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Date : 20011120

Dossier : IMM-5652-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1274

ENTRE :

                             WU, YU YING

                                                        demanderesse

                                 et

                    MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                           défendeur

             MOTIFS ET DISPOSITIF DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]                 La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d'une décision en date du 18 octobre 2000 par laquelle une agente de l'immigration a rejeté la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire que la demanderesse avait présentée en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration.


A.       Faits à l'origine du litige

  

[2]                 La demanderesse est citoyenne de Taïwan. Son jeune fils est citoyen canadien. Elle a demandé que sa demande de résidence permanente soit examinée au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire. Pour justifier cette demande, elle invoquait l'état de santé de son fils et les problèmes respiratoires et cutanés de celui-ci que le climat de Taïwan avait exacerbés. Elle disait aussi craindre que son ex-mari, qui l'avait déjà battue et qui avait proféré des menaces de mort à l'endroit de son fils et d'elle-même, n'exerce de nouveau des violences contre elle et son fils.

  

[3]                 L'agente d'immigration a refusé la demande au motif que la demanderesse ne l'avait pas convaincue que le fait de l'obliger à obtenir son visa hors du Canada lui causerait « des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » . Ce critère est précisément celui qui est énoncé dans le Guide de l'immigration, dans lequel on trouve les lignes directrices suivantes au sujet des éléments dont l'agent d'immigration doit tenir compte lorsqu'il examine une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire :

Il incombe au demandeur de convaincre l'agent que, vu sa situation, l'obligation, dont il demande d'être dispensé, d'obtenir un visa hors du Canada lui causerait des difficultés (i) inhabituelles et injustifiées ou (ii) excessives. Le demandeur peut présenter tout fait qu'il juge pertinent pour l'obtention de cette dispense.


Les définitions suivantes ne constituent pas des règles strictes. Plutôt, elles ont pour but d'aider à exercer le pouvoir discrétionnaire de déterminer s'il existe des CH [considérations humanitaires] justifiant la dispense demandée du A9(1).

Difficultés inhabituelles et injustifiées

Les difficultés que subirait le demandeur (s'il devait présenter sa demande de visa hors du Canada) doivent, dans la plupart des cas, être inhabituelles. Il s'agit, en d'autres termes, de difficultés qui ne sont pas prévues dans la Loi ou le Règlement, et

Les difficultés que subirait le demandeur (s'il devait présenter sa demande hors du Canada) doivent, dans la plupart des cas, découler de circonstances indépendantes de sa volonté.

Difficultés excessives

Dans certains cas où le demandeur ne subirait de difficultés ni inhabituelles ni injustifiées (s'il devait présenter sa demande de visa hors du Canada), il est possible de conclure à l'existence de CH en raison de difficultés considérées comme excessives pour le demandeur compte tenu de ses circonstances personnelles.

B.       La question en litige

[4]                 La demanderesse conteste le bien-fondé de la décision de l'agente d'immigration. Il est acquis aux débats que, comme la Cour suprême du Canada l'a affirmé dans l'arrêt Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la norme de contrôle applicable dans le cas de décisions portant sur des considérations humanitaires est celle du caractère raisonnable simpliciter.

  

[5]                 La principale question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si l'agente d'immigration a commis une erreur en ne tenant pas suffisamment compte de l'intérêt supérieur de l'enfant de la demanderesse qui est né au Canada.

C.       Analyse

  

[6]                 Dans l'arrêt Baker, la Cour suprême a non seulement précise la norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires en matière de considérations humanitaires, mais elle a également posé le principe à appliquer pour apprécier le caractère raisonnable des décisions dans lesquelles l'intérêt de l'enfant est en cause. Voici les propos souvent cités qu'a tenus le juge L'Heureux-Dubé sur cette question :

  

[par.75] ... Les principes susmentionnés montrent que, pour que l'exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l'intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l'intérêt supérieur des enfants l'emportera toujours sur d'autres considérations, ni qu'il n'y aura pas d'autres raisons de rejeter une demande d'ordre humanitaire même en tenant compte de l'intérêt des enfants. Toutefois, quand l'intérêt des enfants est minimisé, d'une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

   

[7]                 Le Guide de l'immigration reconnaît le fait que les décisions comportant des raisons d'ordre humanitaire sont susceptibles d'avoir des répercussions sur les membres de la famille qui ont eux le droit de demeurer au Canada en vertu de la loi. La section 8.5 porte sur le cas particulier de la séparation des parents et de leurs enfants à charge. Il y est expressément prévu que « [l]a séparation géographique des membres de la famille pourrait occasionner des

difficultés susceptibles de justifier une décision CH favorable. »

  

[8]                 Dans l'évaluation de ces cas, les agents d'immigration doivent tenir compte des divers intérêts en jeu, à savoir l'intérêt du Canada, les intérêts de la famille et la situation de chacun des membres de la famille, en accordant une attention particulière aux intérêts et à la situation des enfants du demandeur. Les agents doivent également tenir compte de l'âge, des besoins, de l'état de santé et de la maturité de l'enfant du demandeur. On trouve dans ces lignes directrices des balises qui sont utiles pour décider si l'agent d'immigration a oui ou non exercé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable.

  

[9]                 Il ressort de l'arrêt Baker qu'un agent d'immigration ne peut se contenter de tenir compte des intérêts supérieurs de l'enfant pour prendre sa décision. Il doit également accorder une grande importance aux intérêts de l'enfant. Le Guide oblige également l'agent à évaluer de façon précise les intérêts et la situation de l'enfant. En conséquence, l'agent d'immigration est tenu jusqu'à un certain point de démontrer qu'il a examiné à fond la question des intérêts de l'enfant et celle des répercussions que l'expulsion du demandeur pourrait avoir sur l'enfant.


[10]            Au sujet de la situation et des intérêts de l'enfant de la demanderesse qui est né au Canada, voici ce que l'agent d'immigration a conclu dans le cas qui nous occupe :

[TRADUCTION]

J'ai également tenu compte de l'état de santé de l'enfant de la demanderesse qui est né au Canada. La demanderesse a produit une lettre écrite le 26/09/00 par le docteur Hou pour confirmer que les problèmes respiratoires et cutanés de son fils sont exacerbés par le climat chaud et humide de Taïwan. Le docteur Hou ne va toutefois pas jusqu'à dire que la vie de l'enfant est en danger pour cette raison et il ne précise pas le type de traitement indiqué pour ces affections. Il ne peut pas non plus confirmer qu'il n'existe pas de traitement médical pour ces problèmes à Taïwan. Lors de son entrevue, la demanderesse a déclaré que son fils était traité pour ces affections à Taïwan. Elle a également déclaré que, lorsqu'il recevait ce traitement, son fils était immédiatement soulagé de ses symptômes. Dans sa lettre, le docteur Hou déclare également que la thalassémie dont souffre le fils de la demanderesse est une affection héréditaire permanente qui ne met pas sa vie en danger. Je suis par conséquent convaincue que les affections dont le fils de la demanderesse souffre ne mettent pas sa vie en danger et qu'il existe à Taïwan des traitements et des médicaments pour lui.


[11]            Bien qu'il ne fasse aucun doute que l'agente d'immigration a dûment tenu compte des intérêts de l'enfant, j'estime qu'elle a tenu compte de critères non pertinents dans son analyse en jugeant l'état de santé de l'enfant en fonction de la norme consistant à se demander si l'affection dont le fils de la demanderesse souffrait « mettait sa vie en danger » . Il s'agit là d'un critère extrêmement exigeant qui, le plus souvent, exclurait la situation de la plupart des enfants. Aspect plus important, ni la jurisprudence ni le Guide de l'immigration n'imposent ce critère. À mon avis, ce critère n'est pas raisonnable, en ce sens qu'il ne devrait pas être nécessaire que les souffrances que les enfants éprouvent, qu'ils soient imputables à leur état de santé ou à des raisons d'ordre psychologique, mettent leur vie en danger pour que des considérations humanitaires puissent entrer en jeu. En appliquant ce critère, l'agente d'immigration a effectivement minimisé les intérêts de l'enfant. Je conclus donc que sa décision n'était pas raisonnable.

  

D I S P O S I T I F

[12]            En conséquence, j'annule la décision de l'agente d'immigration et je renvoie la présente affaire à un autre agent d'immigration pour qu'il rende une nouvelle décision.

   

« Douglas R. Campbell »                                                                                                       Juge

  

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 20 novembre 2001

   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                    IMM-5652-00

INTITULÉ :              Wu, Yu Ying c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                              20 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE LA COUR : le juge Campbell

DATE DES MOTIFS :                                     20 novembre 2001

   

COMPARUTIONS :                                       

Me Kenneth Specht      POUR LA DEMANDERESSE

  

Me Emilia Pech                                                    POUR LE DÉFENDEUR

    

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sahmet & Company                                             POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

  

Sous-procureur du Canada                                               POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

    

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