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Date : 20190531


Dossier : IMM-2644-18

Référence : 2019 CF 773

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2019

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

MOUDATOU DIALLO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Madame Moudatou Diallo fait une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent d’immigration principal le 8 mai 2018. Cette demande de contrôle judiciaire est faite en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27) [la Loi]. Cette décision est relative à une demande qui était faite d’obtenir la résidence permanente au Canada sans avoir à faire cette demande à partir de l’extérieur du pays comme requis par la Loi.

[2]  L’agent d’immigration principal (le décideur) a jugé que les considérations d’ordre humanitaire invoquées par la demanderesse ne suffisaient pas pour justifier que les règles habituelles pour l’obtention de la résidence permanente ne soient pas respectées. J’arrive à la conclusion que le décideur a rendu une décision qui n’est pas révisable parce qu’elle n’est ni déraisonnable ni sujette à révision pour violation d’une règle d’équité procédurale.

I.  La décision sous contrôle judiciaire

[3]  La demanderesse est maintenant âgée de 55 ans. Elle a obtenu un visa de visiteur, émis à la mission canadienne à Dakar, au Sénégal. Son pays de nationalité est cependant la Guinée. Le visa émis le 11 décembre 2012 a été utilisé par Mme Diallo de telle sorte qu’elle est arrivée au Canada, à titre de visiteur, le 18 février 2013. Moins de trois semaines plus tard, elle tentait d’entrer aux États-Unis, mais sous une fausse identité. Elle a été dépistée par les agents américains et, semble-t-il, une escarmouche a suivi. C’est ainsi que, le jour même, elle est retournée au Canada où, cette fois, elle refuse de coopérer avec les autorités canadiennes et ne s’identifie pas à l’aide de documents permettant d’établir qui elle est. C’est ainsi qu’elle est détenue et ne sera relaxée, sous conditions, que quatorze jours plus tard.

[4]  Ayant revendiqué le statut de réfugiée, elle est considérée comme une personne vulnérable, faisant en sorte que les mesures d’adaptation d’ordre procédural sont adoptées devant la Section de la protection des réfugiés. Sa demande d’asile auprès de celle-ci est rejetée le 4 mars 2015. Sa demande de contrôle judiciaire est aussi rejetée, cette fois le 18 août 2015.

[5]  Ce sera le 11 janvier 2016 qu’une demande d’obtention de résidence permanente, invoquant des motifs d’ordre humanitaire, était présentée. C’est cette demande qui fait l’objet de la décision du 8 mai 2018. Les considérations à être examinées sont les suivantes :

  • a) L’état de santé de la demanderesse et les besoins de soins médicaux;

  • b) Son établissement au Canada;

  • c) Les risques et les conditions défavorables dans son pays de nationalité, la Guinée, incluant la discrimination dont elle souffrirait en raison de son origine ethnique, de ses opinions politiques et de son genre.

[6]  Le décideur a examiné chacune de ces allégations pour conclure que la preuve présentée n’était pas suffisante pour les établir. D’entrée de jeu, le décideur rappelle que la décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est une mesure exceptionnelle pour laquelle le fardeau repose sur la demanderesse qui doit ainsi convaincre que sa situation personnelle est telle que les difficultés liées à l’obtention d’un visa de résident permanent depuis l’étranger ne devraient pas être requises étant donné les considérations humanitaires.

[7]  Le décideur examine l’ampleur de l’établissement de Mme Diallo au Canada et constate le peu d’information qui a été fournie à cet égard. Ainsi, elle se fait peu bavarde sur sa vie passée et ses liens avec son pays d’origine. Au Canada, elle fournit aussi peu d’information au sujet de sa vie en dehors du bénévolat dont elle se réclame. Elle a bien sûr des liens avec des personnes ici, mais le décideur note qu’il serait surprenant qu’il n’y en ait aucun après avoir passé déjà cinq ans au Canada. C’est ainsi que le décideur conclut qu’il n’y a pas de preuve suffisante pour conclure à un tissu social important au Canada.

[8]  De ce qu’il est possible de répertorier, il semble bien que la majorité des membres de sa famille soit demeurée dans son pays d’origine. De fait, la mère de la demanderesse et quatre de ses enfants, ses frères et sœurs sont toujours en Guinée. Durant son temps en Guinée, elle aurait été une femme d’affaires relativement prospère et autonome ce qui lui a donc permis de voyager aux États-Unis et en Europe à de nombreuses reprises. Mais encore ici, la demanderesse se serait faite peu bavarde à l’égard de ses liens avec son pays d’origine. Le décideur note le commentaire suivant fait par le bureau de Dakar au moment de décider d’accorder un visa à Mme Diallo :

« … Marchande, mariée avec 5 enfants: A plusieurs visas Schengen pour affaires et avait un visa de 3 ans pour les États-Unis. Semble avoir beaucoup voyagé, démontre des économies assez importantes sur deux comptes bancaires. Documents d’immatriculation de son commerce et d’une voiture. Plusieurs factures d’importations pour son commerce. Un titre foncier, réservation d’hôtel à 800 $.

Sujet semble avoir une bonne situation en Guinée, et a beaucoup voyagé. Le fait qu’elle n’a pas de contact au Canada et pas de motif déclaré autre que 15 jours de tourisme me dérange un peu, mais elle montre un bon historique de voyage, une implication dans le commerce et plusieurs liens familiaux dans son pays. Sur la balance des probabilités, je suis convaincu de son motif de retour.»

[En italique et gras dans la décision, p. 6 de 14.]

[9]  L’absence de preuve d’établissement outre un établissement minimal fait en sorte que le décideur écarte cet élément, se disant d’avis « que son établissement au Canada ne l’emporte pas sur son établissement dans son pays d’origine » (décision, page 6 de 14).

[10]  C’est au titre des problèmes médicaux que la demanderesse se plaint le plus de la décision. Le décideur note que les documents provenant de praticiens de la santé qui lui sont présentés sont essentiellement les mêmes que ceux qui avaient été déposés devant la Section de la protection des réfugiés qui avait refusé sa demande; rien de nouveau à cet égard. Il se satisfait du résumé qui en a été fait par la Section de la protection des réfugiés. J’en donne lecture :

« (26) La demandeure d’asile a fourni des rapports psychologiques rédigés par le Dr Devins, la Dre Benes, et le Dr Hersler[sic]. Selon le Dr Devins, la demandeure d’asile présente les caractéristiques liées au diagnostic suivant : présence d’un trouble schizo-affectif, de type dépressif et manifestation d’un état post traumatique conjugué à des symptômes dissociatifs de gravité moyenne. Quant à la Dre Benes, elle a diagnostiqué chez la demandeure d'asile un état de stress post traumatique accompagné de caractéristiques psychotiques. Enfin, la demandeur [sic] d’asile a été diagnostiquée par le Dr Hesler [sic] comme présentant un trouble psychotique indéterminé, un trouble dépressif majeur et un état de stress post traumatique… ».

[En italique dans la décision, p. 7 de 14.]

[11]  De fait, personne ne remet en doute les problèmes de santé mentale qui ont affligé la demanderesse. Ni le ministre, ni la Section de la protection des réfugiés, ni le décideur en l’espèce ne doutent des difficultés de santé. Elle souffre de dépression et éprouve des problèmes d’ordre mental.

[12]  Par ailleurs, le décideur semble mettre une certaine emphase sur le fait que ces difficultés apparaissent comme étant survenues à la suite de son arrestation par l’agent d’immigration américain alors qu’elle tentait d’y entrer illégalement. Mais les difficultés ne sont pas niées. Ainsi, dans un rapport du Dr Devins, qui est un psychologue, daté du 19 octobre 2013, il note que « the treatment she received at the US border crossing no doubt exacerbated her distress and compromised her mental health » [traduction] « le traitement qu’elle a subi au passage frontalier aux États-Unis a, sans aucun doute, exacerbé sa détresse et affecté sa santé mentale » (p. 3 de 7). Dans son rapport du 10 février 2014, le Dr Hershler y déclare que :

Ms. Diallo has experienced major psychosocial stressors over the last year, including the destruction of her own store in Guinea, the disappearance of a number of her family members (related to political conflict in her country), the rape of her adopted daughter, her need to flee the country and seek refuge in Canada and a very traumatic experience at the border between Canada and United States that appears to have been the primary precipitant for her depressive and anxiety symptoms.

[traduction]

Mme Diallo a subi des facteurs de stress psychologique importants au cours de la dernière année, incluant la destruction de son magasin en Guinée; la disparition d’un bon nombre des membres de sa famille (en raison du conflit politique qui fait rage dans son pays); le viol de sa fille adoptive; la nécessité de fuir son pays et de venir trouver refuge au Canada; puis une expérience très traumatique à la frontière entre le Canada et les États-Unis, qui semble avoir été le déclencheur principal de ses symptômes dépressifs et anxieux.

[Rapport Dr Hershler, pp. 3-4 de 5.]

[13]  On doit noter que la demanderesse est plutôt venue au Canada sur un visa de visiteur; ce n’est qu’après sa tentative d’entrer aux États-Unis qu’elle a voulu être reconnue comme réfugiée au Canada. Sa demande aura été rejetée d’ailleurs. Il semble bien que son désir de visiter deux de ses enfants qui résident aux États-Unis ait été une motivation pour sa tentative de franchir la frontière en étant déguisée et munie d’un faux passeport canadien. Le rapport du Dr Devins indique que « (s)eparation from her children is an ongoing source of unhappiness, distress, and deprives her of much-needed love and affection » [traduction] « la séparation de ses enfants demeure une source constante de malheur et de détresse, et la prive d’amour et d’affection très nécessaires » (p. 3 de 6).

[14]  Le décideur met aussi en exergue le rapport du médecin traitant la demanderesse qui indique ce qui suit :

« She has shown herself to be both compliant and increasingly reliable since initiation of her medication and it is my opinion that she will continue do to so. »

[traduction]

« Elle s’est montrée à la fois respectueuse des consignes et de plus en plus fiable depuis le début de sa prise de médication, et je suis d’avis qu’elle continuera de l’être ».

[En italique dans la décision, p. 9 de 14.]

Il indique dans un rapport subséquent ce qui suit:

« She continues to present with disorganized thought process at times and it is unclear if this is a symptom of psychosis, versus a language, educational, or cultural barrier, [sic] Currently, my working frame is that my difficulty understanding and following Mr Diallo [sic] is best understood as a combination of language, cultural or educational barriers. She also faced with ongoing stressors that included limited contact with her children despite a wish to be in contact with them, poverty and uncertainty about her refugee status …».

[traduction]

« Elle présente toujours un processus de réflexion désorganisé et il n’est pas clair s’il s’agit du symptôme d’une psychose, ou d’un obstacle culturel ou lié à la langue ou à l’éducation. Pour le moment, je présume que ma difficulté à comprendre et à suivre Mme Diallo découle d’une combinaison d’obstacles culturels, de langue ou d’éducation. Elle subit également des facteurs de stress constants, incluant des communications limitées avec ses enfants malgré son souhait d’être en leur présence, la pauvreté, et l’incertitude quant à son statut de réfugiée [...]».

[En italique dans la décision, p. 9 de 14.]

Cela fait dire au décideur qu’il accepte que la demanderesse souffre de dépression, mais elle est soignée avec la médication prescrite. Elle est ainsi capable de fonctionner et participe à diverses activités de bénévolat, suit des cours d’anglais et se rend à la mosquée sur des bases régulières. Il est dit que :

À part la prise régulière de médicaments, nulle part dans cette documentation médicale, il est indiqué que la demanderesse poursuit une psychothérapie ou tout autre traitement sur une base régulière.

[En italique dans la décision, p. 9 de 14]

Notant que les ressources font défaut en Guinée, dans le secteur de la santé, le décideur constate qu’aucune documentation n’a été déposée au dossier démontrant que les médicaments dont Mme Diallo a besoin, ou même les soins de santé, lui seront refusés en Guinée. Les soins sont disponibles.

[15]  Le décideur ne voit pas sa tâche comme étant de tenter de comparer des systèmes de santé. Elle est plutôt de soupeser la preuve pour se satisfaire que la demanderesse peut avoir accès aux soins de santé puisqu’ils sont disponibles sans que celle-ci subisse de la discrimination à cet égard. Devant la preuve présentée, le décideur déclare que : « Je ne peux conclure que madame Diallo ne peut être soignée, avoir un suivi médical dans son pays d’origine ou qu’elle ne pourrait avoir accès aux soins de santé » (décision, p. 10 de 14). Aucune preuve, dit le décideur, n’a été déposée qui lui fasse conclure que Mme Diallo ne puisse être soignée dans son pays d’origine en n’ayant pas accès aux soins de santé. La situation de santé de Mme Diallo, même lorsque considérée avec les autres facteurs qui ont été soulevés par elle, ne suffit pas pour qu’elle puisse bénéficier d’une résidence qui ne peut être donnée que dans des circonstances exceptionnelles.

[16]  La demanderesse soumet que si elle retourne dans son pays d’origine, elle sera l’objet de discrimination. Le décideur note qu’elle a soumis une certaine documentation dans laquelle on retrouve des passages traitant de la discrimination envers les femmes, la violence domestique et les droits limités pour les femmes en cas de divorce. Mais le décideur ne peut faire de lien entre cette documentation et la situation de la demanderesse qui n’a subi aucune telle discrimination par le passé. À tout le moins, elle n’a pas démontré le contraire. De fait, certaines déclarations à son psychiatre tendent à démontrer le contraire :

She said that her father had money and she had a relatively nice childhood. She grew up in a city and attended school.

She shared that she used to be a business woman in Guinea who was doing well for herself until she became targeted by the government.

[traduction]

Elle a dit que son père avait des moyens financiers et qu’elle avait eu une enfance relativement agréable. Elle a grandi en ville et est allée à l’école.

Elle a dit qu’elle était une femme d’affaires en Guinée et qu’elle avait du succès, jusqu’à ce qu’elle devienne une cible du gouvernement.

[Décision, p. 11 de 14.]

De fait, Mme Diallo a étudié, a eu des enfants, deux conjoints, a été une commerçante prospère. Cela lui a permis de voyager en Europe, aux États-Unis et au Canada. Pour le décideur, ce n’est pas le profil d’une personne qui a subi de la discrimination. Aucune violence conjugale n’a été répertoriée avec son premier conjoint avec qui elle aura eu quatre enfants. Il n’a pas davantage été question de problèmes lors de sa séparation d’avec ce premier époux qui mène à une relation avec un deuxième homme. Pour le décideur, la preuve déposée ne permet pas de conclure qu’elle a fait l’objet de quelque discrimination que ce soit dans son pays d’origine, que ce soit en raison de son genre, de son appartenance ethnique ou pour toute autre raison.

[17]  La demanderesse a aussi allégué avoir été l’objet d’un viol dont elle aurait été victime le 28 septembre 2009 lors des violences perpétrées durant ce mois, violences qui sont démontrées. Alors qu’Amnistie internationale rapporte que les hôpitaux ont fourni la preuve d’agression à l’égard de femmes et de jeunes filles durant cette période, rien de tel n’est rapporté par la demanderesse. Pourtant, elle prétend avoir passé 2 semaines à l’hôpital à la suite d’un viol au cours duquel elle aurait été sévèrement battue. Le décideur constate qu’aucune preuve à cet effet n’a été produite que ce soient photographies, rapports médicaux, rapports de police, articles de journaux, déclarations de témoins ou toute autre preuve pertinente.

[18]  La preuve au sujet de l’implication politique de la demanderesse est vue comme étant tout aussi mince. On ne sait rien d’un profil politique qu’elle pourrait avoir. C’est ainsi qu’aucun poids n’est accordé à cette allégation.

[19]  Finalement, la demanderesse prétend que son commerce a été incendié en janvier 2013 et que ladite exaction soit le résultat de son appartenance au groupe ethnique Peul. Le décideur constate qu’il y a eu des incidents de pillage et de saccage en mai et juin 2013. Par ailleurs, la demanderesse n’a déposé aucune documentation relativement à ses activités commerciales. C’est ainsi qu’aucune preuve probante n’a fait l’objet d’un dépôt pouvant démontrer que le commerce a été incendié en janvier 2013. Encore ici, le décideur constate l’absence de photographies, rapports de police, articles de journaux ou toute autre documentation pertinente pour démontrer qu’elle aurait été ciblée pour son commerce.

[20]  Pour le décideur, la demanderesse avait une vie confortable en Guinée. Elle est une femme d’affaires mobile qui a démontré être familière avec les démarches d’immigration (elle a accouché à deux reprises aux États-Unis et a obtenu de multiples visas au cours des années). En fin de compte, « rien dans son profil n’indique qu’elle ne pourrait pas présenter une demande de résidence permanente en dehors du Canada tel que requis par la loi » (décision, page 13 de 14).

II.  La norme de contrôle judiciaire

[21]  La norme de contrôle judiciaire ne fait pas l’objet d’un débat entre les parties. La norme de la décision raisonnable s’applique à la demande de contrôle judiciaire relative à des considérations d’ordre humanitaire (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy], para 44). La demanderesse fait aussi valoir que le décideur aurait violé son droit à l’équité procédurale et une telle question requiert l’application de la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, para 79).

III.  Arguments et analyse

[22]  Je crains fort que la demanderesse ne soit tombée dans le piège de l’examen d’une décision administrative en procédant à une chasse aux trésors, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur quelconque (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 RCS 458, para 54), repris dans Kanthasamy par la minorité, au paragraphe 138. Comme il est dit, il faut considérer la décision comme un tout, dans son ensemble, pour en apprécier le caractère raisonnable. De plus, le seul fait de lancer des allégations ne saurait suffire.

[23]  Ainsi, la demanderesse aura fait de sa santé mentale son principal cheval de bataille sur contrôle judiciaire. Grand état est fait par la demanderesse d’un diagnostic de dépression. Pourtant, cela ne fait pas l’objet d’une contestation. De même, il n’est pas mis en doute qu’elle doive prendre ses médicaments quotidiennement pour traiter cette dépression. De fait, on note qu’elle a fait preuve de discipline à cet égard, ce qui a eu pour effet d’améliorer sa situation. Essentiellement on comprendra que les difficultés de santé mentale sont traitées par médication, ce qui permet à Mme Diallo de fonctionner. On n’indique pas qu’elle suive un traitement particulier à son cas et son état. Tant dans son mémoire des faits et du droit original que dans sa réplique à la position prise par la Couronne, qui de toute façon se recoupent considérablement, la demanderesse cherche à arguer que le décideur a choisi de ne pas lui accorder gain de cause sur la question de sa santé mentale pour des motifs de crédibilité. Ceci dit avec égard, ce n’est pas le cas, à mon avis. La crédibilité de la demanderesse a peu à voir avec les problèmes de santé qui sont de toute manière admis. J’ai déjà reproduit des extraits de la décision du décideur et, considérée dans son ensemble, sa décision conclut à une insuffisance de preuve quant à la gravité relative de la situation médicale de la demanderesse.

[24]  De la même manière, la demanderesse se plaint que le décideur s’est fondé dans une bonne mesure sur le fait que les problèmes de santé mentale auraient commencé après le départ de Guinée. Ce n’est pas la lecture que je fais des motifs du décideur. Il a décidé cette question relative à la santé mentale de la demanderesse sur une autre base. Je n’ai pas vu dans la décision une allusion que si les problèmes de santé mentale ont émergé au Canada, cela aurait quelqu’incidence sur une demande fondée sur des considérations humanitaires. D’ailleurs, on verrait mal en quoi cela aurait une pertinence sur la décision à rendre quant aux considérations humanitaires.

[25]  De fait, la demanderesse n’a pas été en mesure d’indiquer à quels endroits se trouveraient les inexactitudes au sujet de la teneur des rapports médicaux qui ont été répertoriés par le décideur. Ainsi, contrairement à ce que prétend la demanderesse, le décideur n’a pas écarté la preuve médicale. Il l’a considérée et en est venu à la conclusion que la gravité de la condition de Mme Diallo n’est pas de celle où une dispense des conditions de la Loi puisse être accordée. Le diagnostic n’est pas contesté et la crédibilité de la demanderesse n’est aucunement en jeu. En poursuivant son traitement, qui inclut la prise de médicaments, le décideur se dit d’avis qu’elle sera en mesure de fonctionner dans la société guinéenne, comme elle semble d’ailleurs fonctionner au Canada. On trouve des références à cet égard dans la preuve répertoriée. La Cour ne saurait en contrôle judiciaire peser à nouveau la preuve. Or, il n’a pas été démontré en quoi cette conclusion serait déraisonnable en ce qu’elle ne serait pas l’une des issues possibles acceptables en fonction des faits et du droit, étant donné que la décision est justifiée, et que le processus décisionnel est transparent et intelligible.

[26]  La demanderesse s’attaque aussi à la disponibilité des soins en Guinée si Mme Diallo doit y retourner. Encore ici, il me semble assez clair que la demanderesse est en désaccord avec la conclusion tirée par le décideur; cependant, cela ne constitue pas ce qui est requis pour avoir gain de cause lorsque la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité. Pour être raisonnable, il me semble qu’il doit y avoir une forme d’adéquation entre la situation médicale diagnostiquée d’une personne et la disponibilité des soins parce que le besoin en a été établi. Or, le décideur a conclu que la situation de santé de Mme Diallo, qui n’est pas niée, est, comme le dit l’un des experts présenté par la demanderesse, sous contrôle et s’est améliorée depuis qu’elle prend de façon plus disciplinée les médicaments qui lui ont été prescrits. Nous sommes bien loin, me semble-t-il, de la situation dans l’affaire Jang c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 996, citée par la demanderesse. Dans cette affaire, le diagnostic dont il était question était un risque très élevé de commettre une tentative de suicide, et d’y parvenir. À la lecture de la preuve présentée par la demanderesse dans la présente affaire, nous sommes bien loin d’une situation semblable.

[27]  La demanderesse aurait voulu que le décideur prenne en compte sa santé mentale dans son évaluation de son établissement au Canada. À mon avis, cet argument est sans valeur parce qu’il ne repose sur aucune preuve au dossier. De toute façon on se sait trop comment l’argument s’articulerait. Comme le disait le décideur, la demanderesse a choisi d’être peu bavarde à l’égard de sa situation tant en Guinée qu’ici au Canada. On ne trouve nulle part ce lien entre un état dépressif et l’établissement au Canada. De fait, le décideur savait très peu de chose à cet égard. C’était à la demanderesse de se décharger de ce fardeau qui est le sien. Au moment où la décision a été rendue, elle avait déjà passé cinq ans au Canada et, à l’évidence, son établissement ici reste minime, outre des activités de bénévolat qui ont été reconnues. Si tant est que l’établissement soit minime, on ne saurait dire quelle en est la raison. On note entre autres que le médecin traitant dit avoir des difficultés à comprendre la demanderesse, mais semble privilégier « un obstacle culturel ou lié à la langue ou à l’éducation » (décision, p. 9 de 14, reproduit au para 14 des présents motifs). Des difficultés de cet ordre expliqueraient certes un établissement limité. Quoiqu’il en soit, la preuve était pour ainsi dire inexistante.

[28]  La demanderesse s’est aussi lancée dans un argument relatif à la situation difficile qui pourrait l’attendre en Guinée, en particulier en parlant de discrimination à son égard pour ses convictions politiques et son appartenance à une communauté ethnique. Aucune preuve convaincante n’a été soumise quant à cette crainte, d’autant que, comme le note le décideur, il apparaît plutôt que le passé en Guinée aura été pour la demanderesse sans véritable difficulté particulière. Ce qui fait cruellement défaut pour cet aspect de l’affaire, comme d’ailleurs pour les autres, est une absence de démonstration que la décision, outre qu’elle ne plaise pas à la demanderesse, est déraisonnable au sens du droit administratif.

[29]  Enfin, la demanderesse soumet que le décideur aurait dû l’entendre puisque, selon elle, sa crédibilité comme témoin était en jeu. La demanderesse n’a pas tort de faire ressortir qu’il est une règle d’équité procédurale qu’une personne impliquée dans un processus administratif a le droit de participer, d’une manière valable, à l’exercice devant mener à une décision administrative. Je ne doute pas que lorsque la crédibilité d’un participant est au cœur d’une décision rendue, et en particulier dans le cadre d’une demande basée sur des considérations d’ordre humanitaire, une audition où le justiciable pourrait être entendu puisse être nécessaire.

[30]  La demanderesse argumente que la décision est fondée en grande partie sur sa crédibilité. Une lecture attentive des motifs donnés par le décideur ne permet pas d’accepter une telle conclusion. Je n’ai pu trouver nulle part sur quoi se fonde la prétention de la demanderesse lorsqu’elle écrit au paragraphe 37 de son mémoire des faits et du droit qu’« (i)l est soumis qu’en rendant une décision défavorable en grande partie fondée sur la crédibilité de la demanderesse […] ». Cette assertion n’a pas été démontrée.

[31]  Dans notre affaire, ce qui aura été déficient était la suffisance de la preuve à l’appui des prétentions générales de Mme Diallo. Je le répète, sa situation de santé médicale n’est pas mise en doute. La preuve objective est acceptée. Elle inclut que Mme Diallo est traitée grâce à des médicaments. De même, elle avait le fardeau de démontrer ses liens avec le Canada, ce qu’elle a choisi de faire de façon minimale. C’est la suffisance qui fait défaut à cet égard puisqu’elle n’a pas fourni de preuve à l’égard de sa situation en Guinée, pas plus que quant à sa situation au Canada. Des allégations générales ne permettent pas de satisfaire le fardeau de la preuve. Ce n’est pas la valeur du témoignage qui est mis en cause, c’est l’absence de preuve.

IV.  Conclusion

[32]  Il ressort de tout ceci que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Il n’y a pas de question satisfaisant l’article 74 de la Loi qui doit être certifiée. Il s’agit d’une affaire qui est fonction de ses faits particuliers.


JUGEMENT au dossier IMM-2644-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2644-18

INTITULÉ :

MOUDATOU DIALLO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

tORONTO, ONTARIO

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 AVRIL 2019

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 31 mai 2019

COMPARUTIONS :

Sonja Vucicevic

Pour lA demandERESSE

 

Norah Dorcine

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Services d’aide juridique du Centre francophone de Toronto

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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