Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

  No du greffe : T-2096-96

 

 

 

  OTTAWA (ONTARIO), LE 16 DÉCEMBRE 1996

 

  EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE CULLEN

 

 

 

ENTRE :

 

 

 

  LE CONSEIL DES CANADIENS et

  JAMES MCGILLIVRAY,

 

  requérants,

 

  - et -

 

  LE DIRECTEUR DES ENQUÊTES ET RECHERCHES

  (Loi sur la concurrence) et HOLLINGER INC.,

 

  intimés.

 

 

 

  ORDONNANCE

 

  VU LA REQUÊTE présentée par les requérants afin d'obtenir une prorogation du délai de présentation d'une demande fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale;

 

  IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ que la requête soit rejetée.

 

 

    B. Cullen 

    J.C.F.C.

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme   

    Martine Guay, LL.L.


  No du greffe : T-2096-96

 

 

 

ENTRE :

 

 

 

  LE CONSEIL DES CANADIENS et

  JAMES MCGILLIVRAY,

 

  requérants,

 

  - et -

 

  LE DIRECTEUR DES ENQUÊTES ET RECHERCHES

  (Loi sur la concurrence) et HOLLINGER INC.,

 

  intimés.

 

 

 

  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

LE JUGE CULLEN

 

  Les requérants demandent par voie de requête que soit prorogé le délai de présentation d'une demande fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

 

LES FAITS

 

  Le directeur des enquêtes et recherches intimé (ci-après le «directeur») a délivré un certificat de décision préalable (ci-après le «certificat») à l'égard d'une transaction par laquelle l'intimée Hollinger Inc. (ci-après «Hollinger») a acquis le contrôle effectif de Southam Inc. (ci-après «Southam»).  Un communiqué annonçant cette transaction a été publié le 24 mai 1996.

 

  Le Conseil des Canadiens requérant (ci-après le «Conseil») est un organisme à but non lucratif constitué de plus de 60 000 membres, qui fait entendre une voix importante sur des questions nationales comme la politique et les programmes sociaux, la culture et la souveraineté canadiennes, l'environnement et le libre-échange.  Le Conseil requérant a appris la transaction précitée le 27 mai 1996.

 

  Les mesures que le Conseil requérant a prises au sujet de cette transaction sont les suivantes :

 

  Le Conseil a examiné la transaction et a publié, le 5 juin 1996, son propre communiqué dans lequel il invitait le gouvernement à intervenir dans la prise de contrôle.  Le Conseil a obtenu un exemplaire de la Loi sur la concurrence et s'est renseigné auprès du Bureau de la concurrence sur la façon d'interjeter appel.  Le Conseil a obtenu une réponse du Bureau de la concurrence vers la troisième semaine de juin, puis a poursuivi l'examen de la question.  Le 2 juillet 1996, le Conseil a organisé une conférence de presse au cours de laquelle il a de nouveau invité le gouvernement à intervenir dans la prise de contrôle.  La semaine suivante, le Conseil a demandé un avis juridique sur le recours juridique, s'il en est, qu'il pourrait exercer.  Le 19 juillet 1996, le Conseil a obtenu un avis juridique dans lequel il apprenait que le délai prévu pour présenter une demande de contrôle judiciaire était de trente jours.  L'avocat du Conseil a aussitôt envoyé une lettre au Bureau de la concurrence pour annoncer l'introduction possible d'une poursuite dans cette affaire.  Le 24 juillet 1996, le Conseil a eu une séance de stratégie avec d'autres groupes, et l'éventualité d'une telle poursuite a été évoquée.  Aucun consensus ne s'est dégagé sur ce point, et le Conseil a accepté de rencontrer à nouveau les groupes le 21 août 1996.  Lors de cette deuxième rencontre, il n'y avait toujours pas de consensus sur l'opportunité d'intenter une poursuite.  Le consensus nécessaire pour entreprendre cette démarche a finalement été obtenu le 6 septembre 1996, date à laquelle le comité de direction du Conseil a officiellement approuvé l'introduction d'une poursuite par le Conseil.  Celui-ci a déposé l'avis de requête introductive d'instance dans la présente cause le 18 septembre 1996.

 

   Le requérant James McGillivray (ci-après «M. McGillivray») est un étudiant de deuxième ou troisième cycle qui est un lecteur de la presse quotidienne et s'intéresse à des projets d'organes de communication parallèles.  Il a appris la transaction le 5 septembre 1996 et s'est joint au Conseil le 20 septembre 1996 pour présenter l'avis de requête introductive d'instance.

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

  La présente requête soulève deux questions.  Premièrement, le retard des requérants en l'espèce est-il justifiable?  Deuxièmement, s'il y a un retard justifiable, les requérants ont-ils qualité pour intenter une telle poursuite?

 

ANALYSE

 

Requête en prorogation de délai : quel est le point de départ du délai?

 

Le droit : Aux termes de l'article 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, le contrôle judiciaire d'une décision rendue par un office fédéral est demandé à la Cour dans les trente jours qui suivent la communication de la décision à la partie directement touchée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut accorder.

 

  Pour qu'un juge consente à exercer, en faveur d'un requérant, le pouvoir discrétionnaire exceptionnel prévu au paragraphe 18.1(2), le requérant doit expliquer pourquoi il n'a pas intenté la poursuite dans le délai de trente jours et prouver qu'il a une chance raisonnable d'avoir gain de cause sur le fond [1] .  Pour justifier son retard, le requérant doit fournir la preuve d'une intention ferme de déposer une demande de contrôle judiciaire dans le délai de trente jours.  Cette intention doit être continue, et le requérant doit, au minimum, prouver qu'il existe au moins une cause défendable [2] .

 

  À mon avis, la cause des requérants est mal fondée sur la question de la justification du retard.  Pour que les requérants aient gain de cause, il aurait fallu qu'ils démontrent une intention de déposer la présente demande avant la fin de juin.  Le Conseil a prouvé qu'il avait l'intention de faire quelque chose dès qu'il a appris la délivrance du certificat.  Toutefois, il n'a pas prouvé que cette intention était orientée vers le dépôt d'une demande de contrôle judiciaire.  L'introduction d'une poursuite était simplement l'une des voies de recours envisagées.  La date la plus rapprochée à l'égard de laquelle je suis en mesure de voir une intention claire de déposer la demande est le 6 septembre 1996, puisque c'est à ce moment que le comité de direction a finalement approuvé le dépôt de la demande par le Conseil.  Vu la preuve dont j'ai été saisi, je ne saurais conclure que le Conseil a eu l'intention de déposer la présente demande avant le 6 septembre 1996.  En tout cas, le Conseil avait manifestement dépassé le délai de trente jours prescrit par la loi, sur le plan de l'intention comme sur celui des gestes qu'il a posés, lorsqu'il a déposé la demande auprès de la présente Cour.

 

  Il en va de même pour James McGillivray.  Le point de départ du délai n'est pas le moment où une personne apprend l'existence d'une décision, mais le moment où la décision est rendue et communiquée à la partie directement touchée.

 

  Demander une prorogation de délai en vertu de la loi est une chose, mais modifier la disposition qui fixe le point de départ du délai en est une autre, et c'est précisément ce que l'avocat des requérants voudrait que la Cour fasse.  Bien que l'octroi d'une prorogation de délai soit une décision discrétionnaire, la disposition est très claire sur les délais dans lesquels une telle demande peut être faite et communiquée.  Le point de départ du délai est le moment où la décision d'approuver la transaction a été rendue et communiquée aux parties directement touchées, et non le moment auquel les requérants obtiennent un avis juridique sur la transaction.  Et même si le point de départ du délai avait été le moment où l'avis juridique a été donné, les requérants auraient quand même été hors délai.

 

  On peut bien comprendre pourquoi les requérants ont tardé à déposer la présente demande de contrôle judiciaire.  L'introduction d'une poursuite en justice par un organisme à but non lucratif nécessite non seulement des sommes importantes, mais beaucoup de temps, d'efforts et de détermination de la part de plusieurs personnes.  Toutefois, cela ne dispense pas les requérants de respecter les normes juridiques minimales qui s'appliquent dans un cas pareil.

 

  Comme les requérants ont été incapables de justifier leur retard, il ne me paraît pas nécessaire de faire des observations sur la deuxième partie du critère concernant leur chance d'avoir gain de cause dans la demande.

 

  De plus, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur la question de la qualité pour agir.  Toutefois, si j'avais conclu qu'une prorogation de délai était justifiée, je ne suis toujours pas convaincu que les requérants auraient eu qualité pour agir.  Les requérants sont-ils «directement touché[s] par l'objet de la demande» aux termes du paragraphe 18.1(1)?  Aucun des requérants n'a été partie aux procédures qui se sont déroulées devant le directeur.  On pourrait peut-être soutenir que le Conseil représente l'intérêt public, mais c'est, au mieux, un argument peu convaincant.  Quant à James McGillivray, il lui serait encore plus difficile de prouver qu'il a qualité pour agir.  Tout comme le requérant dans l'affaire Shiell c. Amok [3] , le requérant McGillivray ne sera pas touché différemment que ne le serait un autre membre du public.  Il se peut que les requérants aient d'excellents arguments politiques à invoquer sur les intérêts en jeu, mais il est préférable qu'ils utilisent d'autres tribunes, puisque ces arguments ne satisfont tout simplement pas au critère juridique applicable à la qualité pour agir.  Ce critère juridique est celui de savoir si une partie est directement touchée par l'événement litigieux.  En eux-mêmes, l'intérêt et les craintes que suscitent les questions soulevées par la présente demande ne confèrent pas la «qualité pour agir» voulue pour autoriser les requérants à déposer la présente demande.

 

CONCLUSION

 

  Eu égard à l'argumentation habile des avocats et à tous les éléments de preuve portés à ma connaissance, je rejette la présente requête.

 

 

 

 

    B. Cullen 

    J.C.F.C.

 

 

 

OTTAWA

Le 16 décembre 1996

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme     

    Martine Guay, LL.L.


  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

  AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

NO DU GREFFE :  T-2096-96

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :  CONSEIL DES CANADIENS ET AUTRE c. DIRECTEUR DES ENQUÊTES ET RECHERCHES ET AUTRE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :  TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :  LE 9 DÉCEMBRE 1996

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE CULLEN

 

DATE DES MOTIFS :  LE 16 DÉCEMBRE 1996

 

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

M. CLAYTON RUBY  POUR LE REQUÉRANT

 

M. WILLIAM MILLER ET  POUR LE DIRECTEUR DES

M. JAMES SUTTON  ENQUÊTES ET RECHERCHES

 

 

M. PETER ATKINSON ET  POUR HOLLINGER INC.

M. FRED CASS

 

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RUBY & EDWARDH  POUR LE REQUÉRANT

TORONTO (ONTARIO)

 

 

M. WILLIAM J. MILLER  POUR LE DIRECTEUR DES

AVOCAT GÉNÉRAL  ENQUÊTES ET RECHERCHES

INDUSTRIE CANADA

HULL (QUÉBEC)

 

 

AIRD & BERLIS  POUR HOLLINGER INC.

TORONTO (ONTARIO)

 



  [1] Kue c. Canada (Procureur général) (1993), 22 Imm. L.R. (2d) 140 (C.F. 1re inst.).

  [2] Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées) (1994), 29 Admin. L.R. (2d) 81 (C.F. 1re inst.).

  [3] Admin. L.R. (2d) 122 (C.F. 1re inst.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.