Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040113

Dossier : T-283-00

Référence : 2004 CF 40

                                                              ACTION IN REM CONTRE

                                               LE NAVIRE « GERTRUDE OLDENDORFF »

                                                                     ET IN PERSONAM

ENTRE :

                                                          GOODMAN YACHTS LLC

                                                                                                                                          demanderesse

                                                                                  et

                                       PENGUIN BOAT INTERNATIONAL LIMITED,

MARITIME CLAIMS & SERVICES PTE. LTD.,

RICHARD HOWE,

NEW RESOLUTION SHIPPING CORP.,

EGON OLDENDORFF

                          et les propriétaires et autres personnes ayant un intérêt

                                     dans le navire « GERTRUDE OLDENDORFF »

                                                                                                                                                  défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                 Cette action porte sur la perte d'un yacht important, qui était transporté comme cargaison en pontée de Singapour à Vancouver (Colombie-Britannique) à la demande de son propriétaire américain. L'action est subrogée à une compagnie d'assurance de Singapour, qui présente une réclamation de 1 750 000 $US.


[2]                  La présente requête de la défenderesse de Singapour, Penguin Boat International Limited (Penguin), vise l'obtention d'une somme additionnelle de 100 000 $ à titre de cautionnement pour dépens.

[3]                 Ce dossier est sous le régime de gestion d'instances. À partir de cette perspective, j'ai pu constater que ce litige n'a pas été facile pour les parties en cause. Ceci est notamment le cas pour Penguin, cette dernière ayant au début des procédures raté l'occasion d'examiner l'objet en litige. L'objet en question, un ber pour le transport des yachts qui s'est effondré, a été construit par Penguin sur des plans préparés et approuvés par une autre partie. Les débris de cet objet avaient été déchargés à Vancouver, suite à une ordonnance du tribunal visant leur garde. Ces événements sont venus ajouter au fardeau imposé à Penguin et à ses avocats.

[4]                 La demanderesse réside à l'extérieur du Canada et elle n'a pas d'actifs au Canada. Penguin a donc obtenu une ordonnance interlocutoire en février 2002, fixant le cautionnement pour dépens à la somme de 50 000 $. Ce cautionnement prend la forme d'une lettre de garantie de la Royal and Sun Alliance du Canada, une succursale de la compagnie d'assurance étrangère qui est subrogée en l'espèce. L'ordonnance ajoutait qu'on pouvait s'adresser à nouveau à la Cour pour obtenir une somme additionnelle à titre de cautionnement pour dépens, au besoin.


[5]                 La présente requête de Penguin est accompagnée d'un projet de mémoire de dépens allant jusqu'à la fin du procès, le tout pour une somme de 161 010,95 $. Il ne s'agit pas d'un mémoire de dépens à taxer. Il contient, comme il est normal, plusieurs chiffres estimatifs. Une requête pour obtenir un cautionnement pour dépens n'est pas une taxation. Toutefois, la décision sur une telle requête suppose un examen de l'aspect raisonnable de ce qui est recherché en cautionnement, compte tenu du fait qu'un mémoire de dépens présenté dans un tel contexte peut adopter une approche assez optimiste. Une telle approche ne doit pas être poussée trop loin, puisqu'il existe toujours la possibilité que la question ne se rende pas au procès ou bien que certains articles soient réduits par l'officier taxateur à la fin du processus.

[6]                 Il faut aussi établir un équilibre entre un cautionnement raisonnable, d'une part, et le préjudice causé à la partie qui doit le fournir, d'autre part. Le cautionnement pour dépens ne doit pas constituer un fardeau indu, qui découragerait une partie de procéder dans le cadre d'un litige important et légitime. Toutefois, en l'espèce le fardeau imposé à la demanderesse n'est pas important puisque le cautionnement n'est qu'une lettre de garantie d'une de ses sociétés affiliées et qu'il n'immobilise pas d'actifs précis.


[7]                  Comme je l'ai dit, le mémoire de dépens porte sur la somme de 161 010,95 $. Bien qu'il ne s'agisse pas ici d'une taxation, certains articles sont peu étayés. Toutefois, dans le contexte je n'adopte pas l'approche très stricte par laquelle on rejette dans le calcul du cautionnement pour dépens tous les articles sauf ceux qui sont très bien étayés, formule privilégiée par l'avocat de la demanderesse et adoptée par M. le juge McKeown dans Faulding (Canada) Inc. c. Pharmacia S.P.A. (1997) 138 F.T.R. 73 (C.F. 1re inst.), une affaire qui ne porte que sur le cautionnement pour frais prévu à l'article 60 de la Loi sur les brevets.

[8]                 La décision Faulding a fixé ce qui était un cautionnement raisonnable à ce moment-là, au vu du cautionnement requis par l'article 60 de la Loi sur les brevets. Dans cette affaire, une compagnie canadienne contestait les droits du titulaire d'un brevet canadien. Dans une telle situation, il est très probable que la demanderesse, une compagnie canadienne, pourrait à la fin des procédures payer toute somme additionnelle fixée pour les dépens. Ce n'est pas la situation qui existe en l'espèce, puisqu'il est clair qu'en définitive, à la fin des procédures le cheval aura quitté l'écurie depuis longtemps. Rien ne vient garantir que la demanderesse américaine, qui semble-t-il importe à l'occasion des yachts, pourra être assignée en paiement.

[9]                 Je ne retiens pas non plus la jurisprudence de la Colombie-Britannique qui porte sur l'obtention de services d'avocats de l'extérieur pour des affaires traitées en Colombie-Britannique, ce qui fait que les frais de voyage de ces avocats ne sont pas pris en compte dans les débours lors d'une taxation. Ceci peut tout à fait être justifié comme mesure d'économie dans un litige de nature provinciale. Toutefois, une telle formule n'est pas nécessairement applicable en Cour fédérale, celle-ci ayant une portée géographique beaucoup plus grande. Il est donc admissible d'obtenir un cautionnement pour des frais de voyage raisonnables.


[10]            La Cour fédérale a deux caractéristiques pertinentes. Premièrement, elle est un tribunal canadien accessible à tous les justiciables au Canada, dans le cadre de sa compétence, et ces justiciables peuvent non seulement utiliser les greffes locaux, mais ils peuvent aussi retenir les services d'avocats canadiens quelle que soit la localisation de leur bureau au Canada. Deuxièmement, elle est aussi d'une certaine façon un tribunal international accessible aux justiciables étrangers qui ont un intérêt qu'ils peuvent venir défendre en Cour fédérale au Canada, ou qui se trouvent poursuivis dans le cadre d'une affaire canadienne. Ces justiciables, qui sont souvent très au courant des affaires et qui ont des liens établis avec des cabinets d'avocats au Canada, doivent dans la mesure du raisonnable pouvoir choisir les avocats qu'ils désirent, quel que soit le lieu au Canada où ces avocats pratiquent. Il ne serait pas non plus raisonnable d'exiger dans tous les cas qu'un cabinet d'avocats canadien retienne les services d'un agent extérieur ou donne des instructions à un avocat d'une de ses succursales pour traiter toutes les questions qui exigeraient par ailleurs le déplacement d'avocats. Je pense ici aux circonstances spéciales de certains litiges, ainsi qu'au fait que les avocats de l'extérieur ou d'une autre succursale d'un cabinet donné peuvent ne pas avoir la familiarité requise avec la question en litige ou avec la procédure en Cour fédérale. Mes observations sont de nature générale et bien sûr elles ne seraient pas applicables à tous les cas, notamment à l'étape de la taxation, un officier taxateur pouvant à bon droit considérer qu'il n'y avait pas lieu de retenir les services d'avocats fort chers d'une des extrémités du pays pour traiter d'une action peu importante à l'autre extrémité du pays.


[11]            Comme je l'ai fait remarquer, bien que le mémoire de dépens déposé par Penguin soit généralement raisonnable, il comporte des articles moins bien étayés. Je constate aussi que le total des dépens qui font déjà l'objet d'une caution de 50 000 $ et de la demande d'une caution additionnelle de 100 000 $, n'est que de 11 000 $ inférieur aux 161 010,95 $ prévus dans le projet de mémoire de dépens. Si je fais le meilleur calcul possible au vu des éléments dont je dispose pour obtenir une somme raisonnable, je considère que cette différence de 11 000 $ n'est pas tout à fait aussi généreuse qu'elle le devrait. Par conséquent, je fixe le cautionnement additionnel pour dépens à la somme de 95 000 $.

[12]            Le fait de dire que l'accueil de cette demande peut encourager d'autres parties à rechercher un cautionnement n'est pas une raison de la rejeter. À supposer même que la théorie de l'ouverture des vannes ait jamais été légitime, elle n'est pas applicable ici.


[13]            L'avocat de la demanderesse a convenu que le coût réel du cautionnement à fournir par la compagnie d'assurance subrogée est minime, mais il a soutenu que le cautionnement demandé devrait être versé en deux étapes, une première pour la présente requête à fournir maintenant et, au besoin, une deuxième lors d'une requête à venir pour un cautionnement pour dépens lié à la conférence préparatoire et à l'instruction. Le coût d'une troisième requête pour obtenir un cautionnement pour dépens serait considérable, alors qu'elle n'est pas nécessaire en l'espèce. Compte tenu de ces facteurs, le cautionnement pour dépens de 95 000 $ devra être déposé en deux parts. La première, pour la somme de 45 000 $, sera fournie sous la forme d'une lettre de garantie, semblable à celle qui a déjà été donnée, dans les 45 jours, sinon l'action sera suspendue et Penguin pourra solliciter réparation afin que cette affaire ne traîne pas indéfiniment.

[14]            La deuxième part, pour la somme de 50 000 $, produite sous une forme semblable, devra être déposée après la conférence préparatoire, si à ce moment-là on demande de fixer la date de l'instruction. Ce sera le rôle du juge ou du protonotaire chargé de la conférence préparatoire d'établir un échéancier raisonnable, à la fois pour Penguin et pour la demanderesse, prévoyant le dépôt de ce cautionnement et les conséquences d'un défaut.

[15]            S'agissant des dépens de la présente requête, je constate que Penguin a eu raison pour une bonne part mais pas pour tout, et que les deux parties avaient des arguments valables. Par conséquent, les dépens suivront l'issue de la cause.

           « John A. Hargrave »        

        Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                  T-283-00

INTITULÉ :                                                    GOODMAN YACHTS LLC

c.         

                                                                PENGUIN BOAT INTERNATIONAL LTD., MARITIME CLAIMS & SERVICES PTE. LTD., RICHARD HOWE, NEW RESOLUTION SHIPPING CORP., EGON OLDENDORFF et les propriétaires et autres personnes ayant un intérêt dans le navire « GERTRUDE OLDENDORFF »

LIEU DE L'AUDIENCE :                                        Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 12 JANVIER 2004

MOTIFS :                                                                      LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

COMPARUTIONS :

Hein Poulus                                                                     POUR LES DÉFENDEURS

Roger Watts                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Stikeman Elliott LLP                                                     POUR LES DÉFENDEURS

Vancouver

McEwen, Schmitt & Co.                                               POUR LA DEMANDERESSE       

Vancouver


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.