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Date : 20190531


Dossier : IMM-5023-17

Référence : 2019 CF 775

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2019

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

PAMELA BIRUNGI LUMALA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), dans laquelle la demanderesse, Mme Lumala, sollicite le contrôle d’une décision, datée du 20 octobre 2017 (la décision), par laquelle la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAR) a rejeté son appel formé à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR).

[2]  La demanderesse est une citoyenne ougandaise qui affirme avoir été victime de violence conjugale de la part de son ancien conjoint de fait, un dénommé Kennedy. Elle soutient avoir été victime de violences psychologiques, physiques et sexuelles de la part de Kennedy pendant qu’ils ont fait vie commune de 1999 à 2004, année où elle l’a quitté.

[3]  La demanderesse a par la suite eu un enfant en 2012 avec un autre homme, dont elle s’est séparée après que Kennedy eut fait irruption chez elle lors d’une fête organisée à l’occasion du premier anniversaire de naissance de l’enfant et lui eut dit que cet homme était déjà marié. Après avoir vérifié la véracité de cette affirmation, la demanderesse a mis fin à la relation.

[4]  La demanderesse a ensuite rencontré un homme appelé Yosamu, avec qui elle a eu un autre enfant. En mars 2016, la demanderesse et Yosamu se sont mariés lors d’une cérémonie de mariage traditionnelle.

[5]  Le 20 mai 2016, Kennedy s’est présenté chez la demanderesse en compagnie de deux autres hommes. Comme la demanderesse refusait de sortir pour lui parler, Kennedy a tiré un coup de feu à travers une fenêtre de la chambre. La demanderesse et Yosamu ont alors décidé qu’elle devait s’enfuir au Canada et confier sa fille à sa sœur. Elle est arrivée au Canada le 22 juin 2016.

[6]  La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La SPR a jugé qu’elle manquait en général de crédibilité et qu’elle n’avait pas démontré qu’elle risquait de subir des sévices de la part de Kennedy.

[7]  La SAR a rejeté l’appel de la demanderesse, mais a conclu qu’il était plus probable que le contraire que la demanderesse avait été victime de mauvais traitements de la part de son ex‑conjoint. Elle a toutefois jugé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve fiables pour établir que l’incident du 20 mai 2016 s’était bel et bien produit ou que Kennedy continuait de la pourchasser dans le but de lui faire du mal ou de s’en prendre à ses enfants.

[8]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée. La décision est raisonnable; elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

II.  Question en litige et norme de contrôle

[9]  La seule question en litige est celle de savoir si les conclusions de la SAR étaient raisonnables. La norme de contrôle à utiliser à l’égard de la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Huruglica 2016 CAF 93, au paragraphe 35 [Huruglica]).

[10]  Une décision est raisonnable si le processus décisionnel était justifié, transparent et intelligible, et que la décision qui en a résulté appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[11]  La SPR et la SAR ne sont pas tenues d’examiner et de commenter dans leurs motifs chacune des questions soulevées par les parties. Si, considérés dans leur ensemble, ils « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables », les motifs répondent aux critères établis dans l’arrêt Dunsmuir (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16 [Newfoundland Nurses]).

[12]  La question à laquelle la juridiction de contrôle doit répondre est celle de savoir si, lorsqu’on l’examine dans son ensemble en tenant compte du contexte du dossier, la décision est raisonnable (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16).

III.  Analyse

A.  Rôle de la SAR

[13]  Avant de procéder au contrôle de la décision selon la norme de la décision raisonnable, il est utile de rappeler d’abord le rôle qu’est appelée à jouer la SAR lorsqu’elle est saisie de l’appel d’une décision rendue par la SPR.

[14]  Le rôle de la SAR se borne à intervenir si elle estime que la SPR a commis une erreur de droit, une erreur de fait ou une erreur de fait et de droit. Le contrôle auquel procède la SAR s’effectue selon la norme de la décision correcte. Toutefois, si elle conclut que la SPR a commis une erreur, la SAR doit poursuivre son analyse. Elle peut confirmer la décision de la SPR pour un autre motif. Ou, subsidiairement, la SAR peut renvoyer l’affaire à la SPR pour qu’elle rende une nouvelle décision en lui donnant les directives qu’elle juge appropriées, si elle estime qu’une décision confirmant ou annulant la décision de la SPR ne peut être rendue sans examiner les éléments de preuve présentés à la SPR (Huruglica, aux paragraphes 78 et 69).

B.  Positions des parties

[15]  Les parties s’entendent sur le fait que la conclusion cruciale de la SAR est celle selon laquelle elle n’a pas cru la demanderesse lorsqu’elle a affirmé que, le 20 mai 2016, Kennedy s’est présenté chez elle en compagnie de deux autres hommes, l’a menacée et a tiré un coup de feu à travers sa fenêtre parce qu’elle refusait de sortir de la maison pour lui parler.

[16]  La demanderesse soutient que la décision de la SAR est déraisonnable parce qu’elle n’est pas suffisamment justifiée, transparente et intelligible. Elle s’en prend surtout à la façon dont, selon elle, la SAR a traité le rapport conjoint présenté par son psychologue et son physiothérapeute et à la conclusion de la SAR suivant laquelle le rapport de police n’était ni fiable ni digne de foi.

[17]  Le défendeur affirme pour sa part que la SAR a suivi le processus énoncé dans l’arrêt Huruglica et a procédé à sa propre évaluation de la preuve. La SAR n’a relevé aucune erreur grave dans la décision de la SPR et, même si elle n’était pas d’accord avec certaines des conclusions de celle-ci, elle a convenu que la demanderesse n’avait pas réussi à établir le bien‑fondé de sa demande.

[18]  Le principal reproche que la demanderesse adresse à la SAR est le fait qu’au lieu d’examiner la situation dans son ensemble, la SAR a scruté la preuve à la loupe pour tirer ses conclusions en matière de crédibilité.

C.  Le rapport de police

[19]  La demanderesse formule deux reproches précis au sujet du traitement que la SAR a réservé au rapport de police rédigé à la suite des faits survenus le 20 mai 2016, au cours desquels Kennedy aurait tiré un coup de feu à travers la fenêtre de la chambre de la demanderesse.

1)  Description du véhicule conduit par Kennedy le 20 mai 2016

[20]  La demanderesse soutient qu’en se concentrant sur la description qu’elle avait donnée de la voiture que Kennedy conduisait lorsqu’il s’était rendu chez elle, la SAR a adopté une démarche injustifiée et trop zélée dans le but de repérer les incohérences dans son témoignage et de tirer une conclusion négative au sujet de sa crédibilité.

[21]  Le défendeur affirme pour sa part que la SAR a raisonnablement tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de la demanderesse, parce que l’incident relatif aux coups de feu tirés le 20 mai 2016 était un élément clé de la thèse de la demanderesse. La description donnée par celle-ci de la voiture que Kennedy conduisait ce jour-là se trouve dans le rapport de police. Le fait que le témoignage de la demanderesse divergeait de sa déclaration à la police est important.

[22]  La SPR avait fait observer que, selon ce qu’indiquait le rapport de police, la demanderesse avait déclaré que le véhicule conduit par Kennedy était un Land Cruiser Toyota de couleur grise, alors que, dans son formulaire de Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA), la demanderesse avait affirmé qu’il s’agissait d’un Range Rover bleu. Questionnée par la SPR au sujet de cette divergence, elle avait répondu que les véhicules n’étaient pas son point fort.

[23]  La demanderesse a affirmé devant la SAR que les divergences constatées au sujet de la description qu’elle avait donnée du véhicule n’étaient qu’un détail mineur, qui ne pouvait à lui seul justifier la SPR de conclure que l’incident du coup de feu ne s’était pas produit, ou que Kennedy n’existait pas.

[24]  La SAR a examiné le rapport de police à la lumière du témoignage donné par la demanderesse à l’audience de la SPR et de l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA. Elle a trouvé problématique la divergence observée quant à la marque et à la couleur du véhicule conduit par Kennedy le 20 mai 2016.

[25]  Même si, de façon générale, la marque et la couleur du véhicule n’avaient qu’une importance secondaire par rapport à l’incident, il s’agissait d’un élément important pour la demanderesse, qui l’a mentionné à plusieurs reprises. Dans son formulaire FDA, elle avait déclaré qu’il s’agissait d’un Range Rover bleu. Dans le rapport de police, la demanderesse avait affirmé que c’était un Land Cruiser Toyota gris. Et dans le témoignage qu’elle a donné à l’audience, elle a dit qu’il s’agissait d’un Land Cruiser gris.

[26]  La SAR a estimé que ces détails étaient importants aux yeux de la demanderesse, puisqu’elle avait spontanément donné des précisions sur la marque et la couleur de la voiture. Elle n’avait pas été invitée à fournir des détails, mais elle avait chaque fois précisé le modèle et la couleur. Dans le rapport de police, elle a même indiqué la couleur, la marque et le modèle.

[27]  Après avoir examiné le dossier, je suis convaincue qu’on ne saurait qualifier d’« examen à la loupe » l’analyse faite par la SAR. Le problème que soulevaient les descriptions contradictoires données par la demanderesse au sujet du véhicule permettait raisonnablement de penser soit qu’elle donnait une version des faits exagérée pour la rendre plus crédible, soit qu’elle avait inventé cette histoire de toutes pièces depuis le début. Les conclusions qui ont été tirées appartiennent aux issues possibles et acceptables, d’autant plus qu’on n’avait pas demandé à la demanderesse de fournir autant de détails.

[28]  Interrogée au sujet des détails du véhicule par la SPR, la demanderesse a confirmé qu’il s’agissait d’un Land Rover, même si elle avait d’abord déclaré que c’était un Land Cruiser gris. La SAR a également fait observer que la demanderesse avait d’abord dit avoir entendu une voiture et non l’avoir vue. La SAR a conclu que ces précisions n’expliquaient pas comment la demanderesse savait que la voiture était un Land Cruiser, alors qu’elle avait affirmé plus tôt dans son témoignage qu’elle ne connaissait pas très bien les voitures et que [traduction] « les voitures [n’étaient] pas son point fort ».

2)  Divergences quant à la date de la rupture de la demanderesse et de Kennedy

[29]  Dans son formulaire FDA, la demanderesse a déclaré qu’elle et Kennedy s’étaient séparés en 2004. Mais dans le rapport de police, l’année indiquée est 2014. La demanderesse affirme que, lorsqu’elle s’était présentée au poste de police pour signaler l’incident du 20 mai 2016, elle avait fait sa déclaration par écrit, mais que le policier l’avait récrite et que c’est alors que l’erreur avait dû se glisser. Ensuite, lorsqu’elle avait relu le rapport, elle n’avait pas vu l’erreur.

[30]  La SAR a estimé qu’on ne pouvait établir avec certitude que la demanderesse avait d’abord écrit une déclaration, puis que cette déclaration avait été récrite par le policier.  Elle a conclu qu’il était plus probable que la demanderesse ait fait une déposition orale qui aurait été consignée ou transposée à l’écrit par le policier, parce qu’on trouve la mention suivante à la fin du rapport :

[traduction]

DÉCLARÉ PAR :  Pamela Birungi Lumala

CONSIGNÉ PAR :  ASP Bajibu Joseph

[31]  En outre, la SAR a conclu que, comme la demanderesse avait affirmé dans son témoignage qu’elle avait lu le rapport avant de le signer, elle en avait ainsi attesté l’exactitude, même si, comme elle le prétendait, il ne s’agissait que d’une simple erreur. En revanche, si elle avait fait une déposition orale au policier qui l’avait ensuite consignée par écrit, la probabilité que ce dernier écrive 2014 au lieu de 2004 était plus faible. La SAR a conclu que la divergence de dates jetait le doute sur l’authenticité et la fiabilité du rapport de police.

[32]  Cette analyse de la SAR est raisonnable, et elle peut se justifier.

[33]  La demanderesse a fait valoir à la SAR que la SPR avait conclu que le rapport de police était frauduleux en se fondant sur l’abondance de documents frauduleux en Ouganda, sans avoir toutefois jamais mentionné directement le rapport de police en question.

[34]  La SAR a examiné soigneusement le rapport de police et a relevé certaines irrégularités :

  • - un genre d’en-tête figurait à la première et à la troisième page du rapport, mais pas à la deuxième;

  • - le nom du poste de police avait été écrit à la main par-dessus un autre mot;

  • - selon l’estampille qui apparaissait au bas de la première et de la troisième page, le document provenait du « NSANGI POLICE POST », alors qu’il était écrit dans l’en‑tête qu’il s’agissait de la « NSANGI POLICE STATION »;

  • - à la première et à la troisième page se trouvent le nom et la signature de la demanderesse, qui confirme qu’elle a lu le document et en atteste le contenu. Par contre, ni son nom ni sa signature ne se retrouvent sur la deuxième page.

[35]  Après avoir reconnu que les documents provenant de pays en voie de développement n’étaient pas toujours aussi complexes que ceux produits en Amérique du Nord, la SAR a conclu que les irrégularités en question étaient inusitées, surtout lorsqu’on les comparait avec des spécimens d’autres documents officiels de police ougandais, comme des sommations ou des mandats d’arrestation. La SAR a par conséquent conclu que le rapport de police n’était pas fiable et elle ne lui a accordé aucun poids à titre d’élément de preuve.

[36]  Le défendeur fait valoir que le vrai problème n’était pas tant les nombreuses divergences relevées dans le rapport de police, aussi bien en ce qui concerne la voiture que la date de la séparation, mais plutôt les explications fournies par la demanderesse.

[37]  Il était loisible à la SAR de ne pas accepter l’explication donnée par la demanderesse lorsqu’elle a déclaré avoir pris connaissance du rapport de police et l’avoir signé sans avoir remarqué la différence de date entre 2004 et 2014.

[38]  Lorsqu’il s’est avéré que le témoignage de la demanderesse ne concordait pas avec la description de la voiture conduite par Kennedy qui figurait dans le rapport de police établi à ce moment-là, était également loisible à la SAR de juger insatisfaisante l’explication de la demanderesse suivant laquelle elle ne s’y connaissait pas très bien en voitures, puisque, dans le témoignage qu’elle avait donné devant la SPR, elle avait déclaré non pas une, mais trois fois, qu’il s’agissait d’un véhicule sport utilitaire.

[39]  L’analyse du rapport de police effectuée par la SAR est claire. Son raisonnement est transparent, intelligible et justifié. Il n’appartient pas à notre Cour de remettre en question l’ensemble des conclusions de la SAR, envers laquelle il convient de faire preuve de beaucoup de retenue, ni de réexaminer la preuve dont disposait la SAR.

D.  La preuve psychologique

[40]  La demanderesse a été reçue en entrevue par un psychothérapeute agréé qui était sous la supervision directe d’un psychologue agréé. Au total, on a fait passer à la demanderesse quatre tests sur une période d’environ une heure. Le diagnostic qui en a résulté était que la demanderesse souffrait d’anxiété et de dépression graves à la suite de ce qu’elle avait vécu en Ouganda. Elle vivait de l’isolement social, des changements dans ses habitudes de sommeil, des réminiscences, des pensées envahissantes et persistantes et des troubles cognitifs. On lui a diagnostiqué un syndrome de stress post-traumatique à déclenchement différé.

[41]  Les auteurs du rapport étaient d’avis que si l’on demandait à la demanderesse de retourner en Ouganda, ses symptômes s’aggraveraient et causeraient probablement de fortes perturbations. Les auteurs du rapport psychologique recommandaient fortement qu’on lui reconnaisse la qualité de réfugiée et qu’on l’autorise à demeurer au Canada [traduction] « car elle sembl[ait] être une personne motivée qui aspire à devenir un membre productif de la société ».

[42]  Le traitement recommandé dans le cas de la demanderesse était de suivre une thérapie de soutien pour régler ses problèmes psychologiques ou émotionnels liés à sa situation avant et après son immigration au Canada.

[43]  La demanderesse affirme que les tests auxquels les auteurs se sont fiés pour rédiger leur rapport et formuler leurs conclusions sont pertinents par rapport aux conclusions défavorables ayant été tirées au sujet de sa crédibilité à la suite de son témoignage. Contrairement à la SPR, la SAR a reconnu que la demanderesse avait été victime de mauvais traitements dans le passé, mais elle n’a pas tenu compte du fait que ces mauvais traitements avaient pu avoir eu des incidences sur son témoignage à l’audience de la SPR, ce qui pouvait expliquer les supposées incohérences.

[44]  Le défendeur souligne que la SAR a bel et bien examiné le rapport psychologique et reconnu que la demanderesse avait été victime de mauvais traitements dans le passé. Quant aux incidences possibles de ces violences sur le témoignage de la demanderesse, le défendeur souligne que le problème ne réside pas dans le fait que la demanderesse a parfois pu perdre le fil de ses pensées au cours de son témoignage, mais plutôt dans les contradictions directes entre celui-ci et son formulaire.

[45]  La thèse exposée par la demanderesse au sujet de la preuve psychologique ne m’a pas convaincue, et ce, pour plusieurs raisons.

[46]  Premièrement, il est important de bien situer dans son contexte le traitement que la SAR a réservé à la preuve psychologique en cause. La SAR a infirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le rapport psychologique ne pouvait être accepté parce que les renseignements provenaient de la demanderesse, et que celle-ci avait été jugée non crédible. La SAR a plutôt conclu que la demanderesse avait autrefois été victime de mauvais traitements, et a signalé les années de violence conjugale dont celle-ci avait fait état dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA.

[47]  La SAR a par ailleurs fait observer qu’elle devait faire preuve de prudence parce que les auteurs du rapport psychologique et ceux de la lettre du Centre canadien pour victimes de torture (CCVT) ne s’étaient pas limités à présenter un avis d’expert, mais avaient défendu les intérêts de la demanderesse. Elle a rappelé que le juge Mosley avait prévenu, dans l’affaire Molefe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 317, aux paragraphes 31 à 33, que ces situations étaient problématiques.

[48]  Malgré le fait que le rapport et la lettre épousaient, jusqu’à un certain point, les intérêts de la demanderesse au lieu de se limiter à exprimer un avis, la SAR a conclu qu’il était plus probable que le contraire que la demanderesse avait été victime de mauvais traitements de la part d’un ex-conjoint, et qu’elle présentait toujours divers symptômes en raison de ces mauvais traitements.

[49]  Deuxièmement, les observations présentées à la SAR n’indiquaient pas que le témoignage de la demanderesse avait pu avoir été influencé par ses problèmes de santé mentale. Le rapport psychologique ne laissait pas entendre non plus que la demanderesse aurait du mal à témoigner. Quant à la thèse de la demanderesse, il s’agit en fait de spéculations formulées après l’audience.

[50]  Ici, il est essentiel de ne pas perdre de vue le diagnostic qui a été effectivement posé par des professionnels de la santé mentale. Selon les résultats des tests de dépistage psychologique, la demanderesse souffrait d’anxiété et de dépression graves et ses symptômes se manifestaient par de l’isolement social, des changements dans ses habitudes de sommeil, des réminiscences, des pensées envahissantes et persistantes et des troubles cognitifs. On lui a recommandé de suivre une thérapie de soutien pour régler ses problèmes.

[51]  On trouve dans le dossier sous-jacent plusieurs lettres de soutien rédigées à peu près à la même époque que le rapport psychologique et la lettre du CCVT. On y brosse un tableau fort différent de la capacité de la demanderesse à interagir socialement. On y indique que la demanderesse avait [traduction] « de bonnes relations » et une [traduction] « éthique de travail à toute épreuve » à la maison Adam, où elle vivait. La lettre de la Dominion Church International mentionne que la demanderesse s’était portée volontaire auprès des enfants et que ses services étaient « inestimables ». Elle s’occupait de la garde des enfants pendant l’école du dimanche et aidait au service d’accueil. Une autre lettre qualifie la demanderesse de [traduction] « solide membre de la communauté, qui a les deux pieds sur terre et qui fait preuve de résilience et d’espoir malgré son horrible passé ».

[52]  À part une brève allusion à des troubles cognitifs, rien dans le rapport psychologique n’étaye l’argument selon lequel le témoignage de la demanderesse devant la SPR pourrait avoir été affecté par ses problèmes de santé mentale. Le rapport signalait que la demanderesse avait l’impression que sa mémoire et sa concentration avaient diminué, ajoutant qu’elle avait recours à des aide-mémoire, comme un journal intime. Rien dans le rapport ne permettait à la SAR de penser que la demanderesse aurait ou pourrait avoir de la difficulté à témoigner.

[53]  Enfin, la demanderesse affirme qu’en discutant du rapport psychologique à la fin de sa décision, après avoir déjà conclu qu’elle n’était pas crédible, la SAR a évalué le rapport en fonction de cette conclusion. La demanderesse avance qu’en réalité, la SAR a effectué l’analyse à l’envers. Elle cite le jugement Belahmar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 812 (Belahmar) à l’appui de sa thèse.

[54]  Les faits de l’espèce sont différents de ceux de l’affaire Belahmar. Dans cette affaire, les auteurs du rapport médical avaient conclu, et carrément affirmé, que l’aptitude à témoigner du demandeur était compromise, et qu’il aurait probablement de la difficulté à se souvenir des dates à l’audience (Belahmar, au paragraphe 8). Si, dans l’affaire Belahmar, la SPR avait examiné le rapport médical et s’en était servi pour évaluer la crédibilité du demandeur, cela aurait pu avoir eu une incidence sur le résultat. Or, comme nous l’avons déjà précisé, le rapport psychologique de la demanderesse ne renferme en l’espèce aucune conclusion ou déclaration médicale aussi claire. Rien ne permet de conclure que l’ordre dans lequel la SAR a rédigé sa décision a eu une incidence sur l’issue finale.

[55]  Au vu du dossier, je ne suis pas convaincue que la façon dont la SAR a analysé et traité le rapport psychologique était déraisonnable. La preuve versée au dossier appuie les conclusions de la SAR.

IV.  Conclusion

[56]  Dans l’arrêt Siad c Canada (Secrétaire d’État), 67 ACWS (3d) 978, au paragraphe 24, [1997] 1 CF 608 (CAF), la Cour d’appel fédérale a ainsi défini le point de départ de l’examen des décisions fondées sur la crédibilité et les exigences auxquelles le décideur doit satisfaire lorsqu’il rejette une demande pour manque de crédibilité :

Le tribunal se trouve dans une situation unique pour apprécier la crédibilité d’un demandeur du statut de réfugié. Les décisions quant à la crédibilité, qui constituent « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » doivent recevoir une déférence considérable à l’occasion d’un contrôle judiciaire, et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve.

[57]  Bien que la SAR ait droit à un degré de déférence élevé, il n’est même pas nécessaire de l’invoquer en l’espèce, puisqu’aucune erreur justifiant l’infirmation de sa décision n’a été commise. Le résultat obtenu et le processus suivi à cette fin sont en harmonie l’un avec l’autre, au vu du dossier et de la preuve dans son ensemble.

[58]  La décision est raisonnable. La demanderesse sait pourquoi la SAR est arrivée au résultat en question, et elle comprend le processus par lequel elle y est arrivée. Il ne s’agit pas de savoir si la Cour en serait arrivée à la même conclusion. Les critères de justification, de transparence et d’intelligibilités de l’arrêt Dunsmuir ont été respectés.

[59]  La décision et les conclusions relatives à la crédibilité n’ont pas été tirées de manière abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte de la preuve.

[60]  La demande est rejetée.

[61]  Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier compte tenu des faits de l’espèce.


JUGEMENT dans l’affaire IMM-5023-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de juillet 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée

.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5023-17

 

INTITULÉ :

PAMELA BIRUNGI LUMALA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 JUIN 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

Michael Korman

 

POUR La demanderesse

 

Kevin Doyle

 

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman and Korman LLP

Avocats et procureurs

Toronto (Ontario)

 

POUR La demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR Le défendeur

 

 

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