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Date : 19980616


Dossier : T-1328-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 16 JUIN 1998.

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE CULLEN

             AFFAIRE INTÉRESSANT une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l"article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale , L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée, par suite de la décision rendue le 22 mai 1997 par P. Chodos, président suppléant de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, siégeant en sa qualité d"arbitre nommé en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (dossier de la CRTFP 166-2-26179), :                 

ENTRE


JOAN MOHAMMED,


demanderesse,


et


SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

REPRÉSENTÉE PAR LE CONSEIL DU TRÉSOR,


défenderesse.


O R D O N N A N C E

     Une demande ayant été présentée pour le compte de la demanderesse Joan Mohammed en vue de l"obtention :

     a) d"une ordonnance infirmant la décision rendue par l"arbitre Chodos le 22 mai 1997;
     b) d"une ordonnance renvoyant l"affaire à l"arbitre pour que des mesures additionnelles soient prises conformément aux directives de la Cour; et
     c) de tout autre redressement que l"avocat peut demander et que la présente cour peut autoriser.

IL EST PAR LES PRÉSENTE ORDONNÉ que les demandes présentées par la demanderesse soient rejetées.


B. Cullen

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


Date : 19980616


Dossier : T-1328-97

             AFFAIRE INTÉRESSANT une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l"article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale , L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée, par suite de la décision rendue le 22 mai 1997 par P. Chodos, président suppléant de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, siégeant en sa qualité d"arbitre nommé en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (dossier de la CRTFP 166-2-26179), :                 

ENTRE


JOAN MOHAMMED,


demanderesse,


et


SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

REPRÉSENTÉE PAR LE CONSEIL DU TRÉSOR,


défenderesse.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE CULLEN

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire soulève uniquement la question de savoir si l"arbitre nommé en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la LRTFP) a commis une erreur en refusant d"exercer sa compétence pour entendre le grief présenté par la demanderesse.

[2]      La demanderesse, Joan Mohammed, travaillait pour la Commission de l"immigration et du statut de réfugié à titre de commis d"audience depuis le mois d"octobre 1990. La demanderesse est une musulmane qui appartient également à une minorité visible. Par suite de deux messages transmis par courrier électronique en mai 1993, elle a présenté un grief dans lequel elle maintenait que ces messages violaient la clause d"élimination de la discrimination figurant dans la convention collective conclue entre l"AFPC et le Conseil du Trésor, et que ces messages l"ont rendue malade. La demanderesse a demandé des excuses écrites, le rétablissement des crédits de congé de maladie utilisés par suite du stress découlant de ces messages électroniques et la modification de son rapport d"évaluation sur le rendement. Elle a également demandé une somme de 10 000 $ à titre d"indemnité.

[3]      L"affaire découle d"un message électronique daté du 4 mai 1993, qui a été rédigé et diffusé par Greg Cunningham, agent d"audience, lequel était intitulé : " Contrat d"emploi de Rita Liegghio ". Voici le texte de ce message :

     [TRADUCTION]         
     J"ai récemment appris par la rumeur qu"on ne renouvellera pas le contrat d"emploi de la commis d"audience Rita Liegghio avec la CISR. En supposant que cette rumeur est fondée, je vous incite fortement à reconsidérer cette décision.         
     Je n"ai jamais eu le plaisir d"avoir Rita comme commis attitré, mais je puis attester de ses excellentes compétences et de sa conscience professionnelle exceptionnelle; je m"appuie sur les trois observations suivantes :         
     1.      Avec mon ancien commis (j"ai récemment demandé un changement de commis), les seules fois (et je souligne les SEULES fois), où mes documents de preuve ont été envoyés en deçà d"une journée du moment où je les ai soumis, c"est lorsque ma commis a téléphoné pour dire qu"elle serait absente pour cause de maladie, et que son travail a été assigné aux autres commis, à savoir Rita et Arlene. Rita a montré qu"elle avait la capacité de production, le sérieux professionnel et la compétence pour s"acquitter non seulement de sa propre charge de travail, mais également de celle d"un autre commis. Perdre Rita équivaudra à perdre DEUX commis moyens.         
     2.      À une occasion l"automne dernier (1992), j"avais à traiter un cas très complexe, avec un avocat extrêmement belligérant et difficile, qui a nécessité plusieurs séances durant toute la journée. À cause de la complexité des questions, il n"était pas possible de présenter verbalement la preuve, alors j"ai rédigé mes arguments par écrit. Les arguments de l"avocat faisaient plus de 50 pages. Les miens étaient tout aussi longs à plus de 35 000 mots. Le jour avant de devoir remettre les observations, j"ai apporté des corrections très nombreuses, y compris beaucoup d"ajouts, de corrections grammaticales et orthographiques et de changements de format. Il n"y avait pas une seule page sans ratures. J"ai approché Rita juste avant midi le jour où les observations devaient être présentées et je lui ai demandé de m"aider en apportant les corrections nécessaires avec WordPerfect (ma commis précédente ne tapait pas, alors il était hors de question de lui demander de faire les corrections).         
     Rita m"a remis mon texte moins de deux heures plus tard, et IL N"Y AVAIT PAS UNE SEULE FAUTE. J"ai travaillé pendant un an dans une étude d"avocats; durant cette période j"ai travaillé avec plusieurs secrétaires différentes. Je puis affirmer très franchement que même une secrétaire juridique expérimentée aurait eu de la difficulté à produire un travail de cette qualité.         
     3.      Enfin, j"ai récemment déplacé mon bureau à l"endroit où il se trouvait à proximité des commis d"audience à un nouvel emplacement très éloigné des commis. La seule raison du déménagement était le fait que les commis faisaient beaucoup de bruit en parlant, en riant, en criant, etc. C"était absolument incroyable à certains moments. Toutefois, je n"ai à aucun moment entendu la voix ou le rire de Rita. Une fois de plus, cela démontre son professionnalisme, sa courtoisie et son sérieux au travail.         
     Récemment, lorsque j"ai parlé à mon agent d"audience principal à propos d"une demande de changement de commis, j"en ai profité pour souligner les excellentes qualités de travail de Rita. J"ai même proposé qu"on lui offre la possibilité de se perfectionner afin de pouvoir être promue à un poste de niveau supérieur et comportant plus de responsabilités, correspondant davantage à ses talents. Je ferai encore la même recommandation, sans aucune réserve.         
     Je comprends qu"il faille tenir compte de facteurs tels que les considérations budgétaires, les objectifs sur le plan de la promotion sociale et l"ancienneté syndicale, mais il est absolument insensé que ces facteurs l"emportent sur le professionnalisme, la productivité, les habiletés et la compétence. Je ne saurais trop souligner le besoin de commis d"audience compétents, et Rita s"acquitte de ces fonctions plus qu"adéquatement.         
     J"aimerais que vous me fassiez part de vos commentaires. Sentez-vous libres de consulter n"importe lequel des autres agents d"audience concernant leurs vues sur les commis.         

[4]      Ce message a été distribué à un certain nombre d"employés, dont les agents d"audience principaux, la directrice régionale, le directeur régional adjoint, la vice-présidente, ainsi qu"à d"autres personnes, dont les représentants syndicaux. En réponse, le directeur régional adjoint, Paul Colpitts, a envoyé le message suivant par courrier électronique :

     [TRADUCTION]         
     La commis qu"on veut laisser aller est une employée nommée pour une période déterminée qui couvre les commis au rendement inférieur. J"aimerais la garder et renvoyer, après le 1er juin, le commis embauché pour une période indéterminée dont le rendement est le moins bon pour ce motif. Ce pourrait bien être Ron Carter, bien que Joan Mohammed soit aussi limitée. J"incite les agents d"audience qui m"approchent comme l"a fait celui-ci à aider à documenter le mauvais rendement des commis d"audience, car il est dans leur intérêt de le faire. Vos conseils sont les bienvenus. Le contrat prend fin le 30/6.         

[5]      Ce message a été envoyé dix jours seulement après que M. Colpitts eut signé une évaluation selon laquelle le rendement de la demanderesse était jugé entièrement satisfaisant.

[6]      Lorsqu"elle a pris connaissance de ces deux messages, la demanderesse a subi énormément de stress, de sorte qu"elle s"est vue obligée de prendre un congé de maladie prolongé et qu"elle a été atteinte d"un trouble lié au stress, diagnostiqué comme étant l"alopécie circonscrite.

[7]      Le 8 juillet 1993, la demanderesse a présenté un grief dans lequel elle maintenait que les messages violaient la clause M-16.01 relative à " l"élimination de la discrimination ". Cette clause est ainsi libellée :

     There shall be no discrimination, interference, restriction, coercion, harassment, intimidation, or any disciplinary action exercised or practiced with respect to an employee by reason of age, race, creed, colour, national origin, religious affiliation, sex, sexual orientation, family status, mental or physical disability, or membership or activity in the union.
     Il n"y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire d"exercée ou d"appliquée à l"égard d"un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale et physique ou son adhésion au syndicat ou son activité dans celui-ci.

[8]      En décembre 1993, la demanderesse a présenté ses plaintes à un enquêteur, qui a conclu que M. Cunningham avait eu une conduite irrégulière envers la demanderesse et que cette conduite était humiliante, injustifiée et offensante. La demanderesse estimait que la conduite de M. Cunningham était en partie motivée par des facteurs liés à sa race et à sa religion, mais l"enquêteur n"a rien constaté qui puisse justifier cette allégation. En ce qui concerne M. Colpitts, l"enquêteur a également jugé que ce dernier avait porté un jugement défavorable sur la compétence de la demanderesse, et ce, sans juste motif, et que ses commentaires étaient injustifiés, humiliants et embarrassants. La demanderesse n"a pas allégué que les commentaires de M. Colpitts étaient motivés par des facteurs liés à sa race ou à sa religion.

[9]      En août 1994, au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, le directeur exécutif de la CISR a reconnu les conclusions selon lesquelles la demanderesse avait été victime de harcèlement et a offert des excuses à cette dernière pour le compte de la CISR. De plus, les crédits de congé de maladie ont été rétablis à titre d"indemnité pour le stress causé. La demanderesse n"était pas satisfaite du résultat et elle a poursuivi son grief.

[10]      Le grief a été présenté en vertu de l"article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique , L.R.C .(1985), ch. P-35, dont le paragraphe (1) est ainsi libellé :

     91. (1) Where any employee feels aggrieved
     (a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of
     (i) a provision of a statute, or of a regulation, by-law, direction or other instrument made or issued by the employer, dealing with terms and conditions of employment, or
     (ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award, or
     (b) as a result of any occurrence or matter affecting the terms and conditions of employement of the employee, other than a provision described in subparagraph (a (i) or (ii), in respect of which no administrative procedure for redress is provided in or under an Act of Parliament, the employee is entitled, subject to subsection (2), to present the grievance at each of the levels, up to and including the final level, in the grievance process provided for by this Act.
     [Emphasis not in original]
     91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d"une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu"il s"estime lésé :
     a) par l"interprétation ou l"application à son égard :
     (i) soit d"une disposition législative, d"un règlement - administratif ou autre -, d"une instruction ou d"un autre acte pris par l"employeur concernant les conditions d"emploi,
     (ii) soit d"une disposition d"une convention collective ou d"une décision arbitrage;
     b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéa a) (i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d"emploi.
     [Non souligné dans l"original]

[11]      Le paragraphe 92(1) prévoit également ceci :

     92. (1) Where an employee has presented a grievance, up to and including the final level in the grievance process, with respect to
     (a) the interpretation or application in respect of the employee of an provision of a collective agreement or an arbitral award,
     (b) in the case of an employee in a department or other portion of the public service of Canada specified in Part I of Schedule I or designated pursuant to subsection (4),
         (i) disciplinary action resulting in suspension or a financial penalty, or
         (ii) termination of employment or demotion pursuant to paragraphe 11(2)(f) or (g) of the Financial Administration Act, or
     (c) in the case of an employee not described in paragraphe (b), disciplinary action resulting in termination of employment, suspension or a financial penalty, and the grievance has not been dealt with to the satisfaction of the employee, the employee may, subject to subsection (2) refer the grievance to adjudication.
     92. (1) Après l"avoir porté jusqu"au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l"arbitrage tout grief portant sur :
     a) l"interprétation ou l"application, à son endroit, d"une disposition d"une convention collective ou d"une décision arbitrale;
     b) dans le cas d"un fonctionnaire d"un ministère ou secteur de l"administration publique fédérale spécifié à la partie I de l"annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f ) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;
     c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

[12]      Dans son grief, la demanderesse allègue uniquement que la clause relative à l"élimination de la discrimination figurant dans la convention collective a été violée. Il n"est pas contesté que les motifs de discrimination allégués sont également visés par la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP).

[13]      À l"audience tenue par l"arbitre, l"avocat de l"employeur a soulevé une objection préliminaire au sujet de la possibilité de procéder à l"arbitrage en invoquant une décision rendue par cette cour. Dans la décision Chopra c. Conseil du Trésor (Canada) , [1995] 3 C.F. 445 (1re inst.), Madame le juge Simpson a conclu que l"arbitre n"avait pas compétence pour entendre les plaintes de discrimination qui sont clairement régies par la LCDP étant donné que cette loi prévoit une " réparation " au sens du paragraphe 91(1) de la LRTFP. À la page 460, voici ce que le juge a dit :

     L"arbitre a eu raison de conclure qu"il n"avait pas compétence, en raison du paragraphe 91(1), pour entendre le grief du requérant. Je suis convaincue que la LCDP constitue un " recours " relativement aux faits de l"espèce, parce que la CCDP a compétence sur le fond du grief et parce que la CCDP possède de plus grands pouvoirs de réparation qu"un arbitre agissant en vertu de la convention cadre. Les différences existant entre les procédures engagées en vertu de la LCDP et celles engagées en vertu de la convention cadre, quant aux parties, à l"intérêt public et à la responsabilité à l"égard de la procédure, ne changent rien, à mon avis, au fait que le requérant a un recours en vertu de la LCDP.         

[14]      En citant la décision Chopra, l"arbitre a conclu qu"il n"avait pas compétence pour entendre le grief. Voici ce qu"il a dit à la page 24 du dossier de demande :

     Il est évident d"après la preuve produite que Mme Mohammed fonde le grief qu"elle a présenté en vertu de l"article M-16 sur l"allégation voulant qu"elle ait été victime de discrimination raciale ou religieuse. Il ne fait aucun doute que de telles allégations peuvent également justifier une plainte au titre de la LCDP, qui prévoit à la fois un droit de réparation et un redressement en pareilles circonstances. Par conséquent, conformément au paragraphe 91(1) de la LRTFP, je dois conclure que je n"ai pas compétence pour instruire le présent renvoi à l"arbitrage.         

[15]      Il importe de noter que l"AFPC agissait comme intervenante dans l"affaire Chopra . Dans cette affaire-là, un appel a été interjeté, mais il a été abandonné au moyen d"un avis daté du 16 janvier 1997.

[16]      La demanderesse soutient que l"arbitre a en fait compétence pour examiner le grief. Il importe de noter que la norme applicable en matière de contrôle est celle du caractère correct de la décision étant donné que l"affaire porte sur la question de savoir si le tribunal a compétence pour entreprendre l"enquête en cause : Voir Société canadienne des postes c. Pollard , [1994] 1 C.F. 652 (C.A.) et Canada (Procureur général) c. AFPC, [1993] 1 R.C.S. 941.

[17]      La demanderesse soutient essentiellement que le recours prévu par la LCDP en ce qui concerne les plaintes en matière de droits de la personne ne constitue pas une " réparation " au sens de la LRTFP . Elle soutient que les différences qui existent entre la procédure d"arbitrage prévue par la LRTFP et le règlement d"une plainte en vertu de la LCDP sont si importantes que son grief ne pourrait pas être examiné d"une façon efficace en vertu de la LCDP de façon à constituer une " réparation " au sens du paragraphe 91(1) de la LRTFP .

[18]      La demanderesse signale que le recours prévu par la LCDP est à plusieurs égards différent de celui qui est prévu par la LRTFP : la plainte est présentée à la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP), qui fait enquête et examine la plainte, et le tribunal procède à une audience. Cela étant, la demanderesse soutient que la décision Chopra est erronée dans la mesure où la Cour a conclu que les griefs fondés sur la discrimination peuvent être examinés d"une façon efficace au moyen du recours prévu par la LCDP .

[19]      À l"audience relative au contrôle judiciaire, l"avocate de la défenderesse a contesté les tentatives que la demanderesse avait faites pour présenter des éléments de preuve au sujet du recours prévu par la LCDP en soutenant que cet élément n"avait pas été soumis à l"arbitre et qu"il s"agissait d"allégations que la défenderesse n"avait pas eu la possibilité de contester. De plus, la défenderesse a soutenu que cette cour ne peut pas se fonder sur des conclusions de fait tirées par d"autres tribunaux ou par la Cour. Toutefois, comme il en sera ci-dessous fait mention, l"enquête est axée sur la question de savoir s"il existe un autre " recours de réparation " au sens du paragraphe 91(1). La preuve présentée par la demanderesse n"est donc pas nouvelle étant donné qu"il y est question du recours qui peut être exercé en vertu de la LCDP et non de l"efficacité de ce recours. Il s"agit d"une question bien connue qui est traitée dans la LCDP . La preuve présentée par la demanderesse est donc ici admissible dans la mesure où elle vise à établir le recours prévu par la LCDP.

[20]      L"examen de la LRTFP et de la convention cadre conclue avec l"AFPC montre clairement que certaines questions ne peuvent pas faire l"objet d"un grief s"il existe d"autres recours administratifs. La clause M-38.02a) de la convention cadre prévoit ceci :

     8. Subject to and as provided in Section 90 of the Public Service Staff Relations Act, an employee who feels that he or she has been treated unjustly or considers himself or herself aggrieved by any action or lack of action by the Employer in matters other than those arising from the classification process is entitled to present a grievance in the manner prescribed in clause M-38.05 except that,
     (a) where there is another administrative procedure provided by or under Act of Parliament to deal with the employee"s specific complaint, such procedure must be followed.
     Sous réserve de l"article 90 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et conformément aux dispositions dudit article, l"employé-e qui estime avoir été traité de façon injuste ou qui se considère lésé par une action ou l"inaction de l"employeur au sujet de questions autres que celles qui découlent du processus de classification, a le droit de présenter un grief de la façon prescrite à la clause M-38.05, compte tenu des réserves suivantes :
     a) s"il existe une autre procédure administrative prévue par une loi du Parlement ou établie aux termes d"une telle loi pour traiter sa plainte particulière, cette procédure doit être suivie.

[21]      De même, en vertu des paragraphes 91(1) et 92(1), une question ne peut pas toujours donner lieu à un grief et une question pouvant faire l"objet d"un grief ne peut pas toujours être renvoyée à l"arbitrage. En particulier, seules les questions se rapportant à l"interprétation ou à l"application d"une disposition de la convention collective ou d"une décision arbitrale peuvent être renvoyées à l"arbitrage. En édictant ces deux dispositions, le législateur a limité la compétence des arbitres nommés en vertu de la LRTFP au lieu de leur conférer une compétence exclusive à l"égard de l"audition de tous les griefs.

[22]      L"avocat de la demanderesse cite un certain nombre de décisions dans lesquelles les tribunaux ont statué que les différends qui résultent d"une convention collective doivent être traités au moyen de la procédure de règlement des griefs prévue par la convention collective et par la législation pertinente : Weber c. Ontario Hydro , [1995] 2 R.C.S. 929, et St. Anne Nackawic Pulp and Paper Co. Ltd. c. Section locale 219 du Syndicat canadien des travailleurs du papier, [1986] 1 R.C.S. 704. Toutefois, dans ces deux arrêts, la Cour examinait des clauses d"arbitrage obligatoires qui conféraient une compétence exclusive au tribunal du travail. Dans l"arrêt Weber , à la page 953, Madame la juge McLachlin a fait la remarque suivante :

     Dans St. Anne Nackawic, la Cour d"appel et la Cour suprême du Canada ont toutes deux insisté pour que l"analyse de la question de savoir si une affaire relève de la clause d"arbitrage exclusif s"effectue non pas sur le fondement des questions juridiques qui peuvent être soulevées, mais sur le fondement des faits entourant le litige qui oppose les parties. Il ne s"agit pas de savoir si l"action, définie en termes juridiques, est indépendante de la convention collective, mais plutôt si le litige " résulte [de la] convention collective ". Si, peu importe ce dont il peut être qualifié sur le plan juridique, le litige résulte de la convention collective, seul le tribunal du travail peut l"entendre, à l"exclusion des cours de justice.         

[23]      Madame le juge McLachlin dit clairement qu"il s"agit uniquement de savoir si le différend résulte de la convention collective et non si l"action est indépendante de la convention collective qui détermine quel tribunal doit être saisi du différend, mais il faut souligner que le libellé de la LRTFP exige une approche différente. Le libellé du paragraphe 91(1) de la LRTFP a pour effet de modifier l"approche adoptée dans l"arrêt Weber : en vertu de la LRTFP, il ne s"agit pas simplement de savoir si le différend résulte de la convention collective, mais aussi de quelle façon l"action judiciaire est formulée afin de déterminer s"il existe un autre recours de réparation.

[24]      Plus récemment, dans l"arrêt Cadillac Fairview Corporation Ltd. v. Regier, Wolff and the Saskatchewan Human Rights Commission (1998) 98 C.L.L.C. " 230-006, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a statué que la Human Rights Commission de la Saskatchewan n"avait pas compétence pour entendre une plainte fondée sur la discrimination, étant donné que c"est l"arbitre désigné conformément à la convention collective en cause qui a compétence à cet égard. Ici encore, contrairement à la présente espèce, Monsieur le juge Grotsky examinait une disposition de la Trade Union Act qui prévoit que le tribunal du travail possède une compétence exclusive pour entendre tous les différends qui opposent les parties à une convention collective. Ces lois doivent être mises en contraste avec la LRTFP qui limite la compétence des arbitres aux questions pour lesquelles aucun recours n"est prévu sous le régime d"une loi fédérale.

[25]      Il s"agit donc de savoir si le recours prévu par la LCDP constitue une " réparation ". Dans Sagkeeng Alcohol Rehab Centre Inc. v. Abraham (1994), 79 F.T.R. 53 (1re inst.) Monsieur le juge Rothstein a examiné l"effet d"une disposition du Code canadien du travail qui était semblable au paragraphe 91(1) de la LRTFP. Voici ce qu"il a dit, aux pages 461 à 463 :

     Après en être arrivé à cette conclusion, je dois examiner le deuxième argument présenté par le requérant, à savoir que l"alinéa 242(3.1)b ) du Code canadien du travail interdit à l"arbitre de procéder à l"instruction de la plainte visée en l"espèce. Cet alinéa se lit comme suit :         
         242. (3.1) L"arbitre ne peut procéder à l"instruction de la plainte dans l"un ou l"autre des cas suivants :         
         b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.         
     [...]         
     Dans The Shorter Oxford English Dictionary (3e éd.), le verbe " redresser " est notamment défini comme suit :         
         [TRADUCTION] 6. Rendre justice à quelqu"un en lui obtenant, ou (parfois) en lui donnant, satisfaction ou une indemnisation pour le tort ou la perte subi.         
     En langage juridique, le recours demandé constituerait la satisfaction ou l"indemnisation et le tort subi serait lié à la cause d"action. Dans le contexte de l"alinéa 242(3.1)b ), je crois que la cause d"action et le recours sont envisagés par rapport à un autre " recours ". Cet autre recours ne peut donner droit à une réparation moindre que celle prévue à la section XIV du Code canadien du travail , ni se fonder sur une cause d"action différente.         

[26]      Dans l"arrêt Byers Transport c. Kosanovich , [1995] 3 C.F. 354 (C.A.), Monsieur le juge Linden a parlé comme suit à la page 378, de l"interprétation de l"alinéa 242(3.1)b ) du Code canadien du travail :

     J"ai également examiné attentivement la décision que la Section de première instance a rendue dans l"affaire Sagkeeng Alcohol Rehab Centre Inc. Dans cette affaire, on a allégué qu"étant donné que l"un des motifs invoqués au soutien de la plainte de congédiement injuste était la discrimination interdite par la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6], cette Loi fédérale prévoyait un autre recours qui empêchait l"arbitre d"examiner la plainte en vertu de l"alinéa 242(3.1)b ). Après avoir souligné qu"il n"avait été saisi d"aucune preuve quant à la nature de ces allégations, le juge de première instance a rejeté l"argument relatif à l"alinéa 242(3.1)b ) en se fondant en partie sur son interprétation de cette disposition. Il a décidé [à la page 463] que l"autre recours prévu dans cette disposition " ne peut donner droit à une réparation moindre que celle prévue " à la partie III du Code canadien du travail , " ni se fonder sur une cause d"action différente ". Plus loin [à la page 465], il a dit ce qui suit :         
         À mon sens, la partie tentant d"invoquer l"alinéa 242(3.1)b ) doit démontrer qu"aux termes d"une autre disposition législative, il existe une procédure à l"intention des parties lésées qui leur permette de déposer une plainte par suite d"un congédiement injuste et d"obtenir une réparation du même type que celle qu"un arbitre pourrait leur accorder en application du paragraphe 242(4) du Code canadien du travail . Bien que l"on doive éviter le dédoublement des procédures et que l"alinéa 242(3.1)b ) semble avoir été édicté à cette fin (entre autres, probablement), je suis certain que le législateur n"avait pas l"intention de contraindre des parties lésées à courir le risque de voir leur poursuite pour congédiement injuste compromise par l"application de cet alinéa. Pour que cet alinéa s"applique, l"autre recours en cause doit clairement opérer dédoublement.         
     Même si je ne conteste pas le résultat dans cette affaire, compte tenu de la preuve dont le juge de première instance était saisi, j"ai des réserves quant à son interprétation du mot " recours " à l"égard d"une " plainte " au sens du Code. Je crois que la plainte (c.-à-d. les faits reprochés) doit être essentiellement la même dans l"autre recours. Cependant, je doute que les réparations prévues dans l"autre disposition doivent être égales ou supérieures pour que l"arbitre perde la compétence dont il est investi en vertu de l"alinéa 242(3.1)b ). Cette disposition n"exige pas que le Code canadien du travail ou une autre loi fédérale prévoie le même recours. Elle exige simplement qu'un autre recours existe à l"égard de la même plainte. Je ne crois pas que les réparations découlant des recours doivent être exactement les mêmes, bien que la procédure en question doive certainement permettre à la même partie plaignante d"obtenir une véritable réparation.         

[27]      Il ressort des remarques de Monsieur le juge Linden que le recours administratif de réparation mentionné au paragraphe 91(1) n"a pas à être identique à la procédure de règlement des griefs prévue par la LRTFP . De plus, les réparations auxquelles donnent lieu ces deux recours n"ont pas à être identiques; la partie en cause devrait plutôt être en mesure d"obtenir une " réparation véritable " qui pourrait être avantageuse pour le plaignant. Le paragraphe 91(1) exige uniquement l"existence d"un autre recours de réparation lorsque la réparation à laquelle peut donner lieu ce recours est dans une certaine mesure avantageuse pour le plaignant lui-même.

[28]      Il faut donc rejeter l"argument de la demanderesse voulant que le recours doive mettre en cause le syndicat et qu"il doive fournir une réparation identique.

[29]      Il importe de noter qu"il est possible de faire une distinction entre les décisions citées par la demanderesse (Yarrow v. Treasury Board , [1996] C.P.S.S.R.B. no 10 et Sarson v. Treasury Board [1996] C.P.S.S.R.B. no 18) et la présente espèce. Dans ces deux affaires, les employés cherchaient à contester diverses dispositions de la convention collective concernant les avantages conférés aux personnes de même sexe. À l"appui de leurs arguments, les employés s"étaient en partie fondés sur les clauses de non-discrimination figurant dans la convention collective. Ces deux demandes ne portaient pas sur la discrimination en soi, mais plutôt sur la question de savoir si les employés avaient droit aux avantages demandés. L"allégation de discrimination ne se rapportait que d"une façon accessoire à la demande concernant les avantages et la cause d"action ne se rapportait pas à la clause M-16.01 relativement à la question isolée de la discrimination comme dans la présente espèce et dans l"affaire Chopra . De même, les arbitres ont conclu qu"il n"existait aucun recours administratif de réparation dans la LCDP ou en vertu de la LCDP étant donné que ni la CCDP ni le tribunal des droits de la personne n"ont compétence pour interpréter et appliquer les dispositions de la convention cadre.

[30]      En l"espèce, la demanderesse demande uniquement un redressement fondé sur la clause relative à l"élimination de la discrimination; elle n"utilise pas cette clause comme outil d"interprétation d"autres dispositions de la convention cadre. Il s"agit de déterminer si les faits, tels qu"ils sont allégués, démontrent l"existence d"un motif de distinction illicite.

[31]      Selon l"article 3 de la LCDP , les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l"origine nationale et ethnique, la couleur et la religion; l"article 53 énonce les pouvoirs de redressement qui existent si la plainte est fondée. Par conséquent, bien qu"elle ne soit pas identique, la LCDP offre une " réparation " à la demanderesse, quoique sous une forme différente. Il n"est donc pas nécessaire d"interpréter la convention collective si ce n"est ce qui est englobé dans la LCDP . L"argument de la demanderesse selon lequel la LCDP ne prévoit pas de réparation doit donc être rejeté.

Ottawa (Ontario)                          B. Cullen

Le 16 juin 1998                                  J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N0 DU GREFFE :                      T-1328-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :          JOAN MOHAMMED
                         et
                         SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE CONSEIL DU TRÉSOR
LIEU DE L"AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L"AUDIENCE :              LE 26 MAI 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU JUGE CULLEN EN DATE DU 16 JUIN 1998

ONT COMPARU :

ANDREW RAVEN                  POUR LA DEMANDERESSE
JUDITH BEGLEY                  POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RAVEN, JEWITT & ALLEN          POUR LA DEMANDERESSE

OTTAWA (ONTARIO))

GEORGE THOMSON              POUR LA DÉFENDERESSE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


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