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     Date : 19981110
     Dossier : T-504-98



Ottawa (Ontario), le 10 novembre 1998

En présence de Monsieur le juge Gibson



ENTRE :

     JOSEPH W. BRENNAN, résidant au

     278, McEachern Cres., Orleans (Ont.), K1E 3K5,

     demandeur,

ET

     L'inspecteur GUY LAFLAMME, arbitre de grief,

     Gendarmerie royale du Canada, 250, chemin Tremblay

     Immeuble Pickering, pièce 204 F, Ottawa (Ont.), K1A 0R2,

ET

     Le commissaire PHILIP MURRAY,

     Gendarmerie royale du Canada, 1200, promenade Vanier

     Ottawa (Ont.), K1A 0R2,

ET

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     Immeuble du ministère de la Justice,

     239, rue Wellington, Ottawa (Ont.), K1A 0H8,

     défendeurs.




     ORDONNANCE

     La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le défendeur le procureur général du Canada est condamné aux dépens, soit les débours du demandeur, que je fixe à 500 $.


                                 Frederick E. Gibson

                                     Juge




Traduction certifiée conforme


Marie Descombes, LL.L.

     Date : 1998-11-10

     Dossier : T-504-98


ENTRE :

     JOSEPH W. BRENNAN, résidant au

     278, McEachern Cres., Orleans (Ont.), K1E 3K5,

     demandeur,

ET

     L'inspecteur GUY LAFLAMME, arbitre de grief,

     Gendarmerie royale du Canada, 250, chemin Tremblay

     Immeuble Pickering, pièce 204 F, Ottawa (Ont.), K1A 0R2,

ET

     Le commissaire PHILIP MURRAY,

     Gendarmerie royale du Canada, 1200, promenade Vanier

     Ottawa (Ont.), K1A 0R2,

ET

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     Immeuble du ministère de la Justice,

     239, rue Wellington, Ottawa (Ont.), K1A 0H8,

     défendeurs.



     MOTIFS DE LA DÉCISION



LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]      Le demandeur demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l'inspecteur Guy Laflamme de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC), qui agissait comme arbitre de grief au niveau II (l'arbitre), a confirmé la décision prise au niveau I de la procédure applicable aux griefs de rejeter le grief présenté par le demandeur relativement au refus de le promouvoir au grade de sergent-major d'état-major (s.-m.é.-m.). La décision contestée est datée du 14 janvier 1998.

LES FAITS

[2]      Le demandeur a servi dans la GRC du 13 novembre 1957 au 9 février 1997. Il a été élu représentant divisionnaire des relations fonctionnelles (R.D.R.F.) de la division A de la GRC pour la première fois le 17 juillet 1987. Il a par la suite été réélu comme R.D.R.F. à trois reprises et a exercé ces fonctions jusqu'au 24 janvier 1996. Les R.D.R.F. défendent les intérêts des membres de la GRC lorsque se présentent des questions touchant les relations de travail au sein de la GRC.

[3]      Durant son affectation comme R.D.R.F., le demandeur détenait le grade de sergent d'état-major.

[4]      Le 2 février 1993, au cours de son troisième mandat à titre de R.D.R.F. de la division A, le demandeur a demandé au commandant divisionnaire, Division A, de le promouvoir au « grade effectif suivant de sous-officier » et ce, rétroactivement à la date à laquelle il avait été élu R.D.R.F. pour la première fois. Sa demande était fondée sur les dispositions du Bulletin d'administration AM-940 de la GRC publié le 21 mars 1986 et intitulé « Avancement des membres affectés au poste de R.D.R.F. » . Suivant les dispositions pertinentes de ce bulletin, qui figurent au paragraphe 1.b.1.2, le membre régulier autre que le gendarme spécial qui est affecté au poste de R.D.R.F. est promu au grade effectif suivant si, n'importe quand au cours d'un deuxième mandat ou d'un mandat subséquent à titre de R.D.R.F., il atteint la moyenne nationale pour la promotion à ce grade qui est indiquée dans l'annexe II-1-0 du Manuel d'administration, et s'il détient son grade actuel depuis au moins deux ans.

[5]      Le demandeur a été avisé par voie de note de service en date du 10 juin 1993 que sa demande de promotion au grade de s.-m.é.-m. avait été refusée par le sous-commissaire à l'Administration générale parce que, en mai 1975, le titulaire du poste de commissaire à ce moment-là avait approuvé la suppression du grade de s.-m.é.-m. dès la libération du dernier membre actif.

[6]      Le demandeur a déposé un grief concernant cette décision le 25 juin 1993. Le grief a été rejeté au niveau I. Le demandeur a présenté son grief au niveau II. C'est la décision prise au niveau II, qui confirmait le rejet du grief au niveau I, qui fait l'objet du présent contrôle.

LA DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[7]      Dans sa décision, l'arbitre a fait un bref compte rendu du grief dont il avait été saisi. Il a ensuite examiné son mandat. Il s'est exprimé en ces termes :

     [traduction] Le présent grief concerne une promotion et je dois donc me limiter à l'examen des preuves d'erreur de fait ou de procédure (Consignes du commissaire (grief), art. 16). Le mandat de l'arbitre saisi d'un grief de cette nature consiste à s'assurer que les politiques et les procédures de la Gendarmerie ont été respectées; que tous les renseignements pertinents et applicables ont été pris en considération; et que le membre a été traité équitablement.

[8]      Après avoir exposé les faits à l'origine du grief par le menu, la nature du grief et la politique qui sous-tend la décision dont il a été saisi, l'arbitre est arrivé aux conclusions suivantes :

premièrement :

     [traduction] Il est donc acquis que l'AM-940 [politique relative à l'avancement des R.D.R.F.] s'appliquait lorsque l'intéressé a été élu;

deuxièmement :

     [traduction] [...] l'AM-940 déléguait le pouvoir du commissaire d'accorder de l'avancement à un R.D.R.F. au commandant de la division à laquelle le R.D.R.F. appartenait [...] Je conclus que le sous-commissaire (Administration générale) a agi en dehors des limites de sa compétence [en refusant la promotion] et qu'il s'agissait d'une erreur de procédure.

troisièmement :

     [traduction] Je suis convaincu que, dans le cas du présent grief, il n'était pas nécessaire qu'il existe un poste vacant pour promouvoir l'intéressé au grade supérieur suivant.

quatrièmement :

     [traduction] Je suis convaincu que le grade de s.-m.é.-m. existe encore.
     Je suis également convaincu que le grade de s.-m.é.-m. est classifié comme un grade de sous-officier, compte tenu de la définition du terme « officiers » qui figure aux par. 2(1), 6(1) et 6(3) de la Loi et aux article 15 et 65 du Règlement.

et enfin :

     [traduction] [...] je suis convaincu que la décision de supprimer le grade de s.-m.é.-m. était raisonnable, vu l'étude effectuée par la section de la classification sur la redondance de certains postes. Je suis également convaincu que cette décision a été prise par la personne compétente, soit le commissaire, et qu'elle faisait disparaître en conséquence toute délégation existante ou future du pouvoir d'accorder de l'avancement au grade de s.-m.é.-m.
     Néanmoins, cette décision n'a jamais donné lieu à la modification du Règlement sur la GRC. Mais d'après la preuve dont j'ai été saisi, on a donné effet à cette décision de principe en pratique. Plus personne n'a été promu au grade de s.-m.é.-m. par la suite. C'est ce qui explique pourquoi il n'existait aucune moyenne nationale pour l'avancement au grade de s.-m.é.-m. dans le bulletin. Je suis convaincu qu'une décision de principe a été prise en 1975 relativement à la suppression du grade de s.-m.é.-m. et que, même si cette décision n'a pas donné lieu à des modifications législatives, on y a donné effet en pratique puisque les commandants divisionnaires ont été avisés en conséquence et n'ont promu personne au grade de s.-m.é.-m. Cette pratique a été maintenue de manière constante jusqu'à ce jour. Cette décision était claire et non équivoque et a été communiquée à toutes les divisions. La pratique de la Gendarmerie qui en est résulté et qui a consisté à ne pas accorder d'avancement au grade de s.-m.é.-m. a été appliquée non pas subrepticement mais ouvertement et sur une longue période, et n'a fait l'objet d'aucune exception. J'arrive à la conclusion que la Gendarmerie a adopté, en 1975, une politique sur les promotions au grade de s.-m.é.-m. à laquelle elle n'a pas dérogé, et que cette politique n'était pas l'aboutissement d'une décision arbitraire. Bien que cette politique n'ait pas été incorporée explicitement dans le bulletin AM-940, elle était malgré tout en vigueur et a été incorporée dans des politiques subséquentes sur la promotion des R.D.R.F. Je conclus donc qu'un R.D.R.F. ne pouvait pas être promu au grade de s.-m.é-m. à cause de cette décision de principe et de la pratique constante de la Gendarmerie. Seul le commissaire peut déroger à cette pratique et promouvoir quelqu'un au grade de s.-m.é-m.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[9]      Les questions suivantes ont été débattues à l'audience :

     1.      la norme de contrôle applicable à une décision semblable à celle qui fait l'objet du présent contrôle;
     2.      la question de savoir si, compte tenu de la norme de contrôle applicable, l'arbitre a commis une erreur justifiant un contrôle en se prononçant comme il l'a fait ou en n'examinant pas la question de la promotion du demandeur à un autre grade de sous-officier;
     3.      la question de savoir si le demandeur avait le droit d'invoquer la théorie de l'attente légitime au soutien de la promotion qu'il demandait.

ANALYSE

1.      La norme de contrôle

[10]      Dans l'affaire Fortin c. Gaudet, Inkster et autre1, qui se rapporte au contrôle judiciaire de la décision relative à une promotion prise par un arbitre au niveau II de la GRC, encore que dans des circonstances qui diffèrent de celles de l'espèce sous des rapports importants, le juge Joyal a défini l'une des questions en litige en ces termes :

     2)      Si le membre qui constituait le niveau II s'est trompé en rejetant le grief du requérant, est-ce que cette erreur est une erreur manifestement déraisonnable qui permet à cette Cour d'intervenir dans cette affaire?

Il a écrit :

     Si la Cour devait conclure que l'arbitre au Niveau II a commis une erreur, les intimés prétendent que c'est une simple erreur de fait et que cette erreur n'est pas manifestement déraisonnable.
     La décision de l'arbitre du Niveau II est protégée par la clause de finalité prévue au par. 32(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada:
         32(1) Le commissaire constitue le dernier niveau de la procédure applicable aux griefs; sa décision est définitive et exécutoire et, sous réserve de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, n'est pas susceptible d'appel ou de révision en justice.
     Les intimés ajoutent donc qu'en vertu des décisions de la Cour suprême du Canada dans National Corn Growers Association c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324 et Le Procureur général du Canada c. Alliance de la Fonction publique, [1993] 1 R.C.S. 941, que les pouvoirs de révision judiciaire que cette Cour possède aux termes de l'alinéa 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale se limitent aux erreurs de droit ou de fait manifestement déraisonnables lorsque la décision attaquée est protégée par une clause de finalité.
     Les intimés prétendent que les principes dégagés de l'affaire Alliance à la p. 961-962 devraient s'appliquer en l'espèce:
         Pour résumer, les cours de justice ont un rôle important à jouer dans le contrôle des décisions des tribunaux administratifs spécialisés... Quand elles procèdent au contrôle, les cours de justice doivent s'assurer, premièrement, que la commission a agi dans les limites de sa compétence en suivant les règles de l'équité procédurale, deuxièmement, qu'elle a agi dans les limites de la compétence que lui confère sa loi habilitante et, troisièmement, que la décision rendue dans les limites de sa compétence n'était pas manifestement déraisonnable. Sur ce dernier point, les cours de justice devraient faire preuve d'une grande retenue à l'égard des tribunaux administratifs, surtout lorsque ceux-ci se composent d'experts qui exercent leurs fonctions dans un domaine délicat.
     Les intimés allèguent que le législateur a voulu que les nombreuses décisions administratives qui peuvent affectées [sic] les membres de la GRC puissent être contestées au moyen d'une procédure de redressement interne faite par des personnes qui ont une connaissance spécialisée du fonctionnement et des besoins de la GRC.
     De plus, les intimés soumettent qu'en insérant une clause de finalité à la Loi, le législateur a voulu que les décisions rendues par les instances spécialisées de la GRC soient à l'abri de contestation judiciaire sauf en ce qui concerne les décisions qui seraient manifestement déraisonnables.

[11]      L'avocat des défendeurs a adopté la même argumentation. Bien que le juge Joyal ne semble pas avoir explicitement adopté les arguments invoqués par les défendeurs, ni, du reste, les avoir rejetés, implicitement, il semble les avoir acceptés. En guise de conclusion, il a écrit :

     Je ne crois pas que l'arbitre ait commis une erreur. Au contraire, il a établi son rôle et l'a suivi à la lettre: il ne pouvait substituer son opinion à celle du comité.

[12]      À propos de l'affaire Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada citée dans le passage précité de l'affaire Fortin, je ne suis pas convaincu qu'on peut considérer l'arbitre qui a pris la décision contestée en l'espèce comme une « exper[t] qui exerc[e] [ses] fonctions dans un domaine délicat » , mais je suis convaincu que, dans le domaine technique qu'est l'avancement au sein d'une organisation comme la GRC, à laquelle le demandeur appartenait, la Cour se doit de faire preuve d'une grande retenue à l'égard des questions de fait, à moins qu'il ne s'agisse d'une décision manifestement déraisonnable.

[13]      C'est en regard d'une telle norme que je vais examiner la question de savoir si l'arbitre a commis une erreur justifiant un contrôle en se prononçant comme il l'a fait.

2.      L'erreur justifiant un contrôle

[14]      À l'audience, personne n'a prétendu que l'arbitre n'avait pas agi de façon équitable sur le plan de la procédure ou avait outrepassé sa compétence. Il a plutôt été prétendu que l'arbitre ne pouvait pas valablement décider, et c'était le dernier élément de sa décision, que le demandeur ne pouvait pas être promu au grade de s.-m.é.-m. à cause des décisions de principe de la Gendarmerie et de la pratique constante de la Gendarmerie.

[15]      Dans une note en date du 2 mai 1975, le commissaire de la GRC à l'époque a approuvé la recommandation suivante :

     [traduction]

     [..]

     2.      Sur la base des résultats qui précèdent, et pour être en accord avec l'application des principes de classification à d'autres secteurs de la Gendarmerie, mes recommandations sont les suivantes :

     [...]

     c)      SERGENT-MAJOR D'ÉTAT-MAJOR
         1.      Ce grade sera supprimé dès la libération du dernier titulaire actif.
     d)      les règlements, les consignes et d'autres directives portant sur les grades de [...] s.-m.é.-m. doivent être examinés et révisés au besoin [...]

[16]      L'interprétation des mots « le dernier titulaire actif » , auxquels on a donné le sens de dernier titulaire actif nommé avant le 2 mai 1975, est au coeur de l'argumentation faite au nom du défendeur. L'arbitre a adopté cette interprétation.

[17]      Le 21 mars 1986, la Gendarmerie a publié un bulletin intitulé « Avancement des membres affectés au poste de R.D.R.F. » , qui porte le numéro AM-940. Telles étaient les fonctions qu'exerçait le demandeur à cette date et qu'il a exercées pendant quelques années par la suite. En ce qui concerne les membres réguliers autres que les gendarmes spéciaux, soit la catégorie à laquelle le demandeur appartenait, il était précisé :

     b. [...]
     1.      À compter du 31 mars 1986, le membre régulier autre que le g.s. sera promu au grade effectif suivant :
         1.      si, n'importe quand au cours de son premier terme à titre de R.D.R.F., il atteint la moyenne nationale pour la promotion à ce grade, telle qu'elle est indiquée dans l'ann. II-1-10 du Manuel d'adm. ou
         2.      si, n'importe quand au cours d'un second terme ou d'un terme subséquent à titre de R.D.R.F., il atteint la moyenne nationale pour la promotion à ce grade qui est indiquée à l'ann. II-1-10, et s'il détient son grade actuel depuis au moins deux ans.
         1. b. 2.      Si le membre régulier autre que le g.s. est élu ou réélu R.D.R.F. avant le 31 mars 1986 et que le s.-al. b.1. compromet ses possibilités d'avancement, les dispositions du par. II.1.M.3. du Manuel d'adm. s'appliqueront pendant la durée de l'affectation.
         3.      La promotion du membre régulier autre que le g.s. devra être approuvée par le cdt div. et non par un comité des mutations/de l'avancement.
     [Non souligné dans l'original]

[18]      L'avocat des défendeurs a reconnu que le passage précité s'appliquait au demandeur sauf qu'il a fait valoir que le grade de s.-m.é.-m. n'était pas un grade « effectif » , qu'aucune moyenne nationale pour la promotion à ce grade n'était indiquée dans la partie pertinente du Manuel d'administration et que la mesure prise par le commissaire en 1975 avait effectivement annulé la délégation au commandant divisionnaire du demandeur du pouvoir d'approuver sa promotion.

[19]      Il est intéressant de souligner que la politique approuvée par le commissaire en mai 1975 ne s'est jamais reflétée dans le Bulletin d'administration AM-940. Malgré cela, tout ce que je peux conclure, sur la base de la preuve dont j'ai été saisi et de l'argumentation qui a été faite, c'est que l'arbitre pouvait valablement conclure que la politique approuvée par le commissaire en mai 1975 a effectivement annulé tout pouvoir autre que le sien de nommer des s.-m.é.-m. et que, en définitive, il était normal que le Manuel d'administration n'indique aucune moyenne nationale pour la promotion à ce grade. Le fait que je ne serais peut-être pas parvenu aux mêmes conclusions, en particulier compte tenu du fait que la politique sanctionnée par le commissaire en mai 1975 ne se reflétait pas dans le Bulletin d'administration AM-940, n'a aucune importance.

[20]      Compte tenu de la preuve qui m'a été soumise et des arguments qui ont été invoqués, il ne me paraît pas possible de conclure que l'arbitre a commis une erreur justifiant un contrôle en n'examinant pas la question de la promotion du demandeur à un grade autre que celui de s.-m.é.-m. D'après la preuve dont j'ai été saisi, le demandeur visait le grade de s.-m.é.-m. et aucun autre grade. De fait, dans sa demande de promotion initiale, le grade de s.-m.é.-m. était le seul « grade effectif suivant de sous-officier » mentionné par le demandeur. Dans son grief, le demandeur a contesté [traduction] « la décision de rejeter ma demande de promotion à cause de la suppression du grade de sergent-major d'état-major » . La réparation demandée était [traduction] « [...] la promotion au grade de sergent-major d'état-major » , pas la promotion à un autre grade.

3.      L'attente légitime

[21]      À l'audience, le demandeur a fait valoir, quoiqu'en des termes différents, que les théories de l'attente légitime et de la fin de non-recevoir fondée sur une assertion s'appliquent pour empêcher l'arbitre de se prononcer comme il l'a fait. Le demandeur a cité les remarques suivantes du professeur Janisch :

     [traduction] [...] il répugne à nos conceptions de la décence gouvernementale que, lorsqu'on s'est appuyé jusqu'à un certain point sur des règles internes, l'État puisse n'en tenir aucun compte et revenir sur une attente qu'il peut avoir suscitée. Comme nous l'avons déjà vu, l'attente légitime est une importante source de droits procéduraux, et il y a des signes qui permettent de croire qu'elle s'étendra aux droits fondamentaux2.

En l'espèce du moins, les « signes » dont parle le professeur Janisch concernant l'application de la théorie de l'attente légitime aux droits fondamentaux ne se sont pas matérialisés.

[22]      Dans l'affaire Gonsalves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)3, le juge Muldoon s'est exprimé en ces termes :

     Dans l'arrêt Association des résidents du Vieux St-Boniface c. Winnipeg (ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, p. 1204, la Cour suprême du Canada a statué que la doctrine de l'attente légitime créait des droits procéduraux seulement et non des droits fondamentaux. La Cour suprême a réitéré ce principe dans l'arrêt Renvoi : Régime d'assistance du Canada, [1991] 2 R.C.S. 252 et la Cour d'appel fédérale l'a appliqué dans l'arrêt Lidder c. Canada (M.E.I.), [1992] 2 C.F. 621 (C.A.F.). Ce principe peut habituellement être invoqué au soutien du droit de formuler des observations ou d'être consulté. Il n'accorde pas un droit fondamental qui obligerait la section d'appel à exercer sa compétence.
     Dans le cas qui nous occupe, le droit à une décision est un droit fondamental. Les faits indiquent également que, si un droit procédural avait été en cause, il se serait agi du droit à la possibilité de se faire entendre ou de formuler des observations. La ministre a demandé à la requérante de formuler des observations et celle-ci l'a fait; par conséquent, les exigences procédurales qui existaient, le cas échéant, ont été respectées. La décision était une conclusion selon laquelle le Parlement, en édictant le paragraphe 70(5), avait retiré à la SAI la compétence nécessaire pour statuer sur l'appel de Mme Gonsalves.
     Bien que la requérante n'invoque pas la fin de non recevoir en l'espèce, cette doctrine s'apparente habituellement à celle de l'attente légitime et Mme Gonsalves ne peut non plus en demander l'application en l'espèce. Selon l'arrêt Lidder, précité, les éléments suivants doivent exister : une assertion de fait a été faite avec l'intention qu'une personne raisonnable présume qu'on devrait y donner suite; la personne que visait l'assertion y a donné suite et a par là subi un préjudice. En l'espèce, l'appel téléphonique qui a été fait le 2 février 1996 au nom du registraire pour aviser l'avocat de la requérante qu'une décision serait prise dans le dossier ne suffit pas à créer une fin de non recevoir.

Je suis convaincu que les remarques qui précèdent s'appliquent à l'espèce. Le demandeur revendique des droits fondamentaux, soit le droit à une promotion, pas des droits procéduraux. L'assertion de fait qui aurait été faite dans le Bulletin d'administration AM-940 quant au droit à une promotion est conditionnelle. Pour cette raison, je conclus qu'elle ne suffit pas à susciter une attente légitime ou à créer une fin de non-recevoir. Même si c'était le cas, aucun droit fondamental ne serait créé.

CONCLUSION

[23]      Pour les motifs qui précèdent, compte tenu de la norme de contrôle que je considère comme appropriée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, et compte tenu des arguments qui ont été invoqués, je conclus à regret que la présente demande doit être rejetée. Mon regret tient au fait que je ne partage tout simplement pas la conclusion de l'arbitre que la décision de la GRC, telle qu'elle est formulée dans la politique sanctionnée par le commissaire en mai 1975, était « claire et non équivoque et a été communiquée à toutes les divisions » . De plus, contrairement à l'arbitre, je ne suis pas convaincu que « la pratique de la Gendarmerie qui en est résulté et qui a consisté à ne pas accorder d'avancement au grade de s.-m.é.-m. a été appliquée non pas subrepticement mais ouvertement et sur une longue période, et n'a fait l'objet d'aucune exception » . La GRC a tout au plus supprimé implicitement le grade de s.-m.é.-m. Elle ne l'a jamais fait officiellement. Elle n'a pas fait état de cette suppression implicite dans le Bulletin d'administration AM-940. Elle n'a pas fait état non plus dans ce bulletin de la révocation implicite du pouvoir qu'avaient les commandants divisionnaires d'approuver les promotions au grade de s.-m.é.-m. Tout cela en dépit du fait que le Bulletin d'administration AM-940 émanait du commissaire, encore que d'un autre commissaire que celui qui a approuvé la décision de principe prise en mai 1975.

LES DÉPENS

[24]      Selon les Règles de la Cour fédérale (1998)4, dans une affaire comme celle qui nous occupe, les dépens suivraient normalement l'issue de la cause. Compte tenu des réserves que j'ai faites dans la conclusion qui précède, je suis convaincu qu'un résultat différent s'impose dans la présente affaire au chapitre des dépens. Je ne peux m'empêcher de conclure que le demandeur a agi d'une manière tout à fait raisonnable en saisissant la Cour de la présente affaire et a été incité à le faire à cause du défaut de la GRC de clarifier ses politiques et ses Bulletins d'administration, tels qu'ils s'appliquaient à la demande de promotion au grade de s.-m.é.-m. du demandeur. En définitive, j'ordonnerai que le demandeur a droit aux débours occasionnés par le dépôt de la présente demande, que je fixe à 500 $, malgré le fait qu'il a été débouté.

                                 FREDERICK E. GIBSON

                                         Juge


Ottawa (Ontario)

Le 10 novembre 1998


Traduction certifiée conforme


Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :      T-504-98

INTITULÉ :                          Joseph W. Brennan c. Guy Laflamme et al.
LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 26 octobre 1998

MOTIFS DE LA DÉCISION PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                      10 novembre 1998




COMPARUTIONS :

Joseph W. Brennan                      Le demandeur en son nom personnel


J. Sanderson Graham                  pour le défendeur




AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                      pour le défendeur

__________________

     1      (1994), 86 F.T.R. 161.

     2      Administrative Law, 3rd edition, Janisch, Emond Montgomery Publications Ltd., Toronto, 1989, p. 793.

     3      (1997), 130 F.T.R. 269 (cette affaire n'a pas été invoquée à l'audience).

     4      DORS/98-106.

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