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Date : 20190604


Dossier : T‑858‑18

Référence : 2019 CF 780

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 juin 2019

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

JANET ZEPOTOCZNY BERGER

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Janet Zepotoczny Berger sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale lui a refusé la permission d’en appeler de la décision rendue par la division générale du Tribunal, qui a rejeté sa demande de prestations d’invalidité aux termes du Régime de pensions du Canada.

[2]  La division générale a conclu que Mme Berger n’avait pas droit à des prestations d’invalidité, puisque son emploi d’aide‑anesthésiste constituait une « occupation véritablement rémunératrice ». Dans sa demande de permission d’en appeler, Mme Berger a affirmé que le Tribunal avait commis de nombreuses erreurs pour parvenir à sa décision. La division d’appel a toutefois estimé que son appel n’avait aucune chance raisonnable de succès et que la division générale n’avait pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée ni contrevenu à un principe de justice naturelle.

[3]  Même si je comprends la situation difficile dans laquelle se trouve Mme Berger, je ne suis pas convaincue que la division d’appel a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle lui a refusé la permission d’en appeler de la décision de la division générale. Je ne suis pas non plus convaincue que la décision de la division d’appel était déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Berger sera rejetée.

I.  Contexte

[4]  Mme Berger est une infirmière autorisée. Lorsqu’elle a eu des problèmes de santé en 1990, elle a présenté une demande de prestations d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C‑ 8 (RPC). Cette demande a été accueillie et Mme Berger a reçu des prestations jusqu’en 1991.

[5]  En 1999, Mme Berger se trouvait à bord d’un autobus à Toronto. L’autobus s’est arrêté brusquement, et elle a été éjectée de sa banquette, ce qui lui a occasionné un certain nombre de blessures, y compris un coup de fouet cervical, des lésions au dos et aux jambes ainsi que des contusions et des abrasions. Mme Berger souffre encore de plusieurs problèmes physiques qui affectent sa capacité de travailler; elle souffre notamment de douleurs cervicales et lombaires, d’une sténose du canal rachidien, d’hypertension artérielle, de problèmes cardiaques et d’étourdissements.

[6]  En septembre 2005, Mme Berger a présenté une deuxième demande de prestations d’invalidité au titre du RPC fondée sur les blessures qu’elle avait subies dans l’accident d’autobus. La demande a été rejetée au motif que Mme Berger était capable de travailler et qu’elle occupait un emploi véritablement rémunérateur. Une fois les recours d’appel internes épuisés, le rejet de sa demande de prestations d’invalidité a été confirmé par la Cour à l’issue d’un contrôle judiciaire : Berger c. Canada (Procureur général), 2009 CF 37, [2009] ACF no 80.

[7]  En août 2013, Mme Berger a de nouveau présenté une demande de prestations d’invalidité au titre du RPC, en faisant valoir encore une fois qu’elle était invalide depuis l’accident d’autobus de 1999. Elle a affirmé souffrir de douleurs diffuses chroniques, de problèmes cardiaques, d’une sténose du canal rachidien, d’une radiculopathie au niveau C7 et d’une compression de la racine nerveuse au niveau S1.

[8]  La troisième demande de prestations d’invalidité de Mme Berger a été rejetée au motif qu’elle était encore en mesure de travailler. Sa demande de révision de la décision en question a également été rejetée.

[9]  Mme Berger a ensuite interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (TSS) pour obtenir réparation, en faisant valoir qu’elle souffrait d’une invalidité suffisamment grave pour avoir droit à des prestations d’invalidité au titre du RPC.

[10]  Aux termes de l’alinéa 42(2)a) du RPC, une personne est considérée comme invalide si elle est atteinte « d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée ». Une invalidité est « grave » si elle rend la personne en cause « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Une invalidité est « prolongée » si elle doit « vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou [...] entraîner vraisemblablement le décès ».

[11]  Après avoir effectué une évaluation globale de sa situation personnelle, la division générale a déterminé que Mme Berger n’avait pas droit à des prestations d’invalidité, étant donné que son emploi d’aide‑anesthésiste dans des cabinets dentaires constituait une « occupation véritablement rémunératrice ». Son revenu brut attestait que son invalidité n’était pas « grave », puisqu’il constituait un [traduction] « bon indicateur de son niveau de travail ou d’activités ». Le Tribunal ayant conclu que Mme Berger n’avait pas établi que son invalidité était « grave », il n’a pas jugé nécessaire d’examiner la question de savoir si elle avait été « prolongée ».

II.  Demande de permission de Mme Berger

[12]  Insatisfaite par la décision de la division générale, Mme Berger a demandé la permission d’en appeler devant la division d’appel du Tribunal. Dans sa demande de permission, elle a fait valoir que la division générale avait commis les erreurs suivantes :

  1. elle n’a pas examiné certains éléments de preuve ayant trait aux blessures de Mme Berger et aux frais occasionnés par leur traitement;

  2. elle n’a pas tenu compte du fait qu’un membre du Tribunal avait conclu précédemment que Mme Berger avait soulevé des moyens défendables;

  3. elle n’a pas informé Mme Berger avant l’audience qu’elle était liée par la décision précédente du Tribunal de révision;

  4. elle n’a pas entièrement répondu à la question de Mme Berger intéressant le conflit d’intérêts;

  5. elle n’a pas tenu compte du fait que Mme Berger s’est sentie intimidée lors de l’audience qui s’est tenue par téléconférence;

  6. elle n’a ni considéré ni abordé l’effet que le retard a eu sur Mme Berger;

  7. elle n’a pas géré efficacement la demande ni statué sur l’affaire de manière opportune et efficace;

  8. elle n’a pas examiné la question de savoir si l’invalidité de Mme Berger était prolongée;

  9. elle n’a pas conclu que l’invalidité de Mme Berger était grave;

  10. elle n’a pas expliqué comment le caractère véritablement rémunérateur est déterminé et n’a pas reconnu que l’emploi de Mme Berger n’était pas rémunérateur;

  11. elle n’a pas tenu compte du fait que Mme Berger a reçu un crédit d’impôt pour personnes handicapées de l’Agence du revenu du Canada;

  12. elle a jugé que le revenu brut de Mme Berger était un indicateur d’une occupation véritablement rémunératrice, sans tenir compte des coûts qu’elle doit engager pour gagner un revenu et subvenir à ses besoins;

  13. elle n’a pas considéré les difficultés financières auxquelles Mme Berger a été confrontée en raison du refus des prestations ou de la longue instruction arbitrale, ni le fait que son revenu a diminué au cours des dernières années;

  14. dans son analyse fondée sur le « monde réel », elle a tenu compte d’attributs personnels dépourvus de pertinence, notamment l’âge de Mme Berger, son niveau d’instruction et ses aptitudes linguistiques;

  15. elle a distribué des documents médicaux visés par une « ordonnance de confidentialité » rendue par la Cour fédérale en 2008;

  16. elle n’a pas tenu compte du rapport du vérificateur général de 2016 sur la mauvaise gestion au sein du TSS et les retards de traitement des demandes de prestations.

[13]  La division d’appel du TSS a rejeté la demande de permission d’en appeler de Mme Berger, affirmant qu’aucun des motifs qu’elle invoquait n’avait de chance raisonnable de succès en appel. Lorsqu’il est parvenu à cette conclusion, le Tribunal a fait remarquer que le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34, prévoit que les seuls motifs pouvant être invoqués à l’appui d’un appel sont les suivants :

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

(a) the General Division failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

(b) the General Division erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(c) the General Division based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

[14]  Le paragraphe 58(2) de la Loi prévoit par ailleurs que la demande de permission d’en appeler doit être rejetée « si [la division d’appel] est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès », ce que la Cour a défini comme le fait de « disposer de certains motifs défendables grâce auxquels l’appel proposé pourrait avoir gain de cause » : Osaj c Canada (Procureur général), 2016 CF 115, au paragraphe 12, [2016] ACF no 131.

[15]  La division d’appel a souscrit à la conclusion de la division générale selon laquelle la période pertinente au regard de la demande de Mme Berger allait du 21 mars 2007 au 31 mai 2014, le 21 mars 2007 étant la date à laquelle le Tribunal de révision a finalement déterminé que la demande de prestations d’invalidité que Mme Berger avait présentée en 2005 devait être rejetée et le 31 mai 2014 étant le dernier jour où Mme Berger pouvait prétendre à des prestations d’invalidité, car elle a commencé à recevoir une pension de retraite au titre du RPC en juin 2014.

[16]  La division d’appel a examiné les observations déposées par Mme Berger à l’appui de sa demande de permission d’en appeler. Elle a également écouté la transcription de son audience devant la division générale. La division d’appel s’est ensuite penchée sur les motifs invoqués par Mme Berger à l’appui de sa demande de permission d’en appeler et a expliqué pourquoi aucun d’eux n’avait, selon elle, de chance raisonnable de succès. Elle était aussi convaincue que la division générale n’avait négligé ou mal interprété aucun renseignement important lorsqu’elle a conclu que Mme Berger n’était pas admissible à recevoir des prestations d’invalidité au titre du RPC.

[17]  Mme Berger sollicite à présent le contrôle judiciaire de la décision de la division d’appel.

III.  Norme de contrôle

[18]  Comme je l’ai déjà noté, les motifs pour lesquels la permission d’en appeler peut être accordée sont énoncés au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. Mme Berger n’a pas laissé entendre que la division d’appel saisie de sa demande de permission d’en appeler avait commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère juridique. Je conviens par ailleurs avec les parties que l’application par la division d’appel du droit aux faits de la présente affaire est soumise à la norme du caractère raisonnable : Andrews c Canada (Procureur général), 2018 CF 606, au paragraphe 17, [2018] ACF no 628.

[19]  Comme je l’ai expliqué à Mme Berger lors de l’audience, la question que je dois trancher n’est pas de savoir si je pense personnellement qu’elle devrait avoir droit à des prestations d’invalidité au titre du RPC. Il s’agit plutôt de savoir si la décision de la division d’appel était raisonnable.

[20]  Autrement dit, je dois déterminer si la décision de la division d’appel était justifiée, transparente et intelligible, et si la conclusion qu’elle a tirée à l’égard de la solidité des arguments de Mme Berger appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190.

IV.  Analyse

[21]  Mme Berger a relevé de nombreuses erreurs qui auraient selon elle été commises par la division d’appel et qui sont en grande partie identiques à celles qu’elle a reprochées précédemment à la division générale du Tribunal. Même si j’ai examiné attentivement chacun de ses arguments, j’ai déterminé que je ne devais me pencher que sur certains d’entre eux.

A.  Le retard de traitement de la demande de prestations d’invalidité de Mme Berger

[22]  Mme Berger affirme que le TSS n’a pas géré efficacement sa demande de prestations d’invalidité ni statué sur l’affaire de manière opportune et efficace. Elle cite à l’appui de cet argument un rapport du vérificateur général du Canada de 2016 qui signale de graves problèmes systémiques dans la manière dont le Tribunal gère ses dossiers.

[23]  Je conviens avec Mme Berger que le délai nécessaire pour statuer sur sa demande de prestations d’invalidité est très troublant. Mme Berger a présenté sa demande en août 2013 et la décision par laquelle la division d’appel a rejeté sa demande de permission d’en appeler n’a été rendue que le 28 mars 2018.

[24]  De nombreux demandeurs de prestations d’invalidité (dont Mme Berger) sont confrontés à de graves difficultés financières et il est très malheureux qu’il faille compter plus de cinq ans pour traiter une telle demande.

[25]  Cela étant dit, il incombe à Mme Berger de démontrer que le retard en l’espèce était inacceptable au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause : Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, au paragraphe 121, [2000] 2 RCS 307. Bien que Mme Berger se soit indubitablement heurtée à des difficultés financières durant les cinq années en question, elle n’a pas fait valoir que les retards ont nui à sa capacité de donner suite à la présente affaire ou que des éléments de preuve sur lesquels elle aurait pu vouloir s’appuyer n’étaient plus disponibles.

[26]  De plus, les problèmes systémiques relevés par le vérificateur général et les retards survenus dans le dossier de Mme Berger devant le Tribunal n’ont aucune incidence sur la question de savoir si elle souffrait d’une invalidité grave et prolongée. Par conséquent, la division d’appel n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que ces arguments n’avaient aucune chance raisonnable de succès.

B.  Les allégations de Mme Berger concernant la partialité

[27]  Mme Berger soutient que la conduite des infirmières autorisées ayant traité sa demande aurait dû être examinée, tout comme la question de savoir si le membre de la division générale statuant sur son cas était partial ou en situation de conflit d’intérêts.

[28]  S’agissant de la conduite des infirmières, Mme Berger affirme que les diverses notes au dossier attestent une attitude [traduction] « méprisante » de la part des personnes en cause. Elle ajoute que le fait qu’elle soit elle‑même une infirmière autorisée pourrait avoir amené les personnes en question à attendre davantage d’elle que ce qu’elle était capable de faire.

[29]  Le critère relatif à la crainte raisonnable de partialité consiste à se demander si une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait, selon toute vraisemblance, que le décideur, consciemment ou non, ne rendrait pas une décision juste : Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, aux paragraphes 20‑21, 26, [2015] 2 RCS 282.

[30]  La question de savoir si Mme Berger a soulevé sa préoccupation à l’égard de la conduite des infirmières devant la division d’appel n’est pas claire. Quoi qu’il en soit, je ferais remarquer qu’elle n’a produit aucune preuve susceptible d’établir une partialité réelle ou présumée de la part des infirmières qui ont traité son dossier. De plus, j’ai examiné attentivement les notes qui préoccupent Mme Berger. Je n’y vois rien qui susciterait objectivement une crainte de partialité de la part de leurs auteurs. Aussi, je ferais remarquer que les personnes ayant rédigé les notes en question ne sont pas celles qui ont rendu la décision à l’égard de la demande de prestations d’invalidité de Mme Berger – qu’il s’agisse de la division générale ou de la division d’appel.

[31]  Mme Berger n’a pas non plus produit de preuve démontrant que le membre de la division générale qui a statué sur son cas était en situation de conflit d’intérêts. Mme Berger a fait remarquer qu’il s’agissait d’un avocat à la retraite et qu’il pouvait à ce titre avoir eu affaire avec la CIBC, une banque qui était partie à un litige contre elle. Elle a par ailleurs conjecturé que le membre en question était peut‑être ami avec les avocats ayant représenté la Banque dans la poursuite intentée contre elle.

[32]  Le membre de la division générale a abordé directement cette question dans le cadre d’une décision interlocutoire. Il a noté que les allégations de Mme Berger reposaient entièrement sur des conjectures, et qu’elles n’avaient aucun fondement probatoire. Il a par ailleurs ajouté que les membres du Tribunal doivent se récuser s’ils ont conscience d’un conflit d’intérêts réel ou perçu, et il a affirmé que c’est ce qu’il aurait fait en l’espèce s’il avait eu connaissance d’un tel conflit.

[33]  La division d’appel a également abordé cette question, notant que l’allégation de Mme Berger selon laquelle le membre de la division générale pouvait s’être retrouvé en situation de conflit d’intérêts n’était absolument pas appuyée par la preuve, ce qui fait que ce motif d’appel ne pouvait aboutir. En l’absence de preuve étayant les allégations de Mme Berger, la conclusion de la division d’appel sur ce point était totalement raisonnable.

C.  L’intimidation par le membre de la division générale

[34]  Mme Berger a également déclaré qu’elle s’était sentie [traduction] « intimidée » par le membre de la division générale et par la procédure suivie dans son dossier.

[35]  Tout en reconnaissant qu’il était [traduction] « malheureux » que Mme Berger ait été mal à l’aise avec la procédure suivie dans son cas, la division d’appel a fait remarquer qu’il n’était pas loisible à la division générale de changer la procédure ou les exigences prévues dans la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.

[36]  Le membre de la division d’appel a également déclaré qu’en plus d’avoir examiné le dossier papier en l’espèce, elle a écouté l’enregistrement de l’audience de Mme Berger devant la division générale. Même si elle avait effectivement déclaré alors qu’elle se sentait [traduction] « intimidée », Mme Berger a néanmoins bénéficié de la possibilité pleine et entière de présenter ses arguments, et aucun manquement à la justice naturelle n’a été commis.

[37]  Je reconnais que Mme Berger s’est peut‑être sentie subjectivement intimidée par la procédure. Cependant, elle n’a fait état d’aucun fondement objectif à cette impression ni établi qu’elle avait été le moindrement empêchée de faire valoir sa demande. Par conséquent, il était raisonnablement loisible à la division d’appel de conclure que ce motif d’appel ne pouvait aboutir, sur la foi de la preuve dont elle disposait.

D.  L’argument relatif aux moyens défendables

[38]  Mme Berger a interjeté son appel devant la division générale après le délai de 90 jours prévu à l’alinéa 52(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. Elle devait donc obtenir une prorogation pour pouvoir donner suite à son appel. Dans la décision d’octobre 2015 lui accordant cette prorogation, un membre de la division générale a estimé, entre autres, qu’elle soulevait des moyens défendables.

[39]  De ce que je saisis de la position de Mme Berger, elle soutient que parce que la division générale a précédemment déterminé qu’elle soulevait des moyens défendables, il était déraisonnable de la part de la division d’appel de conclure qu’aucun de ses motifs d’appel n’avançait d’arguments ayant une chance raisonnable de succès.

[40]  La division d’appel a rejeté cet argument et a fait remarquer que le critère juridique touchant les moyens défendables aux fins de l’octroi d’une prorogation de délai est différent de celui qui se rapporte à une demande de permission d’en appeler d’une décision de la division générale.

[41]  Lorsqu’il a examiné la demande de prorogation de Mme Berger, le Tribunal a dû se demander si sa demande de prestations d’invalidité était potentiellement fondée. Par contre, la division d’appel a dû se pencher sur la question de savoir s’il existait un motif défendable aux termes duquel l’appel proposé pouvait aboutir : Osaj, précitée, au paragraphe 12. Compte tenu de cette différence, Mme Berger ne m’a pas convaincue que le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il a conclu que cet argument n’avait aucune chance raisonnable de succès.

E.  L’argument relatif aux difficultés financières

[42]  Mme Berger affirme en outre que la division d’appel a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les facteurs économiques n’étaient pas pertinents au regard de la question de savoir si un demandeur est invalide aux fins de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. D’après elle, la division d’appel aurait dû tenir compte des graves difficultés financières auxquelles elle a été confrontée au fil des années, y compris le fait qu’elle a été forcée de vendre deux maisons en raison de sa situation financière, sans compter les milliers de dollars qu’elle a dû dépenser pour le traitement des différentes affections dont elle était atteinte.

[43]  Même si je compatis à la situation de Mme Berger, il est clair en droit que les difficultés financières auxquelles sont confrontés les demandeurs ne sont pas pertinentes au regard de la question de savoir s’ils présentent une invalidité grave et prolongée : Carter c Canada (Procureur général), 2008 CF 1046, au paragraphe 5, [2008] ACF no 1297; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Angheloni, 2003 CAF 140, au paragraphe 27, [2003] ACF no 473. Par conséquent, la division d’appel n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que ce motif d’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[44]  Mme Berger fait également remarquer que son revenu a substantiellement diminué depuis 2014. Cependant, comme je l’ai déjà noté, la période pertinente aux fins de sa demande de prestations d’invalidité allait du 21 mars 2007 au 31 mai 2014. Par conséquent, la possibilité que son revenu ait diminué dans les années ayant suivi la période pertinente n’avait aucune incidence sur les questions que la division générale et la division d’appel étaient appelées à trancher.

F.  L’argument relatif au crédit d’impôt accordé par l’ARC

[45]  Mme Berger fait valoir que la division générale a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que l’Agence du revenu du Canada lui a accordé un crédit d’impôt pour personnes handicapées rétroactif à 1999. Cependant, elle n’a pas démontré que les critères utilisés pour établir le droit à ce crédit d’impôt sont identiques à ceux qui servent à évaluer le droit à des prestations d’invalidité au titre du RPC.

[46]  Mme Berger note également que la division générale a indiqué par erreur que son crédit d’impôt pour personnes handicapées avait été accordé rétroactivement à 2009, plutôt que 1999. Cependant, comme l’a correctement fait remarquer la division d’appel, la division générale n’a pas fondé sa décision sur cette conclusion. Par conséquent, l’erreur n’était pas importante au regard de l’issue et la division d’appel n’a donc pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que l’argument avancé par Mme Berger sur ce point n’avait aucune chance raisonnable de succès.

G.  L’argument relatif à l’« occupation véritablement rémunératrice »

[47]  Mme Berger affirme que la division d’appel a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que son argument portant sur la conclusion de la division générale selon laquelle elle avait une « occupation véritablement rémunératrice » n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[48]  Mme Berger conteste le fait que le ministère n’est doté d’aucune politique écrite expliquant ce qui constitue une « occupation véritablement rémunératrice ». Toujours selon Mme Berger, le Tribunal a commis une autre erreur en ne reconnaissant pas que son occupation n’est pas rémunératrice.

[49]  S’agissant de la question de la politique, la division d’appel a estimé que le Tribunal n’était pas tenu de suivre une politique précise pour déterminer si une personne donnée a une « occupation véritablement rémunératrice ». Par conséquent, la division d’appel était convaincue que l’argument de Mme Berger sur ce point n’avait aucune chance raisonnable de succès. Cette conclusion était tout à fait raisonnable.

[50]  Les organismes administratifs ne sont pas tenus de se doter d’une politique écrite décrivant la manière dont le pouvoir discrétionnaire conféré à ses membres doit être exercé. Cependant, cela ne signifie pas que les membres du Tribunal peuvent à cet égard agir de manière arbitraire. La Cour de même que la Cour d’appel fédérale ont rendu un certain nombre de décisions contraignantes pour les membres du Tribunal qui expliquent comment l’« occupation véritablement rémunératrice » doit être évaluée : voir, par exemple, Miceli‑Riggins c Canada (Procureur général), 2013 CAF 158, au paragraphe 15, [2014] 4 RCF 709; Klabouch c Canada (Développement social), 2008 CAF 33, au paragraphe 14, 372 NR 385. La division d’appel n’a donc pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que l’argument de Mme Berger, touchant au fait que le Tribunal n’était doté d’aucune politique écrite régissant la manière dont une occupation véritablement rémunératrice doit être évaluée, n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[51]  Pour ce qui est de la question de fond de savoir si Mme Berger avait une « occupation véritablement rémunératrice », comme je l’ai déjà noté, Mme Berger fait valoir que son revenu a substantiellement diminué après 2014. Cependant, comme je le faisais remarquer précédemment, les années postérieures à 2014 échappent à la période pertinente, et le fait que le revenu de Mme Berger ait pu diminuer après 2014 n’avait donc aucune incidence sur les questions que la division générale et la division d’appel étaient appelées à trancher.

[52]  Mme Berger conteste également le fait que la division d’appel a tenu compte de son revenu brut plutôt que net. Mme Berger est une travailleuse autonome dont les heures de travail ne sont pas garanties; elle est employée par différents dentistes qui ont recours à ses services selon leurs besoins. En tant que travailleuse autonome, elle a le droit de déduire, à des fins fiscales, différentes dépenses, comme les dépenses se rapportant à son bureau à domicile et à sa voiture. Mme Berger a prétendu à ce titre qu’il était erroné de prendre en compte son revenu brut plutôt que son revenu net, c’est‑à‑dire après déduction de ses dépenses.

[53]  Je ne suis pas convaincue que la division d’appel a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que cet argument n’avait aucune chance raisonnable de succès. Comme l’a fait remarquer le défendeur, la question sur laquelle la division générale devait statuer n’était pas de déterminer le revenu (brut ou net) de Mme Berger, mais plutôt d’établir ses activités professionnelles et ses capacités de gain. Autrement dit, il s’agissait de savoir si, en pratique, Mme Berger était régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice : Villani c Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, aux paragraphes 49 et 50, [2002] 1 CF 130.

[54]  La division d’appel s’est penchée sur la manière dont la division générale a examiné cette question, et elle a conclu que celle‑ci n’avait commis aucune erreur, et donc que les arguments de Mme Berger n’avaient aucune chance raisonnable de succès. Il lui était loisible de tirer cette conclusion sur la foi du dossier dont elle disposait.

[55]  En fin de compte, ce que Mme Berger me demande de faire est de procéder à une nouvelle pondération de la preuve dont disposait la division d’appel pour parvenir à un résultat différent. Ce n’est pas le rôle de la Cour saisie du contrôle d’une décision telle que celle dont il est question en l’espèce.

H.  La prise en compte des attributs personnels de Mme Berger

[56]  Mme Berger conteste également le fait que la division générale a tenu compte, dans son analyse, de ses attributs personnels, notamment son âge, son niveau d’instruction et ses aptitudes linguistiques. Selon elle, de telles considérations n’ont rien à voir avec la question de savoir si elle est ou non invalide.

[57]  Cependant, la jurisprudence nous enseigne que la question de savoir si une personne donnée souffre d’une invalidité grave doit être évaluée à la lumière de sa situation personnelle, notamment son âge, son niveau d’instruction et ses aptitudes linguistiques ainsi que ses antécédents professionnels et son expérience de la vie : Villani, précité, au paragraphe 38. Par conséquent, la division d’appel n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que cet argument n’avait aucune chance raisonnable de succès.

I.  Le défaut d’examiner la question de savoir si l’invalidité de Mme Berger avait été « prolongée »

[58]  Mme Berger soutient également que le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il ne s’est pas posé la question de savoir si son invalidité avait été « prolongée ». Il ne s’agit pas d’une erreur susceptible de contrôle.

[59]  Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Klabouch, précité, au paragraphe 10, « [l]e fait que la Commission se soit essentiellement concentrée sur le volet “grave” du critère, et qu’elle ne soit pas prononcée quant au volet “prolongée” ne constitue pas une erreur ». Ceci s’explique par le fait que l’alinéa 42(2)a) du RPC prévoit deux exigences qui sont cumulatives. Ainsi, le demandeur qui ne remplit pas l’une ou l’autre de ces conditions verra sa demande de pension d’invalidité rejetée au titre du RPC.

J.  La question du « respect de la vie privée »

[60]  Mme Berger affirme également que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a distribué des documents médicaux visés par une « ordonnance de confidentialité » rendue par la Cour fédérale en 2008.

[61]  De ce que je saisis de la préoccupation de Mme Berger à cet égard, des documents concernant ses demandes précédentes de prestations d’invalidité se trouvent dans le dossier certifié du Tribunal qui se rapporte à sa demande de contrôle judiciaire de 2018. Mme Berger estime qu’il était inapproprié de la part du Tribunal d’avoir conservé ces documents dans ses dossiers et de les avoir produits dans le dossier du défendeur dans le cadre d’un forum public, compte tenu de l’ordonnance précédente rendue par la Cour.

[62]  Il semblerait que la Cour ait rendu une ordonnance de confidentialité à l’égard de la demande de contrôle judiciaire que Mme Berger a présentée en 2008 relativement à sa demande de prestations d’invalidité de 2005 (dossier de la Cour T‑1871‑07). Un examen de l’ordonnance de confidentialité du 16 novembre 2007 rendue par le protonotaire Aalto dans le dossier T‑1871‑07 confirme qu’elle concernait la manière dont les documents dans le dossier de la Cour devaient être traités. Elle ne visait pas la manière dont ceux chargés d’administrer le régime des prestations d’invalidité du RPC devaient gérer leurs propres dossiers internes, et ne s’appliquait pas non plus à la présente demande de contrôle judiciaire.

[63]  Cette question n’a pas été abordée par la division d’appel. Cependant, cela n’entraîne pas une erreur susceptible de contrôle, car elle n’a rien à avoir avec le droit de Mme Berger à des prestations d’invalidité au titre du RPC. Son argument sur ce point ne pouvait donc avoir aucune chance raisonnable de succès devant la division d’appel.

K.  La demande de dommages‑intérêts de Mme Berger

[64]  Enfin, Mme Berger déclare dans son mémoire des faits et du droit qu’elle réclame des dommages‑intérêts punitifs à l’encontre du défendeur pour l’avoir [traduction] « exposée à un préjudice moral indu ».

[65]  Cependant, comme je l’ai expliqué à Mme Berger durant l’audience, des dommages‑intérêts ne peuvent pas être accordés dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire : Garshowitz c Canada (Procureur général), 2017 CAF 251, au paragraphe 10, [2017] ACF no 1268; Maximova c Canada (Procureur général), 2017 CAF 230, au paragraphe 14, [2017] ACF no 1212.

V.  Conclusion

[66]  La Cour d’appel fédérale a clairement indiqué que le demandeur qui est simplement en désaccord avec l’application du droit établi aux faits d’une affaire particulière ne peut avoir gain de cause en appel : Quadir c Canada (Procureur général), 2018 CAF 21, au paragraphe 9, [2018] ACF no 46; Garvey c Canada (Procureur général), 2018 CAF 118, au paragraphe 7, [2018] ACF no 626. C’est le cas ici. Un tel désaccord ne peut être assimilé à une erreur de droit ou à une conclusion de faits tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve : Garvey, précité, au paragraphe 7.

[67]  La Cour d’appel fédérale a aussi clairement déclaré que la définition de l’invalidité prévue par le RPC est « très restrictive » et qu’elle met l’accent sur les limites physiques et mentales qui altèrent la capacité de travail du prestataire : Atkinson c Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, au paragraphe 3, [2015] 3 RCF 461. Voir aussi Villani, précité, au paragraphe 38.

[68]  La Cour a par ailleurs fait remarquer dans l’arrêt Atkinson que « les personnes atteintes de problèmes de santé graves et prolongés peuvent être inadmissibles à des prestations d’invalidité si elles sont jugées capables de détenir une occupation régulière véritablement rémunératrice », précité, au paragraphe 3.

[69]  En l’espèce, le dossier montre que, comme la demanderesse dans l’arrêt Atkinson, Mme Berger est quelqu’un de remarquable qui a réussi à conserver une occupation véritablement rémunératrice depuis l’accident d’autobus survenu en 1999, malgré ses limites physiques. Rien ne laisse penser qu’elle feint d’être malade, et il est clair qu’elle croit sincèrement avoir droit à des prestations d’invalidité du RPC.

[70]  Cependant, bien que je compatisse à sa situation, je ne peux conclure que la décision par laquelle la division d’appel lui a refusé la permission d’en appeler de la décision de la division générale était déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Berger à l’égard de la décision de la division d’appel est rejetée.

VI.  Dépens

[71]  Ayant eu gain de cause, le défendeur aurait normalement droit à ses dépens en l’espèce. Cependant, il ne réclame pas de dépens et aucuns ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T‑858‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de juillet 2019

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑858‑18

 

INTITULÉ :

JANET ZEPOTOCZNY BERGER c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 28 ET 29 MAI 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JUIN 2019

 

COMPARUTIONS :

Janet Zepotoczny Berger

 

POUR La demanderesse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Jean‑François Cham

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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