mme Lessard atteste ce qui suit :

[traduction] La pièce A, jointe à mon affidavit confidentiel, contient des documents de la trousse de diffusion de 2014 avec les renseignements non communiqués et l’article pertinent de la Loi sur la protection des renseignements personnels en vertu duquel le CPVP les a soustraits à la communication.

[27]  La pièce A de cet affidavit comprend six documents :

  1. Rapport d’enquête sur la communication du dossier 7100-03537, daté du 6 septembre 2008 (2 pages);

  2. Rapport d’enquête sur la communication du dossier 7100-03537, daté du 19 juin 2008 (2 pages);

  3. Rapport de règlement rapide du CPVP, avec une liste de vérification au titre de la LPRPDE, concernant le dossier 6100-010427, daté du 30 novembre 2011 (2 pages);

  4. Lettre et enveloppe, en date du 27 mars 2013, à l’intention du chef de la protection des renseignements personnels de la Banque Royale du Canada au titre de la LPRPDE concernant le retrait par M. Carter de la plainte contre la Banque (2 pages);

  5. Plan d’enquête concernant le dossier PIPEDA-030001, Glen Carter c Banque Royale du Canada, daté du 15 février 2013 (2 pages);

  6. Rapport sur les activités documentées du dossier PIPEDA-030001 (4 pages).

[28]  Je traiterai des renseignements caviardés dans chaque document. Ce faisant, je fournirai une description très générale de ces renseignements.

[29]  Les deux premiers documents, les rapports d’enquête sur la communication, ont les mêmes renseignements caviardés conformément à l’article 22.1 de la Loi, puisqu’il s’agit des renseignements que le commissaire a obtenus dans le cadre de son enquête. L’exigence de non‑communication de l’article 22.1 est impérative dans le cas des renseignements obtenus dans le cadre de l’enquête. Le CPVP « est tenu » d’en refuser la communication.

[30]  Les deux phrases caviardées portent sur des renseignements obtenus par ministère de la Défense nationale dans sa recherche de documents relatifs à la demande. Elles portent également sur sa tentative infructueuse de communiquer avec M. Carter. Je suis convaincu que ces renseignements sont raisonnablement visés par le paragraphe 22.1(1) de la Loi et non par l’exception décrite au paragraphe 22.1(2) de la Loi. En effet, ils ont été obtenus du ministère de la Défense nationale. Par conséquent, le CPVP n’est pas autorisé à les communiquer à M. Carter.

[31]  Le troisième document, le rapport de règlement rapide, bien qu’il figure à la pièce A, ne contient aucun renseignement caviardé. Le CPVP affirme ne plus chercher à exempter aucune partie de ce document de la communication et qu’il l’a remis à M. Carter.

[32]  Dans le quatrième document, la lettre et l’enveloppe adressées au chef de la protection des renseignements personnels de la Banque Royale du Canada, le nom de cette personne est caviardé conformément à l’article 26 de la Loi. Aux termes du paragraphe 8(1) de la Loi, les renseignements personnels caviardés qui concernent une personne autre que M. Carter ne peuvent pas être communiqués « à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent ». Comme il n’y a aucune preuve de consentement, je confirme qu’il était raisonnable de la part du CPVP de refuser de communiquer ces renseignements à M. Carter.

[33]  Dans le cinquième document, le plan d’enquête, le CPVP a caviardé le nom et le numéro de téléphone de la personne qui répondait au nom de la Banque Royale du Canada. À nouveau, il s’agit de renseignements personnels caviardés qui concernent une personne autre que M. Carter et qui ne peuvent, aux termes du paragraphe 8(1) de la Loi, être communiqués « à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent ». Comme il n’y a aucune preuve de consentement, je confirme qu’il était raisonnable que le CPVP refuse de communiquer ces renseignements à M. Carter.

[34]  Les renseignements caviardés dans le sixième document, le rapport sur les événements documentés, relèvent de deux catégories. La première correspond tout à fait à celle qui est décrite au paragraphe 31. Pour les motifs qui y sont énoncés, je conclus que le CPVP ne peut pas communiquer ces renseignements à M. Carter.

[35]  La seconde comporte des renseignements obtenus de la Banque Royale du Canada concernant la façon dont elle a procédé à la recherche dans ses dossiers en lien avec la demande. Je suis convaincu que ces renseignements sont raisonnablement visés par l’article 22.1(1) de la Loi et non par l’exception décrite à l’article 22.1(2) de la Loi puisqu’ils ont été obtenus de la Banque Royale du Canada. Par conséquent, le CPVP n’est pas autorisé à les communiquer à M. Carter. La décision du CPVP est confirmée.

[36]  Le commissaire ne sollicite pas de dépens dans la présente demande. Par conséquent, aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT rendu dans le dossier T-1955-17

LA COUR STATUE que la demande est rejetée, sans dépens.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de juin 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1955-17

INTITULÉ :

GLEN CARTER c COMMISARIAT À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

DEMANDE JUGÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO), SANS COMPARUTION DES PARTIES

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

LE 5 JUIN 2019

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Glen Carter

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Jennifer Seligy

Kate Wilson

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sans objet

POUR SON PROPRE COMPTE

Commissariat à la protection de la vie privée du Canada

Gatineau (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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