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Date : 20190528


Dossier : IMM‑3843‑18

Référence : 2019 CF 747

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2019

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

VOLODYMYR TRACH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Volodymyr Trach, est un ressortissant ukrainien qui vit actuellement au Canada sans statut d’immigrant. Il est entré légalement au Canada il y a cinq ans et a par la suite obtenu un permis de travail. Le 8 novembre 2016, il a déposé une demande de fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Son statut d’immigrant semble avoir expiré en 2017, et en 2018, il a omis de se présenter pour un départ volontaire, comme on l’avait ordonné.

[2]  La présente demande de contrôle judiciaire porte sur le rejet de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par M. Trach. Cette décision a été rendue par un agent principal d’immigration (l’agent) le 24 juillet 2018. Les principaux motifs d’ordre humanitaire invoqués par M. Trach concernaient son degré d’établissement au Canada, l’intérêt supérieur de son fils de six ans et les difficultés auxquelles ils seraient confrontés s’ils retournaient en Ukraine, notamment le risque qu.il soit enrôlé dans l’armée ukrainienne. L’agent a conclu que tous les facteurs susmentionnés étaient insuffisants pour justifier la prise de mesures « exceptionnelles » en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[3]  Un certain nombre des questions soulevées par M. Trach dans la présente demande se recoupent dans une certaine mesure. Ce qu’elles ont toutes en commun, c’est qu’elles sont fondées sur l’évaluation de la preuve par l’agent. Par conséquent, elles doivent être prises en considération en fonction de la norme déférente de la décision raisonnable.

[4]  L’argument au cœur de l’espèce est que l’agent a fait fi de façon déraisonnable de l’affidavit de M. Trach au sujet de son degré d’établissement au Canada et, par conséquent, des difficultés auxquelles la famille ferait face s’il devait retourner en Ukraine. Plus particulièrement, il soutient que l’agent aurait dû accepter au pied de la lettre son témoignage selon lequel on lui avait signifié une assignation pour effectuer son service militaire et que son enfant canadien se verrait refuser l’accès à l’école et aux soins de santé à moins que l’enfant ne prenne la citoyenneté ukrainienne et ne renonce ainsi à sa citoyenneté canadienne. Afin de bien comprendre ces points, il est nécessaire d’examiner la façon dont l’agent traite sa preuve en tenant compte des précédents applicables.

[5]  L’agent a reconnu que M. Trach avait [traduction« acquis un certain degré d’établissement au Canada » du fait qu’il ait exercé un emploi entre 2014 et 2016. L’agent était également convaincu que M. Trach était [traduction« bien établi » à Toronto grâce à ses liens avec une église locale et à son inscription à un cours de langue. Toutefois, l’agent n’était pas convaincu que M. Trach était financièrement autonome, qu’il avait accumulé des économies ou qu’il fournissait un soutien financier à son épouse et à sa fille en Ukraine. Bien que M. Trach ait fourni des éléments de preuve concernant son premier remploi au Canada, il n’a offert que peu de corroboration concernant sa situation financière postérieure à 2016. L’ensemble des déclarations de M. Trach sur ces questions figure dans les deux paragraphes suivants de son affidavit :

[traduction

13. J’ai fondé une entreprise au Canada en 2014 (une société à numéro) et j’ai commencé à y travailler. Je suis titulaire d’un diplôme en économie de l’Ukraine. Après avoir démissionné de mon poste de policier à cet endroit, j’ai fondé une entreprise dans l’industrie du camionnage, effectuant du travail mécanique et de la réparation de véhicules. J’avais beaucoup d’expérience dans ce domaine et l’entreprise que j’ai créée au Canada offrait des services semblables à ceux que j’offrais en Ukraine.

14. J’ai produit ma déclaration de revenus à l’Agence du revenu du Canada.

15. Depuis que je suis au Canada, je suis devenu complètement autonome. Je n’ai jamais reçu d’aide publique de l’État canadien et je n’en ai jamais fait la demande. Je n’ai pas l’intention de quémander ou d’accepter des secours de qui que ce soit, notamment des contribuables canadiens.

[6]  Les éléments de preuve fournis à l’agent concernant l’intérêt supérieur de l’enfant canadien de M. Trach étaient en outre non vérifiés en grande partie. Lorsque M. Trach a présenté sa première demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, son épouse et ses deux enfants vivaient en Ukraine. Le plus jeune enfant est né au Canada le 28 mai 2012; il était toutefois retourné en Ukraine avec sa mère et sa sœur peu après.

[7]  Lorsque M. Trach a mis à jour ses observations à l’intention de l’agent en juin 2018, son enfant canadien était revenu au Canada et vivait avec lui; toutefois, l’épouse et la fille de M. Trach sont restées en Ukraine. L’affidavit de M. Trach confirme que son fils est revenu au Canada le 19 mai 2018 et qu’il était inscrit à l’école. L’ensemble de la preuve de M. Trach concernant l’intérêt supérieur de son fils est énoncé dans les trois paragraphes suivants de son affidavit :

[traduction

17. En Ukraine, la double citoyenneté n’existe pas, comme je l’ai appris à mes dépens après que mon enfant né au Canada soit allé vivre là‑bas. Étant né au Canada, mon fils n’est pas Ukrainien et ne peut s’inscrire au système scolaire public de l’Ukraine. De plus, mon fils n’est pas admissible à ce qui suit :

  Soins de santé

  Études universitaires et collégiales, etc.

  Soutien de l’État, notamment pour les camps d’été

  Activités parascolaires

  Autres services d’État auxquels ma fille est admissible

18. Mon fils a atteint l’âge scolaire. Mon épouse a tenté en vain de l’inscrire à l’école publique locale; cela ne serait possible que si mon épouse acquittait des frais de scolarité. Ce fut un choc énorme pour notre famille.

19. Mon fils est revenu au Canada le 19 mai 2018. Ici, il a accès à des choses essentielles comme l’éducation, les soins de santé, etc., qui constituent ses droits fondamentaux en tant que Canadien. Mon fils était extrêmement heureux d’être réuni avec moi au Canada. Il fonctionne beaucoup mieux au Canada et semble heureux de s’adonner à des activités pour s’occuper. Depuis, je l’ai inscrit à l’école et j’ai obtenu les services d’une bonne d’enfants pour m’aider à prendre soin de lui après l’école. Le fait de voir mon fils grandir et s’épanouir m’apporte beaucoup de joie. Je pense que tous les parents veulent que leurs enfants soient traités équitablement. En Ukraine, ma fille jouit des droits de citoyenneté et de ce que cela confère, ce qui n’est pas le cas de mon fils canadien.

[8]  Bien qu’il ait fourni une grande quantité d’éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays décrivant les conditions prévalant en Ukraine, M. Trach n’a présenté aucun élément permettant de corroborer son affirmation selon laquelle son enfant canadien n’était pas admissible aux soins de santé, à l’école publique, à l’enseignement universitaire ou à d’autres services publics non précisés. Bien que son affidavit fasse vaguement allusion au fait qu’il doive verser des frais pour que son fils puisse fréquenter l’école en Ukraine, aucun détail n’a été fourni. L’affidavit indiquait plutôt uniquement que le fils de M. Trach s’était vu refuser l’inscription à l’école primaire publique en Ukraine et qu’il avait probablement été renvoyé au Canada pour ce motif. On n’a présenté à l’agent aucun élément de preuve attestant que la famille n’avait pas les moyens financiers de faire instruire son fils en Ukraine.

[9]  L’agent n’était pas convaincu de la suffisance de la preuve produite par M. Trach concernant l’intérêt supérieur de son enfant canadien. Il a conclu son évaluation relative à l’intérêt supérieur de l’enfant de la façon suivante :

[traduction

Le demandeur déclare que l’Ukraine ne permet pas la double citoyenneté et que son fils n’a pas accès à l’éducation, aux soins de santé, etc. Le demandeur déclare que son fils, Matvij, n’est pas Ukrainien et n’est pas admissible au système scolaire public, ni aux soins de santé, à l’éducation (universitaire et collégiale, etc.), au soutien de l’État, c.‑à‑d. pour les camps d’été ou les activités parascolaires.

Les documents objectifs actuels confirment que l’Ukraine ne permet pas la double citoyenneté. Je remarque également que des renseignements objectifs corroborent le fait que le fils du demandeur serait admissible à la citoyenneté ukrainienne si les parents présentaient une demande en ce sens. Cela dit, j’estime que le demandeur n’a pas fourni suffisamment de renseignements pour démontrer que de 2012 à 2018, son fils s’est vu refuser des services de base ou que l’on ait indiqué à son épouse qu’elle devait payer pour que son enfant ait accès aux services.

Dernièrement, le demandeur a indiqué que son fils est revenu au Canada le 19 mai 2018. Le demandeur déclare que son fils fonctionne mieux au Canada et qu’il est heureux d’exercer des activités pour s’occuper. Le demandeur déclare qu’il a inscrit son fils à l’école et qu’il a obtenu les services d’une bonne d’enfants pour l’aider à s’occuper de son enfant mineur. À l’appui de sa demande, le demandeur a fourni une copie de la protection d’assurance pour les visiteurs au Canada. Le demandeur a fait une proposition pour une police d’assurance de 5 000 $ pour son fils le 23 mai 2018 à Toronto. La protection est entrée en vigueur le même jour pour une période de 90 jours. De plus, le demandeur a présenté un document de ServiceOntario daté du 24 mai 2018 indiquant que l’enfant mineur sera couvert par l’assurance provinciale de l’Ontario à compter du 19 août 2018. Bien que je n’aie aucune confirmation que le fils du demandeur soit entré au Canada le 19 mai 2018, je lui accorde le bénéfice du doute. Cela dit, j’estime que le demandeur ne fournit pas suffisamment de renseignements pour corroborer le fait que son fils fonctionne mieux au Canada et qu’il participe à des activités. En outre, j’estime que le demandeur ne fournit pas suffisamment de renseignements pour démontrer qu’il a inscrit son fils à l’école et qu’il a obtenu les services d’une bonne d’enfants pour l’aider à prendre soin de l’enfant mineur.

J’ai accordé une importance particulière à l’intérêt supérieur des enfants. Je reconnais que le demandeur voudrait obtenir la meilleure éducation et les meilleures possibilités pour ses enfants; toutefois, il existe des niveaux de vie différents d’un pays à l’autre et de nombreux pays n’ont pas la chance d’avoir les mêmes soutiens socioéconomiques que ceux qui existent au Canada. J’ai examiné attentivement l’intérêt supérieur des enfants du demandeur et tenu compte de leur situation. Je conclus que les documents que présente le demandeur sont insuffisants pour démontrer qu’un refus de la demande aurait des répercussions négatives importantes sur les enfants mineurs visés par la décision rendue dans le cadre de la présente demande.

[Notes de bas de page omises.]

[10]  M. Trach prétend que l’agent a commis plusieurs erreurs dans son appréciation de la preuve. Il indique que l’agent n’a sans doute pas tenu compte de son affidavit et que quand bien même l’agent aurait tenu compte de son affidavit, il soutient que son témoignage aurait dû être accepté en tant qu’élément de preuve probant et suffisant.

[11]  Je ne suis pas d’accord pour dire que l’agent n’a pas tenu compte de l’affidavit de M. Trach. Toutes les allégations factuelles importantes faites dans l’affidavit ont été dûment consignées en tant que déclarations de M. Trach dans les motifs de l’agent. De toute évidence, l’affidavit de M. Trach a été pris en compte, bien que la preuve se soit vu accorder peu de poids en raison de l’absence de corroboration de la plupart des principales allégations de difficultés personnelles.

[12]  L’argument selon lequel la preuve par affidavit de M. Trach aurait dû être acceptée à première vue n’est pas non plus fondé.

[13]  M. Trach a fait deux affirmations factuelles clés qu’il n’a pas corroborées. Premièrement, il a déclaré qu’on lui avait signifié une assignation en Ukraine pour y effectuer son service militaire. Comme il s’agissait d’un élément important de l’allégation de difficultés personnelles de M. Trach, l’agent avait de bonnes raisons de s’attendre à ce que celui‑ci produise l’assignation ou toute autre forme de confirmation. L’affirmation du défendeur selon laquelle il n’a pas disposé de suffisamment de temps pour obtenir cette information est réfutée par le fait qu’il n’a pas demandé de prolongation à l’agent pour ce faire.

[14]  La deuxième question importante ayant trait aux difficultés personnelles concernait les obstacles juridiques allégués auxquels était confronté le fils de M. Trach en tant qu’étranger vivant en Ukraine. Selon l’affidavit de M. Trach, son fils ne serait pas admissible à recevoir une éducation dans une école publique ou à avoir accès à des services de santé à moins d’avoir acquis la citoyenneté ukrainienne et renoncé à sa citoyenneté canadienne. M. Trach a également déclaré que son fils se verrait refuser l’accès à l’université et à d’autres programmes et services d’État non précisés. On a accordé peu de poids à cet élément de preuve parce qu’il n’était pas corroboré non plus.

[15]  On ne peut reprocher à l’agent de s’attendre à ce que ces importantes allégations factuelles soient corroborées. En effet, on ne s’explique pas que, outre la simple déclaration selon laquelle son fils s’était vu refuser l’accès à l’école publique et n’était pas admissible à recevoir des services de santé, le demandeur n’ait fourni aucun autre élément de preuve à l’appui.

[16]  Lorsque la personne qui présente une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire fait une allégation importante et facilement vérifiable de difficultés, il n’est pas déraisonnable pour le décideur de s’attendre à voir des éléments de preuve à l’appui de cette affirmation. C’est particulièrement le cas pour une affirmation qui n’est pas claire, vague ou foncièrement douteuse. À première vue, la déclaration de M. Trach selon laquelle les étrangers sont totalement inadmissibles à fréquenter l’école publique ou à recevoir des services de santé en Ukraine semble peu probable, voire invraisemblable. La vague allusion dans l’affidavit à l’exigence pécuniaire donne à penser qu’il est plus probable que l’accès soit possible, mais qu’il dépend du paiement de certains frais. Les droits juridiques des ressortissants étrangers vivant en Ukraine leur donnant accès à des avantages ou à des services publics et les conditions de cet accès devraient être facilement vérifiables à partir de sources fiables. Il était loisible à l’agent d’écarter l’élément de preuve de M. Trach en raison du défaut de production de celui‑ci.

[17]  J’ajouterais que bien que l’agent ait accepté le point selon lequel l’Ukraine ne reconnaît pas la double citoyenneté, d’autres éléments de preuve du dossier certifié du tribunal [DCT] indiquent qu’un enfant né de parents ukrainiens acquiert la citoyenneté ukrainienne au moment de sa naissance (DCT, p. 303). La question importante qui n’a pas été prouvée était de savoir si le Canada continuerait de reconnaître le droit de naissance canadien de l’enfant. Il incombait à M. Trach de convaincre l’agent que son fils perdrait la citoyenneté canadienne dans ces circonstances, ce qu’il n’a pas fait.

[18]  L’argument de M. Trach voulant que l’agent ait écarté de façon déraisonnable l’élément de preuve selon lequel on lui avait signifié une assignation pour qu’il fasse son service militaire souffre du même défaut. Lorsqu’une partie a accès à des éléments de preuve corroborants très importants et fiables et qu’elle ne les produit pas, il est loisible à un décideur de tirer une conclusion défavorable. Ce point a souvent été souligné par la jurisprudence de la Cour, notamment dans la décision Hurtado c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 768, au paragraphe 13, 257 ACWS 3d 419, la décision S.A.R. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 984, au paragraphe 16, 271 ACWS 3d 613, et la décision Ortiz Juarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288, au paragraphe 7, 146 ACWS 3d 705. D’autres cas de jurisprudence ont confirmé l’approche adoptée en l’espèce par l’agent quant au faible poids à accorder aux éléments de preuve non corroborés provenant d’une partie ayant un intérêt personnel dans l’issue. C’est ce qu’a fait valoir le juge Russel Zinn dans la décision Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, 170 ACWS 3d 397, aux paragraphes 26, 27 et 34 :

[26]  Si le juge des faits décide que la preuve est crédible, une évaluation doit ensuite être faite pour déterminer le poids à lui accorder. Il n’y a pas seulement la preuve qui a satisfait au critère de fiabilité dont le poids puisse être évalué. Il est loisible au juge des faits, lorsqu’il examine la preuve, de passer directement à une évaluation du poids ou de la valeur probante de la preuve, sans tenir compte de la question de la crédibilité. Cela arrive nécessairement lorsque le juge des faits estime que la réponse à la première question n’est pas essentielle parce que la preuve ne se verra accorder que peu, voire aucun poids, même si elle était considérée comme étant une preuve fiable. Par exemple, la preuve des tiers qui n’ont pas les moyens de vérifier de façon indépendante les faits au sujet desquels ils témoignent, se verra probablement accorder peu de poids, qu’elle soit crédible ou non.

[27]  La preuve présentée par un témoin qui a un intérêt personnel dans la cause peut aussi être évaluée pour savoir quel poids il convient d’y accorder, avant l’examen de sa crédibilité, parce que généralement, ce genre de preuve requiert une corroboration pour avoir une valeur probante. S’il n’y a pas corroboration, alors il pourrait ne pas être nécessaire d’évaluer sa crédibilité puisque son poids pourrait ne pas être suffisant en ce qui concerne la charge de la preuve des faits selon la prépondérance de la preuve. Lorsque le juge des faits évalue la preuve de cette manière, il ne rend pas de décision basée sur la crédibilité de la personne qui fournit la preuve; plutôt, le juge des faits déclare simplement que la preuve qui a été présentée n’a pas de valeur probante suffisante, soit en elle‑même, soit combinée aux autres éléments de preuve, pour établir, selon la prépondérance de la preuve, les faits pour lesquels elle est présentée. Selon moi, c’est l’analyse qu’a menée l’agent dans la présente affaire.

[]

[34]  Je pense aussi qu’il n’y a rien dans la décision contestée qui indique qu’une partie quelconque de cette décision était basée sur la crédibilité de la demanderesse. L’agent ni ne croit ni ne croit pas que la demanderesse est lesbienne – il n’est pas convaincu. Il dit que la preuve objective n’établit pas qu’elle est lesbienne. En bref, il a conclu qu’il y avait un élément de preuve – la déclaration de l’avocate – mais que c’était insuffisant pour établir, selon la prépondérance de la preuve, que Mme Ferguson était lesbienne. Selon moi, cette conclusion ne remet pas en cause la crédibilité de la demanderesse.

[19]  Il existe une autre raison de n’accorder que peu de poids à l’élément de preuve de M. Trach concernant le fait qu’on lui ait signifié une assignation. Dans le mémoire qu’il a présenté à l’agent le 5 février 2016 relativement à des motifs d’ordre humanitaire, il n’est aucunement fait mention d’une assignation. Bien qu’il ait souligné le conflit armé en cours en Ukraine orientale et les difficultés qui y sont liées, M. Trach n’a fait référence qu’à une [traduction« probabilité d’être mobilisé et tué ». Si on lui avait signifié une assignation avant qu’il ne quitte l’Ukraine en 2014, il en aurait sûrement fait mention. Au lieu de cela, ce n’est que le 10 juin 2018, lorsque son avocat a déposé une mise à jour de l’exposé, que M. Trach a fait mention d’une assignation. À cette époque, on n’a pas indiqué à l’agent qu’on avait besoin de plus de temps pour en obtenir une copie.

[20]  Je rejette également l’argument selon lequel l’agent a mal énoncé l’importance sur le plan juridique de la preuve de difficultés ou de risques généralisés en Ukraine. La déclaration qui est contestée dans la décision de l’agent est la suivante :

[traduction

Je suis sensible au fait que la situation en Ukraine est difficile. Toutefois, je suis d’avis que les conditions de vie et l’instabilité qui y sévissent touchent l’ensemble de la population et ne sont pas particulières au demandeur. Les conditions défavorables dans le pays d’origine ne constituent que l’un des facteurs dont l’agent doit tenir compte, et celui-ci ne l’emporte pas sur les autres facteurs.

[21]  L’agent n’a pas indiqué que la preuve de conditions défavorables dans le pays n’est pas pertinente à une analyse relative à des motifs d’ordre humanitaire. Il a plutôt simplement souligné que l’adversité généralisée doit être liée d’une façon ou d’une autre au demandeur. Il en est ainsi parce que certaines conditions auront peu ou pas d’effet sur certaines parties de la population et, à l’inverse, pourraient avoir une incidence plus importante sur d’autres (voir la décision Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 382, au paragraphe 55, 252 ACWS 3d 558, et la décision Uwase c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 515, aux paragraphes 41 à 43, 292 ACWS 3d 387.

[22]  M. Trach soutient que l’agent n’a pas examiné adéquatement les éléments de preuve concernant les difficultés générales auxquelles lui et son fils seraient exposés s’ils sont forcés de retourner en Ukraine. Comme on l’a déjà mentionné, l’agent a conclu de façon raisonnable que les éléments de preuve concernant les difficultés personnelles auxquelles M. Trach et son enfant canadien seraient confrontés ne suffisaient pas pour satisfaire au fardeau de la preuve exigé. L’agent a également tenu compte de l’argument de M. Trach selon lequel les conditions générales en Ukraine étaient telles que la famille souffrirait. Cet argument a été rejeté pour les motifs suivants :

[traduction

Le demandeur affirme que s’il devait retourner en Ukraine, il aurait du mal à subvenir aux besoins de sa famille.

Comme je l’ai mentionné précédemment, je conclus que le demandeur n’a pas démontré l’existence d’obstacles linguistiques ou d’autres obstacles importants qui l’empêcheraient d’occuper un emploi dans son pays d’origine. Le demandeur a fait ses études en Ukraine et a déjà été inscrit comme entrepreneur. Je conclus que le demandeur n’a pas démontré qu’il lui faudrait un délai déraisonnable pour s’établir de nouveau en Ukraine. J’estime que le demandeur n’a pas démontré qu’il ne serait pas en mesure de subvenir aux besoins de sa famille.

[23]  Cette conclusion était également raisonnable au vu du dossier de preuve. Selon la preuve, avant son arrivée au Canada, M. Trach avait occupé un emploi rémunéré et subvenait vraisemblablement adéquatement aux besoins de sa famille. Si ce n’était pas le cas, il aurait sans doute produit des éléments de preuve faisant état de difficultés économiques passées. Après tout, la meilleure indication de ce que l’avenir nous réserve n’est‑elle pas la preuve de ce qui est survenu dans le passé immédiat? En l’espèce, aucun élément de preuve convaincant n’a été produit pour prouver l’existence de difficultés familiales particulières antérieures à l’arrivée de M. Trach au Canada ou par la suite. Comme l’agent l’a souligné, M. Trach possède des compétences et des antécédents professionnels. L’agent a également fait observer que la famille avait des liens en Ukraine occidentale et n’avait donc aucun motif de se réinstaller dans une zone de conflit.

[24]  M. Trach soutient également que l’agent avait le devoir de lui expliquer pourquoi les éléments de preuve par affidavit au sujet de l’expérience de son fils au Canada étaient insuffisants pour justifier la prise de mesures spéciales. Toutefois, la simple affirmation selon laquelle un enfant fonctionne mieux au Canada que dans un lieu de résidence antérieur est habituellement insuffisante pour justifier la prise de mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire. La jurisprudence a souvent reconnu ce point. Dans la décision Garraway c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 286, 279 ACWS 3d 618, la juge Cecily Strickland a fait valoir ce point de la façon suivante, aux paragraphes 38 et 39 :

[38]  En outre, dans Sanchez, au paragraphe 18, la Cour a statué que le seul fait que la vie au Canada soit plus souhaitable pour les enfants ne suffit pas en soi pour accueillir une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, citant le passage suivant de Serda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356 :

31  Enfin, les demandeurs font valoir que la situation en Argentine est pitoyable et néfaste pour les enfants. Ils citent des statistiques tirées de la preuve documentaire que l’agente d’immigration a elle‑même examinée pour démontrer que le Canada est un endroit plus agréable pour vivre en général. Mais le fait que le Canada soit un endroit plus agréable pour vivre n’est pas un facteur déterminant dans l’issue d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire (Vasquez c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 91; Dreta c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 1239); s’il en était autrement, il faudrait donner à la vaste majorité des personnes qui vivent illégalement au Canada le statut de résident permanent pour des raisons d’ordre humanitaire. De toute évidence, telle n’était pas l’intention du Parlement lorsqu’il a promulgué l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. [Je souligne.]

[39]  L’agent a reconnu que la situation à Saint‑Vincent peut ne pas être parfaite et qu’il existe un écart entre le niveau de vie des deux pays. Il a aussi reconnu que de nombreux pays ne bénéficient pas des mêmes soutiens sociaux que ceux offerts au Canada, y compris sur le plan financier et médical. Quoi qu’il en soit, ce n’était pas l’intention du législateur, en adoptant l’article 25 de la LIPR, de compenser l’écart entre le niveau de vie au Canada et celui d’autres pays.

[25]  Il faut également reconnaître que le fils de M. Trach n’était au Canada que depuis quelques semaines avant que l’agent ne rende une décision. À ce moment‑là, il n’existait probablement aucun élément de preuve convaincant d’un avantage personnel important et aucun n’a été fourni en ce sens. J’ajouterais également que la preuve présentée par M. Trach au sujet de son degré d’établissement au Canada postérieurement à 2016 n’était pas suffisamment détaillée et n’était pas corroborée. Étant donné l’absence de dossiers bancaires et de dossiers à jour sur l’emploi et le revenu, c’est un cas très peu convaincant qui a été présenté à l’agent. Au vu du dossier qui lui a été présenté, il était raisonnable pour l’agent de conclure à l’absence de preuve d’établissement.

[26]  En conclusion, je ne peux relever aucune erreur dans le traitement de la preuve par l’agent. La demande de prise de mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire étant très peu convaincante, il n’était pas déraisonnable pour l’agent de rejeter celle‑ci pour les motifs exposés.

[27]  Ni l’une ni l’autre partie n’a proposé de question à certifier et l’espèce ne soulève aucune question de portée générale.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3843‑18

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour de juillet 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑3843‑18

 

INTITULÉ :

VOLODYMYR TRACH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 AVril 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 28 MaI 2019

COMPARUTIONS :

Adela Crossley

Christian Julien

POUR LE DEMANDEUR

Nicole Rahaman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Crossley Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

For The Applicant

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

For The Respondent

 

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