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Date : 20190528


Dossier : T‑33‑18

Référence : 2019 CF 743

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2019

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

8073902 CANADA INC.

ET ICE COLD DISTRIBUTIONS INC.

demanderesses

et

GLEN E. VARDY

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les sociétés 8073902 Canada Inc. et Ice Cold Distributions Inc. [les demanderesses] sollicitent, sur le fondement de l'article 57 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 [la Loi], la radiation de la marque de commerce DIAL‑A‑BOTTLE [la marque], appartenant au défendeur, M. Glen Vardy. Les demanderesses soutiennent que l'enregistrement de la marque [l'enregistrement] est invalide pour deux motifs : la marque ne possédait pas de caractère distinctif à l’époque où a été entamée la présente demande en 2018; et elle n'était pas enregistrable à la date de son enregistrement en 2009, parce qu'elle était devenue générique ou un synonyme de « services de livraison d'alcool ».

[2]  Pour les motifs exposés ci-après, la demande est accueillie. S'il est vrai que le défendeur, à titre de propriétaire de la marque, jouit de la présomption de validité de l'enregistrement, les demanderesses se sont acquittées de leur fardeau d'établir que l'enregistrement est invalide, suivant l'article 18 de la Loi, au motif que la marque n'était pas distinctive à l’époque où a été entamée la présente demande.  

[3]  En résumé, les demanderesses et M. Vardy proposent des descriptions différentes de leurs rapports et de leur emploi de la marque DIAL‑A‑BOTTLE. Cependant, la preuve établit selon la prépondérance des probabilités que, à l’époque où a été entamée la présente demande, la marque avait perdu son caractère distinctif en raison de l'emploi du nom DIAL‑A‑BOTTLE et de variantes de celui‑ci par de nombreuses personnes physiques et morales depuis de nombreuses années. Monsieur Vardy et son prédécesseur n'avaient rien fait avant 2015 pour faire respecter leur droit à l'emploi exclusif de la marque. Monsieur Vardy n'a commencé à faire valoir ses droits qu'après avoir acheté l'enregistrement en 2015, et il n'a fourni en ce sens que des efforts fragmentaires, qui ne lui ont pas permis de distinguer ses services de ceux d'autres entreprises. 

[4]  La preuve n'étaye pas la thèse de M. Vardy selon laquelle la majorité des utilisateurs de la marque seraient ses licenciés ou ses franchisés. Il avait conclu des contrats de licence en bonne et due forme avec certains utilisateurs et des accords verbaux avec d'autres. La preuve établit toutefois que certains utilisateurs employaient simplement la marque hors licence. En outre, M. Vardy ne contrôlait pas les caractéristiques ou la qualité des services fournis par les utilisateurs du nom DIAL‑A‑BOTTLE, licenciés ou non.

I.  Questions préliminaires

[5]  La Cour a autorisé, avec le consentement des demanderesses, le dépôt à l'audience du mémoire supplémentaire des faits et du droit du défendeur.

[6]  La Cour a de même autorisé, avec le consentement des demanderesses, le dépôt du second affidavit de M. Vardy, daté du 11 juin 2018.

[7]  La Cour tient à préciser, à titre d'observation générale, que le nom de la marque enregistrée est DIAL‑A‑BOTTLE. On trouve dans la preuve au dossier et dans les observations des parties plusieurs variantes de ce nom, notamment diverses combinaisons de majuscules et de minuscules. Ce qu'on pourrait considérer comme un manque d'uniformité dans la manière dont la Cour désigne la marque DIAL‑A‑BOTTLE reflète simplement, en fait, les différentes façons dont la marque est désignée dans les éléments de preuve, les pièces et les observations des parties.

II.  Les faits

[8]  Il paraît essentiel de rappeler certains faits afin de mettre en contexte les observations des parties et l'analyse des questions en litige. La Cour est saisie d’un dossier qui fait environ 2 000 pages; il comprend entre autres les onze affidavits de neuf personnes présentés par les demanderesses, ainsi que les deux affidavits produits par M. Vardy, tous deux portant sa signature. Le rappel des faits qui suit est un résumé fait à partir du dossier. On trouvera à l'ANNEXE I une description détaillée des éléments de preuve pertinents.

[9]  Dial‑a‑Bottle Services Ltd, société appartenant à M. Larry Lambert, a enregistré le nom DIAL‑A‑BOTTLE comme marque de commerce en 1971. Cet enregistrement a été radié le 18 janvier 2008 pour défaut d'emploi.

[10]  Dial-a-Bottle Services Ltd a de nouveau enregistré la marque DIAL‑A‑BOTTLE le 17 juillet 2009, sous le numéro LMC743727, en liaison avec des services de livraison de boissons, de glace, de fleurs et de médicaments d’ordonnance. Cet enregistrement est en vigueur.

[11]  Le défendeur, M. Vardy, a acheté cet enregistrement auprès de Dial‑a‑Bottle Services Ltd (M. Lambert) le 15 janvier 2015.

[12]  La chronologie de l'emploi du nom DIAL‑A‑BOTTLE et de variantes de celui‑ci par diverses entreprises au fil des ans est quelque peu confuse. Les demanderesses et d'autres utilisateurs de ce nom ont eu à un moment ou un autre des rapports d'affaires occasionnels avec M. Vardy. D'autres utilisateurs encore n'ont pas entretenu de rapports avec lui. La relation entre les demanderesses et M. Vardy s’est dégradée à la suite de discussions concernant un éventuel contrat de licence.

A.  Les demanderesses

[13]  Les demanderesses, 8073902 Canada Inc. et Ice Cold Distributions Inc., sont des entreprises de livraison d'alcool dont MM. Jatinder Bajaj et Francis Butler sont copropriétaires. La société 8073902 Canada Inc. exerce ses activités à Ottawa sous la dénomination DIAL‑A‑BOTTLE. Ice Cold Distributions Inc. fait de même à Toronto. Les demanderesses livrent des produits de dépannage en plus de boissons alcoolisées.

[14]  À compter de 2006, M. Bajaj a exploité à Ottawa une entreprise de livraison d'alcool dénommée BOOZE4U. En 2008, il a acheté une entreprise de même nature exploitée sous le nom de DIAL‑A‑BOTTLE auprès de M. Richard Major, qui employait ce nom depuis 1979.

[15]  BOOZE4U a alors absorbé DIAL‑A‑BOTTLE. Monsieur Bajaj a enregistré la dénomination commerciale DIAL‑A‑BOTTLE en 2008 et exploité l'entreprise absorbante sous cette dénomination à partir de cette date.

[16]  En 2011, BOOZE4U a fusionné avec Last Call and City Booze, entreprise de livraison appartenant à M. Butler, pour former la société 8073902 Canada Inc. Messsieurs Bajaj et Butler sont alors devenus associés. La nouvelle entreprise ainsi formée fournit des services de livraison sous le nom de DIAL-A-BOTTLE et diverses variantes de celui‑ci, telles que « The Original DIAL A BOTTLE » et « DIAL A BOTTLE OTTAWA ».

[17]  Monsieur Bajaj est devenu l'un des propriétaires et administrateurs de la société Ice Cold Distributions Inc. en juillet 2012. Cette entreprise emploie le nom DIAL‑A‑BOTTLE au moins depuis 2012 et elle a enregistré cette dénomination commerciale en 2013.

[18]  La société 8073902 Canada Inc. a enregistré la dénomination commerciale DIAL‑A‑BOTTLE le 23 novembre 2016.

B.  Le défendeur

[19]  M. Vardy exploite actuellement une entreprise individuelle qui exerce des activités sous le nom de DIAL‑A‑BOTTLE (ou de variantes telles que « Dial a Bottle »). DIAL‑A‑BOTTLE exploite un centre d'appels qui reçoit des commandes et les distribue à des chauffeurs et à des entreprises, principalement en Ontario. Selon M. Vardy, ces chauffeurs et entreprises sont des licenciés. Le dossier comprend des éléments, acquis aux débats, établissant que certains de ces chauffeurs et entreprises ont acheté et signé des [traduction] « contrats de licence ». Par ces contrats, M. Vardy s'engage à fournir aux licenciés des services de soutien et leur accorde le droit d'employer la marque en liaison avec des services de livraison, le tout contre redevances. Monsieur Vardy affirme aussi être lié par des accords verbaux à d'autres entreprises qui effectuent à l'occasion des livraisons pour lui.

[20]  Monsieur Rodolfo Sanchez, un partenaire occasionnel de M. Vardy, a expliqué que, en 2001, ce dernier et lui‑même travaillaient pour M. Steve Smith, qui exploitait une entreprise de livraison d'alcool annonçant ses services sous le nom de « Dial a Bottle ». En 2003, M. Vardy a pris le contrôle du territoire de Mississauga jusque-là exercé par M. Smith et a demandé un permis de livraison d'alcool à la Commission des alcools et des jeux de l'Ontario sous la dénomination « At Home Delivery Service ». Monsieur Sanchez a déclaré qu'il exerçait pour M. Smith des activités sous la dénomination « Dial a Bottle Toronto ». En 2007, MM. Sanchez et Vardy ont formé un partenariat. Monsieur Sanchez déclare qu'ils ont continué à utiliser leurs dénominations et permis respectifs jusqu'en 2009, année où M. Vardy a commencé à employer la dénomination « Dial a Bottle Toronto ». Peu après, ils ont mis fin à leur partenariat, et M. Vardy a commencé à exercer ses activités sous la dénomination DIAL‑A‑BOTTLE.

[21]  Monsieur Vardy a déclaré en contre-interrogatoire qu’il avait depuis 2001, en vertu d'une licence concédée par M. Lambert, le droit d'employer la marque et d'en octroyer des sous-licences d'emploi. Il avait aussi la responsabilité de surveiller s’il y avait des cas de violation. Or l'enregistrement actuel de la marque ne date que de 2009. L'affirmation de M. Vardy selon laquelle il aurait les droits et responsabilités liés à la marque depuis 2001 n'est pas non plus entièrement conforme au récit que donne M. Sanchez de leurs rapports d'affaires. Cependant, la preuve établit clairement que M. Vardy a acheté l'enregistrement auprès de M. Lambert en 2015. Elle établit aussi que, avant cette date, ni M. Lambert, ni M. Vardy en tant que licencié, n'ont pris de mesures pour protéger la marque ou faire respecter des droits sur elle.

III.  Les questions en litige

[22]  Les demanderesses soutiennent que l'enregistrement est invalide suivant l'article 18 pour deux raisons : elle n'était pas distinctive à l’époque où a été entamée la présente demande, et elle n'était pas enregistrable à la date de l'enregistrement. La marque, affirment‑elles, devrait être radiée. Les moyens des demanderesses soulèvent deux questions :

  1. La marque était-elle distinctive à l’époque où a été entamée la présente demande?
  2. La marque était‑elle une désignation générique des services de livraison d'alcool à la date de l'enregistrement, de sorte qu'elle n'aurait pas alors été enregistrable?

IV.  La marque était-elle distinctive au moment où la présente demande a été introduite?

A.  Les observations des demanderesses

[23]  Les demanderesses soutiennent que l'enregistrement est invalide au motif que la marque était dépourvue de caractère distinctif à la date où a été entamée la présente demande, soit le 11 janvier 2018. Le nom DIAL‑A‑BOTTLE, avancent-elles, ne distingue pas les services de livraison du défendeur de ceux d'autres entreprises, étant donné son emploi par beaucoup d'autres entités, l’octroi irrégulier de licences de la part du défendeur, le fait que le défendeur n’a pas veillé à faire respecter ses droits et l’ampleur de la confusion chez les consommateurs.

[24]  Selon les demanderesses, le défendeur cherche à profiter de la présomption de validité de la marque. Elles affirment que M. Vardy aurait dû savoir que la marque était invalide au moment où il l'achetée auprès de M. Lambert, puisqu'il savait que de nombreuses autres entités l’employaient.

[25]  Les demanderesses soutiennent que le défendeur et son prédécesseur ont autorisé l'emploi de la marque par d'autres entités à un point tel que, au 11 janvier 2018, elle ne distinguait pas les services du défendeur. Elles-mêmes et leurs prédécesseurs, expliquent-elles, emploient la marque depuis au moins 1979, et peuvent faire état, pour cette période, de services et de ventes d'une importance cinq fois supérieure à ceux du défendeur.

[26]  Les demanderesses font observer que de nombreuses entreprises non licenciées par le propriétaire de la marque ont employé le nom DIAL‑A‑BOTTLE durant de nombreuses années et dans diverses régions du Canada. Le défendeur, avancent‑elles, était parfaitement au courant de cet emploi par d'autres entreprises. Elles ajoutent que ni le défendeur ni le propriétaire précédent de l'enregistrement n'ont pris de mesures pour protéger la marque avant la période postérieure à 2015.

[27]   Les demanderesses attirent l'attention sur les éléments de preuve établissant le large emploi de la marque par de nombreuses entreprises depuis 1979. En résumé, elles rappellent ce qui suit. Monsieur Major a employé le nom DIAL‑A‑BOTTLE de 1979 à 2008. En 2008, Monsieur Bajaj a acheté l'entreprise de M. Major, que sa propre entreprise, dénommée BOOZE4U, a absorbée. M. Bajaj employait les noms DIAL‑A‑BOTTLE, DIAL A BOTTLE OTTAWA et The Original DIAL A BOTTLE. Cinq autres souscripteurs d'affidavit affirment avoir employé des variantes du nom DIAL‑A‑BOTTLE en Ontario durant plusieurs années avant que la présente demande ne soit entamée.

[28]  Les demanderesses reconnaissent que le défendeur a pris après 2015 quelques mesures pour faire respecter son droit sur la marque, mais, selon elles, il était tout simplement trop tard. À cette époque, le secteur d'activité avait pris racine, et la marque ne distinguait pas les services du défendeur de ceux des autres acteurs de ce secteur.

[29]  Selon les demanderesses, le défendeur a envoyé des mises en demeure à certains utilisateurs à compter de 2016, et qu'il a intenté en 2017 quelques actions pour faire respecter ses droits, mais s'en est désisté. Elles ajoutent que rien ne démontre que d'autres entités ont cessé d'employer la marque même après avoir reçu une mise en demeure et qu’aucun litige dans lequel le défendeur cherche à faire respecter les droits qu’il allègue avoir sur la marque n’est en instance.

[30]  Les demanderesses invoquent la décision Auld Phillips Ltd c Suzanne’s Inc, 2005 CF 48, 268 FTR 53, conf. par 2005 CAF 429 (Auld Phillips), où la Cour a conclu que la marque perd son caractère distinctif si son propriétaire en permet un large emploi par d'autres personnes.

[31]  Les demanderesses reconnaissent que le propriétaire d'une marque de commerce peut permettre à une autre personne de l'employer sans que son caractère distinctif en soit diminué, à condition qu'il concède une licence autorisant cet emploi et contrôle les caractéristiques ou la qualité des services fournis par le licencié. Elles ne contestent pas que le défendeur ait passé des contrats de licence avec certains utilisateurs de la marque. Cependant, elles affirment qu’il n'avait pas d'accord de licence, formel ou informel, ni avec elles-mêmes ni avec plusieurs autres utilisateurs, en dépit du fait que certains d'entre eux effectuaient des livraisons pour lui. Les demanderesses rappellent que le défendeur a admis n'exercer aucun contrôle sur leur activité commerciale, leurs services ou leur publicité. Ce large emploi hors licence de la marque a contribué à la perte de son caractère distinctif.

[32]  Les demanderesses affirment en outre que certains utilisateurs étaient effectivement licenciés, mais que M. Vardy ne contrôlait pas les caractéristiques ou la qualité des services qu'ils offraient; cet octroi irrégulier de licences a aussi contribué à la perte du caractère distinctif de la marque.

[33]  Les demanderesses expliquent que les activités et les logos de tous les concurrents étaient distincts, et qu'ils choisissaient eux-mêmes la stratégie pour leur image de marque. Elles rappellent que le défendeur a permis à certains de ses concurrents, qui effectuaient par ailleurs des livraisons pour lui, d'employer la marque. Or, font-elles valoir, on ne peut faire concurrence à ses propres licenciés.

[34]  Les demanderesses soutiennent en outre que la confusion est très répandue chez les consommateurs et les publicitaires concernant les services DIAL‑A‑BOTTLE. Elles affirment qu’en présence d'éléments prouvant une confusion réelle sur le marché, une marque donnée ne distingue plus les services de son propriétaire. Elles soulignent que le défendeur a reconnu, dans son affidavit et en contre-interrogatoire, l'existence d'une confusion courante et de longue date chez les consommateurs. Elles allèguent que le défendeur a contribué à cette confusion en usant d'une stratégie de marque incohérente pour ses propres services (par exemple, en utilisant dans sa publicité des logos différents, l'un avec une voiture de course et l'autre avec les lettres « db »), et en redirigeant vers sa propre entreprise les visites des sites Web affichant les noms commerciaux de ses concurrents.

[35]  Les demanderesses s'opposent à l'argument du défendeur selon lequel l'adjonction d'un préfixe ou d'un suffixe au nom DIAL‑A‑BOTTLE (par exemple « The Original Dial a Bottle » ou « Dial a Bottle Toronto ») par d'autres utilisateurs distingue leurs services des siens et assure le maintien du caractère distinctif de la marque. Premièrement, font‑elles valoir, le défendeur a intenté des poursuites à l'encontre d'entreprises employant le nom DIAL‑A‑BOTTLE avec un préfixe ou un suffixe, ce qui démontre qu'il souscrivait à l'idée que de tels ajouts ne protégeaient pas le caractère distinctif de la marque quant à ses services. Deuxièmement, le défendeur a lui aussi utilisé d'autres mots ou lettres pour désigner ses propres entreprises, par exemple « A Dial A Bottle » et « db ».

[36]  Les demanderesses font également remarquer qu'elles ont employé le nom DIAL‑A‑BOTTLE avec des lettres ou mots ajoutés ou non, comme l'ont fait d'autres utilisateurs.

[37]  Les demanderesses font valoir que le défendeur n'a commencé à utiliser le symbole de marque déposée ® [équivalent de MD] qu'après 2015, et de manière irrégulière. À leur avis, l'utilisation récente et irrégulière de ce symbole ne contribue en rien au caractère distinctif de la marque, puisque le public ne reconnaissait pas le défendeur comme source unique de ces services.

B.  Les observations du défendeur

[38]  Monsieur Vardy soutient que la marque est valide parce qu'elle remplit les trois conditions dont dépend le caractère distinctif : la marque et ses services ont clairement un lien entre eux, il fait usage de ce lien dans la vente de ses services, et il distingue ses services de ceux d’autres personnes.

[39]  Selon M. Vardy, la radiation de son enregistrement lui causerait un préjudice considérable. Il affirme qu’il exerce ses activités dans 55 villes réparties entre trois provinces et que les contrats de licence et de franchise contribuent à l’essor de son entreprise.

[40]  Il donne, pour le nom DIAL‑A‑BOTTLE, un historique semblable à celui des demanderesses, qu'il fait lui aussi remonter au premier emploi de ce nom par M. Lambert en 1971 et aux débuts de l'entreprise de M. Major en Ontario en 1979.

[41]  Monsieur Vardy affirme qu'il a concédé à plusieurs entreprises qui exécutent des commandes reçues par son centre d'appel des licences les autorisant à utiliser son matériel publicitaire et promotionnel. Il ajoute que ces licenciés sont des franchisés. Il invoque à ce propos la décision Fyfe c Vardy, 2018 ONSC 5066, [2018] OJ no 4404 (QL) (Fyfe), où la Cour supérieure de justice de l'Ontario a conclu que son accord avec Mme Fyfe et une autre personne constituait un contrat de franchisage. Étant donné qu'un contrat de licence donné a ainsi été assimilé à un contrat de franchisage, raisonne‑t‑il, tous ses licenciés sont des franchisés.

[42]  Monsieur Vardy s'oppose à l’argument des demanderesses selon lequel de nombreuses entreprises emploient la marque hors licence. À son avis, la majorité des entreprises qui emploient la marque sont ses licenciés et ses franchisés. Il ajoute qu’il n'y a que peu d'utilisateurs à qui il n'ait pas octroyé de licence, et que ces quelques personnes ont obtenu de multiples permis d'exploitation sous des dénominations comprenant l'expression DIAL‑A‑BOTTLE. Il est d’avis que cela ne constitue pas un emploi répandu. 

[43]  Monsieur Vardy affirme que les quelques cas de contrefaçon par certaines entreprises non titulaires de licence ne suffisent pas pour nuire au caractère distinctif de la marque. Il invoque à cet égard la décision Auld Phillips, au paragraphe 37, où la Cour formulait les observations suivantes :

Dans son ouvrage The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3e éd. (Toronto : Carswell, 1972), à la page 287, Harold G. Fox relève, en ce qui concerne la perte du caractère distinctif, que :

[traduction]

Le degré de piratage nécessaire pour entraîner une perte de caractère distinctif est une question difficile. Quelques contrefaçons isolées qui ne donnent pas lieu à des poursuites ne suffisent pas à rendre une marque publici juris, et une contrefaçon de grande envergure commise par un seul commerçant ne suffit pas non plus.

[44]  Monsieur Vardy ajoute qu'il a fait respecter ses droits sur la marque depuis qu'il en a acheté l'enregistrement en 2015. Il a ainsi envoyé en 2016 des mises en demeure aux contrefacteurs, dont plusieurs se seraient conformés à ses exigences. Il a aussi intenté contre les contrefacteurs des actions devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario, dont il s'est plus tard désisté. En outre, il a demandé à Google, à Google AdWords, aux Pages jaunes et à 411.ca de supprimer des annonces contenant la marque.

[45]  Monsieur Vardy soutient aussi qu'il n'était pas nécessaire pour lui de protéger la marque contre les demanderesses et d'autres utilisateurs qui, à un moment ou un autre, ont effectué des livraisons pour lui. Il explique qu'il n'a pas fait respecter ses droits sur la marque vigoureusement contre les entreprises avec lesquelles il négociait l'établissement de rapports d'affaires.

[46]  Selon M. Vardy, la plupart des utilisateurs ont ajouté à la marque des préfixes ou des suffixes – mots ou lettres –, comme dans « Always Dial A Bottle », et ces éléments ajoutés distinguent leurs entreprises de la sienne et protègent le caractère distinctif de la marque.

[47]  Monsieur Vardy n’est pas d’accord pour dire qu'il a causé ou permis une confusion répandue quant à la marque, notamment en y ajoutant lui-même des mots, des préfixes ou des suffixes, et en variant les images de marque et les logos de ses propres entreprises Dial a Bottle. Il nie également avoir admis l'existence d'une confusion sur le marché. Ce sont les demanderesses, affirme‑t‑il, qui sont responsables de toute confusion qui pourrait exister chez les consommateurs et les publicitaires, parce qu'elles ont modifié ses coordonnées dans les annonces en ligne. Il soutient que les demanderesses déstabilisent le marché en tentant de faire radier son enregistrement et que la Cour ne devrait pas leur permettre de se fonder sur la confusion qu'elles ont-elles-mêmes causée pour attaquer la validité de cet enregistrement.

C.  La marque n'était pas distinctive à l'époque pertinente

[48]  La Cour a pris en considération les observations des parties, qui dans une grande mesure se fondent sur les mêmes éléments de preuve, mais proposent des tableaux différents de leurs rapports d'affaires, de l'emploi de la marque et de ses variantes, et des efforts déployés par M. Vardy pour faire respecter ses droits, d'abord en tant que licencié, puis en tant que propriétaire de l'enregistrement. La Cour a aussi examiné le dossier, qui fait environ 2 000 pages. La preuve au dossier établit selon la prépondérance des probabilités que la marque ne distinguait pas les services de M. Vardy à l’époque où a été entamée la présente demande, soit le 11 janvier 2018. En conséquence, la marque est invalide, et son enregistrement doit être radié.

[49]  La marque de commerce a pour objet de permettre à son propriétaire de distinguer ses produits ou ses services de ceux des autres (Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, au paragraphe 2, [2006] 1 RCS 772 [Mattel]). La Cour suprême du Canada a expliqué au paragraphe 18 de l'arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 RCS 824, que « l’objet des marques de commerce est de symboliser la source et la qualité des marchandises et des services, de distinguer les marchandises ou les services du commerçant de ceux d’un autre commerçant et d’éviter ainsi la "confusion" sur le marché ».

[50]  L'article 19 de la Loi confère au propriétaire de la marque de commerce le droit exclusif à l’emploi de celle-ci dans tout le Canada en ce qui concerne les produits ou les services visés par l’enregistrement, sauf si l'invalidité de l'enregistrement est établie. Autrement dit, l'enregistrement bénéficie d'une présomption de validité. La partie qui demande la radiation d'une marque de commerce supporte la charge d'établir l'invalidité de l'enregistrement, et la Cour doit examiner la totalité de la preuve pour trancher cette question (Cheaptickets and Travel Inc c Emall.ca Inc, 2008 CAF 50, [2009] 2 RCF 43, aux paragraphes 11 et 12).

[51]  Notre Cour a formulé les principes applicables à la demande en radiation de l'enregistrement d'une marque de commerce dans la décision Kamsut Inc c Jaymei Enterprises Inc, 2009 CF 627, [2009] ACF no 803 (QL) [Kamsut]. Elle y notait ce qui suit, au paragraphe 27, concernant le fardeau de preuve qui pèse sur la partie demanderesse :

[27]  Il est bien établi que c’est au demandeur qui demande la radiation de l’enregistrement d’une marque de commerce qu’incombe le fardeau de prouver (c’est‑à‑dire qu’il doit prouver), selon la prépondérance des probabilités, les motifs d’invalidité qu’il invoque relativement à l’enregistrement d’une marque de commerce et, selon l’article 19 de la Loi, cet enregistrement est présumé valide. Comme le juge Binnie l’a affirmé au paragraphe 5 de ses motifs dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, [2006] 1 R.C.S. 824 (l’arrêt Veuve Clicquot) : « Selon l’article 19 de la Loi, l’enregistrement des marques des intimées est présumé valide et leur donne le droit de les employer […] ».

[Souligné dans l'original.]

[52]  L'alinéa 18(1)b) de la Loi précise que l'enregistrement d'une marque de commerce est invalide dans le cas où « la marque de commerce n'est pas distinctive à l'époque où sont entamées les procédures contestant la validité de [cet] enregistrement ».

[53]  Selon la définition donnée à l'article 2 de la Loi, est dite « distinctive » la marque de commerce qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire des produits ou services d'autres propriétaires.

[54]  Les dispositions applicables de la Loi sont reproduites à l'annexe II.

[55]  Les parties s’entendent pour dire qu'une marque de commerce doit, pour être distinctive, remplir trois conditions : 1) la marque et les produits ou services doivent avoir un lien entre eux; 2) le propriétaire de la marque doit faire usage de ce lien dans la fabrication et la vente de ses produits ou la vente de ses services; et 3) ce lien doit permettre au propriétaire de la marque de distinguer ses produits ou services de ceux d’autres personnes (Roots Corporation c YM Inc (Ventes), 2019 CF 16, au paragraphe 56, [2019] ACF no 12 (QL); Nature’s Path Foods Inc c Quaker Oats Co of Canada Ltd, 2001 CFPI 366, au paragraphe 40, [2001] ACF no 646 (QL) [Nature’s Path]).

[56]  Les deux premières conditions sont établies. La marque et les services offerts par M. Vardy ont un lien entre eux, et il a prouvé qu'il fait usage de ce lien dans la publicité de ses services de livraison et dans la vente des services de soutien aux entreprises qui livrent pour lui. Cependant, la preuve démontre aussi que ce lien ne permet pas à M. Vardy de distinguer ses services de ceux d'autres acteurs du secteur d'activité qui emploient le nom DIAL‑A‑BOTTLE ou des variantes de celui‑ci depuis de nombreuses années.

[57]  Selon la preuve, l’emploi répandu de la marque par de nombreuses entreprises, notamment des entités à qui M. Vardy n'a pas concédé de licence, formelle ou informelle. L'emploi répandu de la marque et de variantes de celle‑ci a entraîné une perte de caractère distinctif et a fait en sorte d’écarter l’idée selon laquelle les services sont fournis par une seule source. La preuve établit aussi que dans les cas où M. Vardy affirme avoir autorisé l'emploi de la marque par licence ou autrement, il n'a en rien contrôlé les caractéristiques ou la qualité des services fournis par les utilisateurs. Aucun élément n’établit que M. Vardy ou le propriétaire précédent de la marque, M. Lambert, aient pris quelque mesure que ce soit avant 2016 pour faire respecter leurs droits sur la marque. Les efforts déployés par M. Vardy pour protéger la marque après qu'il en a acheté l'enregistrement en 2015 ont été fragmentaires et n’ont pas permis de créer ou de rétablir le caractère distinctif quant à ses services. En outre, de son propre aveu, l'emploi répandu du nom DIAL‑A‑BOTTLE a causé de la confusion sur le marché.

[58]  La preuve établit l'emploi répandu de la marque comme nom prédominant de nombreuses entreprises dans diverses parties du Canada, surtout en Ontario, depuis au moins 1979. Les demanderesses font remonter à 1979 leur propre emploi de ce nom - qu'ils utilisaient alors par l'intermédiaire de M. Major.

[59]  La preuve révèle en outre que M. Vardy et les demanderesses sont au courant de leurs activités respectives depuis le début des années 2000. Plus récemment, au moins de 2012 à 2016, les demanderesses ont effectué des livraisons pour le compte de M. Vardy dans les régions d'Ottawa et de Toronto. Cependant, expliquent-elles, les commandes transmises par l'entreprise de M. Vardy ne représentaient qu'une faible portion de leur activité.

[60]  À l'époque pertinente, les demanderesses employaient le nom DIAL‑A‑BOTTLE dans la vente de leurs services à Ottawa et à Toronto, en liaison aussi bien avec les livraisons qu'elles effectuaient pour M. Vardy qu'avec leurs services indépendants. La société 8073902 Canada Inc. a aussi employé des variantes de ce nom : The Original DIAL A BOTTLE et DIAL A BOTTLE OTTAWA.

[61]  La preuve établit en outre que plusieurs autres acteurs du secteur de la livraison d'alcool ont employé des noms similaires dans la promotion de leurs services. Ainsi M. Tafader, qui exerce ses activités à Toronto depuis 2006, a employé dans ce cadre les noms « AAAA Dial A Bottle », « 4A Dial A Bottle », « A Dial A Bottle Downtown » et « Dial A Bottle Downtown ». Monsieur Marinov est propriétaire d'une entreprise dénommée « Always Dial A Bottle Ltd », qu'il exploite, à Toronto aussi, depuis 2010. Monsieur Cassell travaille à Kingston depuis 2000 sous la dénomination « Dial‑A‑Bottle ». Monsieur Sanchez exploite depuis 2003 (et depuis 2017 dans le cadre d'un accord verbal avec M. Vardy) une entreprise nommée « Dial a Bottle Toronto » dans la région du Grand Toronto. Enfin, M. Chambers offre des services de livraison d'alcool à Oshawa sous la dénomination « PETE’S DIAL A BOTTLE » depuis 2010. Il a aussi exercé les mêmes activités sous cette dénomination à Peterborough de 2010 à 2017, mais il a ensuite vendu cette part de son entreprise à M. Vardy.

[62]  Les éléments de preuve produits par Mme Girard‑Witts, qui a effectué une recherche de noms en ligne et dans les documents imprimés, montrent que, bien avant janvier 2018, plusieurs autres entreprises exploitées au Canada sous une dénomination du type « Dial a Bottle » annonçaient leurs services dans les Pages jaunes et sur des sites Web.

[63]  Certaines entreprises employaient le nom DIAL‑A‑BOTTLE en y ajoutant un ou plusieurs éléments — on trouve par exemple l'expression « Dial a Bottle » suivie du nom de la ville en question. Monsieur Vardy a aussi employé pour ses propres entreprises des variantes du nom DIAL‑A‑BOTTLE. Contrairement aux arguments de M. Vardy, l'adjonction de mots ou de lettres (en suffixe ou en préfixe) n'a pas empêché la présence de confusion entre ses services DIAL‑A‑BOTTLE et ceux d’autres personnes. La marque ne permettait en rien de distinguer les services de nombreuses entreprises de ceux d’autres entreprises ou de ceux de M. Vardy.

[64]  Monsieur Vardy invoque la décision Auld Phillips au soutien de son argument selon lequel l’existence de quelques cas de contrefaçon qui ne donnent pas lieu à des poursuites n'entraîne pas la perte du caractère distinctif, mais il omet de citer les passages du jugement rendu par la Cour fédérale qui suivent l’extrait qu'il a présenté. Dans cette décision, la Cour ajoute au paragraphe 39 :

[39]  À mes yeux, la question essentielle qui se pose en l'espèce a été définie par la Cour suprême du Canada dans son arrêt Breck's c. Magder (1975) 17 C.P.R. (2d) 201, à la page 205 (C.S.C.) dans lequel la Cour a précisé que pour qu'une marque de commerce soit considérée comme distinctive en ce qui concerne un défendeur, il faut que le défendeur soit présenté au public comme la source du service en question.

[Non souligné dans l'original.]

[65]  Dans la décision Auld Phillips, notre Cour a constaté que la contrefaçon avait certes été le fait d’une seule partie, mais qu’elle avait été de grande envergure et durable. Dans cette affaire, la demanderesse exploitait une boutique de vêtements sous l’enseigne « Suzanne's » en Colombie‑Britannique depuis 1972 et avait ouvert cinq autres boutiques en Alberta au début des années 2000. La défenderesse exploitait un magasin sous la même dénomination depuis 1984 et avait enregistré la marque de commerce « Suzanne's » en 2003. La Cour a conclu aux paragraphes 40 et 41 qu’à l’époque où a été entamée la demande en 2004, la marque de commerce ne distinguait pas les services de la défenderesse de ceux de la demanderesse, car cette dernière avait largement employé le nom de la marque depuis 1972 à différentes adresses.

[66]  Dans la présente espèce, la preuve établit beaucoup plus que quelques « contrefaçons […] qui ne donnent pas lieu à des poursuites » : la marque a été largement employée sur une longue durée.

[67]  Le fait de ne pas protéger la marque de commerce contre son emploi non autorisé entraîne le risque qu'elle perde son caractère distinctif et sa protection légale (Mattel, au paragraphe 26). Les efforts déployés par M. Vardy pour protéger sa marque en envoyant des mises en demeure à une fraction des utilisateurs, en exigeant le retrait d'annonces en ligne et en intentant devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario des actions dont il s'est ensuite désisté, étaient à la fois insuffisants et tardifs. La marque avait déjà perdu son caractère distinctif avant qu'il n'intensifie ses efforts en vue de protéger ses droits.

[68]  Comme nous l'avons vu plus haut, la marque a été enregistrée en 2009, et M. Vardy en a acheté l'enregistrement en 2015. Rien ne démontre que, de 2009 à 2015, M. Vardy ou le propriétaire précédent de l'enregistrement, M. Lambert, ont pris des mesures pour dissuader les demanderesses, leurs prédécesseurs ou d'autres entités d'employer la marque.

[69]  À partir de 2016, M. Vardy a envoyé à MM. Tafader, Marinov et Chambers des mises en demeure alléguant la contrefaçon de sa marque de commerce et les menaçant de poursuites en justice. Il a aussi envoyé aux demanderesses une lettre en date du 5 février 2017, leur demandant de cesser d'employer le nom DIAL‑A‑BOTTLE ou une variante comportant des termes semblables. En janvier et février 2017, il a engagé, au moyen de déclarations, contre les demanderesses et MM. Marinov, Tafader, Chambers et Sanchez, des procédures devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario, dans lesquelles il alléguait la contrefaçon de la marque. Il s'est désisté de ces actions, de manière définitive, le 25 octobre de la même année. Il a de plus confirmé n'être partie à aucun litige en instance visant à faire respecter ses droits sur la marque.

[70]  Les mises en demeure peuvent ne pas suffire à elles seules à établir des efforts suffisants pour protéger la marque de commerce (voir par exemple, Auld Phillips, paragraphe 40). En l’espèce, M. Vardy n'a envoyé des mises en demeure qu'à certains utilisateurs de la marque, parmi lesquels ne figuraient ni M. Cassell, ni M. Sanchez, ni Dial a Bottle Windsor. Il a admis qu’il ne protège pas sa marque contre l'emploi par des entités avec lesquelles il entretient ou souhaite établir des rapports d'affaires.

[71]  Malgré l’affirmation de M. Vardy selon laquelle certains utilisateurs se sont conformés à ses mises en demeure, rien dans la preuve ne permet de savoir de qui il s’agit. De plus, certains utilisateurs ont déclaré qu’ils continuent d’employer la marque.

[72]  Les contrats de licence passés par M. Vardy avec certains utilisateurs de la marque ne protègent pas son caractère distinctif. Le paragraphe 50(1) de la Loi précise que l'emploi, la publicité ou l'exposition de la marque de commerce par une entité à laquelle le propriétaire en a octroyé une licence d'emploi ont le même effet que s'il s'agissait de ceux du propriétaire, si celui‑ci contrôle les caractéristiques ou la qualité des services. Par conséquent, si les licences d’emploi octroyées aux utilisateurs par M. Vardy avaient été conformes à l'article 50, l’emploi de la marque fait par ces utilisateurs ne nuirait pas à son caractère distinctif.

[73]  Comme nous l'avons vu plus haut, la majorité des utilisateurs de la marque étaient, du point de vue de M. Vardy, ses licenciés. Il est acquis aux débats qu'il avait des contrats de licence avec certains utilisateurs –mais pas la majorité, comme il l’avance. Monsieur Vardy se fonde sur l’existence d’accords verbaux qu’il aurait conclus avec d’autres utilisateurs ou sur le fait qu’il aurait donné à certains sa permission ou son acquiescement pour affirmes que ces utilisateurs de la marque sont ses licenciés. Il se peut que M. Vardy ait considéré ces utilisateurs comme ses licenciés, mais d'autres, notamment les demanderesses et plusieurs souscripteurs d'affidavit, ne partagent pas son point de vue.

[74]  Monsieur Vardy n'a pas concédé aux demanderesses de licence d'emploi de la marque, formellement ou non. Certains éléments de la preuve établissent qu'il a essayé récemment de négocier avec elles la passation d'un contrat de licence, mais ces négociations ont échoué.

[75]  Bien que M. Vardy croie que ses accords verbaux avec d'autres utilisateurs constituent des licences, la preuve étaye seulement le fait que ceux-ci ont accepté d'effectuer des livraisons pour lui, en complément de leurs propres activités, contre commissions. La preuve établit aussi que certains utilisateurs du nom DIAL‑A‑BOTTLE et de variantes de celui‑ci n'avaient pas de relations avec M. Vardy et n'ont jamais fait de livraisons pour lui.

[76]  Monsieur Vardy ne peut invoquer le paragraphe 50(1) de la Loi, puisque rien dans la preuve ne démontre qu’il a contrôlé les caractéristiques ou la qualité des services fournis par d'autres utilisateurs. Il a admis qu'il ne contrôlait pas la majorité des activités et services des demanderesses. Il a aussi déclaré en contre-interrogatoire qu'il ne contrôlait les activités de ses licenciés, étant donné qu'elles peuvent commercialiser leurs propres services, encore qu'il se soit plusieurs fois contredit sur ce point. En outre, M. Vardy n'a jamais expliqué comment il contrôle les caractéristiques ou la qualité des services d'aucune entreprise employant le nom DIAL‑A‑BOTTLE. On ne saurait affirmer que M. Vardy a octroyé des licences ou exercé des activités de contrôle pouvant expliquer l’emploi répandu de la marque.

[77]  L’argument de M. Vardy selon lequel la décision Fyfe établit que tous les souscripteurs d'affidavit ayant effectué des livraisons pour lui à un moment ou un autre sont ses franchisés est dépourvu de fondement. La décision Fyfe a été rendue dans un contexte différent et ne s'applique qu’à l'accord conclu entre M. Vardy et les demandeurs à cette instance.

[78]  Monsieur Vardy ne peut répondre à la présente demande en affirmant que les demanderesses ne devraient pas pouvoir profiter du fait qu’elles ont contrefait la marque et du fait qu’elles n’ont pas vérifié si le nom en cause était une marque de commerce déposée. Ni lui ni son prédécesseur n'ont pris de mesures avant 2016 pour faire respecter leurs droits sur la marque.

[79]  L'emploi de la marque et de variantes de celle‑ci par de nombreuses entreprises a créé de la confusion sur le marché. Comme la Cour l'explique au paragraphe 44 de la décision Nature's Path, lorsqu'il y a probabilité de confusion entre les marques de commerce respectives des parties, la troisième condition du critère applicable au caractère distinctif ne peut être remplie : le lien entre la marque de commerce et les marchandises ou services ne permet pas alors de distinguer les services du propriétaire de ceux d’autres personnes.

[80]  En l’espèce, l’existence de la confusion est plus que probable. Du propre aveu de M. Vardy, il existe véritablement une confusion entre les entreprises employant la marque ou des variantes de celle‑ci dans le secteur de la livraison d'alcool. Son propre témoignage démontre que les consommateurs et les publicitaires ont du mal à distinguer ses services de ceux d’autres personnes. Il a aussi déclaré avoir intenté des poursuites contre des entreprises dont les dénominations étaient [traduction] « similaires au point de créer de la confusion »

[81]  L’argument de M. Vardy selon lequel la confusion est attribuable aux actes contrefaisants des demanderesses et à la présente demande n’a aucun fondement. Premièrement, des éléments démontrent des cas de confusion non liés à l'emploi de la marque par les demanderesses et survenus bien avant que ne soit entamée la présente demande. Selon M. Vardy, la confusion existait [traduction] « dès le départ », ce qui peut vouloir dire avant 2001 ou dès la date de l'enregistrement actuellement en vigueur depuis 2009. Deuxièmement, même si l'emploi de la marque par les demanderesses constituait un cas de contrefaçon, la Cour d'appel fédérale a récemment expliqué au paragraphe 15 de l'arrêt Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2019 CAF 10, 301 ACWS (3d) 7, que « l'emploi antérieur constituant une contrefaçon peut faire perdre à une marque son caractère distinctif, la portée d’une telle érosion demeurant une question de fait à considérer dans chaque cas ». La Cour d'appel fédérale a ensuite expliqué paragraphe 16 qu'il incombe au propriétaire de la marque d'en protéger le caractère distinctif, même en cas d'emploi constituant une contrefaçon.

[82]  La preuve établit selon la prépondérance des probabilités que la marque avait perdu son caractère distinctif avant que M. Vardy ne prenne des mesures pour faire respecter ses droits à la suite de son achat de l'enregistrement en 2015, et que les efforts ainsi déployés n'ont pas rétabli ce caractère distinctif. La marque ne distinguait pas les services de M. Vardy à l’époque où a été entamée la présente demande. Par conséquent, l’enregistrement est invalide.

V.  La marque était-elle enregistrable à la date de l'enregistrement

A.  Les observations des demanderesses

[83]  Les demanderesses soutiennent que l'enregistrement est invalide pour un second motif : la marque n'était pas enregistrable au 17 juillet 2009, date de son enregistrement. Elles invoquent à ce propos l'alinéa 12(1)c) de la Loi. Le nom DIAL‑A‑BOTTLE, font-elles valoir, était couramment employé dans le secteur de la livraison d'alcool depuis 20 ans au moment de son enregistrement et était synonyme de services de ce type. Elles attirent l'attention sur la rubrique [traduction] « Services de livraison d'alcool et d'aliments » des Pages jaunes de Toronto pour 2009, où l'on trouve 19 inscriptions du nom DIAL‑A‑BOTTLE ou de variantes de celui‑ci. Les demanderesses font observer que huit de ces inscriptions renvoient à l'entreprise de M. Vardy, et les onze autres à d'autres entreprises.

[84]  Les demanderesses attirent également l’attention de la Cour sur un courriel de 2009 que M. Vardy avait adressé à son avocat, où il faisait observer que le nom DIAL‑A‑BOTTLE était devenu générique, comme « Kleenex ». Monsieur Vardy ajoutait que plus de 30 entreprises portant le nom « Dial a Bottle » étaient alors exploitées dans la seule province de l'Ontario.

B.  Les observations du défendeur

[85]  Monsieur Vardy soutient que la marque était enregistrable à la date de son enregistrement en 2009 parce qu’elle n’était pas générique à l’époque. Se fondant sur les paragraphes 42 à 44 de la décision Tommy Hilfiger Licensing Inc c Produits de Qualité IMD Inc, 2005 CF 10, [2005] ACF no 17 (QL), il fait valoir qu'une marque doit entrer dans l'une ou l'autre de cinq catégories pour ne pas être enregistrable; or la sienne n'appartient à aucune de ces catégories. Il précise que sa marque n'est ni le nom d'une personne physique, ni le nom des marchandises ou des services, ni une description – trompeuse ou non ‑, ni une marque interdite, ni ne crée de confusion avec une autre marque de commerce déposée.

C.  La marque n'était pas synonyme des services à l'époque pertinente

[86]  Comme nous l'avons vu plus haut, l'alinéa 18(1)a) de la Loi précise que l'enregistrement d'une marque de commerce est invalide si elle n'était pas enregistrable à la date de l'enregistrement, qui est en l'occurrence le 17 juillet 2009. L'article 12 de la Loi permet de savoir si une marque de commerce est enregistrable. L'alinéa 12(1)c), invoqué par les demanderesses, porte qu'une marque de commerce n'est pas enregistrable dans le cas où « elle est constituée du nom, dans une langue, de l'un des produits ou de l'un des services à l'égard desquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer ».

[87]  Notre Cour a souligné dans la décision ITV Technologies Inc c WIC Television Ltd, 2003 CF 1056, au paragraphe 81, [2003] ACF no 1335 (QL), conf. par 2005 CAF 96 (ITV Technologies), que le critère applicable à l'alinéa 12(1)c) est plus étroit que celui qui concerne l'usage de termes descriptifs, visé à l'alinéa 12(1)b). La Cour a conclu que, pour être visée par l'alinéa 12(1)c), « [l]a marque, considérée dans son ensemble, doit être manifestement le nom des marchandises ou services du déposant selon l'impression immédiate ou première du consommateur ordinaire de ces marchandises ou services » (ITV Technologies, au paragraphe 81). La Cour donne les explications suivantes au paragraphe 84 :

Dans l'examen du point de savoir si une marque est constituée du nom des marchandises ou des services à l'égard desquels elle est employée, la Cour peut se reporter à des dictionnaires ou à d'autres ouvrages de référence pour déterminer les significations possibles de cette marque. Monsieur le juge Nadon a ainsi invoqué les définitions de dictionnaires de langue française pour conclure que « brûlerie » était un terme générique notoirement employé au Canada dans le secteur de la torréfaction du café [Brûlerie Des Monts Inc. c. 3002462 Canada Inc. (1997), 132 F.T.R. 150]. Cependant, la Cour d'appel fédérale a entériné la thèse que les dictionnaires se trompent parfois et ne devraient servir que de guide [Bagagerie S.A. c. Bagagerie Willy Ltée (1992), 97 D.L.R. (4th) 684].

[88]  Le passage du courriel de 2009 où M. Vardy observait que la marque était employée comme terme générique et où il comparait son usage à celui de la marque « Kleenex » devenue nom commun, n'est qu'une exagération de la popularité de son entreprise. Ce passage n'établit pas que la marque soit constituée du nom des services en cause ou employée comme synonyme pour les désigner.

[89]  Les demanderesses n'ont produit aucun document de référence en vue d'établir les significations possibles de la marque et semblent s'en remettre à cet égard aux inférences de la Cour. S'il est vrai que l'appellation DIAL‑A‑BOTTLE peut donner aux consommateurs éventuels une idée partielle des services qu'on veut leur offrir, elle n'est manifestement pas le nom de ces services. Le terme anglais bottle [bouteille] évoque l'alcool ou la bière, mais pas exclusivement. Le terme anglais dial [composer un numéro de téléphone] indique la manière de communiquer avec le fournisseur de service, mais ne constitue pas le nom du service. Qui plus est, l'appellation DIAL‑A‑BOTTLE ne peut être considérée comme le nom des autres services en liaison avec lesquels la marque est enregistrée, soit la livraison de glace, de fleurs et de médicaments d’ordonnance.

[90]  Les demanderesses n'ont donc pas établi que la marque n'était pas enregistrable à la date de l'enregistrement.

VI.  Conclusion

[91]  La présente demande est accueillie, et l'enregistrement (LMC743727) est radié. Celui‑ci est invalide au motif que la marque n'était pas distinctive à l’époque où a été entamée la présente demande.

[92]  Les demanderesses ont droit aux dépens afférents à la présente demande. Dans le cas où elles ne pourraient s'entendre sur les dépens, les parties pourront présenter à la Cour des observations écrites, ne dépassant pas cinq pages, dans les quinze jours suivant la publication du présent jugement et des motifs.


Annexe I

La preuve

A.  La preuve des demanderesses

[93]  Les affidavits et les pièces, qui comprennent des copies d'annonces publicitaires, établissent que les demanderesses et plusieurs autres personnes physiques ou morales ont employé des désignations semblables ou identiques à la marque pour promouvoir des services de livraison d'alcool au Canada, surtout en Ontario.

[94]  Monsieur Istiaq Mujib Tafader déclare être depuis 2006 le propriétaire unique d'une entreprise de livraison d'alcool sise à Toronto. Il a employé plusieurs dénominations commerciales de manière continue tout au long de cette période, soit « AAAA Dial A Bottle », « 4A Dial A Bottle », « A Dial A Bottle Downtown » et « Dial A Bottle Downtown ». Il livre aussi des produits de dépannage sous ces dénominations. Il a fait la publicité de son entreprise sur son site Web, dans les Pages jaunes, sur Google AdWords et au moyen de dépliants. Il ajoute avoir effectué des livraisons pour M. Vardy entre 2009 et 2011.

[95]  Monsieur Miroslav Marinov déclare exploiter une entreprise de livraison d'alcool de manière continue depuis 2010. Son entreprise livre également des produits de dépannage. Il a commencé par exploiter une entreprise individuelle sous la dénomination « Always Dial A Bottle Toronto » et fait maintenant affaire sous la dénomination « Always Dial A Bottle Ltd », ayant constitué l'entreprise ainsi dénommée en société le 4 novembre 2015. Monsieur Marinov a utilisé de nombreux moyens de publicité pour son entreprise : un site Web, Facebook, Twitter, YouTube, les Pages jaunes, Google AdWords, des répertoires d'entreprises en ligne, des dépliants et des cartes commerciales.

[96]  Monsieur Peter Chambers déclare exploiter, sous la dénomination PETE'S DIAL A BOTTLE, une entreprise individuelle de livraison d'alcool qu'il a enregistrée le 7 juillet 2010. Il effectue des livraisons à Oshawa depuis 2010. Il a aussi offert le même service à Peterborough. Le 12 mars 2017, M. Vardy a acheté le nom de domaine et le numéro de téléphone liés à l'entreprise qu'exploitait M. Chambers à Peterborough. Monsieur Chambers a utilisé divers moyens de publicité pour PETE’S DIAL A BOTTLE, entre autres un site Web et Google AdWords.

[97]  Monsieur Ron Cassell déclare fournir depuis 2000 des services de livraison d'alcool et de produits de dépannage à Kingston sous la dénomination « Dial‑A‑Bottle ». Il fait sa publicité sur un site Web, dans les Pages jaunes, par l'intermédiaire d'hôtels et par d'autres moyens. Il précise avoir exécuté des commandes pour M. Vardy pendant une courte période, en 2014. Il a mis fin à cette collaboration, explique‑t‑il, parce que les commandes reçues de M. Vardy ne portaient pas le nom complet des clients comme l'exige la loi. Monsieur Cassell affirme avoir aussi rejeté l'offre faite par M. Vardy d'une licence d'emploi du nom DIAL‑A‑BOTTLE.

[98]  Monsieur Rodolfo Sanchez déclare fournir depuis 2003 des services de livraison d'alcool sous la dénomination « Dial a Bottle Toronto ». Il a travaillé en partenariat avec M. Vardy durant un certain temps, entre 2007 et approximativement 2009. Il ajoute qu'il a commencé à exécuter des commandes pour M. Vardy en 2017 dans la région du Grand Toronto. [Selon M. Vardy, M. Sanchez est son licencié par accord verbal.]

[99]  La preuve démontre qu’en plus des souscripteurs d'affidavit précisés ci‑dessus, d’autres personnes ont aussi employé la marque. Madame Dominique Girard‑Witts, assistante juridique au cabinet d'avocats des demanderesses, rend compte dans son affidavit des résultats d'une recherche portant sur les annonces publicitaires en ligne et dans les Pages jaunes d'entreprises de livraison qui emploient le nom DIAL‑A‑BOTTLE au Canada. Elle déclare avoir ainsi trouvé les dénominations « Dial A Bottle Oshawa », « DIAL‑A‑BOTTLE WINDSOR », « Dial A Bottle Victoria BC », « Calgary Dial a Bottle » et « Calgary DialaBottle.com ». Monsieur Vardy a confirmé être au courant de l'existence de ces entreprises et ne fait pas état de contrats de licence avec elles.

[100]  Monsieur Butler déclare que M. Vardy lui a dit en 2015 qu'il avait acheté l'enregistrement et qu'il projetait de contrôler la totalité des services de livraison DIAL‑A‑BOTTLE en Amérique du Nord. Monsieur Vardy a expliqué, ajoute M. Butler, que l'acquisition de la marque lui permettrait d'obliger les autres entreprises employant celle‑ci ou des dénominations semblables à cesser de le faire. Les demanderesses ont rejeté l'offre de licence de M. Vardy et continué à employer le nom DIAL‑A‑BOTTLE.

[101]  Le 24 novembre 2016, les demanderesses ont formé une demande en radiation de l'enregistrement (T‑2032‑16). Elles s'en sont désistées le 13 octobre 2017, sur consentement et sous réserve de tous droits.

B.  La preuve du défendeur

[102]  Monsieur Vardy a produit sa preuve sous la forme de deux affidavits. Il a déposé le premier, daté du 8 février 2017, d'abord dans le cadre de la demande en radiation de la marque formée par les demanderesses en 2016, puis de nouveau dans la présente instance. Dans son second affidavit, daté du 11 juin 2018 et déposé dans la présente instance, M. Vardy explique qu'il s'appuie aussi sur son affidavit précédent et sur les pièces y jointes.

[103]  Monsieur Vardy déclare être le titulaire de la marque, à lui valablement cédée par M. Larry Lambert en 2015. Il précise que ce dernier a inventé le nom en 1969 et l'a plus tard enregistré. Il ajoute que M. Lambert l'avait autorisé à employer le nom DIAL‑A‑BOTTLE dès 2001. Monsieur Vardy exerçait auparavant ses activités sous la dénomination « At Home Delivery Service ».

[104]  Monsieur Vardy affirme employer [traduction] « autant que possible » le symbole de marque déposée ® [équivalent de MD] dans sa publicité et son image de marque, afin de bien montrer que le nom DIAL‑A‑BOTTLE constitue une marque de commerce déposée dont il est le propriétaire.

[105]  Monsieur Vardy déclare que plusieurs utilisateurs du nom DIAL‑A‑BOTTLE avaient des accords verbaux avec lui et que depuis 2015 il négocie avec eux l’octroi d’une licence ou l’achat de leurs entreprises. Il ajoute que les demanderesses négociaient avec lui afin d'obtenir une licence d'emploi de la marque, mais ne donne pas là‑dessus de précisions chronologiques.

[106]  Monsieur Vardy déclare que, après son désistement de l'instance T‑2032‑16, il a tenu avec M. Chambers il a tenu avec M. Chambers des réunions jusqu’à l’acquisition de son entreprise à Peterborough.

[107]  Monsieur Vardy déclare qu'il a aussi rencontré M. Cassell et lui a rappelé qu'il devait détenir une licence pour employer la marque. Celui‑ci a rejeté son offre.

[108]  Monsieur Vardy affirme que M. Sanchez est [traduction] « maintenant » autorisé à employer la marque en vertu d'un accord verbal de licence.

[109]  Monsieur Vardy déclare qu’il prend des mesures pour faire respecter ses droits sur la marque depuis qu'il a acheté l'enregistrement auprès de M. Lambert.

[110]  Monsieur Vardy déclare avoir envoyé des mises en demeure à des entreprises, dont les demanderesses, portant des noms qui, à son avis, étaient identiques à celui de sa marque, ou similaires à celui‑ci au point de créer de la confusion. Les pièces confirment qu'il a envoyé des mises en demeure à MM. Chambers, Tafader et Marinov en 2016. Il a aussi envoyé une lettre, datée du 5 février 2017, à MM. Butler et Bajaj. Monsieur Vardy ajoute avoir entamé des procédures judiciaires contre ceux qui ne se conformaient pas à ces mises en demeure. Il a produit comme pièces les déclarations qu’il avait produites dans le cadre des procédures qu’il avait engagées au début de 2017 contre les demanderesses et MM. Butler et Bajaj; contre M. Chambers; contre M. Tafader; contre M. Marinov; et contre M. Sanchez. Il alléguait la contrefaçon de la marque dans ces déclarations et sollicitait, notamment, des dommages-intérêts. Monsieur Vardy s'est désisté de cette action.

[111]  L'affidavit de M. Vardy contient des hypothèses, ainsi que des déclarations qui frôlent l'argumentation. Par exemple, il reproche aux demanderesses d’avoir créé de la confusion chez les consommateurs et les publicitaires en modifiant frauduleusement ses annonces dans les Pages jaunes et sur les sites Web abritant les inscriptions des entreprises, de manière à rediriger les consommateurs vers leurs propres services. Il affirme qu’il a essayé de corriger ces modifications, mais qu’il ne peut surveiller quotidiennement ses annonces de manière à empêcher de telles modifications. Il affirme aussi que MM. Butler et Bajaj possèdent d'autres d'entreprises qui contrefont d'autres marques de commerce lui appartenant.

[112]  Après avoir expliqué qu'il avait négocié avec les demanderesses en vue de conclure un accord de licence qui les autoriserait à employer le nom DIAL‑A‑BOTTLE sous [traduction] « l'égide » des entreprises de livraison licenciées par lui d'un bout à l'autre du Canada, M. Vardy souligne que ces négociations ont cessé et qu'il n'est plus disposé à octroyer une licence aux demanderesses. Il taxe celles‑ci d'avidité parce qu'elles veulent obtenir les droits gratuitement en [traduction] « essayant de s'emparer » de sa marque de commerce déposée. [Le projet d'accord annexé à l'affidavit prévoyait l'octroi d'une licence d'emploi exclusif de la marque sur le territoire spécifié, ainsi que les conditions applicables et les obligations de chacune des parties. Les pièces révèlent que ce projet d'accord a subi plusieurs changements d'orientation sur de nombreux mois et qu'il restait un certain nombre de problèmes à régler.]

[113]  Pour ce qui concerne ses efforts en vue de promouvoir et protéger sa marque, M. Vardy invoque les produits d'exploitation et les dépenses salariales et de publicité de son centre d'appels. Il fait état, entre autres initiatives de promotion, de ses annonces publicitaires à la radio, dans les médias sociaux et sur 411.ca, et du fait qu'il commandite une équipe de course d'accélération qui expose le nom DIAL‑A‑BOTTLE sur ses voitures et ses blousons. Il cite également les dépenses qu'il a engagées pour envoyer des mises en demeure et pour intenter des poursuites contre les contrefacteurs.

[114]  Monsieur Vardy déclare que différentes entités emploient la marque crée fréquemment, et de manière importante, de la confusion auprès des publicitaires et des consommateurs. Il précise qu’il arrive à son entreprise de recevoir l'appel d'un consommateur désirant savoir où en est sa commande, qu'elle n'a pas reçue parce que celle‑ci a en fait été adressée à une autre entreprise dénommée DIAL‑A‑BOTTLE. De plus, il souligne que des consommateurs présentent parfois à de multiples entreprises DIAL‑A‑BOTTLE des commandent par erreur en pensant qu'il s'agit de la même, ou confondent les heures d'ouverture d'entités différentes. Enfin, il ajoute qu’il a reçu des plaintes portant sur les prestations d'autres entreprises.


Annexe II

Les dispositions pertinentes de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 In this Act,

[…]

[…]

distinctive Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des produits ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi. (distinctive)

distinctive, in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the goods or services in association with which it is used by its owner from the goods or services of others or is adapted so to distinguish them; (distinctive)

[…]

[…]

12 (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

12 (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

[…]

[…]

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou en liaison avec lesquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou de leur lieu d’origine;

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the goods or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

c) elle est constituée du nom, dans une langue, de l’un des produits ou de l’un des services à l’égard desquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer;

(c) the name in any language of any of the goods or services in connection with which it is used or proposed to be used;

[…]

[…]

18 (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

18 (1) The registration of a trade-mark is invalid if

a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement;

(a) the trade-mark was not registrable at the date of registration;

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;

(b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced;

c) la marque de commerce a été abandonnée;

(c) the trade-mark has been abandoned;

d) sous réserve de l’article 17, l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement;

(d) subject to section 17, the applicant for registration was not the person entitled to secure the registration; or

e) la demande d’enregistrement a été produite de mauvaise foi.

(e) the application for registration was filed in bad faith.

[…]

[…]

19 Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de produits ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces produits ou services.

19 Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade-mark in respect of any goods or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade-mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade-mark in respect of those goods or services.

[…]

[…]

50 (1) Pour l’application de la présente loi, si une licence d’emploi d’une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des produits et services, l’emploi, la publicité ou l’exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial — ou partie de ceux-ci — ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s’il s’agissait de ceux du propriétaire.

50 (1) For the purposes of this Act, if an entity is licensed by or with the authority of the owner of a trade-mark to use the trade-mark in a country and the owner has, under the licence, direct or indirect control of the character or quality of the goods or services, then the use, advertisement or display of the trade-mark in that country as or in a trade-mark, trade-name or otherwise by that entity has, and is deemed always to have had, the same effect as such a use, advertisement or display of the trade-mark in that country by the owner.

(2) Pour l’application de la présente loi, dans la mesure où un avis public a été donné quant à l’identité du propriétaire et au fait que l’emploi d’une marque de commerce fait l’objet d’une licence, cet emploi est réputé, sauf preuve contraire, avoir fait l’objet d’une licence du propriétaire, et le contrôle des caractéristiques ou de la qualité des produits et services est réputé, sauf preuve contraire, être celui du propriétaire.

(2) For the purposes of this Act, to the extent that public notice is given of the fact that the use of a trade-mark is a licensed use and of the identity of the owner, it shall be presumed, unless the contrary is proven, that the use is licensed by the owner of the trade-mark and the character or quality of the goods or services is under the control of the owner.

 

[…]

57 (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

57 (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the mark.

 


JUGEMENT dans le dossier no T‑33‑18

LA COUR STATUE comme suit :

  1. La demande est accueillie.

  2. L'enregistrement LMC743727 est radié.

  3. Le défendeur paiera les dépens des demanderesses.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour d’août 2019.

Linda Brisebois, LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑33‑18

 

INTITULÉ :

8073902 CANADA INC. ET ICE COLD DISTRIBUTIONS INC. c GLEN E. VARDY

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 16 AVRIL 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE KANE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 28 MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

Jonathan Roch

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Satish Mandalagiri

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MBM Intellectual Property Law LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Satish Mandalagiri

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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