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Date : 20040224

Dossier : T-1265-02

Référence : 2004 CF 270

Ottawa (Ontario), le 24 février 2004

En présence de Madame la juge Heneghan

ENTRE :

                                        LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                          LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS

                                       ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                La Société canadienne des postes (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire d'une décision datée du 18 juillet 2002 du ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le défendeur). Par celle-ci, le défendeur décidait de communiquer des parties de certains documents relatifs à la demanderesse, sous forme expurgée, au motif que ces documents faisaient l'objet d'une dispense partielle de communication en vertu de l'alinéa 20(1)b) de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. 1985, ch. A-1 (la Loi).

CONTEXTE

[2]                Le 27 août 2001, le défendeur a reçu une lettre datée du 24 août 2001, accompagnée des droits prescrits, renfermant quatorze demandes de documents en vertu de la Loi. Les demandes ont été acheminées à Mme Anita Lloyd, Coordonnatrice - Accès à l'information et protection des renseignements personnels (AIPRP) auprès du défendeur, une représentante dûment autorisée en vertu de la Loi pour répondre aux demandes de renseignements. Mme Lloyd a fait confirmer, par téléphone et par lettre, quels documents étaient demandés, puis le défendeur et l'auteur de la demande ont convenu de réunir les demandes n ° A-2001-00359 à A-2001-00370 en une seule (demande n ° A-2001-00359).

[3]                Le défendeur a établi que ces documents se trouvaient auprès des Services gouvernementaux de télécommunication et d'information (SGTI) et du Service opérationnel au gouvernement (SOG), et le personnel AIPRP a demandé à ces organismes de les lui remettre. Le défendeur a établi, après examen des documents, que ceux-ci renfermaient des « renseignements de tiers » , au sens de la Loi, à l'égard de la demanderesse. Par lettre datée du 5 décembre 2001, Mme Lloyd a informé l'auteur de la demande que la consultation d'un tiers était requise.

[4]                Par lettre datée du 25 avril 2002, le défendeur a informé la demanderesse qu'en vertu des articles 27 et 28 de la Loi, une demande avait été présentée en vue de la communication des documents suivants : « [traduction] Gouvernement en direct (GED) comprenant le document joint » . Dans cette lettre, le défendeur demandait à la demanderesse de fournir de l'information relativement aux renseignements sollicités. La demanderesse a répondu au défendeur par une lettre datée du 17 mai 2002; elle s'objectait à la communication des renseignements demandés.

[5]                M. Robert Fletcher, agent AIPRP auprès du défendeur chargé de traiter la demande d'information, déclare dans l'affidavit public qu'il a déposé dans le cadre de la présente instance qu'il a effectué une recherche sur Internet pour vérifier si des renseignements figurant dans les documents demandés relevaient du domaine public. Il a en outre déclaré que la décision de divulguer les documents sollicités avait été prise après examen des observations présentées par la demanderesse et de l'information obtenue sur Internet. Le défendeur a conclu que la demanderesse n'avait pas fourni une justification suffisante pour refuser, en vertu de l'article 20 de la Loi, de communiquer l'information requise. Par lettre datée du 18 juillet 2002, le défendeur a informé la demanderesse de sa décision de divulguer les documents, quoique sous forme expurgée.


[6]                Le 7 août 2002, la demanderesse a introduit la présente demande de contrôle judiciaire de la décision du défendeur. Une ordonnance conservatoire a été délivrée le 23 septembre 2002, puis modifiée pour permettre tant à la demanderesse qu'au défendeur de déposer des affidavits publics et confidentiels. La demanderesse a déposé l'affidavit confidentiel - de même qu'une version publique - de M. Dean Pope. Le défendeur a déposé l'affidavit confidentiel - de même qu'une version publique - de M. Robert Fletcher.

[7]                Deux documents sont visés dans la présente instance. Je désignerai l'un la lettre en cause, l'autre le document de stratégie en cause.

QUESTIONS EN LITIGE

[8]                Est-on dispensé de communiquer les documents en question, en vertu de l'alinéa 20(1)b) de la Loi, parce qu'il s'agit de renseignements confidentiels, commerciaux ou techniques fournis au défendeur?

[9]                Est-on dispensé de communiquer les documents en question, en vertu de l'alinéa 20(1)c) de la Loi, parce que leur divulgation « risquerait vraisemblablement » de nuire à la compétitivité de la demanderesse, ou de lui causer des pertes ou profits appréciables?


ARGUMENTATION

i) Arguments de la demanderesse

[10]            La demanderesse soutient que les documents font l'objet d'une dispense en vertu tant de l'alinéa 20(1)b) que de l'alinéa 20(1)c). Il soutient, en regard de l'alinéa 20(1)b), avoir satisfait au critère énoncé dans St. Joseph Corp. c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux) (2002), 218 F.T.R. 41. Il prétend, premièrement, que les renseignements que renferment les documents demandés ont été créés par une entreprise commerciale à des fins commerciales, à savoir l'éventuelle participation à un projet du gouvernement et la mise en marché d'un service commercial. Le défendeur se fonde également sur Pricewaterhousecoopers, LLP c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien) (2001), 211 F.T.R. 206, confirmée (2002), 299 N.R. 224 (C.A.F.), où on a statué qu'il fallait considérer comme des « renseignements commerciaux » les travaux accomplis dans le cadre d'une entreprise commerciale » .

[11]            La demanderesse soutient, deuxièmement, que les documents en question sont de « nature confidentielle » puisqu'on n'a présenté à la Cour aucune preuve démontrant qu'ils sont du domaine public. La demanderesse soutient en outre que les documents ont trait à une opération commerciale d'envergure qu'elle estime importante comme source de revenus éventuelle, et qu'elle a déjà exprimé des inquiétudes au sujet de la divulgation publique des documents, notamment dans la lettre du 15 mai 2000, l'un des deux documents visés en l'espèce.


[12]            Troisièmement, il est clair que la demanderesse a fourni les documents concernés à une institution fédérale. La demanderesse affirme finalement qu'elle a traité les documents comme confidentiels de façon constante, comme le démontre la conclusion avec d'autres parties d'accords de confidentialité. On a joint comme pièces à l'affidavit de M. Pope des exemples de tels accords. La demanderesse soutient également que les deux documents concernés ont été fournis au défendeur à titre confidentiel.

[13]            Pour ce qui est de l'alinéa 20(1)c) de la Loi, la demanderesse soutient que les documents n'ont pas à être communiqués, parce que leur divulgation risquerait vraisemblablement de nuire à sa compétitivité ou de causer des pertes ou profits financiers appréciables. La demanderesse fait valoir Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (C.A.), où la Cour d'appel a interprété l'alinéa 20(1)c) comme exigeant de faire la preuve, par prépondérance des probabilités, qu'il y a « risque vraisemblable de préjudice probable » pour une personne si l'on devait accorder la communication, et affirme que l'affidavit de M. Pope lui permet de s'acquitter de ce fardeau de preuve.

ii) Arguments du défendeur


[14]            La position du défendeur c'est que, compte tenu de l'objet de la Loi, le public a le droit d'avoir accès aux renseignements figurant dans les documents du gouvernement, et que les exceptions à ce droit doivent être restreintes et de portée spécifique. Le défendeur renvoie à des décisions où notre Cour a statué qu'une partie s'objectant à la communication de documents doit s'acquitter d'un lourd fardeau et démontrer que les renseignements qui y figurent échappent à l'obligation de divulgation. Le défendeur se fonde à cet égard sur Maislin Industries Limited c. Ministre de l'Industrie et du Commerce, [1984] 1 C.F. 939 (C.A.), Société Gamma Inc. c. Canada (Secrétariat d'État du Canada) (1994), 79 F.T.R. 42 et Northern Cruiser Co. c. Canada (1996), 185 N.R. 391 (C.A.F.).

[15]            En réplique aux arguments de la demanderesse fondés sur l'alinéa 20(1)b), le défendeur affirme qu'il faut établir de façon objective si des renseignements sont ou non traités comme confidentiels. Il ne suffit pas simplement qu'un tiers prenne pour acquis que des renseignements sont confidentiels. Le fait que la demanderesse et le défendeur ont traité les renseignements comme confidentiels à ce jour n'est pas concluant quant au caractère confidentiel; cela ne constitue qu'un élément du critère énoncé à l'alinéa 20(1)b) (se reporter à Société Gamma, précitée).

[16]            De même, le fait que les documents renferment une disposition expresse prévoyant que les renseignements ne doivent pas être divulgués sans la permission du tiers n'est pas décisoire des obligations de communication découlant de la loi. Se reporter à cet égard à Canada (Commissaire à l'information) c. L'Agence de promotion économique du Canada Atlantique (1999), 250 N.R. 314 (C.A.F.) et à Ottawa Football Club c. Canada, [1989] 2 C.F. 480 (1re inst.).


[17]            Le défendeur soutient que les renseignements dans les documents concernés ne constituent pas des renseignements confidentiels aux fins de l'alinéa 20(1)b). Les renseignements ont été créés et transmis au défendeur pour exprimer l'intérêt de la demanderesse à soumissionner pour un marché public, marché que la demanderesse a obtenu en bout de ligne. Se fondant une fois encore sur Société Gamma, le défendeur soutient qu'en général une proposition pour un marché public ne devrait pas être gardée secrète une fois le contrat adjugé et que les soumissionnaires ne devraient pas s'attendre à ce que leurs propositions « [...] échappent totalement à l'obligation de divulgation incombant au gouvernement du Canada par suite de son devoir de rendre compte aux électeurs » (paragraphe 8, Société Gamma).

[18]            Le défendeur soutient également qu'on avait informé la demanderesse du fait que les renseignements fournis par elle au gouvernement ne demeureraient pas confidentiels. La demanderesse a choisi de divulguer les renseignements au défendeur, malgré cette mise en garde, en sachant qu'ils ne faisaient pas l'objet d'un accord de confidentialité. Le défendeur soutient qu'en de telles circonstances, le demandeur savait que le gouvernement ne s'engageait pas à traiter les renseignements comme confidentiels.


[19]            Selon le défendeur, la demanderesse n'a pas démontré, par prépondérance des probabilités, qu'il découlera de la communication des dossiers un risque vraisemblable de préjudice probable, tel que le requiert l'alinéa 20(1)c) de la Loi. Se fondant sur SNC-Lavalin c. Canada (Ministre des Travaux publics) (1994), 79 F.T.R. 113 et Société Radio-Canada c. Commission de la capitale nationale (1998), 147 F.T.R. 264, le défendeur soutient qu'il ne suffit pas de supposer ou qu'il soit possible qu'un préjudice sera subi pour avoir droit à la dispense prévue à l'alinéa 20(1)c). Il ajoute qu'un demandeur doit faire davantage que simplement affirmer dans un affidavit que la communication causerait des pertes financières et entraverait des négociations en vue de contrats ou à d'autres fins. Le défendeur prétend qu'en l'espèce, par conséquent, la preuve soumise par la demanderesse ne démontre pas, par prépondérance des probabilités, qu'il découlerait de la divulgation des renseignements demandés un risque vraisemblable de préjudice probable pour la demanderesse.

[20]            Le défendeur affirme que la lettre en cause ne renferme pas de renseignements exclusifs ou confidentiels ayant trait à la stratégie d'entreprise actuelle de la demanderesse. Cette lettre précisant que la demanderesse n'est pas disposée à divulguer de renseignements confidentiels quelconques en l'absence d'un accord de confidentialité, il est vraisemblable de conclure - le défendeur affirme-t­-il - qu'il n'y a pas dans la lettre d'information pouvant faire l'objet d'une dispense en vertu de l'alinéa 20(1)c).

[21]            Pour ce qui est du deuxième document concerné, le défendeur affirme qu'il renferme des renseignements de nature générale. D'ailleurs, le défendeur a prévu que les renseignements concernant les caractéristiques techniques du produit de la demanderesse n'avaient pas à être communiqués, et il les a expurgés du document de stratégie en cause.


[22]            Le défendeur signale également que la demanderesse a reconnu que les éléments de preuve présentés à la Cour ne démontraient pas que son « nouveau » produit était actuellement très concurrentiel. Faute de capacité concurrentielle, la compétitivité réduite éventuelle et les pertes financières ne constitueraient selon le défendeur que de la « pure spéculation » ne justifiant pas une dispense, en vertu de l'alinéa 20(1)c), de l'obligation de communication.

[23]            Le défendeur soutient avoir valablement expurgé les documents en cause. Une fois établi que certains renseignements dans des documents doivent être dispensés de communication en application de la Loi, le responsable de l'institution fédérale concernée doit décider s'il y a lieu d'expurger une partie quelconque du document (Rubin c. Canada (Société canadienne d'hypothèques et de logement) [1989] 1 C.F. 265 (C.A.)). On a procédé à l'expurgation de façon appropriée en l'espèce.

ANALYSE

[24]            Il est maintenant bien établi que, dans une affaire où on a à trancher, en vertu de l'article 20 de la Loi, s'il y a ou non dispense de l'obligation de communication, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. La Cour fédérale du Canada a abordé cette question dans la décision récente Wyeth-Ayerst Canada Inc. c. Canada (Procureur général) (2003), 305 N.R. 317 (C.A.F.), et elle a déclaré ce qui suit (aux paragraphes 11 à 15) :


Selon l'approche pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle applicable à la décision du ministre est celle de la décision correcte. Bien qu'il s'agissait d'affaires portant sur d'autres dispositions de la Loi, une analyse de même nature a été effectuée par le juge Evans dans l'affaire 3430901 c. Canada (Ministère de l'Industrie), [2002] 1 C.F. 421 (C.A.) et par le juge Gonthier dans l'affaire Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada) 2003 CSC 8, [2003] A.C.S. n ° 7.

La Loi accorde un droit de révision, ce qui suppose une norme de recherche plus approfondie. Premièrement, la Loi ne contient pas de clause privative. Deuxièmement, la Loi contient une disposition explicite permettant la révision. Le paragraphe 44(1) accorde à une tierce partie le droit de demander à la Cour fédérale la révision d'une décision rendue par le directeur d'une institution fédérale. Troisièmement, le paragraphe 2(1) de la Loi donne à entendre qu'une norme de contrôle moins rigoureuse doit s'appliquer. Le paragraphe 2(1), qui énonce l'objet de la Loi, prévoit expressément qu'une décision concernant la communication de documents est susceptible de recours indépendants du pouvoir exécutif, que ce recours soit exercé auprès du Commissaire à l'information ou de la Cour fédérale :

[...]

Par conséquent, l'absence de clause privative, jumelée à la disposition explicite donnant à la Cour un pouvoir de révision d'une décision concernant la communication de documents ainsi que l'importance accordée dans la disposition de déclaration d'objet de la Loi au processus de révision indépendant indiquent tous l'existence d'une norme de contrôle moins rigoureuse : le juge Evans dans l'affaire 3430901, précitée, au paragraphe 34 et le juge Gonthier dans l'affaire Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), précitée, au paragraphe 15.

Étant donné que le ministre ne possède pas une plus grande expertise que la Cour, l'application d'une norme de contrôle moins rigoureuse est justifiée. Le ministre, par l'entremise d'unités spécialisées connues sous le nom de Bureau d'accès à l'information, possède l'expertise nécessaire pour répondre aux demandes d'accès à l'information. Toutefois, en ce qui concerne les exceptions prévues par la Loi, le Bureau ne possède pas plus d'expertise que la Cour, qui doit régulièrement appliquer de telles exceptions. La cour est en meilleure position de juger de l'équilibre à maintenir entre le droit du public à l'information et le droit des personnes à la confidentialité. De plus, tel que l'a justement expliqué le juge Evans dans l'affaire 3430901, précitée, au paragraphe 36 : « ...si la Cour devait limiter l'obligation qui lui est imposée... à la révision des demandes de communication refusées par le ministre en se fondant sur les interprétations et les applications de la Loi faites par le ministère, cela équivaudrait à confier la garde du poulailler au renard » . La vaste expertise de la Cour suppose qu'il n'y a pas lieu d'appliquer une norme de contrôle plus rigoureuse.

Comme il a été mentionné précédemment, le but de la révision indépendante prévue au paragraphe 2(1) de la Loi est atteint en appliquant la norme de la décision correcte. De plus, la disposition visée dans la présente affaire, soit le paragraphe 20(1), est une disposition obligatoire et non pas discrétionnaire. Cela milite également en faveur de l'application d'une norme de contrôle moins rigoureuse.


Finalement, il s'agit d'une question mixte de faits et de droit. Le ministre doit interpréter les exceptions prévues au paragraphe 20(1) afin de décider, sur la base des faits qui lui sont présentés, si la communication demandée doit être refusée. Bien que la nature de la question en jeu donne à penser qu'il faille appliquer une norme de contrôle plus rigoureuse, à la lumière des trois autres facteurs, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

[25]            À mon avis, le même raisonnement s'applique en l'espèce, comme je ne perçois aucune différence d'importance entre l'expertise du défendeur en l'espèce et celle de l'institution fédérale ayant pris la décision en matière d'accès à l'information dans Wyeth-Ayerst, précitée.

[26]            Dans Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Premier ministre), [1993] 1 C.F. 427 (1re inst.), le juge Rothstein (alors juge puîné) a statué que la Loi impose un « lourd fardeau » à la partie qui s'oppose à la communication. Ce fardeau découle de l'objet de la Loi, énoncé comme suit à son paragraphe 2(1) :


La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada to provide a right of access to information in records under the control of a government institution in accordance with the principles that government information should be available to the public, that necessary exceptions to the right of access should be limited and specific and that decisions on the disclosure of government information should be reviewed independently of government.


[27]            L'expression « est tenu » à l'article 20 laisse croire que la retenue n'est pas indiquée face au responsable de l'institution fédérale qui examine les documents concernés avant de trancher en faveur ou non de leur communication. Le paragraphe 20(1) prévoit ce qui suit :



Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

a) des secrets industriels de tiers;

(a) trade secrets of a third party;

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d'entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d'autres fins.

(d) information the disclosure of which could reasonably be expected to interfere with contractual or other negotiations of a third party.


[28]            Malgré le libellé de la loi qui impose au responsable d'une institution fédérale l'obligation de refuser la communication de renseignements en application du paragraphe 20(1), le fardeau de démontrer qu'un document fait partie d'une catégorie dispensée incombe à la partie qui s'oppose à la communication. Dans Maislin Industries Ltd., précitée, la Cour a émis les commentaires suivants (aux pages 942 et 943) sur ce fardeau de preuve :

Toutes les parties admettent que le fardeau de la preuve incombe à la requérante Maislin. Il faut cependant souligner que, puisque le principe de la base de ces lois est de codifier le droit du public à l'accès aux documents du gouvernement, deux conséquences en découlent : d'abord, les tribunaux ne doivent pas neutraliser ce droit sauf pour les motifs les plus évidents, de sorte qu'en cas de doute, il faut permettre la communication; deuxièmement, le fardeau de convaincre la cour doit incomber à la partie qui s'oppose à la communication, qu'il s'agisse, comme en l'espèce, d'une société privée ou d'un citoyen ou, dans d'autres cas, du gouvernement.


[29]            Il ressort clairement de cette décision, ainsi que de la décision subséquente Canada (Commissaire à l'information) v. Canada (Premier ministre), précitée, que le fardeau de preuve en vue d'être dispensé de l'obligation de communication en vertu du paragraphe 20(1) incombe à la partie qui s'oppose à la communication, en l'espèce la demanderesse. Ce fardeau consiste en la preuve par prépondérance des probabilités, comme on l'a mentionné dans Northern Cruiser, précitée.

[30]            La demanderesse prétend que les deux documents visés en l'espèce n'ont pas à être divulgués, en application des alinéas 20(1)b) et c) de la Loi. Dans Air Atonabee Limited c. Canada (1989), 27 F.T.R. 194 et St. Joseph Corp., précitée, la Cour s'est penchée sur les critères qu'on doit respecter pour avoir droit à la dispense prévue à l'alinéa 20(1)b). Premièrement, il doit s'agir de renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques, selon le sens courant de ces termes. Deuxièmement, les renseignements doivent être de nature confidentielle, suivant un critère objectif tenant compte du contexte dans lequel s'inscrivent les renseignements, de leurs objets et des conditions dans lesquelles ils ont été préparés et communiqués. Troisièmement, les renseignements doivent être fournis à une institution fédérale par un tiers. Quatrièmement, les renseignements doivent être traités comme confidentiels de façon constante par ce tiers.


[31]            Bien que je sois convaincue que les documents en question constituent des « renseignements commerciaux » au sens courant de ce terme, je n'estime pas que l'information concernée est de nature confidentielle, eu égard aux critères de confidentialité décrits dans Air Atonabee, précitée, soit les questions de savoir si le public a déjà accès au contenu des renseignements, si on a transmis et communiqué les renseignements en s'attendant de façon raisonnable à ce qu'ils ne soient pas divulgués et si la relation entre l'institution fédérale et le tiers serait renforcée, à l'avantage du public, en préservant le caractère confidentiel des renseignements.

[32]            Le premier facteur mentionné dans Air Atonabee, précitée, concerne la question de savoir si le public a déjà accès au contenu des renseignements. Le défendeur a soulevé cet argument parmi les observations écrites présentées dans son dossier de demande public, mais il ne l'a pas fait valoir avec beaucoup de vigueur à l'audience. Ce n'est pas un argument solide et, sur la foi de la preuve produite par les deux parties, il ne semble pas que les renseignements figurant dans les documents en cause soient du domaine public. Le contenu des documents a trait à une entreprise commerciale d'importance pour la demanderesse et celle-ci, selon la preuve, s'est dit inquiète à Travaux publics Canada, lorsqu'elle a fourni les documents, du risque qu'ils deviennent publics.

[33]            Cela ne clôt toutefois pas la question. Bien que les renseignements semblent avoir été colligés de manière confidentielle, la façon dont ils ont été communiqués à Travaux publics Canada ne me semble pas dénoter de la part de la demanderesse une attente raisonnable de non-divulgation dans l'avenir. D'après la lettre en cause, de fait, Travaux publics avait déclaré ne pas pouvoir garantir la non-divulgation des documents. La preuve à cet égard ne suffit pas pour satisfaire au second critère de la confidentialité énoncé dans Air Atonabee, précitée.

[34]            Je ne suis pas non plus convaincue, en outre, qu'est applicable en l'espèce le troisième critère prévu dans Air Atonabee, précitée, soit la question de savoir si la relation entre l'institution fédérale et le tiers serait renforcée, à l'avantage du public, par la préservation du caractère confidentiel des renseignements. Certains renseignements concernaient une soumission de la demanderesse pour obtenir un marché public, et je ne discerne aucun avantage pour le public qui disparaîtrait du fait qu'on ne divulgue pas les renseignements concernés.

[35]            Pour ce qui est maintenant de troisième élément du critère, tel qu'il est résumé dans St. Joseph Corp., précitée, il est bien clair que les documents en question ont été fournis à une institution fédérale, Travaux publics Canada, par un tiers, la demanderesse.

[36]            Finalement, la demanderesse a présenté une preuve considérable pour démontrer qu'elle traitait comme confidentiels, de manière fréquente mais non pas constante, les documents concernés. Cette preuve consiste dans certains cas en des pièces jointes à l'affidavit confidentiel déposé par la demanderesse. Je souscris toutefois à l'argument du défendeur selon lequel la demanderesse n'a pas traité les renseignements comme confidentiels « de façon constante » en fournissant les documents concernés à Travaux publics Canada, tout en sachant que les renseignements ne faisaient l'objet d'aucun accord de confidentialité ni engagement de la part du défendeur portant qu'ils seraient tenus secrets et traités comme confidentiels.


[37]            Les faits d'espèce diffèrent sensiblement des faits dans l'affaire Pricewaterhousecoopers, LLP, précitée. Dans celle-ci, il y avait une preuve du tiers par affidavit faisant état de plusieurs rencontres entre représentants de l'institution fédérale et du tiers qui laissaient croire à celui-ci que le caractère confidentiel des renseignements serait préservé, et qui lui permettaient de s'y attendre. Il ressort clairement de la lettre en cause, toutefois, qu'il n'y avait aucun fondement pour une telle attente en l'espèce.

[38]            Dans Société Gamma, précitée, la Cour avait également affaire à des documents fournis à une institution fédérale dans le cadre d'un appel de propositions en vue de l'adjudication d'un contrat public de prestation de services. La Cour a déclaré ce qui suit (au paragraphe 8) :

[...] N'oublions pas que les propositions sont constituées en vue d'obtenir l'adjudication d'un contrat par le gouvernement qui, lui, effectue le paiement sur les deniers publics. Il existe peut-être de bonnes raisons de considérer les propositions ou les soumissions comme confidentielles tant que le contrat n'aura pas été adjugé, mais du moment que le contrat est adjugé ou refusé, il ne semble y avoir aucune nécessité, sauf dans des cas particuliers, de les garder secrètes. En d'autres termes, l'entrepreneur éventuel qui cherche à se faire adjuger un contrat par le gouvernement ne doit pas s'attendre que les conditions selon lesquelles il est prêt à contracter - entre autres celles touchant la capacité de rendement de son entreprise -, échappent totalement à l'obligation de divulgation incombant au gouvernement du Canada par suite de son devoir de rendre compte aux électeurs. Il est bien établi d'ailleurs que c'est toujours à celui qui fait valoir l'exemption de communication de démontrer que les documents en question relèvent de l'un des critères énoncés au paragraphe 20(1). Or, je ne crois pas que la requérante en l'espèce soit parvenue à démontrer de façon suffisamment convaincante que, selon un critère objectif, les documents en cause revêtent un caractère confidentiel. [...]

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

[39]            En l'espèce, la demanderesse a fourni des renseignements à Travaux publics Canada aux fins d'une offre en vue de l'adjudication d'un marché public. Elle a obtenu le marché en bout de ligne, en tant que membre d'un consortium. Le raisonnement suivi dans Société Gamma, précitée, s'applique également en l'espèce.

[40]            L'objectif d'intérêt public qui sous-tend la Loi c'est que la communication des renseignements fournis à une institution fédérale doit constituer la règle et non l'exception. Le processus d'adjudication de marchés publics est assujetti aux dispositions de la Loi. Un soumissionnaire éventuel pour un tel marché sait, ou devrait savoir, que lorsqu'il remet des documents dans le cadre de ce processus il ne peut généralement s'attendre à ce que ceux-ci échappent totalement à l'obligation de divulgation incombant au gouvernement par suite de son devoir de rendre compte des fonds publics dépensés. Dans cette perspective, il est déraisonnable pour la demanderesse de prétendre qu'elle s' « attendait » , sur la foi de la lettre en cause, à ce que les documents demeurent confidentiels.

[41]            Comme autre argument, la demanderesse a soutenu que le fait pour le défendeur d'expurger certaines parties des documents en question, en raison de leur caractère confidentiel, constitue une reconnaissance implicite par le défendeur que les documents, dans leur ensemble, renferment des renseignements confidentiels. Cela justifierait la dispense de communication en vertu de l'alinéa 20(1)b). Cet argument est sans fondement, à mon avis, compte tenu de la décision de la Cour d'appel fédérale dans Rubin, précitée.


[42]            Dans Rubin, la Cour a traité de l'obligation du responsable d'une institution fédérale qui répond à une demande d'accès à l'information d'établir en premier lieu si les renseignements sollicités relèvent ou non de l'alinéa 20(1)b). Dans l'affirmative, le délégué dûment autorisé de l'institution doit décider s'il y a lieu d'expurger les documents. La Cour a déclaré ce qui suit, au paragraphe 25 de ses motifs :

Toutefois, ce qui est crucial et déterminant dans ce scénario de fait est l'omission par la déléguée du responsable de l'institution d'entamer l'examen nécessaire des documents demandés pour décider ce qui relevait ou ne relevait pas de l'alinéa 21(1)b).

[43]            Je conclus, sur le fondement de la preuve qui m'a été présentée, que le responsable de l'institution fédérale a correctement évalué en l'espèce la nature des documents en question. La décision portant que certaines parties des documents pouvaient être expurgées a été valablement prise. Cette décision ne change rien au fait que la demanderesse n'a pas produit de preuve concluante selon laquelle le reste des documents n'ont pas à être communiqués en application de l'alinéa 20(1)b).

[44]            Ce qui reste à trancher, c'est si la demanderesse a ou non satisfait au critère de la dispense de communication en vertu de l'alinéa 20(1)c). Selon la jurisprudence, pour faire obstacle à l'obligation d'accès en vertu de cet alinéa, il faut prouver par prépondérance des probabilités l'existence d'un « risque vraisemblable de préjudice probable » (Canada Packers Inc., précitée, ainsi que Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Ministre des Approvisionnements et Services) (1989), 24 F.T.R. 32, à la page 36, confirmée (1990), 107 N.R. 89 (C.A.F.).

[45]            Une preuve par affidavit vague ou de nature spéculative ne suffit pas pour démontrer le risque vraisemblable de préjudice probable requis aux fins de l'alinéa 20(1)c) (SNC-Lavalin, précitée, ainsi que Société Radio-Canada, précitée).

[46]            Je reconnais que la preuve par affidavit produite par la demanderesse dans son dossier de demande confidentiel renferme de nombreuses précisions sur le préjudice que, prétend-elle, elle subirait en cas de communication des documents. De telles précisions n'ont pas d'effet déterminant, cependant, quant à savoir si certains documents satisfont ou non au critère prévu à l'alinéa 20(1)c) pour la dispense de communication.

[47]            La Cour a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 25 et 28 de Société Radio-Canada, précitée :

Dans l'affaire SNC-Lavalin Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics) (1994), 79 F.T.R. 113, à la page 127 (C.F. 1re inst.), la Cour a statué que la requérante ne peut pas simplement affirmer par affidavit que la divulgation causerait le préjudice mentionné à l'alinéa 20(1)c) de la Loi. La Cour a déclaré que ces affirmations sont les conclusions mêmes que la Cour doit tirer, de sorte que d'autres éléments de preuve sont nécessaires pour prouver un préjudice probable.

[...]

De plus, il n'est pas suffisant de simplement supposer que la requérante peut subir un préjudice probable si les renseignements demandés sont rendus publics.


[48]            La demanderesse fait valoir Culver c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux), [1999] A.C.F. n ° 1641 (1re inst.)(QL), où la Cour a confirmé la décision de Travaux publics Canada de refuser de communiquer des renseignements demandés parce qu'était applicable la dispense de communication prévue à l'alinéa 20(1)c).

[49]            À mon avis, la nature des renseignements concernés dans Culver, précitée, diffère de la nature des renseignements dont il s'agit en l'espèce. Culver portait sur des renseignements relatifs à des propositions de Standard Aero pour divers marchés publics de réparation de moteurs d'avions militaires, notamment le nombre d'heures à consacrer à diverses parties des marchés ainsi que le prix unitaire corrélatif et les taux horaires et mensuels fixés pour réaliser les marchés. Ces renseignements auraient permis aux concurrents de Standard Aero d'établir le profit réel de celle-ci ainsi que les coûts engagés par elle pour réaliser les marchés. Il y avait donc risque plus que vraisemblable que les concurrents de Standard Aero utiliseraient ces renseignements pour nuire à la compétitivité de celle-ci dans le cadre des processus d'adjudication. Dans l'affaire Standard Aero, la preuve par affidavit révélait également que l'auteur de la demande travaillait pour la filiale d'un concurrent de Standard, lequel avait accès à d'autres renseignements administratifs qui lui auraient permis de calculer la marge bénéficiaire obtenue par Standard pour ses marchés.


[50]            Par contraste, les déclarations de M. Pope dans son affidavit confidentiel ne révèlent pas un risque vraisemblable de préjudice probable pour la demanderesse. La probabilité d'un préjudice découlait manifestement du type de renseignements en jeu dans Culver. Il n'en est pas ainsi en regard de la nature divulguée, dans l'affidavit de M. Pope, des renseignements en l'espèce. Alors que l'affidavit renferme beaucoup d'information sur la position unique dans le marché de Postes Canada et sur le caractère prétendument unique de son produit, il ne mentionne pas de risque vraisemblable de préjudice probable pour sa compétitivité ou de profits financiers pour ses concurrents.

[51]            À mon avis, la demanderesse n'a pas fait davantage en l'espèce que spéculer quant à un préjudice probable en cas de communication des documents. Les renseignements dans les documents en cause, en leur forme expurgée, ne sont pas de nature telle que leur communication risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité de la demanderesse ou d'entraîner des profits financiers pour l'un ou l'autre de ses concurrents. Je conclus qu'il n'y a aucun fondement, en vertu de l'alinéa 20(1)c), pour accorder dispense de l'obligation de communiquer ces renseignements. La présente demande est par conséquent rejetée, avec dépens en faveur du défendeur.

                                        ORDONNANCE

La demande est rejetée, avec dépens en faveur du défendeur.

                                                                                   _ E. Heneghan _                

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1265-02

INTITULÉ :                                        LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

c.

LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 19 janvier 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE HENEGHAN

DATE DE L'ORDONNANCE :        LE 24 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

RICHARD G. DEARDEN                                                        POUR LE DEMANDERESSE

MARIE CROWLEY                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING LAFLEUR HENDERSON, s.r.l.                         POUR LE DEMANDERESSE

OTTAWA (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERG                                                          POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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