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Date : 20010515

Dossier : T-1097-96

Référence neutre : 2001 CFPI 484

Ottawa (Ontario), le mardi 15 mai 2001

EN PRÉSENCE DE :             Madame le juge Dawson

ENTRE :

GERALDINE CAMERON et

LUCILLE CAMERON

appelantes

- et -

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

ET DU NORD CANADIEN,

LA SUCCESSION DE GERALD WILLIAM RITCHIE

et M. ELIZABETH RITCHIE

intimés

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                 Il s'agit d'un appel interjeté en vertu de l'article 47 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5 (la Loi) à l'encontre de la décision rendue par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le Ministre) le 13 mars 1996. Par cette décision, le ministre a accueilli la demande d'approbation d'un testament et de nomination d'une administratrice de la succession testamentaire présentée par M. Elizabeth Ritchie, celle-ci étant nommé administratrice testamentaire de la succession de feu son époux Gerald William Ritchie.

[2]                 Les appelantes Geraldine et Lucille Cameron sont respectivement la première épouse et la fille de M. Ritchie.

LES FAITS

[3]                 Les faits suivants ne sont pas contestés.

[4]                 Gerald Ritchie est décédé le 8 novembre 1995, en laissant tous ses biens à son épouse Elizabeth Ritchie dans un testament daté du 28 juin 1974. Dans ce testament, M. Ritchie a aussi nommé Marie Jones exécutrice de son testament. Marie Jones était l'agente responsable de l'agence Bruce, Chippewa Hill, Bureau de l'agence indienne du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Au moment de son décès, M. Ritchie résidait ordinairement dans la réserve Saugeen no 29.

[5]                 Dans une lettre en date du 8 décembre 1995, Lucille Cameron a informé Elizabeth Ritchie de son intention de déposer une réclamation contre la succession de Gerald Ritchie. Lucille Cameron a aussi adressé une lettre à Marie Jones, le 2 janvier 1996, dans laquelle elle disait ce qui suit :


[Traduction] Je m'appelle Lucille Cameron. J'ai trente-quatre ans et je suis la fille de Gerald William Ritchie et de Geraldine Cameron. Voici la réclamation que je formule contre la succession de mon père, Gerald Ritchie. J'estime avoir droit à une indemnité relativement aux éléments suivants :

1)              Défaut de paiement d'une pension alimentaire pour enfant pendant une période de dix-sept ans. (Mon père a quitté ma mère lorsque j'avais un an.)

2)              Préjudices et dommages que m'ont causé la violence psychologique, la négligence et l'abandon que mon père m'a fait subir.

3)              Je préférerais vraiment que certains biens riverains me soient attribués.

Des renseignements additionnels concernant le comportement violent de mon père seront fournis sur demande.

[6]                 Marie Jones a renoncé à agir comme exécutrice du testament de Gerald Ritchie le 4 mars 1996. Le 23 février 1996, Elizabeth Ritchie avait présenté une demande visant à faire approuver le testament de Gerald Ritchie et à se faire nommer administratrice de ce testament. Un agent des successions du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien appuyait la demande de Mme Ritchie et recommandait que le testament de Gerald Ritchie soit approuvé et que Elizabeth Ritchie soit nommée administratrice de la succession.

[7]                 Le 13 mars 1996, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a approuvé le testament de Gerald Ritchie et nommé Elizabeth Ritchie administratrice de la succession de Gerald Ritchie avec testament annexé.

LES QUESTIONS EN LITIGE


[8]                 Les questions de portée étroite soulevées dans l'appel sont les suivantes :

1.         Le ministre a-t-il commis une erreur en approuvant le testament de Gerald Ritchie et en nommant Elizabeth Ritchie administratrice de la succession avec testament annexé alors qu'il avait déjà été avisé que la fille du défunt avait une réclamation à faire valoir contre la succession?

2.         Le cas échéant, la Cour a-t-elle le pouvoir de prononcer une ordonnance annulant la décision du ministre et déclarant le testament de Gerald Ritchie nul en tout ou en partie?

LE RÉGIME LÉGISLATIF

[9]                 Voici les dispositions législatives pertinentes quant à l'issue de l'appel :


42. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, la compétence sur les questions testamentaires relatives aux Indiens décédés est attribuée exclusivement au ministre; elle est exercée en conformité avec les règlements pris par le gouverneur en conseil.

(2) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements stipulant qu'un Indien décédé qui, au moment de son décès, était en possession de terres dans une réserve, sera réputé, en telles circonstances et à telles fins que prescrivent les règlements, avoir été légalement en possession de ces terres au moment de son décès.

(3) Les règlements prévus par le paragraphe (2) peuvent être rendus applicables aux successions des Indiens morts avant ou après le 4 septembre 1951 ou à cette date.

42. (1) Subject to this Act, all jurisdiction and authority in relation to matters and causes testamentary, with respect to deceased Indians, is vested exclusively in the Minister and shall be exercised subject to and in accordance with regulations of the Governor in Council.

(2) The Governor in Council may make regulations providing that a deceased Indian who at the time of his death was in possession of land in a reserve shall, in such circumstances and for such purposes as the regulations prescribe, be deemed to have been at the time of his death lawfully in possession of that land.

(3) Regulations made under subsection (2) may be made applicable to estates of Indians who died before, on or after September 4, 1951.


43. Sans que soit limitée la portée générale de l'article 42, le ministre peut :    a) nommer des exécuteurs testamentaires et des administrateurs de successions d'Indiens décédés, révoquer ces exécuteurs et administrateurs et les remplacer;

b) autoriser des exécuteurs à donner suite aux termes des testaments d'Indiens décédés;

c) autoriser des administrateurs à gérer les biens d'Indiens morts intestats;

                                    

d) donner effet aux testaments d'Indiens décédés et administrer les biens d'Indiens morts intestats;

e) prendre les arrêtés et donner les directives qu'il juge utiles à l'égard de quelque question mentionnée à l'article 42.

43. Without restricting the generality of section 42, the Minister may

(a) appoint executors of wills and administrators of estates of deceased Indians, remove them and appoint others in their stead;

(b) authorize executors to carry out the terms of the wills of deceased Indians;

(c) authorize administrators to administer the property of Indians who die intestate;

(d) carry out the terms of wills of deceased Indians and administer the property of Indians who die intestate; and

(e) make or give any order, direction or finding that in his opinion it is necessary or desirable to make or give with respect to any matter referred to in section 42.


46. (1)Le ministre peut déclarer nul, en totalité ou en partie, le testament d'un Indien, s'il est convaincu de l'existence de l'une des circonstances suivantes :

a) le testament a été établi sous l'effet de la contrainte ou d'une influence indue;

b) au moment où il a fait ce testament, le testateur n'était pas habile à tester;

                                    

c) les clauses du testament seraient la cause de privations pour des personnes auxquelles le testateur était tenu de pourvoir;

d) le testament vise à disposer d'un terrain, situé dans une réserve, d'une façon contraire aux intérêts de la bande ou aux dispositions de la présente loi;

e) les clauses du testament sont si vagues, si incertaines ou si capricieuses que la bonne administration et la distribution équitable des biens de la personne décédée seraient difficiles ou impossibles à effectuer suivant la présente loi;

f) les clauses du testament sont contraires à l'intérêt public.

(2) Lorsque le testament d'un Indien est déclaré entièrement nul par le ministre ou par un tribunal, la personne qui a fait ce testament est censée être morte intestat, et, lorsque le testament est ainsi déclaré nul en partie seulement, sauf indication d'une intention contraire y énoncée, tout legs de biens meubles ou immeubles visé de la sorte est réputé caduc.

46. (1)The Minister may declare the will of an Indian to be void in whole or in part if he is satisfied that

(a) the will was executed under duress or undue influence;

(b) the testator at the time of execution of the will lacked testamentary capacity;

(c) the terms of the will would impose hardship on persons for whom the testator had a responsibility to provide;

(d) the will purports to dispose of land in a reserve in a manner contrary to the interest of the band or contrary to this Act;

(e) the terms of the will are so vague, uncertain or capricious that proper administration and equitable distribution of the estate of the deceased would be difficult or impossible to carry out in accordance with this Act; or

(f) the terms of the will are against the public interest.

(2) Where a will of an Indian is declared by the Minister or by a court to be wholly void, the person executing the will shall be deemed to have died intestate, and where the will is so declared to be void in part only, any bequest or devise affected thereby, unless a contrary intention appears in the will, shall be deemed to have lapsed.

47. Une décision rendue par le ministre dans l'exercice de la compétence que lui confère l'article 42, 43 ou 46 peut être portée en appel devant la Cour fédérale dans les deux mois de cette décision, par toute personne y intéressée, si la somme en litige dans l'appel dépasse cinq cents dollars ou si le ministre y consent.

47. A decision of the Minister made in the exercise of the jurisdiction or authority conferred on him by section 42, 43 or 46 may, within two months from the date thereof, be appealed by any person affected thereby to the Federal Court, if the amount in controversy in the appeal exceeds five hundred dollars or if the Minister consents to an appeal.


ANALYSE


[10]            À l'appui de leur prétention que la décision du ministre doit être annulée, les appelantes soutiennent que celui-ci avait connaissance de leur réclamation; que la réclamation touchait essentiellement les biens riverains et soulevaient donc une question testamentaire; que le ministre avait, en vertu du paragraphe 42(1) de la Loi, compétence exclusive sur les questions testamentaires relatives aux Indiens décédés (du moins ceux résidant ordinairement sur une réserve); et qu'en approuvant le testament, le ministre n'a pas tranché la réclamation des appelantes, contrevenant ainsi aux règles de justice naturelle et à son obligation fiduciaire d'agir de bonne foi.

[11]            La prétention des appelantes que leur réclamation est une question testamentaire et relève donc de la compétence exclusive du ministre par application de l'article 42 de la Loi constitue un élément crucial de leur argumentation. Il faut donc analyser soigneusement la nature de la réclamation.

[12]            Les appelantes ne prétendent pas être bénéficiaires de la succession, ni ne font valoir quelque réclamation que ce soit en vertu d'une loi accordant réparation aux personnes à charge ni de réclamation de nature à donner ouverture à l'exercice de la compétence que l'article 46 de la Loi confère au ministre.


[13]            Je crois que la réclamation est qualifiée à juste titre de réclamation touchant les sommes appartenant à la succession. Dans la mesure où une réclamation de pension alimentaire pour enfant est présentée tardivement, elle serait liquidée et fondée sur une ordonnance prononcée sous le régime de la loi ontarienne intitulée The Deserted Wives' and Children's Maintenance Act, R.S.O. 1970, ch. 128, qui prescrivait des paiements hebdomadaires débutant le 26 août 1967. Dans la mesure où une réclamation est formulée relativement à des préjudices et dommages pour violence et négligence, elle n'est pas liquidée.

[14]            Il faut ensuite se demander si les réclamations de cette nature constituent des questions testamentaires. Dans l'arrêt Re McElhinney (1930), 2 D.L.R. 290 (C.A. Sask.), la Cour d'appel de la Saskatchewan a examiné la nature de la compétence conférée à la Probate Court d'Angleterre par la English Probate Act, 1857, et la nature de la compétence conférée à la Surrogate Court de Saskatchewan par la Surrogate Courts Act of 1907 de cette province. La Cour a souligné que la compétence de ces tribunaux visait l'attribution et la révocation de l'homologation d'un testament ou de lettres d'administration, ainsi que les « questions testamentaires » . Elle a statué que l'expression « questions testamentaires » s'entendait des questions relatives à l'attribution et à la révocation de l'homologation d'un testament et de lettres d'administration et à des questions accessoires.

[15]            Il s'ensuit que, tout comme la compétence conférée aux cours des successions relativement aux « questions testamentaires » n'englobe pas toutes les questions concernant les successions, l'expression « questions testamentaires » n'englobe pas toutes les questions concernant les successions d'une façon quelconque.


[16]            La Cour d'appel de la Colombie-Britannique l'a reconnu dans l'arrêt Sampson v. Gosnell Estate (1989), 57 D.L.R. (4th ) 299 (C.A. C.-B.). Dans cette affaire, la Cour a tranché la question de savoir si une réclamation formulée par une Indienne selon laquelle son père décédé avait conclu une entente avec elle portant qu'il lui laisserait ses biens en contrepartie d'un certain travail constituait une question testamentaire. La Cour s'est appuyée sur l'affaire Re McElhinney, précitée, pour répondre par la négative. Il s'ensuivait que la décision de l'administrateur de la succession de refuser de payer la fille n'était pas une décision du ministre au sens du paragraphe 47(1) de la Loi; la réclamation de la fille avait donc été soumise à bon droit aux tribunaux de la Colombie-Britannique.

[17]            Cette interprétation de la portée de l'expression « questions testamentaires » est, selon moi, convaincante et compatible avec les pouvoirs particuliers énumérés à l'article 43 de la Loi.

[18]            Je conclus donc que la réclamation des appelantes touchant des sommes d'argent appartenant à la succession ne constitue pas une réclamation concernant une question testamentaire.


[19]            L'expression d'une préférence quant à la façon d'exécuter cette réclamation pécuniaire, en l'occurrence par l'attribution de biens riverains, ne peut avoir pour effet de modifier fondamentalement la nature de la réclamation de sorte qu'elle ne constituerait plus une réclamation touchant les sommes d'argent appartenant aux successions.

[20]            Selon cette caractérisation de la réclamation des appelantes, le ministre n'aurait eu aucun élément sur lequel appuyer une déclaration de nullité du testament de M. Ritchie. Le recours que pouvaient exercer, et peuvent peut-être toujours exercer les appelantes consiste à présenter leur réclamation à l'administratrice de la succession. Le Règlement sur les successions d'Indiens, C.R.C., ch. 954 (le Règlement) prescrit une procédure pour la présentation de pareilles réclamations et le prononcé d'une décision à leur égard. Tout rejet de la réclamation pourrait, sur le plan du droit, être contesté devant les tribunaux de l'Ontario comme dans l'affaire Sampson, précitée.

[21]            La présentation de cette réclamation pécuniaire ne constituait pas non plus un motif de refuser de nommer Mme Ritchie administratrice de la succession avec testament annexé dans le cadre de l'exercice par le ministre de sa compétence légitime sur les questions testamentaires.

[22]            J'estime que ces conclusions règlent l'appel. Par souci d'exhaustivité, j'ajouterai que la preuve n'a pas établi, selon moi, qu'il y a eu manquement à la justice naturelle ni à quelque obligation fiduciaire que ce soit.


[23]            Il n'est pas nécessaire dans les circonstances d'examiner la compétence de la Cour de déclarer nul le testament de M. Ritchie.

[24]            Dans la plaidoirie orale, aucun des intimés n'a fait valoir avec force sa demande de dépens. Il ressort de l'affidavit de Marie Jones que l'avis aux créanciers prescrit par le paragraphe 8(1) du Règlement n'a pas été donné dans le délai prévu. Rien dans le dossier ne laisse entendre que l'administratrice a fait des efforts pour traiter la réclamation conformément au paragraphe 11(3) du Règlement. Dans les circonstances, j'estime plus juste que chaque partie assume ses propres frais.

                                                              ORDONNANCE

[25]            LA COUR STATUE DONC QUE :

L'appel est rejeté sans dépens en faveur de l'une ou l'autre partie.

« Eleanor R. Dawson »

                                                                                                                                                    Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                                   T-1097-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Geraldine Cameron et autre c. Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                 le 10 avril 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :          MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                           le 15 mai 2001

ONT COMPARU

Me Jeffrey Hewitt                                                  POUR LES APPELANTES

Me Mary E. O'Donnell

Me Brian Kelly                                        POUR L'INTIMÉE

(La succession de G. Ritchie)

Me Garry Penner                                                 POUR L'INTIMÉ

(Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Me Jeffrey Hewitt                                                 POUR LES APPELANTES

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada                     (Le ministre des Affaires indiennes et du

Ottawa (Ontario)                                                  Nord canadien)

Kelly & Co.                                                          POUR L'INTIMÉE

Avocats                                                                 (La succession de G. Ritchie)

Kitchener (Ontario)

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