Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190529


Dossier : IMM-5525-18

Référence : 2019 CF 755

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2019

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

MARIO DAVID

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la Loi].

[2]  Monsieur David est un citoyen d’Haïti âgé de 27 ans. Il était chauffeur de taxi dans son pays d’origine. Il dit avoir été assailli en 2015 par des bandits qui, dit-il, travaillaient pour « des gens hauts placés au gouvernement » (Décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR], para 5). Il aurait dénoncé ces « bandits » en août 2015 et il y aurait eu une invasion de son domicile le soir du 24 août 2015. Il était absent et les bandits ont attaqué ses cousins. Une plainte écrite auprès de la police nationale d’Haïti, au Commissariat de la Croix-des-Bouquets, a été déposée le 25 août par le demandeur et l’un de ses cousins. Ladite plainte, sous le titre « La déposition », ne fait en aucune manière mention de l’invasion de domicile qui se serait produite le 24 août.

[3]  Le demandeur prétend que l’un de ses cousins a par la suite été enlevé et n’aurait plus été revu. Le récit des difficultés rencontrées en Haïti aura souffert d’un manque de précision.

[4]  Quant à l’historique d’immigration de M. David, il se résume à peu de choses. Suite à l’incident du 24 août 2015, et après avoir déposé une plainte au Commissariat local, le 25 août 2015, M. David a fui vers les États-Unis. Il nous dit être monté à bord de façon « clandestine » d’un appareil se rendant à Miami, mais en possession de son passeport haïtien. Arrivé aux États-Unis, il a été détenu pendant douze jours, puis relaxé. Il aurait par la suite obtenu deux autorisations de travail aux États-Unis. Moins de deux ans plus tard, il entrait au Canada ailleurs qu’à un poste d’entrée (chemin Roxham) et a alors demandé l’asile au Canada.

[5]  La demande d’asile a été rejetée le 15 septembre 2017 dès la fin de l’audition. La version écrite a été réalisée et émise le 28 décembre 2017. Essentiellement, le demandeur n’a pas été cru. Il semble que la Section de la protection des réfugiés [la SPR] ait trouvé confuse l’explication donnée quant aux événements des 24 et 25 août 2015. De plus, la présence aux États-Unis pendant deux ans sans effort pour régulariser son statut aura été vue comme n’étant pas la manifestation d’une crainte subjective. De fait, le frère du demandeur continue de conduire le taxi en Haïti. Quant aux risques qu’il court s’il retourne en Haïti, la SPR aura conclu que la crainte du banditisme est une question de risque généralisé.

[6]  En appel devant la SAR, la commissaire en est venue aux mêmes conclusions. Appliquant la norme de contrôle de la décision correcte, ce qui est approprié, elle a retenu en particulier que la plainte faite au Commissariat de police le 25 août 2015 ne faisait pas mention de l’invasion du domicile et d’une agression sur les cousins de l’appelant, alors que le tout se serait produit la veille. La SAR a aussi noté le contenu vague de sa plainte au sujet de laquelle il a été interrogé par la SPR. Ayant remarqué que l’appelant ne nomme personne dans sa plainte du 25 août 2015, la SPR lui a demandé pourquoi des bandits voudraient-t-ils se venger à son égard? Il appert que l’appelant a tout simplement répondu que les bandits sont partout. Mais alors, dit la SAR, « cela n’explique pas pourquoi ils voudraient s’en prendre à lui » (Décision de la SAR, para 15). Le demandeur n’a pas été plus convaincant lorsque son avocat l’a questionné sur la rédaction de sa plainte, au sujet de laquelle M. David a simplement mentionné qu’il a décrit la situation dans sa ville, ainsi que la manière dont sa vie est menacée. La plainte présentée devant la SPR et la SAR ne fait aucunement mention de l’incident grave qui aura précipité le départ d’Haïti vu une pareille invasion.

[7]  La SAR a conclu que le séjour de près de deux ans aux États-Unis ne justifierait pas le rejet d’une demande d’asile à elle seule. Mais la SAR est d’accord que la crédibilité du demandeur en aura souffert. Le risque qu’il disait craindre en Haïti aurait normalement dû motiver le demandeur à tenter de régulariser sa situation aux États-Unis, présumément pour s’éviter un retour forcé alors que ses craintes seraient réelles.

[8]  De fait, la SAR n’a pas considéré crédible le récit de l’incident du 24 août 2015, l’événement à l’origine de sa crainte d’être personnellement exposé à une menace du type prévu à l’article 97 de la Loi. Comme le demandeur l’a allégué, il est certes possible que des « bandits » cherchent à obtenir du transport gratuit en le forçant à les conduire dans son taxi. Mais, dit la SAR, « (i)l n‘existe aucune autre preuve ou allégation crédible au dossier qui pourrait mener à la conclusion que l’appelant serait personnellement ciblé par des bandits advenant son retour en Haïti. » (Décision de la SAR, para 19).

[9]  La norme de contrôle à laquelle cette Cour est assujettie sur contrôle judiciaire d’une décision de la SAR est celle de la décision raisonnable (Mavangou c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2019 CF 177; Arafa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 6 ; Cheema c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 441).

[10]  Comme chacun le sait, cette norme est empreinte de déférence à l’égard de la décision rendue, si bien que la Cour n’est pas appelée à substituer sa propre opinion à celle du décideur, dans la mesure où la décision est une des issues possibles, acceptables au regard des faits et du droit, et si elle est justifiée et dont le processus décisionnel est transparent et intelligible. À mon avis, cette décision de la SAR satisfait pleinement les critères de raisonnabilité reconnus par notre droit.

[11]  Essentiellement, M. David prétend que la preuve a été erronément interprétée parce que ne tenant pas compte des particularités haïtiennes. De plus, on plaide que les motifs offerts par la SAR ne sont pas convaincants et que les incohérences soulevées ne seraient pas suffisamment importantes pour justifier la conclusion négative de crédibilité. De plus, le fait d’avoir séjourné aux États-Unis ne devrait pas avoir eu une telle influence sur la détermination de la crédibilité du demandeur. À mon avis, au mieux le demandeur exprime son désaccord quant aux conclusions tirées par la SAR. Il eut fallu démontrer que celles-ci ne sont pas raisonnables, ce qui n’a pas été fait.

[12]  On ne saurait, dans ce cas, critiquer la décision de la SAR comme souffrant d’une absence d’analyse indépendante. De fait, la SAR a dénoté une incongruité au sein de la décision de la SPR et, appliquant la norme de contrôle de la décision correcte, l’a corrigée. Si les motifs de la SAR ne sont pas particulièrement élaborés, c’est qu’il y avait peu à dire. De fait, la SPR a rendu elle sa décision séance tenante.

[13]  La seule explication offerte devant cette Cour relativement à la plainte faite le 25 août 2015, qui ne correspond pas à une allégation grave d’invasion de domicile, aura été fatale parce que cette allégation d’invasion de domicile est au cœur de la demande faite en vertu des articles 96 et 97 de la Loi. Sans elle, il reste bien peu de choses. Ladite plainte au Commissariat de police se lit de la façon suivante :

Qu’ils déclarent que des individus perturbent au jour le jour la population de Croix-des-Bouquets et des zones avoisinantes qui sont portés disparus et même s’enfuirent [sic] pour sauver leur peau du fait qu’ils ne peuvent pas résister aux [illisible] des bandits [illisible].

Le demandeur n’a jamais fourni d’explication au sujet de l’absence de ce qui devrait être évident : où est le rapport relativement à une invasion de domicile qui se serait produite la veille? La plainte au Commissariat de police ne démontre aucunement l’existence de l’incident déclencheur, celui qui expliquerait le besoin de quitter le pays. Au contraire, cette plainte suggère plutôt la fabrication postérieure du récit.

[14]  On peut facilement convenir qu’une incohérence mineure ne porte pas atteinte à la crédibilité de quelqu’un (Kanagarasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 145, para 13) et qu’il ne faut pas toujours faire grand cas d’un retard à régulariser une situation d’immigration ou de faire une demande d’asile. Mais, à mon sens, c’est une considération pertinente qui ne peut être complètement ignorée. L’invasion de domicile, si elle s’est produite, était une situation grave expliquant peut-être un départ subi pour rechercher protection. Mais si cet événement extraordinaire ne s’est pas produit, quelle serait alors la justification pour invoquer les articles 96 et 97 de la Loi?

[15]  Un mois après, dit-il, avoir subi une exaction grave, le demandeur trouve un passeur en Haïti, monte à bord d’un avion de façon « clandestine » et arrive à Miami. Il y est détenu, puis bénéficie de deux permis de travail aux États-Unis. Il ne semble pas avoir fait quelque démarche pendant ces deux années avant de choisir de traverser les États-Unis, du sud au nord, pour franchir la frontière canadienne à un endroit autre qu’un port d’entrée. Aucune explication n’est donnée. À mon avis, la SAR n’a pas eu tort de ne pas insister sur le fait que le demandeur a choisi de ne pas rechercher l’asile aux États-Unis, mais elle n’avait pas davantage tort de le considérer. Je ne vois pas en quoi la conclusion de la SAR au sujet de la crédibilité du demandeur devrait être inquiétée à cet égard. Ce qui était fondamental était que la raison du départ était l’invasion de domicile. Une fois que cet incident n’est pas cru, il reste bien peu au récit. Il m’apparaît que l’absence de toute mention de cet événement dans le seul rapport de police offert par le demandeur porte un coup fatal à sa cause.

[16]  La SAR a également considéré que M. David n’a pas établi un lien avec un motif de la Convention qui eut pu faire en sorte que l’article 96 de la Loi doive être considéré plus avant. En effet, l’article 96 limite les motifs donnant ouverture au statut de réfugié à cinq : la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social ou les opinions politiques. Sans vraiment pouvoir appuyer cette prétention, M. David avait plaidé que son geste de porter plainte au Commissariat de police était un geste politique. L’argument n’a pas fait long feu devant la SPR et il n’y a pas eu davantage d’explication devant la SAR ou même devant cette Cour. La question est simple : comment le fait d’avoir porté plainte à la police constituerait une opinion politique ? Sans une articulation ou explication quelconque, une telle allégation est sans poids.

[17]  Le fardeau du demandeur n’était pas de se déclarer en désaccord avec la SAR, mais plutôt de démontrer, selon la balance des probabilités, que la décision de la SAR était déraisonnable. Cela n’a pas été fait. Il en découle que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Il n’y a pas de question grave de portée générale qui doit être certifiée aux termes de l’article 74 de la Loi.

 


JUGEMENT au dossier IMM-5603-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-5525-18

INTITULÉ :

MARIO DAVID c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (qUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 MAI 2019

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 29 MAI 2019

COMPARUTIONS :

Guy Nephtali

Pour le demandeur

 

Isabelle Brochu

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.