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                                                                                                                                           Date : 20020711

                                                                                                                                  Dossier : T-1809-00

Ottawa (Ontario), ce jeudi 11e jour de juillet 2002

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE KELEN

ENTRE :

                  LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

                                                                                                                                                  demanderesse

                                                                                   et

L'ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS DE TÉLÉPHONE,

LE SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER, FEMMES ACTION

défendeurs

et

BELL CANADA

défendeur

ORDONNANCE

VU une demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) rendue le 30 août 2002 qui annule la requête de la demanderesse de modifier les deux plaintes « en matière de disparité salariale » numéros X00344 et X00372;


ET VU la lecture des documents soumis et l'audience des propositions des parties;

ET pour les raisons de l'ordonnance d'aujourd'hui;

LA COUR ORDONNE QUE :

[1]         La demande de contrôle judiciaire soit accueillie avec l'instruction que le Tribunal accueille les modifications aux plaintes X00344 et X00372;

[2]         Les frais de la cause soient payables par Bell à la Commission et à l'A.C.E.T.

     (signé) Michael A. Kelen                                                                                                                   _________________________

          JUGE

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                                                                                                           Date : 20020711

                                                                                                                                  Dossier : T-1809-00

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 776

ENTRE :

                  LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

                                                                                                                                                  demanderesse

                                                                                   et

L'ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS DE TÉLÉPHONE,

LE SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER, FEMMES ACTION

défendeurs

et

BELL CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN :


[1]         Voici une demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne rendue le 30 août 2000 qui annule la requête de la demanderesse de modifier les deux plaintes « en matière de disparité salariale » numéros X00344 et X00372. Les plaintes ont été modifiées en 1994, mais n'ont, à tort, pas été « données en référence » au Tribunal selon leur forme modifiée. Le Tribunal a refusé la requête en autorisation de modifier les plaintes et la Commission demande un contrôle judiciaire de cette décision.

[2]         Les points en litige consistent à savoir si :

  • ·                        la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est précoce du fait que la décision du Tribunal est interlocutoire;
  • ·                        le Tribunal a fait une erreur de droit ou de compétence en ne modifiant pas les plaintes.

LES FAITS

Les parties

  • ·                        La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission » ) - demanderesse;
  • ·                        Le Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal » ) - le tribunal de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui reçoit les plaintes en matière de disparité salariale;
  • ·                        L'Association canadienne des employés de téléphone ( « ACET » ) - défenderesse;
  • ·                        Le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier ( « SCEP » ) - co-défendeur avec l'ACET;
  • ·                        Femmes Action - co-défenderesse avec l'ACET;
  • ·                        Bell Canada ( « Bell » ) - défendeur.


Historique

[3]         En 1991-1992, l'ACET a déposé trois « plaintes groupées » contre Bell avec la Commission. Ces plaintes ont été datées de la façon suivante et ont reçu les numéros de dossier suivants :

  • ·                        X00344, datée du 27 juin 1991;
  • ·                        X00372, datée du 1er avril 1992; et
  • ·                        X00417, datée du 27 juin 1991.

Les plaintes (les « plaintes 344, 372 et 417 » ) prétendent qu'il y a eu des actes discriminatoires à l'égard des salaires payés aux employés de trois groupes composés principalement d'employés de sexe féminin, en comparaison à des employés de trois groupes comparables composés principalement d'employés de sexe masculin.

[4]         Les trois plaintes varient légèrement, particulièrement lorsqu'il s'agit du nom de groupe d'employés. Autrement, elles sont sensiblement semblables. Par exemple, la plainte X00344 est formulée en partie comme suit :

[TRADUCTION]

Nous prétendons que Bell Canada pose des actes discriminatoires contre le groupe de commis 7 - Localisation des câbles, en raison du sexe, constitué principalement de femmes, quant aux raisons d'emploi en les payant moins que les employés de la classe I, Testeurs de réparation de câble et localisateurs de câble, constituée principalement d'hommes, qui effectuent actuellement du travail de valeur égale dans le même établissement, en violation de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.


[5]         En avril 1991, Bell, l'ACET et le SCEP ont entrepris un « Projet mixte relatif à l'équité salariale » (étude mixte) dont le mandat consistait à « procéder à une vérification en matière d'équité salariale et d'en soumettre les conclusions au groupe approprié de chaque organisation » .

[6]         Au cours de l'étude mixte, des comparaisons entre les emplois des plaignants et des emplois comparateurs ont été faites. Les emplois des plaignants étaient les emplois détenus par les groupes pour lesquels l'ACET avait déposé les plaintes auprès de la Commission et les emplois comparateurs étaient des postes assurés principalement par des hommes et considérés comme étant de valeur égale ou semblable.

[7]         L'étude mixte a pris fin en novembre 1992. Un rapport final a été produit le 23 novembre 1992. Ce rapport concluait à l'existence de « disparités structurelles » quant à la rémunération des employés syndiqués de Bell représentés par l'ACET et le SCEP, indiquant que les emplois à prépondérance féminine recevaient un taux horaire inférieur aux emplois à prépondérance masculine de valeur égale.

[8]         Bell et les parties du syndicat ont tenté de réduire les disparités, mais en vain. Par conséquent en 1994, l'ACET, le SCEP et Femmes Action ont déposé des « plaintes généralisées » supplémentaires indiquant que Bell avait commis des actes discriminatoires en versant une rémunération moins élevée que pour les emplois à prépondérance masculine de valeur égale.


Les modifications

[9]         De plus, à la suite de la suggestion de la Commission et avec l'accord de l'ACET, des modifications ont été déposées le 4 mars 1994 aux trois plaintes de groupe de 1991 et 1992, y compris les plaintes numéros X00344, X00372 et X00417 (les « plaintes modifiées 344, 372 et 417 » ) afin de les mettre à jour relativement au rapport de l'étude mixte. Les modifications ont remplacé la catégorie d'emplois à prépondérance masculine comparable de classes d'emplois particulières par les classes d'emploi dont on fait mention dans le rapport final. Toutes les parties ont été avisées des modifications. Plus particulièrement, Bell en a été avisé le 11 mars 1994.

[10]       Par exemple, la plainte 344 modifiée est rédigée en partie comme suit :

[TRADUCTION]

Bell Canada pose des actes discriminatoires contre le groupe à prépondérance féminine A7 LOCALISATION DE CÂBLE, en le payant moins que les emplois à prépondérance masculine de valeur égale comme cela a été démontré par le Projet mixte relatif à l'équité salariale, en violation de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Rapport d'enquête


[11]       La Commission a produit trois rapports d'enquête faisant tous référence aux plaintes modifiées. Ces rapports comprenaient la recommandation visant à ce que les plaintes modifiées 344 et 372 soient renvoyées à un tribunal. Le rapport d'enquête révisé daté du 15 novembre 1995 indique au paragraphe 1 ... [TRADUCTION] « Plus tard, l'ACET a modifié ses trois plaintes en remplaçant le comparateur par "tous les emplois à prépondérance masculine de valeur égale" » . Le paragraphe 15 du rapport, à la section « RECOMMANDATIONS » , recommande que toutes ces plaintes soient renvoyées à un tribunal « unique » des droits de la personne. Ainsi, il était clair, le 15 novembre 1995, que la Commission recommandait que les « plaintes modifiées » soient renvoyées au Tribunal.

Renvoi des plaintes au Tribunal

[12]       Par des lettres datées du 27 et du 30 mai 1996, les plaintes ont été renvoyées au Tribunal. La lettre du 27 mai se lit en partie comme suit :

[TRADUCTION]

La Commission canadienne des droits de la personne a révisé le rapport d'enquête portant sur les plaintes déposées par l'ACET contre Bell Canada prétendant une discrimination quant à l'emploi fondée sur le sexe, en violation à l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne :

(X00469) datée du 21 juin 1994

(X00460) datée du 4 mars 1994

(X00417) datée du 22 octobre 1992, telle que modifiée

(X00372) datée du 1er avril 1992

(X00344) datée du 27 juin 1991

[...]

La Commission avait décidé, en vertu de l'article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer un tribunal pour instruire vos plaintes puisqu'elle est convaincue que, en regard de toutes les circonstances relatives aux plaintes, que celle-ci est justifiée.

La lettre du 30 mai énumère les mêmes plaintes, avec deux plaintes supplémentaires par Femmes Action et le SCEP respectivement. Encore une fois, seule la plainte 417 est énumérée comme étant « telle que modifiée » . Les plaintes 372 et 344 ne sont pas énumérées comme étant « telles que modifiées » .


Requête en modification

[13]       En août 2000, la Commission a déposé une requête devant le Tribunal demandant que les plaintes modifiées 344 et 372 remplacent les plaintes originales 344 et 372 devant le Tribunal, puisque les plaintes originales avaient été présentées au Tribunal « par erreur » . Le Tribunal a invité la Commission à présenter des preuves à l'effet qu'il s'était produit une erreur résultant de la présentation des mauvaises plaintes. Aucune preuve à cet effet n'a été présentée par la Commission.

Disposition

[14]       Par le jugement daté du 31 août 2000, le Tribunal a rejeté la requête de la Commission en raison que les plaintes originales 344 et 372 avaient été présentées au Tribunal au choix de la Commission :

II.             Disposition

[19]          La Commission a demandé par sa requête que le Tribunal modifie les plaintes X00344 et X00372 qui ont été renvoyées à celui-ci par la Commission. À notre avis, il ne s'agit pas d'une question de modification puisque ces plaintes ont été modifiées par l'ACET le 14 mars 1994 et par la suite déposées auprès de la Commission.

[20]          De plus, la Commission a choisi de ne renvoyer aucune des plaintes individuelles mais de renvoyer cependant la plainte X00417 modifiée de l'ACET. Il s'agit donc d'un choix plutôt que d'une omission.

[21]         Par sa demande, la Commission cherche à obtenir du Tribunal qu'il casse la décision claire et non équivoque qu'elle a rendue de renvoyer le dossier et qu'il substitue sa propre décision à celle de la Commission. Nous n'avons pas la compétence pour donner droit à cette requête.

[...]


[26]          Si la Commission a considéré que c'est par erreur que les plaintes modifiées n'ont pas été renvoyées au Tribunal, il lui incombait d'en faire la preuve. La Commission n'a présenté aucun élément de preuve sur cette question bien qu'elle ait été invitée à le faire à deux occasions par le Tribunal.

[27]         La Commission savait au moins depuis le 24 novembre 1997 (date où la demande de contrôle judiciaire de Bell a été plaidée), sinon avant, qu'un litige existait quant à la question des deux plaintes collectives modifiées de l'ACET qui n'ont pas été renvoyées au Tribunal.

[28]         La Commission aurait pu résoudre ce problème en renvoyant au Tribunal, en tout temps depuis cette date, ces deux plaintes modifiées. Ce que la Commission n'a pas fait.

[29]         Pour tous ces motifs, la requête de la Commission est rejetée.

(Non souligné dans l'original).

Demande de contrôle judiciaire

[15]       La Commission dépose la présente demande de contrôle judiciaire du jugement du Tribunal afin que la Cour ordonne : que le jugement soit annulé; que le Tribunal agisse à sa discrétion pour modifier les plaintes; et qu'il soit interdit au Tribunal de rejeter les plaintes avant qu'il ne les ait modifiées.

[16]       Les défendeurs ACET, SCEP et Femmes Action demandent également que la décision du Tribunal soit annulée et que les plaintes soient modifiées.

[17]       Le défendeur Bell Canada demande que la demande soit rejetée.


NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[18]       La décision rendue par le Tribunal en l'espèce a été basée sur une question de droit. Le Tribunal a décidé qu'il n'avait pas la compétence nécessaire pour modifier les plaintes d'après la demande de la Commission. Comme il a été reconnu par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.S.C. 554, les tribunaux administratifs ne sont pas des experts quant aux questions de droit et ne peuvent exercer qu'une déférence minimale. Ainsi, la norme de contrôle judiciaire dans le présent cas est celle du bien-fondé.

LOIS PERTINENTES

[19]       La section pertinente de la Loi canadienne sur les droits de la personne L.R. 1985, ch. H-6 est ainsi formulée :


Instruction des plaintes

Instruction

    49. (1) La Commission peut, à toute étape postérieure au dépot de la plainte, demander au président du Tribunal de désigner un membre pour instruire la plainte, si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à celle-ci, que l'instruction est justifiée.

Formation

     (2) Sur réception de la demande, le président désigne un membre pour instruire la plainte. Il peut, s'il estime que la difficulté de l'affaire le justifie, désigner trois membres, auxquels dès lors les articles 50 à 58 s'appliquent.

Inquiries into Complaints

Request for inquiry

     49. (1) At any stage after the filing of a complaint, the Commission may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry into the complaint if the Commission is satisfied that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry is warranted.

Chairperson to institute inquiry

     (2) On receipt of a request, the Chairperson shall institute an inquiry by assigning a member of the Tribunal to inquire into the complaint, but the Chairperson may assign a panel of three members if he or she considers that the complexity of the complaint requires the inquiry to be conducted by three members.            



ANALYSE

La décision du Tribunal est-elle sujette au contrôle judiciaire?

[20]       Le défendeur Bell Canada a fait valoir que la décision du Tribunal représentait une décision interlocutoire et qu'elle n'était donc pas sujette au contrôle judiciaire tout comme le serait une décision finale du Tribunal quant à une plainte. Le défendeur fait référence à des instances de compétence de la Cour pour lesquelles, en effet, la Cour a refusé de porter jugement sur une question interlocutoire.

[21]       Cependant, il faut se pencher sur les décisions pour lesquelles la Cour a reconnu que les jugements interlocutoires étaient sujets au contrôle. Dans l'arrêt Citizens' Mining Council of Newfoundland and Labrador Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement), [1999] A.C.F. no 273 (C.F. 1er inst.), le juge MacKay maintient au paragraphe 50 qu'une décision interlocutoire est sujette au contrôle judiciaire si elle définit la portée de la décision finale et si elle a une importance suffisante. Dans le cas présent, les modifications des plaintes définissent la portée de l'audience et du jugement du Tribunal. Les modifications ont une importance suffisante pour que le demandeur n'ait pas à attendre que le Tribunal rende sa décision avant de commencer le procédé de contrôle judiciaire.


[22]       Le juge Tremblay-Lamer dans l'arrêt Groupe G. Tremblay Syndics Inc. c. Canada (Surintendant des faillites) (1er inst.), [1997] 2 C.F. 719, [1997] A.C.F. no 294 (C.F. 1er inst.) (a changé pour [2001] A.C.F. no 352 (C.A.F.), mais pas par rapport à ce point) a maintenu au paragraphe 23 qu'une décision interlocutoire qui affecte les droits du requérant est sujette au contrôle judiciaire.

[23]       Dans le présent cas, les droits du plaignant que ses plaintes concernant les droits de la personne soient examinées de façon approfondie par le Tribunal sont affectés par la décision interlocutoire. Ainsi, je suis d'avis que ce jugement interlocutoire affecte les droits des parties et est sujet au contrôle judiciaire de façon immédiate.

[24]       Un autre motif pour la Cour de réviser la décision du Tribunal consiste que le Tribunal a formulé sa décision, au paragraphe 21, comme étant une question connexe à sa compétence. Le Tribunal a décidé qu'il n'avait pas la compétence nécessaire pour modifier les plaintes que la Commission avait renvoyées au Tribunal. La Cour d'appel fédérale a maintenu, dans l'arrêt Shubenacadie Indian Band c. la Commission canadienne des droits de la personne et al. (2000), 256 N.R.109 au paragraphe 10 :

[TRADUCTION]

En règle générale, manque de questions de compétence, les décisions prises concernant le déroulement de l'audience d'un Tribunal ne doivent pas être mises en question avant que l'audience du Tribunal soit terminée. (Non souligné dans l'original).


Ainsi, la Cour doit accepter les demandes de contrôle judiciaire d'une décision interlocutoire pour laquelle le Tribunal reconnaît qu'il n'a pas la compétence nécessaire pour juger une question qui affectera les droits des parties. Dans le cas présent, le Tribunal a formulé son jugement rejetant les modifications comme étant une question de manque de compétence.

[25]       Pour ces motifs, la décision interlocutoire est sujette au contrôle judiciaire.

Le Tribunal a-t-il commis une erreur en ne modifiant pas les plaintes?

[26]       En raison des faits suivants et des commentaires de la Cour d'appel fédérale, il est surprenant que le Tribunal n'ait pas accueilli les modifications aux plaintes afin de rectifier une erreur claire et évidente.

i. Les faits

[27]       Dans les trois rapports d'enquête de la Commission, y compris le rapport final d'enquête révisé daté du 15 novembre 1995, les plaintes modifiées constituaient le sujet de l'enquête et des recommandations considérées par la Commission quant à sa décision de renvoyer les plaintes au Tribunal.


[28]       Lorsque la Commission a renvoyé les plaintes au Tribunal par l'intermédiaire des lettres datées du 27 et du 30 mai 1996, la Commission, présumément par erreur, n'a pas fait référence aux plaintes 372 et 344 telles que modifiées. De l'avis de l'avocat de Bell, cette erreur était évidente. Les plaintes originales avaient été modifiées pour refléter le rapport final du Projet mixte relatif à l'équité salariale. La Commission a signalé à Bell le fait que ces plaintes avaient été modifiées par une lettre datée du 11 mars 1994 et les plaintes modifiées avaient été citées dans le premier paragraphe du rapport d'enquête qui a mené au renvoi des plaintes au Tribunal.

ii. Référence de la Cour d'appel fédérale aux plaintes modifiées

[29]       Le juge Décary, au nom de la Cour d'appel fédérale, il y a trois ans dans l'arrêt Bell Canada c. le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113, [1998] A.C.F. no 1609 (C.A.F.), a fait référence aux plaintes 344 et 372 et a fait remarqué que la Commission avait omis par erreur les termes « sous leur forme modifiée » et que l'erreur pouvait être facilement rectifiée par une modification. La Cour a inscrit la note 1 au paragraphe 29 :

Pour les plaintes X00344 et X00372, la Commission a omis les termes « sous leur forme modifiée » dans sa décision, donnant l'impression que seules les plaintes originales avaient été déférées par la Commission au président du Comité du tribunal des droits de la personne. L'avocat de Bell a reconnu devant le juge des requêtes qu'il avait pensé dès le départ qu'il s'agissait d'une « erreur » , et, dans son mémoire, il n'a pas soulevé la question des conséquences d'une telle erreur sur la validité des deux plaintes ... À l'audition, la Cour a estimé que l'erreur n'avait causé aucun préjudice à Bell, qui savait depuis le début que les sept plaintes généralisées étaient en cause. Il ne fait aucun doute que l'erreur peut facilement être corrigée devant le tribunal. [...]

Le juge Décary a qualifié l'erreur de « cafouillage administratif » et qu'il ne constituait pas en soi une cause d'intervention judiciaire. Ainsi, la Cour d'appel fédérale a reconnu cette erreur et qu'elle pouvait être facilement corrigée. En raison des faits et de la référence de la Cour d'appel fédérale, il est surprenant que le Tribunal n'ait pas accueilli les modifications aux plaintes.


iii. Compétence à modifier

[30]       La jurisprudence dit clairement que le Tribunal a la compétence de modifier les plaintes de discrimination. Le juge Sopinka, dans l'arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.S.C. 970, aux pages 978 et 996, au nom de la Cour suprême du Canada, a reconnu que la Commission des droits de la personne pouvait modifier une plainte non conforme pour la rendre conforme à la nature de l'audience devant le Tribunal. Cela peut se faire à n'importe quel moment pendant l'audience.

[31]       Cette jurisprudence est reprise dans les décisions de la Cour fédérale quant aux modifications de plaidoirie selon la règle 75 des Règles de la Cour fédérale, 1998. Je fais référence à l'arrêt Rolls Royce plc c. Fitzwilliam (2000), 10 C.P.R. (4e) 1 (C.F. 1er inst.), dans lequel le juge Blanchard a établi, en tant que règle générale, que les modifications proposées soient autorisées lorsque la partie adverse ne subit aucun préjudice :

10 Bien que la Cour exerce à cet égard un pouvoir discrétionnaire, elle devrait, en règle générale, autoriser les modifications lorsque la partie adverse n'en subit aucun préjudice. Le juge Décary, s'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Canderel Ltd. c. Canada, [1994] 1 C.F. 3 (C.A.F.) à la page 9] :

... la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice.


[32]       De plus, les parties ont reconnu, à l'audience, que la Commission pouvait, à n'importe quel moment, renvoyer les plaintes modifiées au Tribunal pour décision. Si la Commission peut déposer les plaintes modifiées à n'importe quel moment, il est logique, pour la Commission, de demander l'autorisation de modifier les plaintes originales qui ont été déposées par erreur. Cela est particulièrement évident puisque les plaintes modifiées constituaient le sujet des rapports d'enquête de la Commission et avaient remplacé les plaintes originales en mars 1994.

iv. Conclusion de fait que les plaintes n'étaient pas des « plaintes modifiées » , mais de « nouvelles plaintes »

[33]       Bell suggère que le Tribunal a jugé comme étant un fait que les « plaintes modifiées » proposées ne constituent pas des « plaintes modifiées » , mais plutôt de « nouvelles plaintes    » .

[34]       Bell suggère que le Tribunal a catégorisé les plaintes modifiées 344 et 372 comme étant des plaintes différentes des plaintes originales 344 et 372 et que la requête de la Commission ne visait pas à modifier, mais représentait plutôt une tentative de remplacement par de nouvelles plaintes dans la question déjà en cause.

[35]       La question sur laquelle il faut se pencher consiste à savoir si le Tribunal a commis une erreur quant à cette conclusion de fait.


[36]       Les modifications ont eu lieu avant que les plaintes ne soient renvoyées au Tribunal. Après avoir été modifiées, les plaintes modifiées représentaient la version qui était à la disposition de la Commission en vue du renvoi au Tribunal. Tandis que les plaintes modifiées ont une portée moins approfondie que les plaintes originales, leur but est le même - traiter des questions d'équité salariale par rapport à certains groupes d'employés de Bell.

[37]       Je suis d'avis que la requête en modification représentait une tentative de correction d'une erreur évidente et de mise à jour de l'audience du Tribunal par rapport aux preuves pertinentes. Il ne s'agissait pas d'une tentative de présentation de plaintes tout à fait nouvelles pour une audience déjà en cours.

DÉPOSITION

[38]       Cette demande de contrôle judiciaire est accueillie avec l'instruction que le Tribunal accueille les modifications aux plaintes X00344 et X00372.

[39]       Les frais de la cause sont payables par Bell à la Commission et à l'A.C.E.T.

                (signé) Michael A. Kelen             _________________________

                                                                                      JUGE

OTTAWA (ONTARIO)          

LE 11 JUILLET 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               T-1809-00

INTITULÉ :                              LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

c.                                

L'ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS DE TÉLÉPHONE, LE SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER, FEMMES ACTION et BELL CANADA

           

LIEU DE L'AUDIENCE :      Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :    Le 19 juin 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :L'HONORABLE JUGE KELEN

DATES DES MOTIFS :         Le 11 juillet 2002

COMPARUTIONS :

M. Patrick O'Rourke                                                        Pour la demanderesse

M. Larry Steinberg                                                            Pour la défenderesse,

Association canadienne des employés de téléphone

M. William Hayter                                                            Pour le défendeur,

Bell Canada

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. René Duval, co-directeur du contentieux                    Pour la demanderesse

Commission canadienne des droits de la personne

Koskie Minsky                                                                 Pour la défenderesse,

Toronto (Ontario)                                                              Association canadienne des employés

de téléphone


Caroline Engelmann Gottheil                                             Pour le défendeur,

Ottawa (Ontario)                                                               Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier                                      

Heenan Blaikie                                                     Pour le défendeur,

Montréal (Québec)                                                            Bell Canada

Mme Odette Gagnon                                                         Pour la défenderesse,

Femmes Action                                                                 Femmes Action

Montréal (Québec)

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