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     Date : 19990430

     Dossier : IMM-1338-98

ENTRE :


TEODORA RODRIGUEZ VILLAREAL,

     demanderesse,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A. Introduction

[1]      Teodora Rodriguez Villareal a été frappée d'une mesure d'expulsion pour le motif qu'elle a obtenu son admission au Canada par suite d'une fausse indication, à savoir qu'elle n'était pas mariée. Elle a interjeté appel de la mesure d'expulsion devant la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en vertu de sa " compétence en equity ". Son appel a été rejeté parce qu'elle n'a pas réussi à convaincre la Commission qu' " eu égard aux circonstances particulières de l'espèce ", elle ne devrait pas être renvoyée du Canada : voir par. 70(1)b) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]      Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse sollicite l'annulation de la décision de la Commission pour le motif qu'elle est erronée en droit.

B.Énoncé des faits

[3]      Originaire des Philippines, Mme Villareal est arrivée au Canada en 1994 à l'âge de 40 ans. Son fils est né peu de temps après son entrée au pays. Elle travaille régulièrement depuis qu'elle est arrivée au Canada. Elle occupe maintenant le même emploi depuis trois ans.

[4]      Elle loue un appartement où elle habite avec son fils et sa mère. Elle a réussi à économiser plus de 2 000 $. Elle a également fourni la preuve de sa participation active dans la communauté, particulièrement en ce qui concerne son église, et du fait qu'elle suit des cours d'anglais langue seconde.

[5]      D'autres membres de la famille immédiate de Mme Villareal vivent au Canada. En plus de son fils, pour qui elle est évidemment très importante, la mère, les deux soeurs avec leurs maris, une nièce et un frère de la demanderesse se trouvent au Canada. Son mari, qui est le père de son enfant, habite aux Philippines. Il ne fait aucune doute que c'est sa demande de parrainer l'admission de son mari au Canada qui a éveillé l'attention des autorités de l'Immigration sur la fausse indication de la demanderesse.

[6]      La demanderesse avoue ne pas avoir déclaré son véritable état civil lorsqu'elle a présenté sa demande pour entrer au Canada et, une seconde fois, au point d'entrée; elle admet avoir donné cette fausse indication sciemment en sachant qu'elle était fausse. Son avocat a reconnu que cette fausse indication portait sur un fait important relativement à son admission au Canada et que la demanderesse appartenait en conséquence à la catégorie non admissible visée à l'alinéa 27(1)e) de la Loi sur l'immigration. La mesure d'expulsion prise contre elle est donc valide.

C.Questions en litige et analyse

Première question en litige :      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en considérant le fait que la demanderesse avait donné une fausse indication comme déterminant?

[7]      L'avocat de la demanderesse a prétendu que la Commission a commis une erreur de droit en considérant apparemment " le fait qu'elle a donné une fausse indication " comme déterminant quant à l'issue de l'appel, malgré la preuve soumise par la demanderesse qu'elle s'est établie avec succès au Canada et qu'une séparation forcée des membres de sa famille qui demeurent au pays lui causerait des difficultés. L'avocat a fait remarquer que, puisqu'il n'y aurait pas eu d'appel devant la Commission si la demanderesse n'avait pas donné une fausse indication, la compétence en equity de la Commission deviendrait sans effet si l'on suivait son raisonnement.

[8]      Je ne juge pas cet argument convaincant. Après avoir lu l'ensemble des motifs de la Commission, je suis convaincu qu'elle a tenu compte des circonstances particulières de l'espèce, comme l'exige l'alinéa 70(1)b), et soupesé le fait que la demanderesse a donné une fausse indication en regard de la preuve favorable à l'exercice de sa compétence en equity.

[9]      Premièrement, la Commission a expressément déclaré que [Traduction] " le fait qu'elle a donné une fausse indication ne constitue que l'un des éléments à prendre en compte dans l'évaluation des circonstances particulières ". Lorsque la Commission a dit que les accomplissements de la demanderesse [Traduction] " ne compensent pas le fait qu'elle a donné une fausse indication ", elle a annoncé le résultat de son appréciation.

[10]      Deuxièmement, la Commission a également tenu compte du fait que la demanderesse a délibérément donné cette fausse indication afin de garantir son admission au Canada. C'est pourquoi, la Commission a déclaré :

         [Traduction]         
         L'appelante a donné sciemment une fausse indication très grave concernant son état afin d'entrer au Canada.         

Ainsi, même si la Commission a mentionné plus tard " le fait qu'elle a donné une fausse indication ", il est clair qu'elle a aussi tenu compte de l'état d'esprit de la demanderesse au moment où elle l'a donnée.

[11]      Troisièmement, si comme l'a prétendu l'avocat de la demanderesse, la Commission a considéré que la fausse indication était en soi déterminante quant à l'issue de l'appel, il est difficile de comprendre pourquoi, dans ce cas, la Commission a procédé à l'examen de la preuve soumise au nom de la demanderesse. Certes, la Commission a effectivement jugé la fausse indication décisive compte tenu des faits de l'espèce, mais cela ne constitue pas une erreur de droit.     

Seconde question en litige :      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en tenant compte de la gravité de la fausse indication?

[12]      Le second argument présenté au nom de la demanderesse qui, selon moi, frôlait dangereusement l'incompatibilité avec le premier, était que la Commission a commis une erreur de droit en tenant compte de la gravité de la fausse indication. L'avocat a allégué que, bien que la Commission doive évaluer la gravité d'une infraction criminelle pour laquelle un appelant est expulsé (Ribic c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (SAI; T-84-9623; 20 août 1985)), ce facteur n'est pas pertinent lorsque, comme en l'espèce, l'expulsion n'est pas le résultat d'une condamnation au criminel, mais d'une fausse indication.

[13]      À mon avis, la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en tenant compte de ce facteur. Le fait d'obtenir son admission au Canada par suite d'une fausse indication, comme la demanderesse reconnaît l'avoir fait, constitue une infraction en vertu de l'alinéa 94(1)b) de la Loi sur l'immigration. Dans ces circonstances, il était tout à fait indiqué que la Commission considère le " facteur de gravité ", mentionné dans l'affaire Ribic, applicable par analogie à une affaire dans laquelle la mesure d'expulsion a été prise par suite d'une inconduite qui aurait pu donner lieu à une poursuite. À l'instar d'une infraction criminelle dont une personne a été reconnue coupable, une fausse indication peut être plus ou moins grave en fonction, par exemple, du fait qu'elle a été donnée de façon délibérée ou par inadvertance, et des circonstances qui l'entourent.

[14]      Cependant, l'avocat a prétendu que la mesure d'expulsion n'est pas une mesure de répression et que le pouvoir d'expulser une personne ne doit pas être exercé dans un objectif de dissuasion générale (Hurd c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 594 (C.A.F.)), mais simplement afin de renvoyer les personnes indésirables du Canada pour la protection de la société canadienne. Par conséquent, il a soutenu qu'il n'était pas pertinent aux yeux de la loi de déterminer, aux fins du renvoi, si la fausse indication a été donnée intentionnellement, car la seule raison qui justifierait cet examen serait de décourager les autres personnes qui pourraient être tentées d'entrer au Canada en donnant sciemment une fausse indication.

[15]      Je ne peux retenir cet argument. Il me semble parfaitement clair qu'en examinant les " circonstances particulières de l'espèce ", la Commission est en droit de tenir compte de la gravité de la fausse indication. La présence au Canada d'une personne qui obtient son admission par suite d'un mensonge réfléchi et calculé est certainement moins désirable que celle d'une personne dont la fausse indication résulte d'une négligence ou d'un malentendu. Déterminer si une personne tente d'obtenir un avantage, à savoir demeurer au Canada, en commettant délibérément un acte fautif fait certainement partie des " circonstances particulières de l'espèce ".

[16]      Je suis d'accord pour dire que la mesure d'expulsion n'est pas de nature criminelle ou pénale et que la personne contre laquelle elle est prise n'est pas une " inculpée " au sens de l'article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés , comme il a été statué dans l'affaire Hurd, mentionnée plus haut. Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement qu'il est illégal pour le ministre, lorsqu'il décide s'il doit renvoyer une personne, ou pour la Commission, lorsqu'elle exerce sa compétence en equity, de prendre en considération le fait que le renvoi des personnes qui mentent pour obtenir leur admission au Canada risque d'avoir un effet de découragement sur les personnes qui seraient tentées de faire la même chose.

[17]      Par conséquent, il me semble que le recours au pouvoir d'expulsion aux fins de protéger l'intégrité du régime législatif en matière de contrôle de l'immigration contre d'éventuels abus constitue une question d'ordre public, qui peut être légitimement prise en considération dans l'exercice d'un pouvoir qui n'est pas de nature criminelle ou pénale au sens de la Charte. Ainsi, en décidant si une personne doit être renvoyée " eu égard aux circonstances particulières de l'espèce ", la Commission peut tenir compte de la gravité de la fausse indication dans cette perspective.

C. Conclusion

[18]      À mon avis, par ses arguments, l'avocat cherchait au fond à présenter sous un meilleur jour une plainte selon laquelle la Commission a accordé trop d'importance à l'acte fautif de la demanderesse et trop peu de poids aux efforts qu'elle a déployés pour s'établir avec son fils au Canada, entourée des membres de sa famille, de façon à faire intervenir la compétence limitée de la Cour de contrôler l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission.

[19]      Toutefois, malgré les éléments de cette cause qui suscitent manifestement la sympathie, il aurait fallu avoir recours à un moyen plus ingénieux pour réussir à prouver, qu'en raison de la façon dont elle a apprécié les facteurs pertinents, la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon manifestement déraisonnable, commettant ainsi une erreur de droit : Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 3 C.F. p. 299, 331 à 333 (C.F. 1re inst.).

[20]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     " John M. Evans "

                                             Juge     

TORONTO (ONTARIO)

Le 30 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats et avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DE GREFFE :              IMM-1338-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          TEODORA RODRIGUEZ VILLAREAL

                         - et -

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                         ET DE L'IMMIGRATION

    

DATE DE L'AUDIENCE :              LE MERCREDI 28 AVRIL 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE EVANS

DATE DES MOTIFS :              LE VENDREDI 30 AVRIL 1999

ONT COMPARU :                  M e Arthur Weinreb

                             Pour la demanderesse

                         M e Godwin Friday

                             Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Arthur W. Weinreb

                         Avocat

                         44, avenue Woodrow

                         Toronto (Ontario)

                         M4C 5S2

                             Pour la demanderesse

                         Morris Rosenberg

                         Sous-procureur

                         général du Canada

        

                             Pour le défendeur

                                                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA
                                                              Date : 19990430
                                                              Dossier : IMM-1338-98
                                                         Entre :
                                                         TEODORA RODRIGUEZ VILLAREAL,
                                                              demanderesse,
                                                         - et -
                                                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
                                                         ET DE L'IMMIGRATION,
                                                              défendeur.
                                                        
                                                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE
                                                                                 
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