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Date : 20190531


Dossier : T‑1619‑17

Référence : 2019 CF 770

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2019

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

CAP. IAN SMITH

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, à l’encontre d’une décision rendue par l’arbitre en chef en matière disciplinaire de la Gendarmerie royale du Canada (l’arbitre), qui a confirmé la décision de l’autorité disciplinaire selon laquelle le demandeur a contrevenu à une disposition du Règlement sur la Gendarmerie royale du Canada, DORS/2014‑281. Le demandeur a reçu une réprimande écrite et deux jours de congés annuels lui ont été retirés.

[2]  Dans son Avis de demande, le demandeur sollicite de la Cour :

1. Une ordonnance annulant la décision dont le numéro est ACMT2016‑335388, rendue le 14 septembre 2017 par l’arbitre de niveau II et communiquée au demandeur le 25 septembre 2017, et que la Cour y substitue par ordonnance la conclusion selon laquelle l’allégation I n’était pas fondée;

2. Les frais de la présente demande;

3. Toute autre réparation que la Cour estime juste.

II.  Le contexte

[3]  Le demandeur, le caporal Ian Smith (le cap. Smith), qui est maintenant agent du renseignement, est membre de la GRC depuis 2011, et en 2015, il a été affecté au Groupe d’enquête sur les bandes de motards criminalisées (le groupe d’enquête).

[4]  À Calgary, des locaux à bureaux ont été fournis au groupe d’enquête constitué de trois personnes. Le cap. Smith a entrepris des démarches afin de sécuriser les locaux à bureaux : il a obtenu des clés et s’est assuré d’en restreindre l’accès au groupe d’enquête.

[5]  Le cap. Smith a commencé un bref congé le 23 août 2015 et, avant de partir, a baissé les stores et fermé à clé la porte de son bureau. Un classeur sécurisé servant à la conservation des renseignements confidentiels et protégés avait aussi été apporté avant le départ en congé du cap. Smith. Le 25 août 2015, des superviseurs de la GRC, le sergent Leatherdale et l’inspecteur Bennett, sont entrés dans les locaux à bureaux. D’autres membres du groupe d’enquête étaient aussi absents ce jour‑là. Le bureau du cap. Smith était accessible à l’aide de la même clé que celle laissée dans la porte d’une salle de dossiers. Les superviseurs ont été en mesure d’accéder à une multitude de documents protégés dans les locaux à bureaux et dans le bureau du cap. Smith.

[6]  L’une des questions litigieuses avait trait à la manière dont certains renseignements protégés avaient été conservés par le cap. Smith. Les dossiers de sources confidentielles étaient conservés par la GRC au moyen de certains codes. Les dossiers « Protégé C » contiennent des renseignements qui peuvent permettre l’identification d’une source et qui sont assujettis à des mesures de sécurité accrues. Les dossiers « Protégé B » contiennent des renseignements liés aux activités criminelles, mais ne contiennent pas de renseignements permettant l’identification d’une source, et, comparativement aux dossiers « Protégé C », ils sont assujettis à des niveaux de sécurité moindres.

[7]  Une enquête menée au titre du code de déontologie a commencé le 2 septembre 2015; il s’agissait de savoir si le cap. Smith et d’autres membres du groupe d’enquête avaient omis de manipuler et de conserver des renseignements protégés de façon sécuritaire et avaient par conséquent contrevenu au code de déontologie. Le surintendant De Champlain (l’autorité disciplinaire) a examiné les allégations suivantes :

[traduction]

Le ou vers le 25 août 2015, à Calgary ou près de cette ville, en Alberta, le caporal Ian Smith a omis de s’assurer que les documents étaient correctement manipulés et conservés de façon sécuritaire dans l’espace de travail du groupe, notamment, les documents de catégories « Protégé B » et « Protégé C » et les pièces n’étant pas adéquatement traitées.

Il est donc affirmé que le caporal Ian Smith a contrevenu aux dispositions de l’article 4.2 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

« Les membres font preuve de diligence dans l’exercice de leurs fonctions et de leurs responsabilités, notamment en prenant les mesures appropriées afin de prêter assistance à toute personne exposée à un danger réel, imminent ou potentiel. »

[Italique dans l’original.]

[8]  Le cap. Smith a demandé que l’autorité disciplinaire se récuse en raison d’une crainte raisonnable de partialité découlant du fait que l’autorité disciplinaire a conclu qu’un autre caporal (le caporal 2) avait violé le code de déontologie dans les mêmes circonstances. L’autorité disciplinaire a refusé de se récuser.

[9]  L’autorité disciplinaire a décidé que l’allégation était établie et a ordonné le retrait de deux jours des congés annuels au cap. Smith. De plus, l’autorité disciplinaire lui a infligé une réprimande écrite. Une allégation additionnelle liée à la conservation inadéquate d’une arme à feu n’a pas été prouvée selon la prépondérance des probabilités. Le cap. Smith a saisi l’arbitre de l’appel interjeté contre la décision de l’autorité disciplinaire.

III.  La décision

[10]  L’arbitre a examiné les prétentions du cap. Smith selon lesquelles la décision de l’autorité disciplinaire [traduction« était fondée sur des manquements à l’équité procédurale, était entachée d’erreurs de droit et était manifestement déraisonnable ». Après avoir résumé les diverses observations du cap. Smith, l’arbitre a rejeté l’appel.

[11]  Sur le fondement du paragraphe 33(1) des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014‑289 (les Consignes), l’arbitre a établi qu’afin d’obtenir gain de cause, le cap. Smith devait démontrer que la décision constituait un manquement au principe d’équité procédurale, était entachée d’une erreur de droit ou était manifestement déraisonnable.

[12]  Selon l’arbitre, il n’y a pas eu de manquement au principe d’équité procédurale découlant de la partialité, parce qu’il [traduction« n’a pas été établi qu’une personne raisonnablement informée pouvait raisonnablement percevoir de la partialité de la part du défendeur simplement parce qu’il avait apparemment conclu, sur le fondement de faits semblables à ceux de l’espèce, que le caporal 2 avait commis une inconduite ».

[13]  De façon semblable, l’arbitre a décidé qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale découlant de la participation antérieure de l’autorité disciplinaire aux questions de gestion ou de la réception de renseignements qui le prédisposeraient à un certain point de vue. L’arbitre a conclu que le refus de l’autorité disciplinaire de se récuser ne créait pas une crainte raisonnable de partialité.

[14]  L’arbitre a conclu que le fait d’exiger du cap. Smith qu’il fournisse une preuve en réponse à l’allégation ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale. Selon l’arbitre, le cap. Smith était suffisamment au courant des accusations portées contre lui pour être en mesure de se préparer à répondre à l’allégation.

[15]  L’arbitre a déterminé que la perquisition du bureau du cap. Smith n’était ni un manquement à l’équité procédurale ni une erreur de droit. La jurisprudence et les politiques de la GRC invoquées par le cap. Smith ne s’appliquaient pas à son argument selon lequel la perquisition constituait une erreur susceptible de révision.

[16]  Après avoir résumé le raisonnement de l’autorité disciplinaire, l’arbitre a décidé que la conclusion selon laquelle le cap. Smith n’avait pas correctement manipulé les documents protégés dans les circonstances données n’était pas entachée d’une erreur de droit.

[17]  Avant d’examiner de manière approfondie le caractère raisonnable de la décision de l’autorité disciplinaire, l’arbitre a répété que le régime législatif exige qu’un niveau élevé de retenue soit démontré. Selon l’arbitre, l’exigence d’après laquelle le cap. Smith devait démontrer que la décision de l’autorité disciplinaire est manifestement déraisonnable peut être interprétée comme étant une norme de décision manifestement déraisonnable.

[18]  L’arbitre a conclu que le cap. Smith n’avait pas réussi à démontrer que la décision de l’autorité disciplinaire constituait un manquement à l’équité procédurale, qu’elle était manifestement déraisonnable ou qu’elle était entachée d’une erreur de droit. Le 14 septembre 2017, l’arbitre a rejeté l’appel.

IV.  La question préliminaire – la présentation de la nouvelle preuve

[19]  Une question préliminaire devant être tranchée a trait à l’admissibilité d’une nouvelle preuve qui n’a pas été présentée à l’arbitre. Plus précisément, le cap. Smith a présenté un affidavit, qui a été souscrit le 7 décembre 2017, presque trois mois après que la décision de l’arbitre eut été rendue. De plus, après l’audience, en décembre 2018, le demandeur a déposé une requête en vue de présenter comme nouvelle preuve un communiqué de la GRC portant sur les renseignements « Protégé B » et « Protégé C ».

[20]  Le défendeur soutient que le cap. Smith ne devrait pas être autorisé à présenter la nouvelle preuve. La Cour est du même avis.

[21]  La règle générale est que la preuve qui aurait pu être présentée au décideur est irrecevable devant la cour de révision (Première Nation’Namgis c Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 149, au paragraphe 4; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, au paragraphe 13 (Bernard); Canada (Commissaire à l’intégrité du secteur public) c Canada (Procureur général), 2014 CAF 270, au paragraphe 4).

[22]  Bien qu’il existe bon nombre d’exceptions à cette règle générale, la seule qui pourrait s’appliquer à l’affidavit de décembre 2017 est l’exception relative à l’équité procédurale. Au paragraphe 25 de l’arrêt Bernard, cette exception permet d’admettre la nouvelle preuve qui « porte sur une question de justice naturelle, d’équité procédurale, de but illégitime ou de fraude dont le décideur administratif n’aurait pas pu être saisi et qui n’intervient pas dans le rôle du décideur administratif comme juge du fond ».

[23]  L’affidavit ne contient aucun élément de preuve relatif à l’une ou l’autre des questions susmentionnées qui n’aurait pas pu être soumise à l’arbitre. L’affidavit de décembre 2017 contient plutôt des renseignements généraux sur le déroulement des faits qui ont mené à l’enquête, le processus d’enquête et la rencontre disciplinaire. Par conséquent, cette exception à la règle générale d’inadmissibilité ne s’applique pas.

[24]  Le communiqué de la GRC ne fournit aucun renseignement nouveau et pertinent qui exige qu’il soit admissible à titre d’exception à la règle générale. Le communiqué de la GRC constitue un rappel qu’il faut manipuler correctement les documents « Protégé B », et il décrit les exigences relatives à l’envoi de tels renseignements par courriel. En ce qui concerne les renseignements « Protégé C », le communiqué de la GRC expose simplement les exigences relatives à l’envoi de ces renseignements à une autre personne au Canada. La Cour conclut que le communiqué de la GRC ne sert pas les intérêts de la justice et ne l’aide pas à déterminer si la décision de l’arbitre était raisonnable ou si elle a violé les droits procéduraux du cap. Smith.

[25]  La nouvelle preuve du cap. Smith contenue dans l’affidavit du 7 décembre 2017 et dans le communiqué de la GRC ne sera pas examinée par la Cour. La requête en vue de l’admissibilité du communiqué de la GRC est rejetée.

V.  Les questions en litige

[26]  Le demandeur expose les questions litigieuses de la manière suivante :

  • (1) Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de niveau II de l’arbitre en chef en matière disciplinaire?

  • (2) L’arbitre en chef en matière disciplinaire a‑t‑il appliqué de manière inappropriée la norme de la décision manifestement déraisonnable à la décision de niveau I du surintendant De Champlain en examinant l’appel du cap. Smith?

  • (3) À quel degré d’équité procédurale le cap. Smith avait‑il droit lors de la rencontre disciplinaire?

  • (4) L’arbitre en chef en matière disciplinaire a‑t‑il omis de fournir des motifs suffisants pour justifier sa décision?

  • (5) L’arbitre en chef en matière disciplinaire a‑t‑il manqué à son obligation d’exiger que le surintendant De Champlain fournisse des motifs suffisants pour justifier la décision prise lors de la rencontre disciplinaire concernant le cap. Smith?

  • (6) L’arbitre en chef en matière disciplinaire a‑t‑il commis une erreur en ne concluant pas que le contexte qui sous‑tendait la décision du surintendant De Champlain a entraîné une crainte raisonnable de partialité?

[27]  La Cour a reformulé les questions litigieuses de la manière suivante :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. L’arbitre a‑t‑il commis un manquement à l’équité procédurale?

  3. La décision de l’arbitre était‑elle raisonnable?

VI.  La norme de contrôle applicable

[28]  La norme de contrôle applicable à l’interprétation qu’a donnée l’arbitre  à sa loi constitutive ainsi qu’aux manuels de politiques de la GRC est celle de la décision raisonnable. La norme de contrôle applicable aux conclusions de l’arbitre relatives aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit est aussi celle de la décision raisonnable (Kalkat c Canada (Procureur général), 2017 CF 794, au paragraphe 52 (Kalkat)).

[29]  Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). La Cour devrait intervenir uniquement si la décision était déraisonnable et qu’elle n’appartenait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[30]  Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à une question d’équité procédurale est celle de la décision correcte. La Cour est d’accord que le poids de la jurisprudence mène à ce que la norme de la « décision correcte » soit appliquée à la question de l’équité procédurale (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 799, au paragraphe 11). Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a déclaré que lorsqu’elle effectue un contrôle portant sur l’équité procédurale, une « cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » (Chemin de fer Canadien Pacifique limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 54).

VII.  Les observations du demandeur

[31]  Selon le demandeur, l’arbitre a commis une erreur lorsqu’il a décidé d’appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable pour réviser la décision de l’autorité disciplinaire. Le demandeur soutient que l’arbitre s’est fondé sur des affaires qui ne s’appliquent plus à l’extérieur de l’étroite fenêtre juridique. Le demandeur soutient en outre que les Consignes ne peuvent renverser un principe fondamental du droit administratif, à savoir qu’une décision déraisonnable ne doit pas être maintenue.

[32]  Le demandeur affirme que lorsqu’on applique les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC) (Baker), il est clair que le cap. Smith avait droit à un degré élevé d’équité procédurale, près de l’extrémité « judiciaire » ou « quasi‑judiciaire » de l’échelle procédurale, et que, en l’espèce, il y a eu bon nombre de manquements à l’équité procédurale. Premièrement, le demandeur fait valoir que l’arbitre ne s’est pas assuré que la décision de l’autorité disciplinaire contenait des motifs suffisants. Deuxièmement, le demandeur conteste l’inclusion des notes d’un autre agent dans la décision de l’autorité disciplinaire. Enfin, le demandeur répète que le refus de l’autorité disciplinaire de se récuser constitue un manquement à l’équité procédurale découlant d’une crainte raisonnable de partialité.

VIII.  Les observations du défendeur

[33]  Le défendeur soutient qu’il était approprié pour l’arbitre d’appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable à la décision de l’autorité disciplinaire et que, dans son ensemble, la décision de l’arbitre était raisonnable en ce que ce dernier a déterminé que la décision de l’autorité disciplinaire contenait des motifs suffisants.

[34]  Selon le défendeur, le fait d’inclure les notes d’un autre agent dans la décision de l’autorité disciplinaire n’était pas inapproprié, et il a soutenu que l’arbitre avait raison de conclure que le refus de l’autorité disciplinaire de se récuser ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale découlant d’une crainte raisonnable de partialité.

IX.  Analyse

A.  La norme de contrôle choisie par l’arbitre

[35]  Les parties sont en désaccord quant à la question de savoir si l’arbitre a commis une erreur dans son interprétation du paragraphe 33(1) des Consignes du commissaire (griefs et appels) (DORS/2014‑289), qui est libellé ainsi :

Décision du commissaire

Decision of Commissioner 

33 (1) Lorsqu’il rend une décision sur la disposition d’un appel, le commissaire évalue si la décision qui fait l’objet de l’appel contrevient aux principes d’équité procédurale, est entachée d’une erreur de droit ou est manifestement déraisonnable

33 (1) The Commissioner, when rendering a decision as to the disposition of the appeal, must consider whether the decision that is the subject of the appeal contravenes the principles of procedural fairness, is based on an error of law or is clearly unreasonable.

[36]  En choisissant la norme de contrôle applicable, l’arbitre interprétait une loi étroitement liée à la loi constitutive. Par conséquent, la norme de la décision raisonnable s’applique à la décision de l’arbitre (Kalkat, précitée, au paragraphe 52). Cela signifie que la norme de contrôle choisie par l’arbitre doit appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

[37]  Monsieur le juge Michael Manson a examiné cette question au paragraphe 62 de la décision Kalkat et a statué qu’ :

[62]  […] étant donné qu’il est expressément indiqué que la décision doit être « nettement déraisonnable » et prenant en compte la traduction de l’expression, je conclus que le Délégué n’a commis aucune erreur. Il est raisonnable d’interpréter la norme de la décision « nettement déraisonnable » comme si elle équivalait à la norme de la décision « manifestement déraisonnable » dans le contexte du plan législatif et sur celui des principes.

[38]  L’arbitre a effectué une analyse approfondie pour en arriver à la conclusion que la norme de la décision manifestement déraisonnable s’appliquait à la décision de l’autorité disciplinaire. Dans son analyse, l’arbitre a examiné la jurisprudence applicable, le sens du terme « manifestement », ainsi que le libellé en français du paragraphe 33(1). La conclusion de l’arbitre selon laquelle la norme de contrôle applicable était celle de la décision manifestement déraisonnable est justifiable, transparente et intelligible. La Cour est d’accord qu’il s’agissait là d’une conclusion raisonnable.

B.  L’équité procédurale

[39]  Le cap. Smith affirme qu’une application des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker à la présente affaire fait en sorte qu’un niveau élevé d’équité procédurale est requis (Baker, au paragraphe 23). La Cour est du même avis.

[40]  Le processus auquel le cap. Smith a participé était de nature hautement juridictionnelle. Par conséquent, un niveau très élevé d’équité procédurale était requis, voir Baker, précité, au paragraphe 23. Le régime législatif entraîne également un niveau très élevé d’équité procédurale en raison du paragraphe 45.16(9) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (LRC 1985, c R‑10), parce que la « décision du commissaire portant sur un appel est définitive et exécutoire ». L’issue de cette décision est très importante pour le cap. Smith, car elle pourrait avoir indéfiniment des répercussions sur sa carrière. Cela exige un niveau très élevé d’équité procédurale (Baker, précité, au paragraphe 25). En résumé, le demandeur a droit à un niveau très élevé d’équité procédurale.

C.  L’équité procédurale – le caractère adéquat des motifs

[41]  La première question en ce qui concerne l’équité procédurale est celle de savoir si l’arbitre a commis une erreur en concluant que les motifs de la décision de l’autorité disciplinaire étaient suffisants. Dans certaines circonstances données, il est essentiel de fournir des motifs suffisants et intelligibles pour assurer l’équité procédurale (Baker, précité, au paragraphe 43). L’existence d’un droit d’appel prévu par la loi et l’importance que revêt la décision pour le cap. Smith exigeaient que des motifs écrits soient rendus.

[42]  La décision de l’autorité disciplinaire énonce des motifs suffisamment détaillés pour permettre au cap. Smith de comprendre les conclusions qui lui sont opposées. Ces motifs sont intelligibles, exposent clairement les allégations formulées contre le cap. Smith et décrivent les facteurs qui ont mené à la décision. L’arbitre n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que les motifs fournis étaient adéquats.

[43]  L’arbitre a relevé que le cap. Smith a eu plusieurs occasions de présenter des observations détaillées et qu’il les a saisies. L’arbitre souligne également les faits qui se sont produits le 25 août 2015 de façon assez détaillée, aux paragraphes 17 à 25 de sa décision. Des paragraphes 26 à 53, il y a un aperçu détaillé du processus d’enquête et un aperçu des diverses observations présentées par le cap. Smith. Une longue analyse menant à la conclusion se trouve aux paragraphes 54 à 113. Dans cette analyse, l’arbitre a examiné les arguments du cap. Smith concernant les manquements à l’équité procédurale, l’analyse portant sur la conservation de renseignements confidentiels et protégés (pour les renseignements « Protégés B » et « Protégés C »), ainsi que l’analyse portant sur la norme de contrôle. Lorsqu’elle examine la décision de l’arbitre dans son ensemble, la Cour conclut que des motifs suffisants avaient été fournis pour justifier les conclusions que l’arbitre a tirées.

D.  L’équité procédurale – l’identité du décideur

[44]  Le cap. Smith estime qu’il [traduction« avait le droit de savoir qui rendait la décision, et ce droit a été bafoué lorsque l’agent a fondé ses conclusions factuelles sur l’existence de conclusions tirées par un autre agent dans la décision de l’autorité disciplinaire ». Le cap. Smith soutient que l’arbitre a commis une erreur lorsqu’il n’a pas pris en compte la source des renseignements. La Cour n’est pas convaincue par cet argument.

[45]  Dans sa décision, l’autorité disciplinaire décrit explicitement les documents et les éléments de preuve sur lesquels elle s’est fondée pour rendre sa décision. Plus précisément, l’autorité disciplinaire indique qu’elle a tenu compte des circonstances entourant l’inspection du bureau par les deux superviseurs. Il est évident que l’autorité disciplinaire s’est fondée sur le libellé d’un rapport préliminaire préparé par un autre sergent qui décrivait l’inspection des locaux à bureaux par les deux superviseurs. Il est aussi indubitable que l’autorité disciplinaire était le décideur de première instance. Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale à cet égard. Par conséquent, l’arbitre n’a pas commis d’erreur en omettant d’en trouver une.

E.  L’équité procédurale‑ la crainte de partialité

[46]  La dernière question est celle de savoir si l’arbitre a commis une erreur dans son évaluation selon laquelle le refus de l’autorité disciplinaire de se récuser n’a pas créé de crainte raisonnable de partialité.

[47]  L’argument du demandeur résulte de la rencontre disciplinaire tenue par l’autorité disciplinaire pour le caporal 2 qui était liée aux mêmes faits survenus le 25 août 2015. Le cap. Smith a soutenu que, pour l’essentiel, le caporal 2 et lui étaient des « coaccusés » aux fins de l’enquête menée en application du code.

[48]  Invoquant l’analogie des coaccusés, le cap. Smith a déclaré que [traduction« les conclusions des tribunaux canadiens en droit criminel donnent à penser qu’une pratique exemplaire exige que lorsqu’un juge a statué sur l’affaire d’un coaccusé découlant des mêmes faits, le juge doit se récuser afin de ne pas siéger lors du procès de l’autre accusé ».

[49]  L’arrêt R c GH, OJ no 3635, 2002 (CA ONT) que le cap. Smith invoque étaye en fait la conclusion qu’il n’y a pas eu de crainte raisonnable de partialité de la part de l’autorité disciplinaire. Dans cet arrêt (au paragraphe 8), la Cour d’appel de l’Ontario a statué que le défaut de se conformer à la pratique exemplaire, telle qu’elle est décrite ci‑dessus, ne crée pas de crainte raisonnable de partialité.

[50]  De plus, l’argument avancé par le demandeur est fondé sur une mauvaise compréhension du principe de la crainte raisonnable de partialité. Il n’est pas très utile de débattre des meilleures pratiques en matière de droit criminel. Il convient plutôt de s’attarder au contexte précis dans lequel l’autorité disciplinaire a rendu sa décision. À cet égard, au paragraphe 47 de l’arrêt Baker, madame la juge L’Heureux‑Dubé a déclaré que « le test relatif à la crainte raisonnable de partialité pouvait varier, comme d’autres éléments de l’équité procédurale, selon le contexte et le genre de fonction exercée par le décideur administratif concerné ».

[51]  Au paragraphe 12 de la décision Calandrini c Canada, 2018 CF 52, monsieur le juge Richard Mosley en dit plus sur ce contexte :

[12]  En vertu des anciennes procédures, les manquements au code de déontologie étaient renvoyés aux comités d’arbitrage. Cela avait entraîné un arriéré substantiel, puisque les comités traitaient l’ensemble des manquements, graves et moins graves. À la suite des changements mis en œuvre en 2014, les manquements au code qui auraient pu être traités au niveau du groupe, du secteur ou de la direction générale étaient renvoyés au c.div. de chaque niveau pour la tenue de rencontres disciplinaires avec le membre visé.

[52]  Il est clair que les modifications procédurales avaient pour objectif de faciliter la conclusion rapide des audiences disciplinaires au sein des groupes de la GRC. Il serait incompatible avec un tel objectif d’exiger qu’un agent différent mène une enquête sur chaque personne soupçonnée d’avoir enfreint le code de déontologie dans une situation précise.

[53]  Une décision d’après laquelle il existe une crainte raisonnable de partialité ne doit pas être prise à la légère, comme l’ont déclaré les juges majoritaires dans l’arrêt R c S (RD), [1997] 3 RCS 484 :

[484]  La jurisprudence indique qu’il faut établir une réelle probabilité de partialité et qu’un simple soupçon est insuffisant. L’existence d’une crainte raisonnable de partialité sera entièrement fonction des faits. Il faut faire preuve de rigueur pour conclure à la partialité et la charge d’établir la partialité incombe à la personne qui en allègue l’existence.

[54]  Le demandeur n’a présenté aucune preuve, autre que le simple fait que l’autorité disciplinaire a aussi mené une enquête disciplinaire concernant le caporal 2. L’arbitre a conclu de manière correcte qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale découlant d’une crainte raisonnable de partialité.

F.  La norme de la décision raisonnable

[55]  Pour la plupart des mêmes motifs liés à la question du prétendu manquement à l’équité procédurale, la Cour conclut que la décision de l’arbitre, lorsqu’elle est lue dans son ensemble, est justifiée, transparente et intelligible et qu’elle appartient aux issues acceptables pouvant se justifier.

[56]  Plus précisément, comme l’allégation portait sur le traitement des renseignements confidentiels et protégés, l’arbitre a examiné et pris en compte la preuve et les observations du cap. Smith sur cette question précise. Lorsqu’il a mené une telle analyse, l’arbitre a relevé que certains des renseignements (tels que les rapports d’affranchissement et les reçus de paiement de la source) qui devaient être conservés dans le classeur sécurisé n’y étaient en fait pas conservés (renseignements « Protégé C »). À cet égard, l’arbitre a consacré du temps à la lettre d’opinion fournie par un autre bureau et sur laquelle s’était appuyé le cap. Smith, mais il a néanmoins conclu que cette lettre d’opinion ne concordait pas avec la façon dont le cap. Smith avait manipulé les renseignements protégés en question. Selon la lettre d’opinion, certains renseignements peuvent au départ être « Protégés B » dans le cadre du dossier opérationnel et doivent être conservés ensemble dans le dossier administratif, et, collectivement, ils deviennent « Protégé C » et doivent être conservés sécuritairement comme tels. L’arbitre a pris en compte la lettre d’opinion et l’argument du cap. Smith selon lequel certains des renseignements se trouvant dans son bureau étaient [traduction« en transition » et allaient être conservés à l’endroit approprié à son retour de congé (décision de l’arbitre, paragraphes 82 à 91).

[57]  Bien que les arguments et les explications du cap. Smith aient été rejetés, la décision de l’arbitre soulignait néanmoins les faits, résumait toutes les observations faites par le cap. Smith et énonçait des motifs intelligibles et transparents et justifiait ses conclusions.

X.  Conclusion

[58]  Pour tous les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier T‑1619‑17

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de juin 2019.

L. Endale, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1619‑17

 

INTITULÉ :

CAP. IAN SMITH c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 septembre 2018

 

Jugement et motifS :

Le juge FAVEL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 31 mai 2019

 

COMPARUTIONS :

John K. Phillips

Otto Phillips

 

Pour le demandeur

 

Darcie Charlton

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waddell Phillips PC

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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