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Date : 20050412

Dossier : T-1168-01

Référence : 2005 CF 480

Toronto (Ontario), le 12 avril 2005                           

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN                                          

ENTRE :

                                                                  APOTEX INC.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL LIMITED et

HOFFMANN-LaROCHE LIMITED

défenderesses

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                     mise en cause


                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'un appel interjeté contre la décision de la protonotaire Aronovitch en date du 27 janvier 2005, dans laquelle cette dernière a refusé de radier la mise en cause des défenderesses contre Sa majesté la Reine représentée par le Procureur général du Canada (la Couronne).

Les faits

[2]                Le contexte de la présente affaire est exposé de manière succincte aux paragraphes 1 à 6 de la décision de la protonotaire Aronovitch, que je reproduis ci-dessous sous réserve de quelques modifications mineures :

                                                                                    

L'action principale et les réclamations contre une tierce partie

                4.              [...] Apotex Inc. (Apotex), la demanderesse dans l'action principale, réclame des dommages-intérêts à Hoffman-Laroche Limited (Roche) et Synthex Pharmaceuticals International Limited (Synthex) en vertu du paragraphe 8(2) du Règlement [Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS-93-133], parce que l'entrée sur le marché de sa version générique des comprimés de naproxen à libération lente a été retardée pendant environ quatre ans, soit de juillet 1995 à mai 1999, en raison de la demande présentée par les défenderesses afin qu'il soit interdit au ministre de lui délivrer un AC.

                5.              Les défenderesses, Synthex et Roche, ont, pour leur part, introduit des réclamations identiques contre une tierce partie - le ministre de la Santé (le ministre) - pour une partie des dommages-intérêts qu'elles pourraient être tenues de payer à Apotex.

                6.              Leur brevet ayant été déclaré invalide dans une décision rendue le 19 avril 1999 et un AC ayant été délivré à Apotex le 4 mai 1999, les défenderesses allèguent dans leurs poursuites contre le ministre que celui-ci avait une obligation envers Apotex et qu'il a manqué à cette obligation en refusant, [traduction] « sans raison valable » , de lui délivrer un AC immédiatement après la décision relative à l'invalidité. Roche et Synthex soutiennent que, si elles sont tenues responsables envers Apotex, le ministre, de son côté, est responsable envers elles pour la période allant du 19 avril 1999 au 4 mai 1999, soit une période d'environ deux semaines sur les quatre années qui sont en cause dans l'action principale.             


Cela représente une période d'environ deux semaines sur les quatre années qui sont en cause dans l'action principale.

[3]                La protonotaire Aronovitch a conclu qu'il n'y avait pas de fondement à une action en vertu de l'article 8, mais a refusé d'ordonner la radiation des actes de procédure de mise en cause parce que « [si] on leur donne une interprétation généreuse, ces plaidoyers peuvent être suffisants pour soutenir une action pour violation d'une loi par négligence » .

[4]                La Couronne interjette appel de la décision de la protonotaire Aronovitch.

Norme de contrôle

[5]                Les deux parties conviennent que les règles juridiques régissant l'appel de la décision d'un protonotaire ont été exposées dans l'arrêt Canada c. Aqua Gem Investments Ltd, [1993] 2 C.F. 425, puis reformulées dans l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., [2004] 2 C.F. 459, à savoir :

Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf si a) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, b) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante parce que fondée sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits.

Si la cour de révision relève l'un ou l'autre de ces facteurs, elle exerce son pouvoir discrétionnaire de novo.

[6]                La question déterminante en matière de mise en cause concerne la responsabilité de la tierce partie. Si la présente requête en radiation est accueillie, la Couronne ne verra pas sa responsabilité engagée dans l'instance. Du point de vue de la Couronne, il s'agirait sûrement là d'une influence déterminante sur l'issue du principal. Cette conclusion est étayée par l'arrêt Socan c. Landmark Cinemas (2004), 30 C.P.R. (4e) 257, où le juge Létourneau déclare au paragraphe 14 :

Il n'est pas toujours facile de faire une distinction entre les modifications apportées aux actes de procédure que l'on prétend être des modifications habituelles et les modifications qui soulèvent une question déterminante pour l'issue de l'affaire. En l'espèce, la modification visait à faire ajouter, à titre de nouveaux défendeurs, des personnes dont la participation à l'instance « est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige » : voir l'article 104 des Règles de la Cour fédérale (1998). Je n'hésite pas à conclure que la modification soulève une question déterminante pour l'issue de l'affaire. Par conséquent, la juge aurait dû exercer de nouveau le pouvoir discrétionnaire de la protonotaire. Il me reste donc à exercer de nouveau ce pouvoir discrétionnaire : voir Merck & Co. c. Apotex Inc., précité, paragraphe 28.

[7]                Même s'il ne s'agit pas en l'espèce de l'ajout d'un défendeur, mais bien d'une tierce partie, le raisonnement exposé dans l'extrait ci-dessus vaut tout autant à mon avis.

[8]                De plus, comme je l'expliquerai plus loin, je suis d'avis que la protonotaire Aronovitch s'est fondée sur un mauvais principe en invoquant comme délit civil la « violation d'une loi par négligence » . Pour ces motifs, j'examinerai cette affaire de novo.


Mise en cause

[9]                Comme je l'ai signalé précédemment, le brevet en question a été déclaré invalide le 19 avril 1999. L'avis de conformité a été délivré le 4 mai 1999. Les défenderesses engagent la présente mise en cause par mesure de prévoyance. Dans leur mise en cause, les défenderesses allèguent ce qui suit :

[traduction]                                                                                                    L'action principale et les réclamations contre une tierce partie

5) Les défenderesses, Synthex et Roche, ont, pour leur part, introduit des réclamations identiques contre une tierce partie - le ministre de la Santé (le ministre) - pour une partie des dommages-intérêts qu'elles pourraient être tenues de payer à Apotex.

6) Leur brevet ayant été déclaré invalide dans une décision rendue le 19 avril 1999 et un AC ayant été délivré à Apotex le 4 mai 1999, les défenderesses allèguent dans leurs poursuites contre le ministre que celui-ci avait une obligation envers Apotex et qu'il a manqué à cette obligation en refusant, [traduction] « sans raison valable » , de lui délivrer un AC immédiatement après la décision relative à l'invalidité. Roche et Synthex soutiennent que, si elles sont tenues responsables envers Apotex, le ministre, de son côté, est responsable envers elles pour la période allant du 19 avril 1999 au 4 mai 1999, soit une période d'environ deux semaines sur les quatre années qui sont en cause dans l'action principale.

[...]

9) Après le prononcé de cette décision, le Ministre n'avait plus aucune raison de refuser de délivrer l'AC à Apotex pour son produit de naproxen à libération lente et avait donc une obligation envers Apotex de délivrer sans délai un AC. Toutefois, le Ministre a manqué à cette obligation et a refusé, sans raison valable, de délivrer l'AC. Selon le Ministre, l'ordonnance d'interdiction rendue par la juge Reed en date du 20 mars 1996 - dossier no T-1898-93 de la Cour - demeurait en vigueur et lui interdisait de délivrer un AC.

[...]

13) À la lumière de ce qui précède, si Roche a une responsabilité à l'égard d'Apotex pour toute somme découlant de la déclaration modifiée - responsabilité qu'elle nie - alors compte tenu du manquement du Ministre à son obligation de délivrer un AC à Apotex le 19 avril 1999 ou peu après, le Ministre engage sa responsabilité à l'égard de Roche pour la somme correspondant à la période du 19 avril 1999 à la date à laquelle l'AC a été délivré, dans la mesure de l'applicabilité de l'article 8 du Règlement dans sa version originale.


[10]            En vertu de la Règle 221(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), la Cour peut ordonner que soit radié tout acte de procédure qui « ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable » .

[11]            Il est bien établi que lorsqu'il est évident que la déclaration ne révèle aucune cause d'action valable et que le tribunal est convaincu que l'issue de la cause ne fait aucun doute, la déclaration devrait être radiée et l'action, rejetée (voir Canada (PG) c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735, p. 740; Hunt c. Carey Can. Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, p. 980).

[12]            Ce principe vaut également pour les actes de procédure complexes. Tel que le signale le juge Marceau dans Prior c. La Reine (1989), 89 D.T.C. 5503, p. 5504 :

Depuis l'arrêt de la Cour suprême Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735, c'est devenu un lieu commun de dire, pour reprendre les termes du juge Estey dans ses motifs (à la p. 740), qu'une requête fondée sur l'alinéa 419(1)a) ne peut réussir que dans « les cas évidents et lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'un cas au-delà de tout doute » . Selon moi, le principe ainsi énoncé ne veut pas dire que les arguments juridiques qui peuvent être avancés à l'appui de la requête sont simples ou sans difficultés. L'affaire Inuit Tapirisat et l'autre arrêt qui fait autorité sur la question de l'application de la règle 419(1)a), Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, ont nécessité de longues audiences devant cette Cour et devant la Cour suprême et ont obligé plusieurs juges à prononcer des motifs détaillés: les arguments juridiques avancés dans ces cas étaient loin d'être simples. Le principe découlant des termes utilisés par le juge Estey a trait aux répercussions que les arguments juridiques avancés, s'ils sont jugés valides, auront sur le sort de l'action. Lorsque le succès d'une action repose entièrement sur un argument juridique qui peut facilement être compris et clairement défini uniquement à la lecture de la déclaration, sans qu'il puisse être expliqué par d'autres actes de procédure et qu'aucune question ne pourrait être mieux explorée lors d'un procès, une requête fondée sur la règle 419(1)a) permettra au défendeur de contester la validité d'un tel argument et par conséquent de montrer immédiatement que l'action sera nécessairement rejetée puisque, même si les faits importants allégués étaient tous vrais, la Cour ne pourra d'aucune façon faire droit aux redressesments demandés. [Non souligné dans l'original.]

[13]            Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS-93-133 (le Règlement) met en place un régime spécial comportant des droits et obligations exceptionnels. Il vise en particulier des sociétés pharmaceutiques concurrentes. Essentiellement, lorsqu'une société pharmaceutique (il s'agit en général d'une société « générique » ) propose de commercialiser un médicament susceptible de contrefaire le brevet d'une autre société, elle doit en aviser cette autre société. La société qui détient le brevet peut alors décider d'intenter une procédure aux termes de l'article 6 du Règlement. Si elle obtient gain de cause, une ordonnance sera rendue interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité pour le médicament avant l'expiration du brevet. Sans avis de conformité, aucune société pharmaceutique ne peut commercialiser légalement un nouveau médicament.

[14]            Une caractéristique particulièrement inhabituelle de ce régime veut que l'avis de conformité ne puisse être délivré pendant l'instance en cours. Ainsi, la société titulaire du brevet peut empêcher la société générique de commercialiser son produit pendant une longue période de temps par le simple dépôt d'une demande en vertu de l'article 6. Ce faisant, la société qui détient le brevet obtient essentiellement une injonction provisoire, sans avoir à satisfaire au critère rigoureux qui serait appliqué dans le cadre d'une action en contrefaçon de brevet.


[15]            Manifestement, cette caractéristique du régime pourrait donner lieu à des abus. Pour y faire contrepoids, l'article 8 du Règlement offre aux sociétés génériques la possibilité de recouvrer des dommages-intérêts auprès de la société titulaire du brevet. Ainsi, lorsque cette dernière est déboutée de sa procédure d'interdiction, la Cour peut être tenue d'indemniser la société générique pour les pertes dues au retard dans la mise en marché de son produit.

[16]            Plus précisément, l'article 8 (joint à l'Annexe A) établit une responsabilité, un droit d'action et la compétence de la Cour. Il s'applique lorsqu'une procédure intentée par une première personne est retirée, fait l'objet d'un désistement, est rejetée ou est accueillie initialement mais ensuite annulée en appel.

[17]            Dans de telles circonstances, l'article 8 fonctionne comme suit. Premièrement, aux termes du paragraphe 8(1), si une demande d'interdiction est retirée, fait l'objet d'un désistement ou est rejetée, une responsabilité est créée : « la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie » au cours de la période en question.

[18]            Deuxièmement, aux termes du paragraphe 8(2), un droit d'action visant à assurer l'application de cette responsabilité est créé :

(2) La seconde personne peut, par voie d'action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

[19]            Troisièmement, le paragraphe 8(1) limite expressément toute responsabilité à la période « se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l'annulation de l'ordonnance » . La limite'n est pas la date de délivrance de l'avis de conformité.

[20]            Enfin, aux paragraphes 8(4) et (5), on habilite la Cour à instruire l'action :

(4) Le tribunal peut rendre l'ordonnance qu'il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits à l'égard de la perte visée au paragraphe (1).

(5) Pour déterminer le montant de l'indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu'il juge pertinents à cette fin, [...].

[21]            Les termes « première personne » et « deuxième personne » reviennent fréquemment dans le Règlement. À l'article 2, on les définit expressément en rapport avec les paragraphes 4(1) et 5(1) respectivement. Essentiellement, la première personne est celle qui a obtenu un avis de conformité à l'égard d'un médicament et qui a soumis un brevet visant ce médicament au ministre de la Santé pour qu'il l'inscrive au registre des brevets. Le deuxième personne est celle qui demande l'autorisation de commercialiser un nouveau médicament en se fondant sur une comparaison avec un médicament fabriqué par la première personne.

[22]            L'article 8 met en place un code complet en ce qui concerne le recouvrement des pertes causées par le recours au régime établi par le Règlement. La responsabilité, le droit d'action et la compétence sont exposés de manière explicite dans le libellé des dispositions.

[23]            Les caractéristiques suivantes du code instaurées par l'article 8 revêtent une importance particulière en l'espèce :

- seule une première personne peut être tenue responsable;

- seule une deuxième personne a un droit d'action;


- la Cour est uniquement habilitée à rendre une ordonnance contre la première personne, en faveur de la deuxième personne;

- la période de responsabilité prend fin au retrait, au désistement, au rejet ou à l'annulation des procédures d'interdiction.

[24]            À la lumière de ce qui précède, il semble clair que :

- l'article 8 n'établit de responsabilité pour aucune autre partie que la première personne;

- l'article 8 n'établit de droit d'action pour aucune autre partie que la deuxième personne;

- l'article 8 n'habilite la Cour à rendre une ordonnance contre aucune autre partie (y compris la Couronne) que la première personne;

- la période de responsabilité prend fin le jour du retrait, du désistement ou du rejet ou de l'annulation des procédures d'interdiction.

[25]            Par conséquent, si j'applique ce qui précède à la présente situation, je dois conclure à la simple lecture de l'article 8 que seule Apotex a un droit d'action, que les défenderesses n'ont aucun droit d'action, qu'aucune mise en cause n'est prévue contre qui que ce soit, y compris la Couronne, et que de toute manière toute responsabilité des défenderesses prenait fin le jour où le brevet a été déclaré invalide.

[26]            À mon avis, aucune de ces conclusions ne pourrait être modifiée par des faits présentés au procès. Par conséquent, m'appuyant sur l'arrêt Prior c. La Reine, précité, je souscris entièrement à l'avis de la protonotaire qui déclaré que « l'action ne peut être fondée sur l'article 8 » .


Allégation des défenderesses concernant le partage de la responsabilité

[27]            Dans leur mise en cause, les défenderesses formulent l'allégation suivante :

[TRADUCTION]

9) Après le prononcé de cette décision, le Ministre n'avait plus aucune raison de refuser de délivrer l'AC à Apotex pour son produit de naproxen à libération lente et avait donc une obligation envers Apotex de délivrer sans délai un AC. Toutefois, le Ministre a manqué à cette obligation et a refusé, sans raison valable, de délivrer l'AC. Selon le Ministre, l'ordonnance d'interdiction rendue par la juge Reed en date du 20 mars 1996 - dossier no T-1898-93 de la Cour - demeurait en vigueur et lui interdisait de délivrer un AC.

[28]            Les défenderesses prétendent que :

a)          la Couronne avait une obligation de diligence à l'égard d'Apotex, soit de délivrer l'avis de conformité dès que le brevet a été déclaré invalide, aux termes du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. ch. 870, paragraphe C.08.004 (1);

b)          il y a eu manquement à cette obligation de diligence lorsque l'AC a été délivré 14 jours après la déclaration d'invalidité du brevet en question;

c)          si les défenderesses sont condamnées à verser des dommages-intérêts, une partie de ceux-ci découle de la délivrance tardive (soit un retard de 14 jours) et est imputable au manquement à l'obligation du Ministre;

d)          en vertu de l'alinéa 3b) de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif et de l'article 1 de la Loi sur le partage de la responsabilité de l'Ontario, si les défenderesses sont condamnées à verser des dommages-intérêts, le Ministre a la responsabilité de contribuer et d'indemniser les défenderesses pour les dommages-intérêts découlant des 14 jours en question.


[29]            Ce raisonnement soulève plusieurs questions intéressantes, soit :

a)          Les actes de procédure sont-ils suffisamment précis pour donner lieu à une cause d'action?

b)          Quelle est la nature de l'obligation de diligence à l'égard de la demanderesse?

c)          La Loi sur le partage de la responsabilité de l'Ontario s'applique-t-elle à des situations où il n'y a pas eu de négligence, mais seulement manquement à une obligation légale?

[30]            Je n'ai toutefois pas à examiner aucun de ces points puisqu'à mon sens, ce raisonnement est entaché d'une erreur fatale. Le manquement allégué en l'espèce, soit le défaut de délivrer un AC en temps opportun, concerne une obligation prévue par la loi. Une obligation légale ne donne pas automatiquement lieu à une action en responsabilité délictuelle. Selon le juge Cory s'exprimant dans l'arrêt Galaske c. O'Donnell, [1994] 1 R.C.S. 670, au paragraphe 30 :

Dans l'affaire La Reine du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, précité, la question était de savoir si la violation de la Loi sur les grains du Canada, L.C. 1970-71-72, ch. 7, que constituait la livraison de grain infesté qui provenait d'un élévateur conférait à la Commission canadienne du blé le droit d'intenter une action civile en dommages-intérêts contre le Saskatchewan Wheat Pool. Il n'y a eu aucune allégation de négligence de common law. La notion d'un délit civil spécial de violation d'une obligation légale qui donnerait droit à des dommages-intérêts à la suite de la simple preuve d'une violation de la loi a été rejetée, comme l'a été également l'argument selon lequel une violation sans excuse valable d'une loi constitue de la négligence en soi qui entraîne automatiquement une conclusion à la responsabilité. La Cour, dans les motifs clairs et convaincants du juge Dickson (plus tard Juge en chef), a dit que la preuve de la violation d'une loi, qui cause un préjudice, peut être une preuve de négligence. La Cour a en outre conclu que l'obligation formulée dans un texte de loi peut, mais pas forcément, constituer une norme précise ou utile de conduite raisonnable.

[31]            La réparation en cas de manquement à une obligation légale peut donner lieu à une obligation de droit public tel un bref de mandamus, mais à moins d'indication contraire du législateur, il ne donne pas lieu à une obligation de diligence de droit privé ni à un recours corollaire en responsabilité délictuelle.

[32]            Comme je l'ai signalé précédemment, l'article 8 du règlement établit un code complet visant le recouvrement à l'encontre d'une deuxième personne. Aucune disposition ne concerne la responsabilité de la Couronne pour un manquement allégué à une obligation légale. Je signale également qu'il n'existe rien de tel en droit qu'une cause d'action fondée sur la « violation d'une loi par négligence » .

[33]            Faute d'une telle responsabilité délictuelle, je ne vois pas comment l'alinéa 3b) de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif ou l'article 1 de la Loi sur le partage de la responsabilité de l'Ontario pourraient s'appliquer.

[34]            Par conséquent, je conclus que la protonotaire Aronovitch a commis une erreur ou s'est fondée sur un mauvais principe en concluant que « [si] on leur donne une interprétation généreuse, ces plaidoyers peuvent être suffisants pour soutenir une action pour violation d'une loi par négligence » .

[35]            Dans l'exposé de ses motifs, la protonotaire Aronovitch renvoie à une longue liste de décisions (Apotex Inc. c. Eli Lilly & Co., (2001) 13 C.P.R. (4e) 78 (C.F. 1re inst.), conf. par [2002] A.C.F. no 1833, 2002 CAF 389; Apotex Inc. c. Merck & Co.,[2002] A.C.F. no 236, 2002 CFPI 166, conf. par 2002 CAF 309; Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Limited, ordonnance en date du 30 avril 2002 dans T-1686-01, conf. par une ordonnance en date du 8 juillet 2002; Apotex Inc. c. Eli Lilly and Co. (2001) 15 C.P.R. (4e) 129 (C.F. 1re inst.), conf. par (2002), 22 C.P.R. (4e) 19 (C.A.F.); Apotex Inc. c. Hoffman-LaRoche (2001), 16 C.P.R. (4e) 473 (C.F. 1re inst.), conf. par 2002 CAF 222) voulant qu'il soit inapproprié de régler les questions litigieuses exigeant une interprétation de l'article 8 du Règlement dans le cadre d'une requête en radiation ou par voie de jugement sommaire, ces questions devant être tranchées au terme d'une instruction complète.

[36]            Je ne m'y oppose pas, mais les questions en l'espèce ne m'apparaissent ni litigieuses ni complexes. La première question fait appel à une simple interprétation de l'article 8 du Règlement sur les AC. La deuxième question renvoie à une règle établie sur laquelle la Cour suprême s'est prononcée à plusieurs reprises, soit qu'il n'existe pas de délit civil spécial de violation d'une obligation légale. Je ne vois pas comment une instruction complète de l'affaire pourrait mener à des conclusions différentes sur l'une ou l'autre de ces questions. Si la présente situation ne se prête pas à la radiation d'un acte de procédure, il est difficile d'imaginer dans quelle situation la règle 221(1) pourrait s'appliquer relativement à l'article 8 du Règlement.

[37]            Ainsi, je procéderai à la radiation de la mise en cause des défenderesses et j'accueillerai le présent appel.

                                               Annexe A

Art. 8.      (1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l'objet d'un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l'ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d'un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l'absence du présent règlement, sauf si le tribunal estime d'après la preuve qu'une autre date est plus appropriée;

b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l'annulation de l'ordonnance.

(2) La seconde personne peut, par voie d'action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

(3) Le tribunal peut rendre une ordonnance aux termes du présent article sans tenir compte du fait que la première personne a institué ou non une action pour contrefaçon du brevet visé par la demande.

(4) Le tribunal peut rendre l'ordonnance qu'il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits à l'égard de la perte visée au paragraphe (1).

(5) Pour déterminer le montant de l'indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu'il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1). DORS/98-166, art. 8 et 9.


                            ORDONNANCE    

LA COUR ORDONNE que le présent appel soit accueilli.

Les mises en cause soumises par les défenderesses en date du 23 juin et modifiées le 28 juillet 2003 sont par la présente radiées.

La Couronne aura droit à ses dépens dans la présente instance et devant la protonotaire Aronovitch.

« K. von Finckenstein »

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1168-01

INTITULÉ :               APOTEX INC.

demanderesse

et

SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL

LIMITED et HOFFMANN-LaROCHE LIMITED

défenderesses

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

mise en cause

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 4 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE VON FINCKESTEIN

DATE DE L'ORDONNANCE :                    LE 12 AVRIL 2005

COMPARUTIONS

Rick Woyiwada                                     POUR LA MISE EN CAUSE / REQUÉRANTE

Nancy Pei

Lynn Ing                                                POUR LES DÉFENDERESSES / INTIMÉES


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Rick Woyiwada

Ottawa (Ontario)                                 POUR LA MISE EN CAUSE / REQUÉRANTE

Gunars A. Gaikis/

Nancy Pei

Toronto (Ontario)                                  POUR LES DÉFENDERESSES / INTIMÉES


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