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Date : 19990813

Dossier : T-2161-98

Ottawa (Ontario), le 13 août 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE :

JAMES FISHER & SONS PLC,

demanderesse,

- et -

PEGASUS LINES LIMITED S.A.,

défenderesse.

                                                               ORDONNANCE

            ATTENDU la requête de la demanderesse visant l'obtention d'une ordonnance enjoignant à M. James Karathanos de se soumettre à un interrogatoire après jugement au nom de la défenderesse,

            LA COUR,

            APRÈS avoir examiné les observations écrites de la demanderesse et celles de M. Karathanos,

            ET APRÈS l'audience tenue le 19 juillet 1999 à Montréal (Québec),

            REND L'ORDONNANCE SUIVANTE :

1.          James Karathanos, à titre personnel et en sa qualité de président d'Amican, devra se soumettre à un interrogatoire sous serment sous le régime de la règle 426 dans les quatorze jours de la date de la présente ordonnance ou à tout autre moment convenu entre lui et la demanderesse, et il devra, sous le régime de la règle 91, produire pour inspection les documents énumérés ci-après, lors de l'interrogatoire :

· les états financiers consolidés de Pegasus Lines Limited S.A. relatifs aux cinq dernières années,

· les statuts constitutifs, les déclarations annuelles des cinq dernières années et le registre de procès-verbaux à jour de Pegasus Lines Limited S.A.,

· les documents relatifs aux transferts de fonds reçus ou effectués par Pegasus Lines Limited S.A., par toute société liée ou affiliée à cette dernière et par tout actionnaire de ces sociétés au cours des cinq dernières années,

· des copies des chartes parties auxquelles Pegasus Lines Limited S.A. a participé en tant qu'affréteur ou affréteur disposant au cours des cinq dernières années.

2.          Les dépens afférents à l'interrogatoire de James Karathanos pourront être demandés à la fin de son interrogatoire.

3.          James Karathanos est autorisé à demander une nouvelle ordonnance conformément au paragraphe 37 des motifs de l'ordonnance prononcés aujourd'hui.

4.          James Karathanos versera à la demanderesse des dépens de 2 000 $.

                                                                                                         « Allan Lutfy »           

                                                                                                            J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

                                     

Ghislaine Poitras, LL.L.


Date : 19990813

Dossier : T-2161-98

ENTRE :

JAMES FISHER & SONS PLC,

demanderesse,

- et -

PEGASUS LINES LIMITED S.A.,

défenderesse.

                                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

RAPPEL DES FAITS

[1]         Le 22 février 1999, M. Morneau, protonotaire, a ordonné à la défenderesse de verser à la demanderesse la somme de 290 491,49 $ avec intérêts et dépens, à la suite d'une demandeex parte d'enregistrement de jugement étranger présentée sous le régime des règles 327 et 328.

[2]         Le jugement étranger, daté du 30 octobre 1997, émane de la Cour d'amirauté de la Division du Banc de la Reine de la Haute Cour de Justice anglaise. Il prononce sur une [TRADUCTION] « demande de remboursement des dépenses engagées par la demanderesse en qualité de mandataire pour le compte de [la défenderesse] relativement aux navires affrétés de [la défenderesse] ayant fait escale dans divers ports entre les mois de février et août 1995 ... » .

[3]         Vers la fin du mois de mai 1999, l'avocat de la demanderesse a fait signifier à [TRADUCTION] « M. James Karathanos, en qualité de représentant du mandataire de Pegasus Lines Limited S.A. à Montréal » une assignation à comparaître à un interrogatoire après jugement fixé au 8 juin 1999 lui enjoignant d'y produire certains documents. Cette assignation a été signifiée sous le régime des règles 91 et 426.

[4]         En décrivant M. Karathanos comme [TRADUCTION] « représentant du mandataire de Pegasus Lines Limited S.A. » , la demanderesse visait Amican Navigation Inc. La demanderesse affirme qu'Amican remplit la fonction de mandataire général de Pegasus.

[5]         Il est constant que M. Karathanos est président d'Amican Navigation Inc. Les parties ne s'entendent pas, toutefois, sur la relation existant entre Amican et la défenderesse Pegasus Lines Limited S.A. Elles diffèrent également d'avis quant à savoir si M. Karathanos est une personne visée par la règle 426, relativement à l'interrogatoire après jugement de la débitrice judiciaire Pegasus.

[6]         Le 8 juin 1999, M. Karathanos a comparu à l'interrogatoire afin -- pour reprendre les mots de l'avocat qui l'accompagnait -- [TRADUCTION] « qu'il ne soit pas dit qu'il ait fait fi d'un bref de la Cour » . L'avocat a ajouté : [TRADUCTION] « Je déclarerai pour inscription au dossier que, selon ce qui m'a été dit, M. Karathanos n'est pas un dirigeant ou un propriétaire de la société » . Vu la position qu'il avait prise, l'avocat n'a pas permis que son client soit assermenté afin de répondre aux questions. Il a ajouté, pour expliquer son objection et offrir une coopération limitée :

[TRADUCTION]

... dans la mesure où M. Karathanos sait quoi que ce soit au sujet de Pegasus Lines, il s'agirait de ouï-dire. Il n'est pas la personne qui devrait être interrogée aujourd'hui. Il est toutefois disposé à coopérer en fournissant par écrit des renseignements dont vous pourriez avoir besoin pour retracer les dirigeants de Pegasus Lines ou d'autres personnes de la société pouvant être interrogées sous le régime de la règle 426[1].

[7]         La demanderesse demande maintenant à la Cour d'enjoindre à M. Karathanos de se soumettre à l'interrogatoire prévu à la règle 426, laquelle règle est ainsi conçue :

A person who has obtained an order for the payment of money may conduct an oral examination of the judgment debtor or, if the judgment debtor is a body corporate, of an officer thereof, as to the assets of the judgment debtor.

Toute personne qui a obtenu une ordonnance exigeant le paiement d'une somme d'argent peut soumettre le débiteur judiciaire à un interrogatoire oral au sujet de ses biens ou, si celui-ci est une personne morale, l'un de ses dirigeants.

L'assignation à comparaître était signifiée à M. Karathanos en qualité de représentant d'Amican. La présente requête vise à faire tenir son interrogatoire après jugement pour le compte de Pegasus.

[8]         À l'appui de sa requête, la demanderesse a déposé l'affidavit d'un de ses avocats canadiens, dont la principale déclaration directe est que Pegasus est une société constituée au Panama et que [TRADUCTION] « pendant de nombreuses années, Amican Navigation Inc. ... a agi comme mandataire général de la société » . Le déposant a également produit un affidavit souscrit le 24 juillet 1996 par David Ellis Charity, un avocat représentant Pegasus en Angleterre. L'avocat de M. Karathanos a choisi de contre-interroger le déposant de la demanderesse, et a obtenu son engagement à produire des documents relatifs à sa compréhension de la relation existant entre Pegasus et Amican et à l'affidavit de M. Charity. La transcription du contre-interrogatoire et l'engagement font partie des dossiers de requête.

[9]         Le dossier de requête de M. Karathanos comprend les affidavits d'un de ses avocats et d'un employé d'Amican. Aucun des deux déposants n'a été interrogé.

[10]       Il s'agit de déterminer si M. Karathanos, au vu des renseignements actuellement divulgués dans son dossier de requête et dans celui de la demanderesse, est un « dirigeant » de la défenderesse ( « an officer » ) au sens de la règle 426.

M. KARATHANOS ET LA CONSTITUTION DE PEGASUS EN SOCIÉTÉ

[11]       Pegasus a été constituée en société au Panama en 1984. Dès le départ, trois avocats du cabinet juridique panaméen Tapia, Lenares y Alfaro ont été désignés comme administrateurs et comme président et représentant juridique, vice-président et trésorier ainsi que secrétaire nominaux[2]. Ces avocats continuent de remplir ces mêmes fonctions[3]. L'adresse officielle initiale était celle du cabinet d'avocats, et en 1996, elle était encore inchangée. Depuis 1988, le président et représentant juridique de Pegasus n'est plus associé au cabinet d'avocats et ne réside plus au Panama[4].

[12]       Au mois de mai 1995, Joseph F. De May fils, avocat à New York (N.Y.) a écrit à M. Karathanos pour l'informer que son cabinet ne s'occuperait plus à l'avenir des affaires de Pegasus au Panama. Il a demandé à M. Karathanos de lui indiquer [TRADUCTION] « à qui vous voulez que le dossier soit transféré, et nous prendrons des mesures à cet effet » [5]. Dans cette lettre, M. De May a également fait suivre du courrier reçu de « Tapia & Associates » concernant Pegasus.

[13]       C'est du cabinet de M. De May qu'ont émané les directives relatives à la constitution de Pegasus données à Tapia, Lenares y Alfaro. Le cabinet d'avocats panaméen ne connaît pas Amican[6].

[14]       Ainsi, en mai 1995, M. De May a demandé à M. Karathanos de désigner une personne à qui remettre le dossier Pegasus. M. De May appartenait au cabinet qui avait initialement donné des directives aux avocats panaméens, en 1984, au sujet de la constitution de Pegasus en société. La Cour ne dispose actuellement que de ces renseignements. En l'absence d'autres éléments de preuve, je conclus, suivant la prépondérance des probabilités, qu'en 1984 M. Karathanos a personnellement retenu le cabinet de M. De May, lequel a à son tour donné des directives aux avocats panaméens concernant la constitution en société de Pegasus, avant même qu'Amican agisse comme mandataire général de la société.

[15]       Au mois de mars 1996, M. De May s'est également adressé à M. Karathanos lorsqu'il a été mis au courant par le cabinet d'avocats panaméen de l'existence de l'action intentée contre Pegasus en Angleterre. Je passe maintenant aux faits relatifs à cette action.

AMICAN COMME MANDATAIRE GÉNÉRAL OU « GÉRANT » DE PEGASUS

[16]       La demanderesse a d'abord obtenu jugement par défaut contre Pegasus dans l'action intentée en Angleterre, laquelle est à l'origine de la présente instance.

[17]       L'affidavit de David Ellis Charity, avocat représentant Pegasus en Angleterre, a été déposé à l'appui d'une requête visant à faire annuler le jugement par défaut prononcé contre Pegasus, au motif qu'il n'y avait pas eu de signification valide. Le certificat des détails concernant un jugement à enregistrer à l'étranger, déposé avec l'avis de demande en l'espèce, explique les circonstances entourant le prononcé du jugement par défaut, son annulation sur consentement et la signification qui a finalement été faite de l'action en Angleterre :

[TRADUCTION]

... ledit bref a initialement été signifié à personne à la défenderesse Pegasus Lines Limited SA par les mandataires de la demanderesse au Panama, le 5 février 1996. La demanderesse a obtenu jugement par défaut le 6 mars 1996, mais le jugement a été subséquemment annulé sur consentement, par ordonnance de la Cour en date du 6 août 1996. L'ordonnance sur consentement renfermait un engagement de la défenderesse de nommer des avocats de l'Angleterre et du Pays de Galles habilités à accepter signification des actes de procédure. Le bref a par la suite été signifié, par courrier de première classe à Davies Grant & Horton (plus tard Davies Johnson & Co), avocats de la défenderesse, le 17 octobre 1996. La défenderesse a dûment reconnu la signification du bref, le 30 octobre 1996[7].

[18]       Le 9 juillet 1996, M. Charity a écrit au cabinet de M. De May au sujet de l'action intentée en Angleterre pour déterminer [TRADUCTION] « quand le bref a été signalé pour la première fois à l'attention d'un dirigeant de la société » . M. Charity demandait à l'avocat new-yorkais quand sa cliente, Pegasus, avait entendu parler pour la première fois de l'action[8].

[19]       M. De May a immédiatement répondu qu'il avait reçu le bref par courrier des avocats panaméens le 15 mars 1996. Le même jour, il a informé M. Karathanos par téléphone de l'existence de cette instance et lui a télécopié le bref ainsi que d'autres documents reçus du cabinet d'avocats de Panama[9].

[20]       Au paragraphe 1 de son affidavit, M. Charity déclare :

Je suis procureur devant la Cour suprême et associé du cabinet Stockler Charity, procureurs de la défenderesse en l'espèce. Je suis dûment autorisé par la défenderesse à souscrire le présent affidavit en son nom. Sauf indication contraire, le contenu de cet affidavit provient de documents et de renseignements qui m'ont été fournis par M. James D. Karathanos, président d'Amican Navigation Inc. Amican est le gérant de Pegasus Lines Limited S.A. à Montréal. Pour autant que je le sache et le croie, les déclarations du présent affidavit sont véridiques. [Non souligné dans l'original].

Malgré ce qu'a prétendu l'avocat de M. Karathanos lors de l'audition de la présente requête, je suis convaincu que ce paragraphe, interprété suivant son sens ordinaire, révèle que M. Charity, pour les fins de la préparation de son affidavit, a été autorisé et renseigné par M. Karathanos. Si, comme le laisse entendre l'avocat, quelqu'un à Pegasus (autre que M. Karathanos) a autorisé M. Charity à souscrire l'affidavit, il aurait fallu produire des dépositions de M. Charity ou peut-être de M. Karathanos lui-même indiquant ce fait.

[21]       Le dossier me convainc que M. Karathanos, par l'intermédiaire d'Amican, a agi comme mandataire général ou gérant de Pegasus, à tout le moins pour les fins de l'action intentée en Angleterre. M. Charity a décrit Amican comme « le gérant » de Pegasus à Montréal.

[22]       Cette conclusion concorde en tous points avec les renseignements contenus dans les documents produits au nom du déposant de la demanderesse en exécution de l'engagement pris, selon lesquels Amican agissait comme mandataire général ou gérant de Pegasus pendant les années qui ont précédé l'introduction de l'action en Angleterre[10]. Ces renseignements indiquent également que Pegasus exerçait son activité dans l'industrie du transport maritime. Aussi récemment qu'en 1995, Pegasus a affrété des navires (Certificat des détails du jugement), et au mois de septembre 1995, une réclamation a été déposée en son nom devant la Cour d'amirauté de la Division du Banc de la Reine de la Haute Cour de Justice, à titre d'affréteur disposant de l'AGHIA MARINA[11].

[23]       Encore une fois, en l'absence de preuves contraires, il semble qu'Amican continue à agir comme mandataire de Pegasus, au moins pour la présente instance. Encore à la fin du mois de juin 1999, un employé d'Amican a communiqué avec un représentant de la demanderesse au sujet de la présente espèce. On semble avoir tenté de dissuader la demanderesse d'interroger M. Karathanos, et peut-être même avoir cherché à régler le litige, au moins symboliquement. L'employé d'Amican a reconnu que [TRADUCTION] « l'affaire ne pouvait manifestement se régler par le versement d'une somme symbolique, le seul paiement qu'Amican était disposée à effectuer pour éviter d'autres dépenses et perturbations ... » [12].

[24]       L'avocat de M. Karathanos a soutenu que même si Amican était le mandataire général de Pegasus en 1995-1996 et auparavant, il n'est pas établi en preuve qu'une telle relation existe aujourd'hui. Je doute beaucoup que cette distinction ait quelque pertinence considérant les faits en cause. D'abord, les dettes visées par les ordonnances émanant de la Haute Cour de Justice et de notre Cour ont été contractées en 1995. Ensuite, M. Karathanos, en sa qualité de président d'Amican, a fourni des documents et d'autres renseignements à l'un des procureurs anglais de Pegasus occupant dans la présente affaire, pour les fins de l'affidavit souscrit par ce dernier. Quoi qu'il en soit, les représentants d'Amican et la demanderesse ont examiné la possibilité de régler le différend aussi récemment qu'en juin 1999.

[25]       Rien dans la preuve, toutefois, ne révèle qui d'autre que les avocats panaméens ayant participé nominalement à la constitution de Pegasus, les avocats anglais occupant pour elle dans le cadre du litige et M. Karathanos, par l'intermédiaire d'Amican Inc., représentait la société, si tant est qu'il y eût quelqu'un. Personne n'a laissé entendre que les avocats prenaient part aux activités commerciales courantes de Pegasus. Encore au mois de juillet 1996, Tapia, Lenares y Alfaro ne connaissaient pas Amican. Si quelqu'un d'autre qu'Amican et M. Karathanos représentait Pegasus pour ses activités commerciales et financières, son identité n'a pas été divulguée.

ANALYSE

[26]       Dans la décision Control Data Canada, Ltd. c. Senstar Corporation[13], le juge Cullen a statué, quant à la question de savoir qui pouvait être interrogé au préalable au nom d'une personne morale, que les mots « un membre de la direction » (officer) employés dans la règle 465(1)b), telle qu'elle était formulée alors, devaient recevoir une interprétation libérale allant même peut-être jusqu'à englober les personnes ayant une connaissance particulière de faits se rapportant à l'action.

[27]       En 1990, des modifications furent apportées aux règles régissant l'interrogatoire préalable, et la règle 456(2) a alors prévu que la personne morale devait choisir « un dirigeant, un directeur, un membre ou en employé » (officer, director, member or employee) bien renseigné pour être interrogé en son nom. Aux termes des règles actuelles, les Règles de la Cour fédérale (1998), la personne morale désigne « un représentant » (a representative) pour répondre en son nom (règle 237(1)).

[28]       La version anglaise des règles correspondantes en matière d'interrogatoire après jugement n'a pas changé. Suivant l'ancienne règle 2200, lorsque le débiteur était une personne morale, « un membre de la direction » (an officier) était la personne à interroger. Dans la version française de l'actuelle règle 426, les mots « an officer » sont rendus par l'expression « l'un de ses dirigeants » [14].

[29]       Les définitions des mots « dirigeant » et « officer » dans les dictionnaires donnent le sens de dirigeant de sociétés, comme président, vice-président, trésorier et secrétaire, mais elles ne s'en tiennent pas là. Dans The New Oxford Dictionary of English[15], le mot « officer » est ainsi défini :

1 a person holding a position of authority, especially one with a commission, in the armed services, the mercantile marine, or on a passenger ship.

2 ... a holder of a post in a society, company, or other organization, especially one who is involved at a senior level in its management : a chief executive officer.

Le Nouveau Petit Robert[16] donne la définition suivante du mot « dirigeant » :

Personne qui dirige. Les dirigeants d'une entreprise. Yadministrateur, directeur, gérant; décideur.

[30]       Ainsi qu'il l'a été décidé dans l'affaire Control Data Canada Ltd, j'estime que le mot « dirigeant » ne désigne pas que les principaux dirigeants d'une personne morale[17]. C'est particulièrement vrai en l'espèce, où le président, le vice-président et trésorier et le secrétaire de Pegasus, depuis la constitution de la société en 1984, sont des dirigeants nominaux appartenant à un cabinet d'avocats panaméen. Le président n'est plus associé du cabinet d'avocats depuis 1988, et il ne vit plus au Panama. Amican est inconnue du cabinet d'avocats. On peut conclure que les avocats de ce cabinet, dont trois sont administrateurs et dirigeants de Pegasus, n'ont pas donné de directives à Amican en qualité de mandataire général ou gérant de Pegasus.

[31]       Comme l'indiquent les définitions, le mot « dirigeant » désigne les personnes occupant des positions d'autorité, au sommet hiérarchique de la gestion, ainsi que les « gérants » ou « décideurs » (managers ou decision-makers). Dans une société ne disposant pas de personnel actif, les « dirigeants » , pour les fins de la règle 426, pourraient bien être ses mandataires généraux ou gérants externes, ou des personnes analogues prenant des décisions pour la société.

[32]       Plus de faits seront nécessaires pour en arriver à une solution. Ce n'est que parce que M. Karathanos n'a pas encore été interrogé qu'il est impossible de statuer définitivement sur ses liens avec Pegasus. Il ne conviendrait pas de rendre une décision finale dans le contexte de la présente requête, alors que beaucoup des renseignements pertinents n'ont pas encore été communiqués. Dans l'état actuel du dossier, le témoignage de M. Karathanos est nécessaire.

[33]       En résumé, mon évaluation des renseignements limités dont je dispose me porte à conclure que M. Karathanos, par l'intermédiaire d'Amican et à titre personnel, est la personne ayant autorité, le mandataire général, le gérant de Pegasus ou la personne qui prend des décisions à son sujet. À ce stade-ci, je suis d'avis que M. Karathanos est « un [des] dirigeants » de Pegasus (an officer) au sens de la règle 426. Par conséquent, il sera interrogé à ce titre en vertu de ladite règle. Il ne suffit pas à M. Karathanos, et encore moins à son avocat, de déclarer de façon lapidaire qu'il n'est ni un dirigeant ni un propriétaire de Pegasus. Cette question doit faire l'objet d'une détermination judiciaire, en fonction des circonstances de l'espèce et des réponses que donnera M. Karathanos. Les renseignements fournis à la Cour pour la présente requête établissent qu'il est fort possible que M. Karathanos connaisse l'identité de la personne chargée des affaires commerciales et financières de Pegasus, si en fait il s'agit d'une personne autre que lui-même ou Amican, dont il est le représentant.

[34]       L'avocat de la demanderesse invoque l'argument subsidiaire -- qu'il n'est pas nécessaire d'examiner, vu ma conclusion -- voulant que je puisse appliquer la règle 4, la règle des lacunes, pour contraindre M. Karathanos à comparaître sous le régime des articles 543 et 544 du Code de procédure civile du Québec. La règle 60.18(6) des Règles de procédure civile de l'Ontario prévoit également des mesures qui ne figurent pas expressément dans les Règles de la Cour fédérale (1998). S'il avait été nécessaire et approprié de faire appel à la règle 4, j'aurais examiné, par analogie, et la règle 237(1), relative à l'interrogatoire préalable d'une personne morale, et les règles provinciales invoquées par la demanderesse.

[35]       Par conséquent, je rendrai une ordonnance enjoignant à James Karathanos de se soumettre, à titre personnel et en sa qualité de président d'Amican, à l'interrogatoire prévu par la règle 426 et de produire pour inspection, sous le régime de la règle 91, les documents sollicités par la demanderesse. Sans vouloir limiter les droits de la demanderesse ou de M. Karathanos, je suis d'avis qu'il est notamment possible de poser à ce dernier des questions : (a) concernant l'identité de la personne de qui le cabinet d'avocats de M. De May a reçu des instructions en 1984, relativement à la constitution de Pegasus en société; (b) concernant l'identité de la personne, chez Pegasus, qui a donné des instructions à Amican lorsque cette dernière a agi comme mandataire de la société, et celle de la personne, s'il en est une, qui a donné des instructions à Amican en juin 1999, au sujet d'un règlement possible du litige; (c) relativement aux sujets (a) et (b); (d) relativement aux documents énumérés dans l'ordonnance.

[36]       La demanderesse a également demandé que l'interrogatoire se déroule devant un protonotaire ou un juge de la Cour. L'avocat de M. Karathanos n'a pas contesté vigoureusement cette demande et en a déféré à mon jugement en cette matière. J'estime préférable que l'interrogatoire se tienne suivant la procédure habituelle, à tout le moins au début, sans la supervision immédiate et simultanée de la Cour. Il n'y a pas lieu de présumer que M. Karathanos ne se conformera pas pleinement à l'ordonnance de la Cour.

[37]       Finalement, si M. Karathanos estime que les nouveaux renseignements fournis par les réponses données lors de l'interrogatoire, permettent de réfuter ma conclusion voulant qu'il soit un « dirigeant » de Pegasus au sens de la règle 426, suivant l'interprétation qui en est faite dans les présents motifs, il pourra demander le prononcé d'une ordonnance le relevant de tout interrogatoire supplémentaire. Le pouvoir discrétionnaire qu'exerce la Cour en matière de dépens devrait garantir que cette latitude ne donnera pas lieu à des abus.

[38]       M. Karathanos qui, pour la présente requête, était représenté par avocat à titre personnel devra acquitter les dépens de la demanderesse, que j'établis à 2 000 $.

                                                                                                         « Allan Lutfy »           

                                                                                                            J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

13 août 1999

Traduction certifiée conforme

                                     

Ghislaine Poitras, LL.L.


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                           SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :T-2161-98

INTITULÉ :James Fisher & Sons c. Pegasus Lines Limited S.A.

LIEU DE L'AUDIENCE :                            Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 19 juillet 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE LUTFY

EN DATE DU                                                13 août 1999

COMPARUTIONS :

Laurent Fortier                                                                                          pour la demanderesse

Elyse Rosen                                                                                                  pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Stikeman Elliott

1155, boul. René-Lévesque Ouest

Montréal (Québec)

H3B 3V2                                                                                                      pour la demanderesse

Sproule Castonguay Pollack

1002, rue Sherbrooke Ouest

Montréal (Québec)

H3A 3R4                                                                                                        pour la défenderesse



     [1]Dossier de requête de la demanderesse, onglet E, aux p. 6 et 9.

     [2]            Affidavit de M. Charity, pièce DEC1, aux p. 2 et 3. Cet affidavit se trouve au dossier de requête de la demanderesse, à l'onglet A. La pièce DEC1 est une liasse de documents jointe à l'affidavit et déposée dans le cadre de l'engagement pris au cours du contre-interrogatoire du déposant de la demanderesse (Réponses de la demanderesse à l'engagement). Les numéros de page sont ceux que M. Charity a mentionnés dans son affidavit et a inscrits au bas des feuilles correspondantes.

     [3]            Dossier de requête de M. Karathanos, affidavit de Me C. Jacques, pièce B.

     [4]            Affidavit de M. Charity, pièce DEC1, aux p. 17 et 30.

     [5]            Affidavit de M. Charity, pièce DEC1, à la p. 11. La lettre est adressée à M. Karathanos personnellement, mais elle a été envoyée à l'adresse des bureaux d'Amican.

     [6]            Affidavit de M. Charity, pièce DEC1, à la p. 17, par. 4.

     [7]            Après avoir reconnu avoir reçu signification du bref, Pegasus a déposé une défense et demande reconventionnelle, et la demanderesse, une réponse et défense à la demande reconventionnelle. Jugement a été prononcé contre Pegasus le 30 octobre 1997. L'avis de demande d'enregistrement du jugement anglais devant notre Cour est daté du 19 novembre 1998.

     [8]            Affidavit de M. Charity, pièce DEC1, aux p. 19 et 20.

     [9]            Affidavit de M. Charity, pièce DEC1, aux p. 4 à 8 et 19 à 21. M. De May a télécopié les documents à M. Karathanos à un autre numéro que celui qui figure sur le papier à lettre d'Amican. L'action intentée en Angleterre aurait été signifiée à Pegasus aux bureaux du cabinet d'avocats panaméen (p. 4 et 5), et l'un des avocats aurait envoyé les documents au cabinet de M. De May le 4 mars 1996 (p. 6). M. De May a apparemment reçu les documents le 15 mars 1996 (p.21).

     [10]          Réponses à l'engagement, onglet 2.

     [11]          Affidavit de M. Charity, pièce DEC1, aux p. 23 à 26, 29 et 30.

     [12]          Dossier de requête de M. Karathanos, onglet 3, à la p. 2 et réponses de la demanderesse à l'engagement, réponse no 4.

     [13]          [1986] 3 C.F. 516 (1re inst.).

     [14]          Les deux versions ont même valeur et même force de loi (article 13 de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985), ch. O-3.01.

     [15] J. Pearsall et P. Hanks, The New Oxford Dictionary of English, Oxford, Clarendon Press, 1998.

     [16]          J. Rey-Debove et A. Rey, Le Nouveau Petit Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1995.

     [17]          Supra, note 13, à la p. 519, où mention est également faite de la décision Leitch v. Grand Trunk R.W. Co., (1890), 13 P.R. 369 (C.A. Ont.)

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