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Date : 19980209

T-153-98

ENTRE :

                                         CORCOVADO YACHT CHARTERS LTD.,

                                                                                                                                  Demanderesse,

                                                                          - et -

                                                  FORESHORE PROJECTS LTD.,

                                                                                                                                    Défenderesse.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

1�        Les présents motifs portent sur la demande de suspension de l'action formulée par la défenderesse et fondée sur la prétention que la Cour fédérale n'a pas compétence pour connaître d'une action relative au bail de locaux commerciaux. La demanderesse, Corcovado Yacht Charters Ltd. (Corcovado), exploite un commerce d'articles de pêche, un centre de réservation pour l'affrètement de bateaux de pêche et une entreprise d'affrètement de bateaux de pêche à partir d'un édifice construit en partie sur pilotis à Granville Island, dans False Creek, une partie du port de Vancouver. Elle a reçu un refus de renouvellement de sous-location de son locateur, la défenderesse Foreshore Projects Ltd. (Foreshore). Foreshore loue, pour sa part, de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (S.C.H.L.), un espace dans lequel sont situés les locaux commerciaux .

2�        Le bail de Corcovado a expiré le 31 janvier 1998. Corcovado croit à l'existence d'un renouvellement ou d'un droit de renouvellement implicite, sur lequel elle s'appuie pour demander une réparation sous forme d'injonction et de déclaration, l'exécution en nature ou, subsidiairement, des dommages-intérêts. Lorsque la demanderesse a présenté une requête ex parte en vue d'obtenir une injonction interlocutoire, le juge qui a présidé l'audition s'est dit préoccupé par la question de savoir si la Cour avait compétence et il a ajourné la requête en suggérant que la question de la compétence soit tranchée.

3�        À la suite de cette suggestion, une audition a été tenue le 5 janvier 1998, à l'occasion de laquelle la défenderesse a présenté une requête en suspension de l'action pour défaut de compétence. Au même moment, la demanderesse a demandé un ajournement qui lui laisserait suffisamment de temps pour contre-interroger les auteurs des affidavits déposés par la défenderesse afin de contester la demande d'injonction et pour obtenir le bail principal de la défenderesse et une copie du décret de 1973, qui fait censément partie du bail principal de Foreshore et qui a apparemment amorcé l'exploitation de Granville Island. J'ai rejeté la demande d'ajournement de Corcovado, mais accueilli la requête de Foreshore sollicitant la suspension de l'instance pour défaut de compétence.

4�        Bien que le droit soit assez bien établi en ce qui concerne la compétence de la Cour pour connaître d'une instance semblable à celle-ci, il n'existe pas de cause sans importance du point de vue des parties. De plus, les parties ont le droit d'être informées des motifs justifiant l'issue de la cause, autrement que par quelques remarques impromptues formulées à la fin de l'audition. D'où les motifs promis qui, sans être innovateurs, reproduisent l'analyse qui a mené à la suspension de l'action de la demanderesse.

CONTEXTE

5�        Granville Island est constituée en partie de terrains gagnés sur la mer appartenant au gouvernement fédéral et administrés par la S.C.H.L. Depuis 1989, Corcovado exerce ses activités à partir de locaux situés sur Granville Island, connus sous le nom de Building 45, qu'elle sous-loue de Foreshore. Comme je l'ai expliqué, cet édifice est en partie construit sur des pilotis, au-dessus de l'ouvrage longitudinal de défense des côtes, mais on y accède directement par la terre ferme. Je soulignerais que le fait que l'édifice soit construit entièrement sur pilotis, au-dessus de l'eau, ou en partie sur pilotis et en partie sur la terre de l'ouvrage longitudinal n'a aucune incidence sur la compétence de la Cour en l'espèce.

6�        Les activités de Corcovado consistent notamment à exploiter un commerce d'articles de pêche et un centre de réservation pour l'affrètement de bateaux. C'est la base d'exploitation, au sens de travail administratif, des cinq bateaux de Corcovado, destinés à être affrétés, qui mesurent entre 20 et 36 pieds et qui sont tous amarrés à un flotteur à l'ouest du Building 45.

7�        Le locateur de Corcovado, Foreshore, détient ces locaux en vertu d'un bail de la S.C.H.L. Le plus récent sous-bail accordé à Corcovado par Foreshore, qui revêt apparemment la forme d'un formulaire type dactylographié, pour une période d'un an, est daté du 20 janvier 1995 : il comporte deux options de renouvellement d'un an qui ont été levées pour prolonger le bail de Corcovado jusqu'au 31 janvier 1998. Les raisons pour lesquelles Foreshore a refusé d'accorder un nouveau sous-bail ne sont pas pertinentes aux présentes requêtes, mais je soulignerais néanmoins que la défenderesse a sous-loué le Building 45 à un nouveau locataire au moyen du même formulaire de bail type et au même loyer que celui que la demanderesse aurait payé. Quoi qu'il en soit, Corcovado a intenté l'action et présenté sa requête ex parte le 29 janvier 1998.

8�        Peu de temps s'est écoulé entre, d'une part, le début de l'audition de la requête ex parte de la requérante en vue d'obtenir une réparation sous la forme d'une injonction et, d'autre part, la reprise prévue de l'audition en présence de la défenderesse. La défenderesse a donc joint une demande d'autorisation avec préavis écourté à sa requête en suspension de l'action de la demanderesse.    La demanderesse a également présenté une nouvelle requête, sur autorisation avec préavis écourté, sollicitant le contre-interrogatoire des auteurs des affidavits déposés par la défenderesse pour contester la demande d'injonction, et une ordonnance enjoignant à la demanderesse de produire une copie de son bail principal et à la S.C.H.L., qui n'est pas partie à l'action, de produire une copie du Décret C.P. 1973-1453 (le Décret). L'avocat de la demanderesse a ajouté une requête orale en vue d'obtenir un ajournement de la présente audition pour donner à la demanderesse le temps d'obtenir et d'examiner le bail principal et le Décret. Je soulignerais que le contenu de ces deux documents n'est pas connu, mais il se pourrait que le Décret soit un document qui confère à la S.C.H.L. la responsabilité de Granville Island, qui est une terre fédérale.

ANALYSE

9�        Les avocats ont convenu que, pour trancher les requêtes relatives aux documents et la requête présentée oralement en vue d'un ajournement, ils devaient présenter leur plaidoirie sur la demande de suspension.    

10�      La réponse simple à la question de la compétence en droit maritime est peut-être celle donnée par monsieur le juge Pratte dans les motifs qu'ils a prononcés au nom de la Cour d'appel dans l'affaire Domestic Converters Corporation c. Arctic Steamship Line [1984] 1 C.F. 211. Dans cette instance, la question à trancher était en partie celle de la compétence de la Cour fédérale sur la défenderesse, locataire d'un hangar situé dans le Port de Montréal et construit par le Conseil des ports nationaux qui en était propriétaire. Le hangar s'était effondré sous le poids de la neige, endommageant les marchandises de la demanderesse.    Le seul argument à l'appui de la compétence portait que la demande était fondée sur le droit maritime canadien au sens de la définition figurant à l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale.

11�      Dans l'affaire Domestic Converters Corporation (précitée), les demanderesses ont invoqué à la fois la responsabilité délictuelle et la responsabilité contractuelle liée à la garde des marchandises déchargées. Le juge de première instance et la Cour d'appel ont rejeté cette partie de la demande : le seul fait que le marchandises aient été l'objet d'un transport maritime, leur transport s'étendant à leur entreposage à terre, et entreposées dans un hangar situé dans le port de Montréal, sur un terrain du Conseil des ports nationaux, ne conférait pas un caractère maritime à l'affaire. La Cour a plutôt statué qu'il s'agissait d'une action purement civile régie par le droit provincial. Toutefois, l'issue de la présente requête commande peut-être une analyse et une explication un peu plus poussées. Pour analyser la demande, je dois m'intéresser à l'opération dans son ensemble comme l'a fait, par exemple, la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Monk Corporation c. Island Fertilizers Ltd. (le « Super Spirit » ) (1989) 97 N.R. 384.

12�      L'élément clé de la thèse de l'avocat de la demanderesse est l'argument portant que l'action est régie par le droit maritime canadien et qu'elle relève donc de la compétence de la Cour par application du par. 22 (1) de la Loi sur la Cour fédérale. L'avocate de la défenderesse soutient que la demanderesse n'a satisfait à aucun des trois volets du critère de compétence établi dans l'arrêt ITO - International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752.

13�      La portée de la compétence de la Cour fédérale, qui est constituée par une loi, représente un écueil pour beaucoup de plaideurs, malgré l'énoncé assez concis des conditions essentielles à remplir pour justifier une conclusion favorable quant à la compétence figurant dans l'arrêt International Terminal Operators de la Cour suprême du Canada (précité), à la page 766:

1.              Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

2.              Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.

3.              La loi invoquée dans l'affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Comme la Cour fédérale est constituée par une loi, sa compétence doit nécessairement satisfaire à ces exigences.

14�      La demanderesse fait valoir que son action est fondée sur le droit maritime canadien et qu'elle satisfait donc à la première condition, celle de l'attribution de compétence par une loi fédérale, grâce au par. 22 (1) de la Loi sur la Cour fédérale :

La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les cas - opposant notamment des administrés - où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d'une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, sauf attribution expresse contraire de cette compétence.    (non souligné dans l'original)

15�      Qu'est-ce que le droit maritime canadien? On lui attribue parfois une définition tautologique, selon laquelle, lorsqu'il est établi qu'une demande relève de l'un des alinéas du par. 22 (2) de la Loi sur la Cour fédérale, il existe nécessairement des règles substantielles de droit maritime canadien sur lesquelles la fonder : voir, par exemple, Skaarup Shipping Corporation c. Hawker Industries Ltd., [1980] 2 C.F. 746, à la page 750. Malheureusement pour la demanderesse, en l'espèce, la cause d'action n'est pas expressément visée par l'un des alinéas du par. 22 (2) de la Loi sur la cour fédérale.

16�      On trouve également une définition du droit maritime canadien dans l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale :

« droit maritime canadien » Droit - compte tenu des modifications y apportées par la présente loi ou par toute autre loi fédérale - dont l'application relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa qualité de juridiction de l'Amirauté, aux termes de la Loi sur l'Amirauté, chapitre A-1 des Statuts révisés du Canada de 1970, ou de toute autre loi, ou qui en aurait relevé si ce tribunal avait eu, en cette qualité, compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté.

Les tribunaux, et en particulier la Cour suprême du Canada, se sont abondamment exprimés sur ce qui constitue le droit maritime canadien. Expliquant l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale, le juge McIntyre, qui a rédigé la décision de la Cour dans l'arrêt International Terminal Operators (précité), était d'avis qu'une partie de la définition du droit maritime canadien, dans la Loi sur la Cour fédérale, a été adoptée de façon à inclure une compétence illimitée en matière « maritime » et « d'amirauté » (p. 774) et que les termes « maritime » et « d'amirauté » doivent être interprétés dans le contexte moderne du commerce et de la marine marchande. Selon le juge McIntyre, le « droit maritime canadien » est l'ensemble des règles de droit anglaises qui ont été adoptées et qui comprennent à la fois les règles et principes spécialisés du droit de l'amirauté et les règles et principes de common law adoptés, tels qu'ils ont été et qu'ils sont encore modifiés et étendus par le Parlement et par la jurisprudence (id., p. 771 et 776).

17�      Pour mettre la jurisprudence à jour, soulignons que les avocats de Vancouver qui exercent en droit maritime discutent actuellement de la question de savoir dans quelle mesure les remarques formulées par madame le juge McLachlin dans l'arrêt Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd. c. St. John Shipbuilding Ltd. (arrêt non publié prononcé par la Cour suprême du Canada le 18 décembre 1997) sur la portée de l'application des principes du droit maritime ont modifié notre conception du droit maritime canadien. Dans l'affaire Bow Valley, des dommages causés par un incendie à des câbles électriques et de transmission a mis hors-service la plate-forme de forage en mer Bow Drill III. Les questions en litige portaient notamment sur l'indemnisation de la perte économique et l'applicabilité des principes de la négligence contributive en droit maritime canadien.

18�      Dans l'affaire Bow Valley, la demanderesse soutenait avec insistance que le droit maritime ne devait pas s'appliquer parce que le matériel défectueux, le système de réchauffage des conduites, n'avait aucun rapport avec la navigation et les expéditions par eau, et que les demandes étaient fondées sur la responsabilité contractuelle et délictuelle dans le contexte d'une matière d'une nature locale mettant en cause la propriété et les droits civils.    Madame le juge McLachlin s'est exprimée sur le droit maritime canadien dans sa dissidence (la majorité a tranché le litige en se fondant sur une analyse d'une clause de limitation de nature contractuelle et n'a donc pas eu à se prononcer sur la portée du droit maritime canadien). À mon avis, mis à part la question de l'indemnisation, dans un cas de négligence contributive, madame le juge McLachlin n'a pas étendu la portée du droit maritime canadien, mais elle a plutôt effectué, à partir de la jurisprudence connue à ce jour, une solide analyse de l'application du droit maritime canadien. Elle souligne que « ... la nature juridique d'une réclamation n'est pas le facteur décisif pour déterminer si les principes du droit maritime s'appliquent. » (par. 84). Elle se reporte ensuite à l'arrêt ITO - International Terminal Operators c. Miida Electronics Inc. (précité), énonçant le concept selon lequel la question examinée doit être « ... entièrement liée aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale. » (p. 774). À la fin du passage pertinent, que je citerai brièvement au complet, madame le juge McLachlin conclut, en utilisant le critère du « caractère véritable » , que l'affaire dont la Cour suprême était saisie ne constituait pas une matière de nature purement locale qui relève de l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, c'est-à-dire, qu'elle ne ressortissait pas à la compétence provinciale en matière de propriété et droits civils, mais qu'elle relevait intégralement du droit maritime et qu'elle devait être tranchée en vertu du droit maritime canadien. Voici le texte de ce passage intéressant : :

84.            Les demanderesses prétendent que le droit maritime ne devrait pas s'appliquer parce que le Thermaclad n'a aucun rapport avec le matériel de navigation de la plate-forme et parce que les réclamations sont fondées sur la responsabilité délictuelle et contractuelle et ne concernent pas la navigation et ni les expéditions par eau. Cependant, la nature juridique d'une réclamation n'est pas le facteur décisif pour déterminer si les principes du droit maritime s'appliquent. Il faut « que la question examinée dans chaque cas [soit] entièrement liée aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale » : ITO - International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, à la p. 774, le juge McIntyre. Il s'ensuit que « la responsabilité délictuelle dont il est question dans un contexte maritime est régie par un ensemble de règles de droit maritime relevant de la compétence exclusive du Parlement » : Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273, à la p. 1289, le juge La Forest.

85.            Il s'agit en l'espèce de responsabilité délictuelle dans un contexte maritime. La Cour d'appel, sous la plume du juge Cameron, a statué que [traduction] « [l]es activités de la plate-forme Bow Drill 3 sont essentiellement de nature maritime, quoiqu'il s'agisse d'une activité maritime d'un type moderne » (p. 134). La plate-forme n'était pas seulement une plate-forme flottante, mais un bâtiment navigable. Comme l'a dit le juge Cameron, aux pp. 133 et 134, la plate-forme [traduction] « peut se propulser par ses propres moyens; même lorsqu'elle fait du forage, elle est vulnérable aux dangers de la mer; elle n'est pas attachée en permanence au fond de l'océan et elle peut voyager à travers le monde afin de forer à la recherche du pétrole » . Subsidiairement, même si la plate-forme n'est pas un bâtiment navigable, la réclamation fondée sur la responsabilité délictuelle qui a été exercée à la suite de l'incendie n'en serait pas moins une question maritime puisque l'objet principal de la plate-forme Bow Drill III était une activité se déroulant dans des eaux navigables. Le fonctionnement du système de réchauffage des conduites de la plate-forme était dangereux parce que le système DFT qui avait été installé ne convenait pas dans un contexte maritime sans mise à la terre. Les réclamations exercées contre les défenderesses pour défaut de mise en garde comportaient des allégations selon lesquelles les défenderesses connaissaient les exigences spéciales concernant le matériel maritime comme l'incombustibilité ou l'ininflammabilité. Dans la présente affaire, les questions relatives à la responsabilité du fait des produits sont clairement dominées par des considérations d'ordre maritime.

86.            Il ne s'agit pas d'une affaire qui « constitue, de par son caractère véritable, une matière d'une nature locale mettant en cause la propriété et les droits civils ou toute autre question qui relève essentiellement de la compétence exclusive de la province en vertu de l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 » : ITO, précité, à la p. 774, le juge McIntyre. Je conclus que les questions qui se posent en l'espèce relèvent intégralement du domaine maritime et doivent être tranchées en vertu du droit maritime canadien.

19�      À l'aide de tout ce qui précède, je dois déterminer si l'entreprise de la demanderesse et l'opération conclue entre elle et la défenderesse sont clairement dominées par des considérations d'ordre maritime ou entièrement liées aux affaires maritimes au point qu'elles devraient, ou qu'elles doivent en fait, être régies par le droit maritime canadien et que la Cour a donc compétence sur elles. En résolvant cette question, je dois prendre garde et éviter d'empiéter sur toute question qui constitue, de par son caractère véritable, une matière de nature locale mettant en cause la propriété et les droits civils qui relève essentiellement de la compétence exclusive des provinces.

20�      L'entreprise de la demanderesse peut certes se situer sur une terre fédérale, qui a été en partie gagnée sur la mer (bien que sur un fond marin provincial) et elle est une entreprise de vente d'articles de pêche et d'affrètement de bateaux, exploitée à partir d'un édifice construit en partie sur des pilotis enfoncés au fond de False Creek. Mais il s'agit aussi d'une entreprise qui peut être et qui est effectivement souvent exploitée à partir d'endroits situés bien à l'intérieur des terres. Cette entreprise est-elle étroitement liée au domaine fédéral de la navigation et de la marine marchande au point qu'il faut fouiller le droit maritime canadien, incluant le droit des contrat, pour y puiser une règle de droit particulière applicable? Je ne le crois pas. Je trouve encore plus difficile de conclure que la sous-location du Building 45 par la demanderesse, une société par actions de la Colombie-Britannique qui tient ce bien à bail de la S.C.H.L., à la défenderesse, une autre société par actions de la Colombie-Britannique, est entièrement liée aux affaires maritimes au point d'être régie par le droit maritime canadien.

21�      Le bail et sa résiliation, ou son non-renouvellement, et toute violation du bail sont, au contraire, de par leur caractère véritable, des affaires relevant du droit de la propriété qui appartiennent nettement au domaine de la propriété et des droits civils dans la province et des matières de nature purement locale ou privée dans la province. Or, ces matières ont toutes été attribuées aux provinces par l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.

22�      L'avocat de la demanderesse fait valoir que je devrais reporter le prononcé d'un jugement sur la question de la compétence jusqu'à ce qu'elle obtienne une copie du Décret du Conseil privé C.P. 1973-1453, qui confère manifestement à la S.C.H.L. la qualité de locateur de Granville Island ainsi qu'une copie du bail principal consenti par la S.C.H.L. à la défenderesse, Foreshore Projects Ltd. Je ne vois pas en quoi l'un ou l'autre de ces documents pourrait aider la demanderesse. Au contraire, aucun pouvoir conféré à la S.C.H.L. ne saurait donner compétence à des administrés pour faire trancher par la Cour fédérale un litige portant sur un bien, entre un locateur et un locataire.

23�      L'avocat de la demanderesse souligne aussi que le sous-bail est assujetti à la Loi sur la protection des eaux navigables, qui constitue maintenant le chapitre N-22 des L.R.C. (1985). Par la clause 21.19 du bail type produit par la demanderesse, le locataire, Corcovado, s'engage en particulier à ne pas construire ni utiliser d'ouvrages sans s'être conformé aux dispositions de la Loi sur la protection des eaux navigables et avoir obtenu le consentement du locateur et de la S.C.H.L.    Au mieux, cette clause soulève la question de savoir si le bail entre les parties est fondé de quelque façon quelconque sur la Loi sur la protection des eaux navigables ou étroitement lié à cette loi, au point de conférer compétence à la Cour.

24�      Un bref paragraphe d'un bail de 25 pages exige simplement que le locateur se conforme à la Loi sur la protection des eaux navigables. Cette Loi régit notamment l'élimination des déchets, la construction d'ouvrages, y compris de quais et de docks, le déversement de déblais de dragage et l'enlèvement d'épaves, relativement aux eaux navigables et elle établit les peines rattachées à différentes infractions à la loi. Elle n'est d'aucun secours pour la demanderesse, car elle ne vise pas les rapports contractuels ni les recours applicables à la sous-location d'une terre de la Couronne et elle ne confère aucun droit d'action à la demanderesse.

CONCLUSION

25�      Réduite à sa plus simple expression, la question à trancher est celle de savoir si l'action de la demanderesse doit être caractérisée comme une action pour violation d'une entente maritime, régissant une entreprise maritime commandant l'application du droit maritime canadien, ou comme une action pour violation d'une convention de location d'une propriété riveraine.     La première est de la compétence de la Cour, alors que la dernière se situe en dehors de la portée du droit maritime canadien. Je ne constate l'existence d'aucun facteur qui conférerait un caractère maritime à l'opération en cause de sorte qu'elle serait clairement dominée par des considérations d'ordre maritime ou qui la lieraient entièrement aux affaires maritimes de façon qu'elle soit régie par le droit maritime canadien.

26�      Il s'agit d'un litige civil portant sur un édifice. Il s'agit donc d'une matière d'intérêt purement local ou provincial , d'une affaire de droit de propriété entre deux administrés. Il s'agit nettement d'une matière provinciale sur laquelle les tribunaux de la Colombie-Britannique ont compétence, du moins dans la mesure où elle n'est pas régie par la clause d'arbitrage stipulée dans le bail.

27�      La défenderesse a demandé et obtenu la suspension de l'instance pour défaut de compétence, plutôt que le rejet de l'action. Toutefois, en ce qui concerne la requête présentée par la demanderesse en vue d'obtenir certains documents, la Cour ayant décliné sa compétence, ne peut pas rendre d'autre ordonnance. La requête de la demanderesse est donc rejetée.

                                                                                                (Signature) « John A. Hargrave »

                                                                                                            Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

9 février 1998

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.


                             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                              T-153-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         CORCOVADO YATCH CHARTERS LTD.,

                                                                                                                        Demanderesse,

                                                                        et

                                                                        FORESHORE PROJECTS LTD.,

                                                                                                                        Défenderesse.

LIEU DE L'AUDITION :                               Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDITION :                             9 février 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS

PAR LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                                   9 février 1998

ONT COMPARU :

            Victoria Gray                          pour la défenderesse

            Joseph Spears                                     pour la demanderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

            Victoria Gray                          pour la défenderesse

            Joseph Spears                                     pour la demanderesse

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