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Date : 20020410

Dossier : T-1881-01

Référence neutre : 2002 CFPI 401

Toronto (Ontario), le mercredi 10 avril 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                          GLENN ALEXANDER ROSS

                                                                 demandeur

                                       et

                          SA MAJESTÉLA REINE

                          DU CHEF DU CANADA

                                                                       défenderesse

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                 La question qui se pose dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si, le 16 mai 2001, par suite de l'application de certaines dispositions relatives à la prescription, l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) a dépassé le délai prévu pour délivrer une Demande formelle de paiement (Demande) à l'égard de la dette fiscale de M. Ross, le demandeur en l'espèce.

LES FAITS

[2]                 En tout temps pertinent, M. Ross a résidé en Colombie-Britannique.

[3]                 Vers le 25 mai 1993, Revenu Canada, le prédécesseur de l'ADRC, a établi des avis de nouvelle cotisation à l'égard de M. Ross relativement aux années d'imposition 1989 et 1990. M. Ross a déposé des avis d'opposition au sujet de ces avis de cotisation; toutefois, le 3 janvier 1995, les cotisations ont été confirmées. Même s'il avait le droit d'interjeter appel de ces décisions devant la Cour canadienne de l'impôt, M. Ross n'a déposé aucun appel.

[4]                 Compte tenu du paragraphe 225.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.) ch. 1 (Loi), Revenu Canada pouvait donc entreprendre des activités de recouvrement relativement à la dette de M. Ross au titre des années d'imposition 1989 et 1990 au 3 avril 1995.

[5]                 Le 30 septembre 1999, un certificat relatif à cette dette a été enregistré auprès de la Cour, comme le permet l'article 223 de la Loi. À cette même date, la Cour a délivré un bref de saisie-exécution. Le 7 octobre 1999, la dette a été enregistrée au Personal Property Registry (PPR) de la Colombie-Britannique.

[6]                 Le 16 mai 2001, l'ADRC a délivré à l'épouse de M. Ross une Demande formelle de paiement afin de recouvrer les sommes que lui devait M. Ross. Dans la Demande, l'ADRC a fait valoir que M. Ross lui devait un montant de 139 530,48 $.

[7]                 M. Ross a nié et continue à nier sa responsabilité à l'égard de ce montant, au motif que la dette a été éteinte par suite de l'application du paragraphe 9(1) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique (R.S.B.C. 1996, ch. 266). Entre parenthèses, il convient de souligner qu'au cours de l'audience, il a été admis de part et d'autre que M. Ross doit bel et bien un montant de 250 $ à l'ADRC au titre d'une remise pour les coûts de l'énergie accordée en janvier 2001. Il est convenu également que le solde de la dette réclamée concerne les années d'imposition 1989 et 1990. Dans les présents motifs, le mot « dette » désignera les sommes dues au titre des années 1989 et 1990, à l'exclusion du montant de 250 $ et des intérêts s'y rapportant.

[8]                 La présente demande de contrôle judiciaire est engagée [TRADUCTION] « à l'égard d'une décision du ministre du Revenu national [ministre] qui a été communiquée le 16 mai 2001 dans une Demande formelle de paiement [...] où il est allégué que le demandeur doit à la défenderesse un montant total de 139 530,48 $ » . Les réparations demandées sont les suivantes :

a)      une ordonnance fondée sur les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, afin

(i)     d'invalider, d'annuler ou d'infirmer ladite décision du ministre;

(ii)            de déclarer que le demandeur ne doit aucun montant à la défenderesse à l'égard de son année d'imposition 1990 et de ses années d'imposition précédentes;


(iii)           d'interdire au ministre de prendre des mesures pour recouvrer des montants que le demandeur ne doit pas à la défenderesse;

(iv)           d'enjoindre au ministre de fixer à zéro le montant que le demandeur doit à la défenderesse au titre de ses impôts sur le revenu au 1er mai 1995;

(v)            d'invalider, d'annuler ou d'infirmer le certificat ITA-8972-99 que le ministre a établi contre le demandeur le 30 septembre 1999;

(vi)           d'invalider, d'annuler ou d'infirmer le BREF DE SAISIE-EXÉCUTION qui a été délivré le 30 septembre 1999 à la demande du ministre et à l'encontre du demandeur par le greffe de la Section de première instance de la Cour fédérale;

(vii)          d'invalider, d'annuler ou d'infirmer la DEMANDE FORMELLE DE PAIEMENT que le ministre a délivrée par l'entremise de l'Agence des douanes et du revenu du Canada le 16 mai 2001 à Heather Petrea Ross-Siemens relativement à la dette fiscale alléguée du demandeur;

(viii)         d'enjoindre le registraire du Personal Property Registry de la Colombie-Britannique de radier l'enregistrement n ° 8501434 qu'a déposé le ministre le 7 octobre 1999 au titre du certificat ITA-8972-99.

b)             les dépens.

ANALYSE

[9]                 Pour décider si la dette a été éteinte, il faut d'abord examiner le jugement que la Cour d'appel fédérale a rendu dans Markevich c. Canada, [2001] 3 C.F. 449; 2001 CAF 144, autorisation d'interjeter appel à la Cour suprême du Canada accordée [2001] A.C.S.C. n ° 371. M. Ross invoque l'arrêt Markevich. Sa Majesté, qui poursuit son appel dans cette affaire, reconnaît que la décision lie la Cour en l'espèce.

[10]            M. Markevich était un résident de la Colombie-Britannique qui, en juin 1986, devait un montant total de 234 136,04 $ au titre de l'impôt sur le revenu fédéral et provincial. En janvier 1998, M. Markevich a été avisé que le ministre avait l'intention de prendre des mesures de recouvrement relativement au plein montant de la dette. M. Markevich a contesté le droit du ministre de procéder en ce sens et la Cour d'appel fédérale a statué qu'en raison de l'application combinée de l'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. c-50 (LRCECA) et du paragraphe 3(5) de la Limitation Act, le ministre avait dépassé le délai prescrit par la Loi pour recouvrer le montant dû, que ce soit au moyen d'une action en justice ou de mesures légales de recouvrement.

[11]            En ce qui a trait à la nature de ce type de dette et aux méthodes de recouvrement autorisées, l'article 222 de la Loi énonce que les impôts, intérêts, pénalités, frais et ainsi de suite sont des dettes envers Sa Majesté et recouvrables comme telles devant la Cour fédérale ou devant tout autre tribunal compétent, ou de toute autre manière prévue par la Loi.

[12]            En ce qui concerne la date limite des mesures de recouvrement pouvant être prises, l'article 225.1 de la Loi interdit au ministre de procéder au recouvrement avant la survenance de certains événements. Le délai pertinent en l'espèce est prévu au paragraphe 225.1(2), qui interdit toute mesure de recouvrement avant 90 jours suivant la date de mise à la poste de l'avis informant M. Ross que les nouvelles cotisations ont été confirmées.

[13]            Par la suite, les mesures de recouvrement pouvant être prises tant devant la Cour que par l'entremise du pouvoir légal dont le ministre est investi sont énoncées dans les dispositions suivantes de la Loi.

223. (1) Pour l'application du paragraphe (2), le montant payable par une personne peut être constitué d'un ou plusieurs des montants suivants:

a) un montant payable par elle en application de la présente loi;

b) un montant payable par elle en application de la Loi sur l'assurance-emploi;

b.1) un montant payable en application de la Loi sur l'assurance-chômage;

c) un montant payable par elle en application du Régime de pensions du Canada;

d) un montant payable par elle en application d'une loi provinciale et que le ministre doit recouvrer aux termes d'un accord conclu par le ministre des Finances pour le recouvrement des impôts payables à la province en vertu de cette loi.

223. (1) For the purposes of subsection 223(2), an "amount payable" by a person means any or all of

(a) an amount payable under this Act by the person;

(b) an amount payable under the Employment Insurance Act by the person;

(b.1) an amount payable under the Unemployment Insurance Act by the person;

(c) an amount payable under the Canada Pension Plan by the person; and

(d) an amount payable by the person under an Act of a province with which the Minister of Finance has entered into an agreement for the collection of taxes payable to the province under that Act.

(2) Le ministre peut, par certificat, attester qu'un montant ou une partie de montant payable par une personne - appelée "débiteur" au présent article -- mais qui est impayé est un montant payable par elle.

(2) An amount payable by a person (in this section referred to as a "debtor") that has not been paid or any part of an amount payable by the debtor that has not been paid may be certified by the Minister as an amount payable by the debtor.

(3) Sur production à la Cour fédérale, un certificat fait en application du paragraphe (2) à l'égard d'un débiteur est enregistré à cette cour. Il a alors le même effet que s'il s'agissait d'un jugement rendu par cette cour contre le débiteur pour une dette du montant attesté dans le certificat, augmenté des intérêts courus jusqu'à la date du paiement comme le prévoit les lois visées au paragraphe (1) en application desquelles le montant est payable, et toutes les procédures peuvent être engagées à la faveur du certificat comme s'il s'agissait d'un tel jugement. Dans le cadre de ces procédures, le certificat est réputé être un jugement exécutoire rendu par cette cour contre le débiteur pour une dette envers Sa Majesté du montant attesté dans le certificat, augmenté des intérêts courus jusqu'à la date du paiement comme le prévoit ces lois.

(3) On production to the Federal Court, a certificate made under subsection 223(2) in respect of a debtor shall be registered in the Court and when so registered has the same effect, and all proceedings may be taken thereon, as if the certificate were a judgment obtained in the Court against the debtor for a debt in the amount certified plus interest thereon to the day of payment as provided by the statute or statutes referred to in subsection 223(1) under which the amount is payable and, for the purpose of any such proceedings, the certificate shall be deemed to be a judgment of the Court against the debtor for a debt due to Her Majesty, enforceable in the amount certified plus interest thereon to the day of payment as provided by that statute or statutes.

(4) Les frais et dépens raisonnables engagés ou payés en vue de l'enregistrement à la Cour fédérale d'un certificat fait en application du paragraphe (2) ou de l'exécution des procédures de recouvrement du montant attesté dans le certificat sont recouvrables de la même manière que s'ils avaient été inclus dans ce montant au moment de l'enregistrement du certificat.

(4) All reasonable costs and charges incurred or paid in respect of the registration in the Court of a certificate made under subsection 223(2) or in respect of any proceedings taken to collect the amount certified are recoverable in like manner as if they had been included in the amount certified in the certificate when it was registered.

(5) Un document délivré par la Cour fédérale et faisant preuve du contenu d'un certificat enregistré à l'égard d'un débiteur en application du paragraphe (3), un bref de cette cour délivré au titre du certificat ou toute notification du document ou du bref (ce document ou bref ou cette notification étant appelé "extrait" au présent article) peut être produit, enregistré ou autrement inscrit en vue de grever d'une sûreté, d'une priorité ou d'une autre charge un bien du débiteur situé dans une province, ou un droit sur un tel bien, de la même manière qui peut l'être, au titre ou en application de la loi provinciale, un document faisant preuve:

a) soit du contenu d'un jugement rendu par la cour supérieure de la province contre une personne pour une dette de celle-ci;

b) soit d'un montant payable ou à remettre par une personne dans la province au titre d'une créance de Sa Majesté du chef de la province.

(5) A document issued by the Federal Court evidencing a certificate in respect of a debtor registered under subsection 223(3), a writ of that Court issued pursuant to the certificate or any notification of the document or writ (such document, writ or notification in this section referred to as a "memorial") may be filed, registered or otherwise recorded for the purpose of creating a charge, lien or priority on, or a binding interest in, property in a province, or any interest in such property, held by the debtor in the same manner as a document evidencing

(a) a judgment of the superior court of the province against a person for a debt owing by the person, or

(b) an amount payable or required to be remitted by a person in the province in respect of a debt owing to Her Majesty in right of the province

may be filed, registered or otherwise recorded in accordance with or pursuant to the law of the province to create a charge, lien or priority on, or a binding interest in, the property or interest.

224. (1) S'il sait ou soupçonne qu'une personne est ou sera, dans les douze mois, tenue de faire un paiement à une autre personne qui, elle-même, est tenue de faire un paiement en vertu de la présente loi (appelée "débiteur fiscal" au présent paragraphe et aux paragraphes (1.1) et (3)), le ministre peut exiger par écrit de cette personne que les fonds autrement payables au débiteur fiscal soient en totalité ou en partie versés, sans délai si les fonds sont immédiatement payables, sinon au fur et à mesure qu'ils deviennent payables, au receveur général au titre de l'obligation du débiteur fiscal en vertu de la présente loi.

224. (1) Where the Minister has knowledge or suspects that a person is, or will be within one year, liable to make a payment to another person who is liable to make a payment under this Act (in this subsection and subsections 224(1.1) and 224(3) referred to as the "tax debtor"), the Minister may in writing require the person to pay forthwith, where the moneys are immediately payable, and in any other case as and when the moneys become payable, the moneys otherwise payable to the tax debtor in whole or in part to the Receiver General on account of the tax debtor's liability under this Act.

[14]            Les dispositions relatives à la prescription que la Cour d'appel fédérale a examinées dans l'arrêt Markevich, précité, et que M. Ross a invoquées sont l'article 32 de la LRCECA et les paragraphes 3(5) et 9(1) de la Limitation Act, dont voici le libellé :

            La Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif

32. Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s'appliquent lors des poursuites auxquelles l'État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.

32. Except as otherwise provided in this Act or in any other Act of Parliament, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between     subject and subject apply to any proceedings by or against the Crown in respect of any cause of action arising in that province, and proceedings by or against the Crown in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose.

                                                    La Limitation Act

[TRADUCTION] 3(5) Toute autre action qui n'est pas expressément prévue dans la présente loi ou une autre loi, se prescrit par six ans à compter de la date où prend naissance le droit d'agir en justice.

[...]

3(5) Any other action not specifically provided for in this Act or any other Act may not be brought after the expiration of 6 years after the date on which the right to do so arose.

[...]

[TRADUCTION] 9(1) À l'expiration du délai de prescription prévu à la présente loi pour l'action en recouvrement de dette, de dommages-intérêts ou autre somme due, ou en reddition de compte, s'éteignent, à l'égard de la personne contre laquelle le droit d'action aurait été exercé et de ses successeurs, le droit et le titre de celui qui avait ce droit d'action comme de quiconque le revendique par l'intermédiaire de ce dernier.

9(1) On the expiration of a limitation period set by this Act for a cause of action to recover any debt, damages or other money, or for an accounting in respect of any matter, the right and title of the person formerly having the cause of action and of a person claiming through the person in respect of that matter is, as against the person against whom the cause of action formerly lay and as against the person's successors, extinguished.

[15]            Dans l'arrêt Markevich, le juge Rothstein, qui s'exprimait au nom de la Cour, a examiné la portée des mots « poursuites [...] pour tout fait générateur » qui se trouvent à l'article 32 de la LRCECA et s'est demandé si ces mots s'appliquaient aux mesures légales de recouvrement prévues dans la Loi. Voici comment il s'est exprimé au paragraphe 51 du jugement :


Les méthodes légales de perception sont l'équivalent des procédures devant une cour pour lesquelles un jugement a été obtenu. En adoptant les mesures légales de recouvrement prévues dans la Loi de l'impôt sur le revenu, le législateur a donné au ministre un accès direct à des méthodes de perception exécutoires qui ne seraient autrement accessibles qu'après le dépôt d'une action en justice et l'obtention d'un jugement. La délivrance d'une sommation de payer par le ministre a essentiellement le même effet qu'une ordonnance de saisie-arrêt rendue par la Cour. Elle oblige le tiers débiteur à verser à la Couronne les sommes que ce tiers doit au débiteur fiscal. L'ordre de saisir et de vendre des biens meubles est analogue à un bref d'exécution délivré par une cour. En fait, le paragraphe 225(5) stipule que les biens meubles qui seraient insaisissables malgré un bref d'exécution décerné par une cour supérieure de la province dans laquelle la saisie est opérée ne peuvent être saisis par le ministre. Interpréter le terme « poursuites » ( « proceedings » ) utilisé à l'article 32 comme incluant ces mesures de recouvrement reconnaît, il me semble, la similitude fondamentale entre ces mesures légales de recouvrement et les procédures devant une cour.

[16]            Aux paragraphes 65 et 66, le juge Rothstein a poursuivi en ces termes :

Je conclus donc que les poursuites « auxquelles l'État est partie pour tout fait générateur » visées à l'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif incluent à la fois les procédures devant une cour et les méthodes légales de recouvrement prévues dans la Loi de l'impôt sur le revenu. La disposition en matière de prescription applicable est le paragraphe 3(5) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique. En vertu du paragraphe 3(5), une action ne peut être intentée après l'expiration d'un délai de six ans suivant la date à laquelle le droit d'agir en justice a pris naissance. Une action est définie comme incluant les voies de droit extrajudiciaires. Cet article est manifestement conçu pour avoir une large portée et ne pas être limité à une action en justice.

Les méthodes légales de perception prévues dans la Loi de l'impôt sur le revenu peuvent être prises par le ministre, de plein droit, et il peut les exercer seul, sans qu'il soit nécessaire d'intenter une action en justice. Je n'ai aucune difficulté à conclure que les méthodes légales de recouvrement de la Loi de l'impôt sur le revenu sont des voies de droit extrajudiciaires pour les fins du paragraphe 3(5) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique. Quoi qu'il en soit, le paragraphe 9(1) de cette même loi prévoit qu'après l'expiration du délai de prescription pertinent la cause d'action est éteinte.

[17]            Dans l'arrêt Markevich, l'élément marquant des circonstances portées à l'attention de la Cour était le fait que, de 1987 à 1998, Revenu Canada n'avait pris aucune mesure en vue de recouvrer la dette. La Cour d'appel fédérale devait donc se demander si Sa Majesté pouvait chercher indéfiniment à recouvrer des dettes fiscales malgré son inaction prolongée.


[18]            Ce n'est pas ce qui s'est produit en l'espèce, puisque, à l'intérieur de la période que la Cour d'appel fédérale a jugée être le délai de prescription applicable, Sa Majesté a pris des mesures pour recouvrer la dette. Le ministre a déposé un certificat auprès de la Cour, obtenu un bref de saisie-exécution et enregistré la dette au bureau d'enregistrement concerné.

[19]            Toutefois, M. Ross soutient que le ministre ne peut invoquer ces mesures, parce que la Demande de paiement a été délivrée après le délai de prescription applicable de six ans. Les parties conviennent que, compte tenu des principes énoncés dans l'arrêt Markevitch, le délai de prescription a commencé à courir le 3 avril 1995 et était donc expiré le 4 avril 2001.

[20]            De l'avis de M. Ross, le dépôt du certificat n'a pas protégé la position du ministre, pour les raisons suivantes :

1.          Le certificat du ministre n'est pas un jugement de la Cour fédérale ou de quelque autre tribunal. L'établissement d'un certificat constitue simplement l'exercice d'un pouvoir d'origine législative. Pour se protéger de la prescription, le ministre aurait dû engager une action devant la Cour à l'égard de la dette fiscale. C'est ce qui ressort apparemment de l'alinéa 425a) des Règles de la Cour fédérale (1998) (Règles), qui prévoit ce qui suit :



425. L'exécution forcée de l'ordonnance exigeant le paiement d'une somme d'argent se fait par l'un des moyens suivants :

a) bref de saisie-exécution établi selon la formule 425A.

                    (Soulignement ajouté)

425. An order for the payment of money may be enforced by

(a) a writ of seizure and sale in Form 425A.

                     (Underlining added)


M. Ross allègue qu'il n'y a aucune ordonnance appuyant le bref, parce que le certificat n'est pas une ordonnance. Si le certificat est une ordonnance, M. Ross fait valoir qu'il aurait dû en recevoir signification dès le dépôt, afin qu'il puisse préparer une défense à l'encontre de cette mesure.

2.          Le bref de saisie-exécution [TRADUCTION] « est le fruit du même arbre empoisonné dont le certificat est issu » . Il serait anormal que l'obtention et l'enregistrement du bref permettent la poursuite de mesures de recouvrement plus de six ans après que la créance est devenue recouvrable. Toutes les mesures de recouvrement doivent prendre fin après six ans, à moins qu'un jugement n'ait été obtenu au sens de la Limitation Act.

3.          Le délai de prescription prévu à la Limitation Act à l'égard des jugements ne s'applique pas, parce que le certificat ne constitue pas un jugement au sens de cette loi.


[21]            Au soutien de ces arguments, M. Ross invoque des arrêts comme Ministre du Revenu national c. Bolduc, [1961] R.C.É. 115; La Reine c. Star Treck Holdings Limited, [1978] 1 C.F. 61 (C.F. 1re inst.); Sa Majesté La Reine c. T.H. Parker (1981), 2 C.E.R. 181 (C.F. 1re inst.) et E.H. Price Limited c. La Reine, [1983] 2 C.F. 841 (C.A.F.), où il a été décidé dans tous les cas qu'un certificat ne constitue pas un jugement de la Cour fédérale.

[22]            Bien qu'elle ait été exprimée de différentes façons, la position de M. Ross se résume essentiellement à ceci : le dépôt du certificat du ministre entraîne des conséquences tellement différentes au plan qualitatif de celles de l'obtention d'un jugement que ce dépôt ne peut préserver les droits du ministre.

[23]            À ce sujet, il est vrai que, dans le contexte des questions comme celle de savoir comment un certificat peut être contesté ou modifié, la Cour a affirmé, dans les jugements que M. Ross a cités, qu'un certificat ne constitue pas un jugement de la Cour ni ne le devient. Cependant, elle a également statué, dans ces mêmes jugements, que les conséquences découlant de l'établissement et de l'enregistrement d'un certificat sont précisément les mêmes que celles qui sont prévues dans la Loi. Pour reprendre les propos que le juge Thurlow, alors juge en chef de la Cour de l'Échiquier du Canada, a formulés dans l'arrêt Bolduc, précité, l'enregistrement d'un certificat [Traduction] « a la même force et le même effet, et les mêmes procédures peuvent être engagées à la faveur de ce certificat comme s'il était un jugement » .

[24]            Cela signifie que, pourvu qu'il ait été enregistré dans les six ans suivant le début du délai de prescription, le certificat pouvait appuyer la délivrance de brefs de saisie-exécution conformément à la Règle 434(1).

[25]            Même s'il est vrai qu'il n'y a aucune « ordonnance » au sens d'un jugement rendu dans une instance contestée devant la Cour entre M. Ross et Sa Majesté, cette ordonnance n'est pas nécessaire selon le texte du paragraphe 223(3) de la Loi, puisque le Parlement a indiqué clairement dans cette disposition que le certificat « a le même effet que s'il s'agissait d'un jugement rendu par cette cour » et que toutes les procédures peuvent être engagées à la faveur du certificat comme s'il s'agissait d'un tel jugement.

[26]            La réponse à la préoccupation de M. Ross, selon laquelle il aurait dû être avisé du dépôt du certificat et avoir la possibilité d'interjeter appel de celui-ci ou de défendre sa position, se trouve au paragraphe 165(1) de la Loi, qui exige que le contribuable conteste la cotisation du ministre dans un délai de 90 jours, ainsi qu'au paragraphe 169(1) de la Loi, qui prévoit que l'appel devant la CCI doit être interjeté dans les 90 jours suivant la confirmation d'une cotisation ou d'une nouvelle cotisation par le ministre. Voir Olympia Interiors Ltd. c. Canada, 2001 C.A.F. 360, au paragraphe 5, et 2001 C.A.F. 361, au paragraphe 6. Dans la présente affaire, aucun appel n'a été interjeté devant la CCI à l'égard de la confirmation des avis de cotisation. Or, la CCI était la tribune devant laquelle le demandeur devait contester le bien-fondé de la dette.

[27]            L'analyse qui précède concerne le droit du ministre d'engager des procédures en se fondant sur le certificat conformément à l'article 223 de la Loi. Étant donné que la Cour d'appel fédérale a statué, dans l'arrêt Markevich, que le délai de prescription s'applique également aux mesures légales de recouvrement, je me suis demandé si le ministre peut exercer ces recours plus de six ans après la naissance de la dette lorsqu'un certificat a été déposé à l'intérieur de la période de six ans.

[28]            À première vue, le dépôt d'un certificat auprès de la Cour ne semble guère lié à la préservation du droit du ministre de prendre des mesures légales de recouvrement.

[29]            L'avocate du ministre soutient que la réponse se trouve dans le libellé du paragraphe 224(1) de la Loi, qui permet au ministre de délivrer une Demande formelle de paiement lorsqu'il sait ou soupçonne que, dans les douze mois, une personne sera tenue de faire un paiement à une personne qui, elle-même, « est tenue de faire un paiement en vertu de la présente loi » . Étant donné que le dépôt du certificat a pour effet d'assujettir une personne à des procédures de saisie, l'avocate fait valoir que cette personne continue d'être « tenue de faire un paiement en vertu de la présente loi » .

[30]            Cet argument m'apparaît bien fondé pour les raisons qui suivent.

[31]            D'abord, compte tenu de l'arrêt Markevich, le délai de prescription prévu à l'article 32 de la LRCECA s'applique tant aux mesures légales de recouvrement qu'à celles qui sont prises devant les tribunaux et, après l'expiration du délai de prescription pertinent, le droit d'action est éteint. En conséquence, le ministre doit prendre des mesures pour recouvrer une dette fiscale à l'intérieur du délai de prescription. L'arrêt Markevich n'oblige pas le ministre à obtenir un jugement de la Cour pour préserver ses droits ou à épuiser tous ses recours en recouvrement à l'intérieur du délai de prescription. Il a pour effet de reconnaître la similitude entre les mesures légales de recouvrement et celles qui sont prises devant les tribunaux et d'appliquer les lois sur la prescription indépendamment des mesures correctives prises pour recouvrer une dette fiscale.

[32]            Les dispositions relatives à la prescription ont pour effet d'exiger qu'un droit d'action se fonde dans un jugement qui est obtenu au cours d'une instance engagée à l'intérieur du délai de prescription applicable. Étant donné que le dépôt d'un certificat constitue le mécanisme que la Loi permet au ministre d'utiliser pour obtenir le « même effet » qu'un jugement, il me semble que le dépôt d'un certificat doit protéger le droit du ministre de recouvrer une dette fiscale, que ce soit par des mesures légales ou par des poursuites judiciaires.


[33]            Le paragraphe 224(1) de la Loi permet la délivrance d'une Demande formelle de paiement lorsque le débiteur fiscal « est tenu de faire un paiement en vertu de la présente loi » . Le débiteur fiscal n'est pas redevable en ce sens lorsque le ministre a dépassé le délai prescrit par la Loi pour exiger le recouvrement. Toutefois, lorsque le ministre a préservé l'existence de la dette en déposant un certificat, lequel a le même effet qu'un jugement, la dette ne sera pas éteinte, le débiteur demeurera tenu de payer les sommes d'argent dues en vertu de la Loi (impôts, pénalités, intérêts et ainsi de suite) et une Demande formelle de paiement pourra être délivrée.

[34]            De plus, l'article 3 de la Limitation Act permettrait qu'une action soit engagée sur la foi du certificat, lequel serait assimilé à un jugement de la Cour fédérale, dans un délai de six ans. Ce délai de six ans n'a pas expiré, de sorte que la dette visée par le certificat n'a pas été éteinte.

[35]            En deuxième lieu, cette interprétation permet d'éviter l'incongruité qui existerait si le ministre pouvait recouvrer la dette fiscale au moyen d'un bref de saisie-exécution, mais non au moyen des mesures légales de recouvrement.

[36]            En troisième lieu, cette interprétation est compatible avec la raison d'être des dispositions législatives relatives à la prescription, parce que le dépôt du certificat favorise la certitude et la rapidité d'exécution tout en évitant la nécessité d'invoquer des éléments de preuve désuets.

[37]            Il s'ensuit que la dette n'a pas été éteinte et que la Demande formelle de paiement a été délivrée en bonne et due forme. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[38]            Sa Majesté demande les dépens de la présente demande. Je ne vois pas pourquoi les dépens ne suivraient pas l'issue de la demande, conformément à l'ordonnance qui suit.


[39]            Pour ces motifs, la Cour rend l'ordonnance suivante :

                                                        ORDONNANCE

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Le demandeur paiera à la défenderesse les dépens de la présente demande, qui doivent être taxés conformément à la colonne III du tableau du Tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

                                                                                                      « Eleanor R. Dawson »           

                                                                                                                                       Juge                          

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                       COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                  SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                                      

                                    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 T-1881-01

INTITULÉ :                                          Glenn Alexander Ross

demandeur

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada

défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                le jeudi 14 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :              Madame le juge Dawson

DATE DES MOTIFS :                        le mercredi 10 avril 2002

COMPARUTIONS:

M. Glenn A. Ross                                                 POUR LE DEMANDEUR, en son propre nom

Mme Donnaree Nygard                           POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

M. Glenn A. Ross

12135-229th Street

Maple Ridge (C.-B.)

V2X 7M9                                                             POUR LE DEMANDEUR, en son propre nom

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                     POUR LA DÉFENDERESSE


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20020410

Dossier : T-1881-01

ENTRE :

GLENN ALEXANDER ROSS

demandeur

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

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