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Date : 20000626


Dossier : T-1254-99



Entre :

     MARIE-CHANTALE LEDUC,

     demanderesse,


     - et -


     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeur.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT



[1]      La demanderesse demande le contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles qui a confirmé la révocation de sa semi-liberté, aux termes de l'article 135(5) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch.20 (la "Loi").


[2]      Le 3 mars 1998, la demanderesse a été condamnée à une peine d'emprisonnement de deux ans et six jours. Le 28 août suivant, la Commission nationale des libérations conditionnelles ("CNLC") a ordonné, après avoir utilisé la procédure d'examen expéditif prévue à l'article 125 de la Loi, que la demanderesse soit mise en semi-liberté à compter du 3 septembre 1998. Le 3 novembre, la demanderesse s'est retrouvée en libération conditionnelle totale1, mais le 9 novembre 1998, un mandat de suspension de la mise en liberté a cependant été émis contre elle. Et le 16 février 1999, lors d'une audience post-suspension, la CNLC a révoqué la semi-liberté de la demanderesse. Portée en appel devant la Section d'appel de la CNLC, cette décision y fut confirmée le 10 juin 1999. C'est cette décision dont on demande le contrôle judiciaire.


[3]      La demanderesse soutient que la CNLC a commis une erreur de droit dans l'interprétation des articles 125 et suivants de la Loi. Selon la demanderesse, puisque sa mise en liberté avait été ordonnée en vertu de la procédure d'examen expéditif énoncée aux articles 125 et 126 de la Loi, la CNLC se devait d'appliquer les critères de l'examen expéditif lors de son audience post-suspension. Ainsi, vu que la CNLC avait jugé, au moment de mettre la demanderesse en liberté conditionnelle, qu'il n'existait aucun motif raisonnable de croire qu'elle ne commettrait pas de crime accompagné de violence, la demanderesse plaide que pour pouvoir révoquer sa semi-liberté, la CNLC devait conclure que son risque de récidive dans un crime violent n'était plus acceptable pour la société.


[4]      De son côté, le défendeur soumet qu'une libération conditionnelle peut être révoquée, même si elle avait été ordonnée par le processus d'examen expéditif, suite à une suspension pour bris de conditions, si la CNLC considère que le risque de récidive, que ce soit dans un délit accompagné ou non de violence, n'est plus acceptable pour la société.


[5]      Les articles 125 et 1262 de la Loi permettent à un délinquant répondant à certaines exigences de bénéficier d'une libération conditionnelle totale si la CNLC est convaincue qu'il n'existe aucun motif raisonnable de croire qu'il commettra une infraction accompagnée de violence s'il est remis en liberté avant l'expiration de sa peine. Ces articles s'appliquent également à la procédure d'examen expéditif visant à accorder la semi-liberté à un délinquant (art. 126.1).


[6]      Lors de l'octroi d'une libération conditionnelle ou d'une semi-liberté par voie d'examen expéditif, la CNLC peut imposer des conditions particulières que le délinquant devra respecter pendant sa libération ou sa semi-liberté, afin de diminuer les risques de récidive dans des délits non violents, tel qu'indiqué au Manuel des politiques de la CNLC3:

Lorsque la Commission ordonne la libération conditionnelle totale, elle doit évaluer le risque de récidive sans violence et déterminer s'il y a lieu d'imposer des conditions pour réduire ce risque. Cette évaluation est effectuée suivant les critères énoncés dans les politiques décisionnelles prélibératoires de la Commission (2.1).


[7]      Dans cette affaire, en plus des conditions automatiquement imposées à toute forme de libération conditionnelle par le paragraphe 133(2) de la Loi4 et le paragraphe 161(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, D.O.R.S./92-620, la CNLC avait aussi imposé des conditions particulières à la libération conditionnelle de la demanderesse conformément à l'article 133(3) de la Loi5. Ces conditions énonçaient, entre autres, que la demanderesse devait se soumettre à un suivi psychologique, à la production d'un état détaillé de ses revenus et dépenses, et l'interdiction de tout contact avec des personnes possédant un dossier criminel. La Commission avait aussi prévenu la demanderesse que si elle ne respectait pas ces conditions, sa semi-liberté risquait "d'être suspendue et à la rigueur révoquée"6.

[8]      La Loi prévoit qu'une libération conditionnelles ou d'office, incluant, il va de soi, une semi-liberté, peut être suspendue ou révoquée. Les articles 135 et suivants de la Loi prévoient en effet comment la Commission peut en venir à suspendre ou révoquer une libération conditionnelle, et ce, peu importe qu'elle ait été ordonnée par voie d'examen expéditif ou autrement. Le paragraphe 135(1) en énonce les paramètres:

135.(1) [Suspension] En cas d'inobservation des conditions de la libération conditionnelle ou d'office ou lorsqu'il est convaincu qu'il est raisonnable et nécessaire de prendre cette mesure pour empêcher la violation de ces conditions ou pour protéger la société, un membre de la Commission ou la personne que le président ou le commissaire désigne nommément ou par indication de son poste peut, par mandat:

a) suspendre la libération conditionnelle ou d'office;

b) autoriser l'arrestation du délinquant;

c) ordonner la réincarcération du délinquant jusqu'à ce que la suspension soit annulée ou que la libération soit révoquée ou qu'il y soit mis fin, ou encore jusqu'à l'expiration légale de la peine.

135.(1) [Suspension of parole or statutory release] A member of the Board or a person designated by name or by position, by the Chairperson of the Board or by the Commissioner, when an offender breaches a condition of parole or statutory release or when the member or person is satisfied that it is necessary and reasonable to suspend the parole or statutory release in order to prevent a breach of any condition thereof or to protect society, may, by warrant,

a) suspend the parole or statutory release;

b) authorize the apprehension of the offender; and

c) authorize the recommitment of the offender to custody until the suspension is cancelled, the parole or statutory release is terminated or revoked or the sentence of the offender has expired according to law.

[9]      Dans le cas présent, la CNLC a révoqué la libération conditionnelle de la demanderesse en vertu du paragraphe 135(5)b) de la Loi:

(5) Une fois saisie du dossier d'un délinquant qui purge une peine de deux ans ou plus, la Commission examine le cas et, dans le délai réglementaire, à moins d'accorder un ajournement à la demande du délinquant:

(5) The Board shall, on the referral to it of the case of an offender serving a sentence of two years or more, review the case and, within the period prescribed by the regulations, unless the Board grants an adjournment at the offender's request,

a) soit annule la suspension si elle est d'avis, compte tenu de la conduite du délinquant depuis sa libération conditionnelle ou d'office, que le risque de récidive avant l'expiration légale de la peine que purge le délinquant n'est pas inacceptable pour la société;

(a) cancel the suspension, where the Board is satisfied that, in view of the offender's behaviour since release, the resumption of parole or statutory release would not constitute an undue risk to society by reason of the offender reoffending before the expiration of the offender's sentence according to law;

b) soit, si elle n'a pas cette conviction, met fin à la libération si celle-ci a été suspendue pour des raisons qui ne sont pas imputables au délinquant ou la révoque, dans le cas contraire;

(b) where the Board is not satisfied as provided in paragraph (a), terminate the parole or statutory release of the offender if it was suspended by reason of circumstances beyond the offfender's control or revoke it in any other case; or

c) soit révoque la libération ou y met fin si le délinquant n'y est plus admissible.

(c) where the offfender is no longer eligible for the parole or statutory release, terminate or revoke it.

     [emphasis added]

[10]      La demanderesse plaide en somme que l'alinéa 135(5)b) de la Loi permet de révoquer une libération conditionnelle ordonnée en vertu de la procédure d'examen expéditif uniquement dans le cas où la CNLC conclut que le risque de récidive dans un crime violent n'est plus acceptable pour la société.

[11]      Je ne suis pas d'accord. Selon moi, cette interprétation conduirait à ajouter des termes qu'on ne retrouve pas à l'article 135 et elle doit par conséquent être écartée. Tel que le mentionne le professeur Côté dans son volume Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, pp. 257-258:

La fonction du juge étant d'interpréter la loi et non de la faire, le principe général veut que le juge doive écarter une interprétation qui l'amènerait à ajouter des termes à la loi: celle-ci est censée bien rédigée et exprimer complètement ce que le législateur entendait dire:
C'est une chose grave d'introduire dans une loi des mots qui n'y sont pas et sauf nécessité évidente, c'est une chose à éviter. [Lors Mersey dans Thompson c. Goold & Co., [1910] A.C. 409, 420 (traduction)]"


[12]      En l'espèce, je suis d'avis que la CNLC disposait d'éléments démontrant que la demanderesse n'avait pas respecté certaines conditions qui lui avaient été imposées afin de réduire son risque de récidive dans des délits non violents. En conséquence, il n'était pas déraisonnable que la Commission en vienne à la conclusion que la mise en liberté de la demanderesse devait être révoquée.

[13]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


                     ______________________________

                             Juge

Ottawa (Ontario)

le 26 juin 2000

__________________

     1      La libération conditionnelle totale a cependant été reportée au 5 mars 1999 vu que le 9 septembre 1998, la demanderesse a été condamnée à une nouvelle peine de 2 ans et 6 mois.

     2      Reproduits en annexe.

     3      Volume 1, no. 5, mai 1999, sous le chapitre 4.3, "examen expéditif", page 9 du dossier du défendeur.

     4      133.(2) [Conditions automatiques ] Sous réserve du paragraphe (6), les conditions prévues par règlement sont réputées avoir été imposées dans tous les cas de libération conditionnelle ou d'office ou de permission de sortir sans escorte.
     133.(2) [Conditions of release] Subject to subsection (6), every offender released on parole, statutory release or unescorted temporary absence is subject to the conditions prescribed by the regulations.

     5      133.(3) [Conditions particulières ] L'autorité compétente peut imposer au délinquant qui bénéficie d'une libération conditionnelle ou d'office ou d'une permission de sortir sans escorte les conditions qu'elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant.
     133.(3) [Conditions set by releasing authority] The releasing authority may impose any conditions on the parole, statutory release or unescorted temporary absence of an offender that it considers reasonable and necessary in order to protect society and to facilitate the successful reintegration into society of the offender.

     6      Décision de la CNLC datée du 28 août 1998 (p. 5).

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