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Date : 20190327


Dossier : T‑1510‑18

Référence : 2019 CF 380

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2019

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

DAVID LEDOUX, KELLIE LEDOUX ET LOUIE TANNER

demandeurs

et

PREMIÈRE NATION DE GAMBLER, COMITÉ DES ÉLECTIONS DE LA PREMIÈRE NATION DE GAMBLER, GORDON LEDOUX, CHARLENE TANNER et CURTIS DUCHARME

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Première Nation de Gambler a tenu des élections le 31 mai 2018. L’élection a donné lieu à une contestation judiciaire qui reflète le différend qui existe au sein de la Première Nation entre deux groupes qui s’en disputent le contrôle. Le différend se retrouve maintenant devant la Cour. Malheureusement, au lieu d’aller de l’avant avec l’audition du litige principal, les parties ont présenté des requêtes interlocutoires. La présente décision porte sur ces deux requêtes interlocutoires.

I.  Contexte

[2]  Aux élections de mai 2018, David Ledoux a été élu chef, et Kellie Ledoux ainsi que Louis Tanner ont été élus conseillers de la Première Nation de Gambler. Peu après, l’un des candidats défaits, Gordon Ledoux, a interjeté appel des résultats de l’élection auprès du Comité des élections de la Première Nation de Gambler, comme le prévoit la Loi électorale coutumière de la bande de la Première Nation de Gambler.

[3]  Le 14 juillet 2018, le Comité des élections a infirmé les résultats de l’élection et a ordonné la tenue d’un nouveau scrutin. Le Comité a énoncé son intention de rendre David Ledoux inhabile à se présenter à ce nouveau scrutin. Le 13 août 2018, les demandeurs ont déposé une demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler la décision du Comité des élections. Le 31 août 2018, le second scrutin a eu lieu à la suite duquel Gordon Ledoux a été élu chef, et Charlene Tanner ainsi que Curtis Ducharme ont été élus conseillers.

[4]  Depuis, toutefois, les demandeurs ont continué d’agir à titre de chef et de conseillers élus de la Première Nation de Gambler. Ils conservent le contrôle des activités quotidiennes de la Première Nation, de même que de son compte bancaire.

[5]  Le 8 août 2018, les demandeurs ont modifié leur avis de demande afin d’y ajouter le Comité des élections ainsi que Gordon Ledoux, Charlene Tanner et Curtis Ducharme comme défendeurs désignés. La demande de contrôle judiciaire est maintenant une instance à gestion spéciale au titre de l’article 383 des Règles, et le juge responsable de la gestion de l’instance a tenu quatre conférences de gestion d’instance visant à mettre l’affaire en état.

II.  Questions en litige et analyse

[6]  Le 20 décembre 2018, deux requêtes interlocutoires ont été déposées dans la présente affaire :

  1. Les demandeurs sollicitent un jugement déclaratoire leur accordant le contrôle de l’administration, de la gouvernance et des affaires financières de la Première Nation de Gambler, en attendant l’issue du recours en contrôle judiciaire;
  2. Les défendeurs sollicitent une ordonnance excluant Adam Touet et le W Law Group à titre d’avocats dans la présente instance, parce qu’ils sont en conflit d’intérêts.

Les requêtes ont été entendues conjointement, et la présente décision vise ces deux requêtes.

[7]  Ce serait un euphémisme de dire que la situation devant la Cour est troublante et regrettable. Deux groupes se disputent le contrôle de la Première Nation de Gambler. Il appert du dossier limité qui m’a été soumis qu’un des groupes semble avoir fait fi des préceptes fondamentaux de la primauté du droit et qu’il cherche maintenant à solidifier son contrôle au moyen d’une ordonnance de la Cour. En revanche, d’importantes questions ont été soulevées au sujet du processus d’appel électoral et de la façon dont le deuxième scrutin s’est déroulé. Le groupe qui a « remporté » le second scrutin présente maintenant une requête qui ne peut avoir pour effet que de prolonger le litige, retardant ainsi le règlement du différend pour la communauté. Malgré les efforts du juge responsable de la gestion de l’instance, ni les demandeurs ni les défendeurs ne semblaient enclins à accélérer l’audition du principal litige avant l’audition des présentes requêtes. Ils ont plutôt choisi d’intenter des procédures interlocutoires. Les intérêts et le bien‑être de la Première Nation semblent avoir été éclipsés par le conflit personnel entre les deux groupes. La Cour se trouve maintenant au milieu de ce conflit.

A.  La requête relative au contrôle

[8]  La requête des demandeurs vise à obtenir les mesures de réparation suivantes :

[traduction]

Un jugement déclaratoire selon laquelle les questions comme l’administration quotidienne, la prestation de services essentiels, les comptes créditeurs ordinaires, la gestion du personnel administratif, les mesures urgentes de protection des droits des membres, les souscriptions de polices d’assurance, les questions juridiques (à l’exclusion des affaires relatives à la présente demande de contrôle judiciaire) et les autres questions concernant l’administration et la gouvernance de la Première Nation de Gambler seront décidées par le chef et les conseillers élus le 31 mai 2018, jusqu’à nouvelle ordonnance de la Cour fédérale.

[9]  Essentiellement, les demandeurs souhaitent obtenir une injonction interlocutoire pour préserver le statu quo de facto, en attendant l’issue de leur recours en contrôle judiciaire.

[10]  Le critère relatif aux injonctions interlocutoires a récemment été résumé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5, au paragraphe 12 :

Dans l’arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., et plus tard dans l’arrêt RJR – MacDonald, la Cour a affirmé que les demandes d’injonction interlocutoire devaient respecter chacun des trois volets du test qui tire son origine de la décision de la Chambre des Lords dans American Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd. À la première étape, le juge de première instance doit procéder à un examen préliminaire du bien‑fondé de l’affaire pour décider si le demandeur a fait la preuve de l’existence d’une « question sérieuse à juger », c’est‑à‑dire que la demande n’est ni futile ni vexatoire. À la deuxième étape, le demandeur doit convaincre la cour qu’il subira un préjudice irréparable si la demande d’injonction est rejetée. Enfin, à la troisième étape, il faut apprécier la prépondérance des inconvénients, afin d’établir quelle partie subirait le plus grand préjudice en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond, selon que la demande d’injonction est accueillie ou rejetée.

[Renvois omis.]

(1)  Question sérieuse

[11]  Normalement, le point de savoir s’il y a une question sérieuse à juger est un seuil peu élevé; la partie requérante doit seulement établir que la demande n’est pas futile ni vexatoire. Toutefois, lorsque la Cour conclut que l’octroi de l’injonction donnerait en fait aux demandeurs la réparation qu’ils demandent dans le contrôle judiciaire sous‑jacent, un examen plus approfondi est nécessaire, et les demandeurs doivent être en mesure d’établir qu’il existe une forte apparence de droit (RJR‑MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, aux pages 338 et 339).

[12]  Bien que je sois porté à croire qu’en l’espèce, le jugement déclaratoire demandé donnerait aux demandeurs la réparation qu’ils demandent, de façon temporaire du moins, il n’est pas nécessaire que je tranche cette question en raison de la conclusion que je tire en ce qui concerne les deuxième et troisième éléments du critère.

(2)  Préjudice irréparable

[13]  Les demandeurs allèguent qu’ils subiraient un préjudice irréparable si l’injonction n’était pas accordée. Dans leurs observations écrites, les demandeurs affirment que [traduction] « la Cour a déjà jugé que les charges de chef et de conseillers jouissaient d’un prestige et d’une envergure de grande portée. Par conséquent, la perte de ces postes n’est pas une perte qui peut être réparée par des dommages‑intérêts. Par l’entremise du scrutin non autorisé, le groupe concurrent [en parlant des défendeurs individuels] a tenté de dépouiller les demandeurs de leurs postes électifs ».

[14]  De plus, les demandeurs affirment que la Première Nation de Gambler subirait un préjudice irréparable en raison de l’incertitude causée par la contestation électorale. Selon les demandeurs, les tiers ne savent pas avec certitude si ce sont les demandeurs ou les défendeurs individuels qui forment l’organe directeur compétent de la Première Nation, ce qui pourrait retarder l’obtention de financement et l’évolution des discussions sur le développement économique, et nuire aux efforts de règlement ou de promotion des revendications existantes au nom de la Première Nation. Les demandeurs ont déposé une lettre de l’avocat qui a représenté la Première Nation dans ces affaires, et dans laquelle il exprime ses préoccupations au sujet des répercussions de tout retard. La lettre ne fait toutefois pas état d’un problème pratique actuel et urgent associé à l’incertitude qui persiste.

[15]  Je ne suis pas convaincu. Les éléments de preuve que les demandeurs ont eux‑mêmes produits indiquent que ceux‑ci ont continué d’occuper les charges de chef et de conseillers de la Première Nation de Gambler depuis la décision du Comité des élections. Ils ont simplement « occupé le terrain », et rien ne permet de penser que leur autorité de facto est menacée pour le moment. Cette situation se distingue des faits des décisions citées par les demandeurs où des démarches étaient ou allaient être entreprises pour destituer les dirigeants élus ou pour les rendre inhabiles à se présenter aux élections.

[16]  De plus, les demandeurs affirment que la Première Nation subira un préjudice irréparable en raison de l’incertitude qui persiste quant à savoir qui sont le chef et les conseillers dûment élus. Cet argument chevauche les considérations relatives au troisième élément du critère d’une injonction interlocutoire : la prépondérance des inconvénients.

(3)  Prépondérance des inconvénients

[17]  Je conclus que l’argument des demandeurs au sujet des répercussions de l’incertitude persistante sur les intérêts de la Première Nation soulève trois problèmes. Premièrement, les demandeurs ne parlent pas au nom de la Première Nation dans la présente instance. Ils prétendent avoir [traduction« reconnu » la capacité des défendeurs individuels d’agir au nom de la Première Nation dans le cadre de la présente instance (j’en dirai plus à ce sujet plus loin). Dans la présente instance, les demandeurs ne parlent qu’en leur propre nom.

[18]  Deuxièmement, aucune preuve n’a été déposée, indiquant qu’une décision ou une action mettant en cause des tiers a été retardée ou mise en doute en raison de l’incertitude qui persiste. Dans son affidavit, le demandeur David Ledoux prétend qu’il existe des préoccupations, mais ne donne que peu d’exemples précis de problèmes réels ou pratiques. Il existe une lettre d’un organisme externe dans laquelle il cherche à savoir si les demandeurs possèdent l’autorité légitime de donner des directives à la Première Nation, mais rien n’indique que cette question persiste ou cause des difficultés pratiques persistantes.

[19]  Troisièmement, « [l]es arguments de paralysie administrative, de chaos et d’incertitude ne sauraient être proposés par les demandeurs. Ceux qui agissent en injonction interlocutoire devant la Cour sont présumés respecter la loi » (par le juge Marshall Rothstein dans la décision Lake St Martin First Nation c Woodford (2000), 99 ACWS (3d) 198, 2000 CanLII 16045 (CF 1re inst) (Lake St. Martin), au paragraphe 7). Le juge Rothstein poursuit ainsi :

[…] Il n’y aura paralysie, chaos et incertitude que si les candidats malheureux refusent d’accepter les résultats de l’élection en attendant l’issue du recours en contrôle judiciaire ou de l’appel. La paralysie, le chaos et la confusion causés par des demandeurs déboutés de leur requête en injonction interlocutoire et refusant de se conformer à la décision de la Cour, ne valent pas préjudice irréparable.

[20]  En l’espèce, j’estime que la situation est encore plus grave que celle décrite par le juge Rothstein dans la décision Lake St Martin. En l’espèce, les demandeurs ont remporté les élections, mais ont perdu l’appel devant le Comité des élections dûment constitué. Ils formulent une litanie de plaintes concernant la conduite du Comité des élections et ils ont introduit une demande de contrôle judiciaire pour infirmer la décision du Comité. Toutefois, les demandeurs n’ont présenté aucune demande pour obtenir un sursis à l’exécution de la décision du Comité des élections ou pour retarder le deuxième scrutin, ou y mettre fin. Ils ont plutôt simplement ignoré ces événements et ont continué d’agir comme chef et conseillers de facto. Ils se présentent maintenant devant la Cour pour demander une réparation en equity, pour appuyer, dans les faits, leur affirmation élémentaire du pouvoir en attendant l’issue de leur recours en contrôle judiciaire.

[21]  La Cour ne fera pas droit à la demande de réparation des demandeurs. Dans Spence c Bear, 2016 CF 1191, la juge Glennys McVeigh a cité la décision du juge Rothstein dans la décision Nation Crie de Long Lake c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1995), 56 ACWS (3d) 781, [1995] ACF no 1020 (QL) (CF 1re inst), pour appuyer la proposition selon laquelle les représentants élus des Premières Nations « doivent fonctionner en conformité avec la loi écrite, le droit coutumier, la Loi sur les Indiens ou d’autres règles de droit qui s’appliquent et ne peuvent pas prendre les affaires entre leurs propres mains. C’est pour la protection des membres de la bande et non pour la protection du chef et du conseil que le respect des règles du droit est sacré » (paragraphe 37).

[22]  En l’espèce, les demandeurs, ayant pris les règles de droit entre leurs propres mains, demandent à la Cour de valider leurs actions en leur accordant une injonction interlocutoire. Je refuse de le faire. À mon avis, les demandeurs ne se présentent pas devant la Cour avec une attitude irréprochable. Par conséquent, ils ne devraient pas obtenir la réparation qu’ils sollicitent.

[23]  La requête présentée par les demandeurs visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que le [traduction« contrôle » des affaires de la Première Nation de Gambler leur est accordé en attendant l’issue de leur recours en contrôle judiciaire est rejetée.

B.  La requête en déclaration d’inhabilité

[24]  Les défendeurs ont présenté une requête visant à exclure Adam Touet et le W Law Group à titre d’avocats représentant les demandeurs dans la présente affaire, au motif qu’ils sont en conflit d’intérêts.

[25]  Me Touet et le W Law Group ont représenté, et continuent de représenter, la Première Nation de Gambler dans un certain nombre d’autres litiges. Le 20 septembre 2018, les défendeurs individuels, agissant à titre de chef et de conseillers nouvellement élus, ont envoyé une lettre au W Law Group mettant fin à son mandat de représentation au nom de la Première Nation de Gambler. Il est difficile d’établir quel effet pratique cette lettre a pu avoir sur le cabinet d’avocats et sa conduite des autres affaires.

[26]  En l’espèce, le cabinet d’avocats représente les demandeurs dans leur demande d’injonction interlocutoire et de contrôle judiciaire contre la Première Nation de Gambler et d’autres à titre de défendeurs désignés. Les défendeurs font valoir qu’il s’agit clairement d’une violation de la règle de la « ligne de démarcation très nette » contre les conflits d’intérêts confirmée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c McKercher LLP, 2013 CSC 39 (McKercher).

[27]  Les demandeurs font valoir que le cabinet d’avocats qui les représente n’est pas en conflit d’intérêts, parce que leurs intérêts juridiques ne s’opposent pas directement à ceux de la Première Nation de Gambler; ils affirment que leur différend juridique concerne le Comité des élections de la Première Nation de Gambler, et qu’ils ont désigné la Première Nation à titre de défenderesse « de nom », simplement dans le but de se conformer aux Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Pour ces raisons, les demandeurs soutiennent qu’ils n’ont pas contrevenu aux règles de l’arrêt McKercher : il n’y a pas de conflit d’intérêts direct ni de preuve que des renseignements confidentiels concernant le différend au sujet de l’élection risquent d’être utilisés à tort, et les demandeurs ont respecté leur devoir de franchise.

[28]  Je souscris à l’affirmation des défendeurs selon laquelle l’une des principales difficultés en l’espèce consiste à concilier les positions de deux groupes concurrents qui prétendent tous deux parler et agir au nom de la Première Nation de Gambler, compte tenu du fait qu’il n’y a qu’une Première Nation de Gambler et qu’elle ne peut agir seule. Elle agit par l’entremise de son chef et de ses conseillers élus.

[29]  L’énoncé suivant, tiré des observations écrites des demandeurs au sujet de la présente requête, est peut‑être la meilleure façon de circonscrire cette difficulté :

[traduction

Afin de faire avancer l’affaire, les demandeurs ont concédé un pouvoir limité aux défendeurs individuels afin que la Première Nation puisse recevoir des directives. Naturellement, la tâche incomberait aux défendeurs individuels, qui, en tant que membres du groupe concurrent, voudraient maintenir la décision du Comité des élections […] Cela serait rendu possible en reconnaissant Gordon Ledoux comme chef uniquement dans le but limité de donner des directives à la Première Nation dans le cadre de la présente instance de contrôle judiciaire, et à des fins purement pratiques par la suite.

[30]  Pour dire les choses de façon claire et succincte, le chef et les conseillers de facto, qui dirigent la Première Nation de Gambler et qui contrôlent actuellement ses activités quotidiennes et son compte bancaire, prétendent [traduction« reconnaître » la capacité des défendeurs individuels d’agir au nom de la Première Nation de Gambler pour les besoins de la défense dans le cadre des procédures interlocutoires et de la demande de contrôle judiciaire introduites par le chef et les conseillers de facto. Il s’agit d’une situation étrange, d’autant plus que le cabinet d’avocats qui a déjà représenté la Première Nation dans d’autres litiges, et qui semble continuer de le faire, représente maintenant le chef et les conseillers de facto dans leur procédure judiciaire contre la Première Nation.

[31]  Les demandeurs affirment qu’ils ne contreviennent pas à la règle de la ligne de démarcation très nette, parce que leur différend juridique ne concerne pas la Première Nation, mais le Comité des élections. Les défendeurs font valoir que les défendeurs individuels et le Comité des élections ne participent pas activement aux procédures; la seule partie qui s’oppose activement à la demande et à la requête présentées par les demandeurs est la Première Nation de Gambler.

[32]  À mon avis, toute cette affaire est troublante. Comme je l’ai souligné au cours de l’audience, la demande de dépens des demandeurs à l’égard de la présente requête souligne les difficultés auxquelles sont confrontées toutes les parties dans cette situation. Si je rejette cette requête en déclaration d’inhabilité et que je décide d’adjuger les dépens aux demandeurs à l’encontre la Première Nation, concrètement, mon ordonnance obligerait le chef et les conseillers de facto, qui contrôlent le compte bancaire, à donner instruction aux membres du personnel de la Première Nation de donner effet aux directives des défendeurs individuels de respecter l’ordonnance sur les dépens. Les demandeurs seraient ainsi tenus de donner instruction au personnel d’ordonner le versement de fonds de la Première Nation aux avocats mêmes qui représentent les demandeurs dans la présente instance. Bien que, techniquement, cela puisse ne pas contrevenir à la règle de la ligne de démarcation très nette établie dans l’arrêt McKercher, cette situation fait ressortir la position difficile dans laquelle le cabinet d’avocats s’est placé, et soulève de sérieuses questions concernant l’obligation de loyauté que doit l’avocat à son client.

[33]  En revanche, si je fais droit à la requête des défendeurs, l’exclusion de W Law Group à ce stade‑ci ne peut avoir pour effet que de retarder davantage la présente instance, et de laisser perdurer encore plus une situation insatisfaisante concernant la gouvernance pour les membres de la Première Nation de Gambler. Cela va à l’encontre de l’intérêt public, de la logique, du bon sens et du cours normal de l’administration de la justice.

[34]  Pour ces motifs, j’en suis venu à la conclusion qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice de donner effet à la requête des défendeurs, dans les circonstances particulières en l’espèce, et ce, malgré mes réserves au sujet de la situation dans laquelle les avocats des demandeurs se sont placés.

III.  Dépens

[35]  Les demandeurs ont demandé que les dépens soient adjugés contre les défendeurs individuels, et non contre la Première Nation. Ils ont fait valoir que, sans la discipline découlant de possibles conséquences financières, les défendeurs individuels n’auraient pas d’incitation à faire avancer ce litige. Encore une fois, je ne suis pas d’avis qu’il incombe aux demandeurs de faire une telle demande, étant donné qu’ils ont simplement pris le contrôle des finances de la Première Nation, de sorte que la défense au nom de la Première Nation de Gambler dans le cadre de la présente instance semble être payée par les défendeurs individuels.

[36]  Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 400 des Règles, je refuse d’adjuger des dépens à l’une ou l’autre des parties à l’égard de ces requêtes.

IV.  Conclusions

[37]  La Cour rejette la requête présentée par les demandeurs visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que le contrôle des affaires de la Première Nation leur est accordé, en attendant l’issue de leur recours en contrôle judiciaire. La requête des défendeurs visant à rendre Me Touet et le cabinet W Law Group inhabiles est également rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés dans l’une ou l’autre des requêtes.

[38]  La présente demande de contrôle judiciaire est une instance à gestion spéciale. Lors de l’audience devant moi, les parties ont convenu de prendre des mesures pour accélérer l’audition de la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente. Il est ordonné aux parties de discuter immédiatement d’un calendrier pour remettre la présente instance sur la bonne voie et, dans les dix (10) jours, de fournir une proposition conjointe de calendrier au juge responsable de la gestion de l’instance, de même que la date la plus hâtive à laquelle elles sont disponibles pour la tenue d’une conférence sur la gestion de l’instance. Il est dans l’intérêt des demandeurs, des défendeurs, mais surtout des membres de la Première Nation de Gambler, que la présente affaire soit réglée sans plus tarder.
ORDONNANCE dans le dossier T‑1510‑18

LA COUR ORDONNE :

  1. que la demande présentée par les demandeurs visant l’obtention du [traduction« contrôle » des finances et des affaires de la Première Nation en attendant l’issue de leur recours en contrôle judiciaire soit rejetée;

  2. que la requête présentée par les défendeurs visant à rendre Me Touet et W Law Group inhabiles pour continuer de représenter les demandeurs dans la présente instance soit rejetée;

  3. qu’aucuns dépens ne soient adjugés à l’une ou l’autre des parties, à l’égard de l’une ou l’autre des requêtes;

  4. que les parties discutent immédiatement d’un calendrier pour remettre la présente instance sur la bonne voie et, dans les dix (10) jours, qu’elles fournissent une proposition conjointe de calendrier au juge responsable de la gestion de l’instance, de même que la date à laquelle elles sont disponibles pour la tenue d’une conférence sur la gestion de l’instance.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour de mai 2019.

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1510‑18

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

DAVID LEDOUX, KELLIE LEDOUX ET LOUIE TANNER c. PREMIÈRE NATION DE GAMBLER, COMITÉ DES ÉLECTIONS DE LA PREMIÈRE NATION DE GAMBLER, GORDON LEDOUX, CHARLENE TANNER et CURTIS DUCHARME

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

SASKATOON (SASKATCHEWAN)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 MARS 2019

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

 

DATE DE L’ORDONNANCE

ET DES MOTIFS :

 

 

LE 27 MARS 2019

 

COMPARUTIONS :

Nicholas Conlon

POUR LES DEMANDEURS

 

Markus Buchart

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

The W Law Group

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jerch Law

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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