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Date : 20190524


Dossier : IMM‑5818‑18

Référence : 2019 CF 739

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2019

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

AISHA THORNTON

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Mme Aisha Thornton, demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 6 novembre 2018, par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qu’elle avait présentée au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.

[2]  La demanderesse est une citoyenne du Pakistan qui a obtenu la résidence permanente au Canada en 2006 après avoir été parrainée par son premier époux avec qui elle a eu un enfant né au Canada.

[3]  En novembre 2008, la demanderesse a été accusée de voies de fait causant des lésions corporelles à son fils en application de l’alinéa 267b) du Code criminel, LRC 1985, c C‑46. La demanderesse a plaidé coupable et a été condamnée à une peine d’emprisonnement de 15 mois à purger dans la collectivité le 30 mars 2010. Après la déclaration de culpabilité de la demanderesse, son fils est allé vivre avec sa mère et son frère au Pakistan.

[4]  Le 4 mai 2015, la demanderesse a été déclarée interdite de territoire conformément à l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le 6 janvier 2016, une mesure d’expulsion a été prise contre elle.

[5]  Faisant l’objet d’une mesure de renvoi, la demanderesse a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [l’ERAR], qui a été rejetée le 28 juin 2018. Une demande de contrôle judiciaire de cette décision a été instruite le 13 mars 2019, mais une décision n’a pas encore été rendue à cet égard.

[6]  Outre sa demande d’ERAR, la demanderesse a également présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada en application de l’article 123 et des articles suivants du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. Dans cette demande, la demanderesse demandait une dispense de l’interdiction de territoire pour criminalité dont elle faisait l’objet pour des motifs d’ordre humanitaire. Son époux canadien actuel était son répondant.

[7]  Le 6 novembre 2018, la demande a été rejetée.

[8]  Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que la décision de l’agent doit être annulée au motif qu’elle ne satisfait pas au critère de « la justification de la décision, [de] la transparence et [de] l’intelligibilité du processus décisionnel » établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

[9]  Dans sa lettre adressée au demandeur, datée du 6 novembre 2018, l’agent écrit qu’il rejette la demande de résidence permanente de la demanderesse au motif que, conformément au sous‑alinéa 72(1)e)(i) du RIPR, il avait des motifs raisonnables de croire que la demanderesse était interdite de territoire aux termes de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Cependant, la lettre de décision ne fait mention d’aucun motif d’ordre humanitaire. Elle précise simplement que l’agent a examiné [traduction] « avec soin et compassion » la [traduction] « demande, y compris [sic] toutes les observations fondées sur des motifs d’ordre humanitaire présentées conformément au paragraphe 25(1) de la Loi ».

[10]  L’examen des motifs de l’agent ne permet pas de mieux comprendre le raisonnement qu’il a suivi pour rejeter la demande. Les motifs consistent principalement en un exposé de l’historique du dossier et des observations écrites de la demanderesse, des lettres relatives à l’équité procédurale et des réponses à la lettre relative à l’équité procédurale. Bien que l’agent utilise souvent des titres suggérant que la section qui suit contiendra une analyse, la section est dépourvue de toute analyse. Au lieu d’analyser la preuve, l’agent pose souvent des questions ouvertes auxquelles il ne répond pas, ce qui oblige le lecteur à émettre des hypothèses sur le raisonnement qu’il aurait suivi pour traiter une question donnée. Rien n’indique non plus que l’agent a tenu compte de tous les motifs d’ordre humanitaire invoqués par la demanderesse ou de l’importance qu’il a accordée à chaque facteur.

[11]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les motifs doivent être interprétés dans le contexte de l’ensemble du dossier, et je reconnais qu’un décideur n’est pas tenu de faire référence à tous les arguments ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire ou de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif de son raisonnement qui a mené à sa conclusion finale (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16 [Newfoundland Nurses]). De plus, je reconnais que je dois faire preuve de déférence à l’égard de la décision de l’agent. Toutefois, cette déférence ne me permet pas de deviner le raisonnement de l’agent ou d’émettre des hypothèses à cet égard si ses motifs ne sont pas intelligibles et ne me permettent pas de comprendre sur quoi est fondée sa conclusion. Par conséquent, je ne puis déterminer si cette conclusion appartient aux issues possibles et acceptables (Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 11; Newfoundland Nurses, au paragraphe 16).

[12]  Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la décision était déraisonnable. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5818‑18

LA COUR STATUE que :

  1. la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration aux fins d’une nouvelle décision;

  3. l’intitulé est modifié pour remplacer « ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté » par « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration »;

  4. aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de juin 2019

Manon Pouliot, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5818‑18

INTITULÉ :

AISHA THORNTON c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 MAI 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 24 mai 2019

COMPARUTIONS :

Kate Forrest

pour la demanderesse

Lynne Lazaroff

Philippe Proulx (stagiaire en droit)

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kate Forrest

Montréal (Québec)

pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

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