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Date : 20190524


Dossier : T‑772‑17

Référence : 2019 CF 740

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2019

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

LABRADOR‑ISLAND LINK GENERAL PARTNER CORPORATION, FAISANT OFFICE DE COMMANDITÉE DE LABRADOR‑ISLAND LINK LIMITED PARTNERSHIP, ET LABRADOR‑ISLAND LINK LIMITED PARTNERSHIP

demanderesses

et

PANALPINA INC., DESGAGNÉS TRANSARCTIK INC. ET LOGISTEC STEVEDORING INC.

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demanderesses ont intenté une action pour obtenir un jugement au montant de 3 711 451,94 $ contre les trois défenderesses à la suite de dommages qui auraient été causés à deux envois de câbles conducteurs en aluminium renforcé d’acier sur bobines d’acier [les bobines de câbles conducteurs]. Les défenderesses ont produit des requêtes distinctes en jugement sommaire pour que soit rejetée l’action intentée contre elles au motif qu’elle est prescrite.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que les requêtes en jugement sommaire devraient être accueillies, parce que l’action intentée est de fait prescrite et que la question est déterminante pour l’ensemble de l’action.

I.  Les parties

[3]  Les demanderesses, la Labrador‑Island Link General Partner Corporation, faisant office de commanditée de la Labrador‑Island Link Limited Partnership, et la Labrador‑Island Link Limited Partnership sont des entités affiliées. Les deux sont des filiales de Nalcor Energy et ont été créées pour l’exécution du projet de transport d’électricité du cours inférieur du fleuve Churchill entre le Labrador et l’île de Terre‑Neuve [le projet du cours inférieur du Churchill]. Les demanderesses sont collectivement appelées « Nalcor » dans les présents motifs.

[4]  Nalcor a retenu les services de Panalpina Inc. [Panalpina] en vue de la prestation de services généraux d’agent transitaire en exécution du transport de tout le fret du projet du cours inférieur du Churchill. À cet égard, les parties ont signé une entente de services d’agent transitaire [ESAT] le 3 octobre 2013. Panalpina a accepté d’agir à titre d’entrepreneur principal avec l’entière responsabilité des services en conformité et sous réserve des dispositions de l’ESAT.

[5]  Panalpina a passé un contrat avec la défenderesse Logistec Stevedoring Inc. [Logistec] pour la réception et l’entreposage des bobines de câbles conducteurs au terminal de Logistec au port de Trois‑Rivières, en attendant qu’elles soient transportées par navire. Elle a aussi passé contrat avec la défenderesse Desgagnés Transarctik Inc. [Desgagnés] pour le transport maritime du fret.

I.  Aperçu de la demande

[6]  Les défenderesses conviennent que les demanderesses, ou l’une ou l’autre d’entre d’elles, ont acheté les bobines de câbles conducteurs qui sont visées par la demande de Nalcor. La cargaison devait être expédiée par bateau de Trois‑Rivières (Québec) à Argentia (Terre‑Neuve). Pour le transport maritime et l’acconage des bobines de câbles conducteurs, Panalpina a sous‑traité avec Desgagnés et Logistec après avoir reçu l’approbation de Nalcor.

[7]  Le premier envoi de 510 bobines s’est fait par le navire de charge polyvalent sous pavillon canadien de Desgagnés, le Sedna Desgagnés, le 28 mai 2015 [l’envoi de mai]. À l’arrivée des bobines de câbles conducteurs à Argentia le 1er juin 2015, Nalcor a constaté pendant le déchargement que les bobines étaient endommagées. Le 9 septembre 2015, elle a avisé Panalpina des dommages et de son intention de présenter une demande d’indemnisation.

[8]  Le second envoi, qui contenait 533 bobines, a eu lieu à bord du Zelada Desgagnés le 28 octobre 2018 [l’envoi d’octobre]. Des dommages ont été constatés, initialement pendant le déchargement. Le 2 novembre 2015, Nalcor a avisé Panalpina de son intention de présenter une demande en dommages‑intérêts pour cet envoi.

[9]  Nalcor a intenté l’action en question le 29 mai 2017, réclamant des dommages‑intérêts en raison de la négligence alléguée des défenderesses à entreposer, charger, assujettir et transporter les bobines de câbles conducteurs.

[10]  Les parties conviennent qu’il s’est écoulé plus d’un an entre l’exécution des deux envois et la production de la déclaration en indemnisation pour dommages à la cargaison.

II.  Les questions devant être tranchées

[11]  Ces requêtes ne portent pas sur le bien‑fondé de la demande en dommages‑intérêts de Nalcor contre les défenderesses. Le différend porte sur la question de savoir si Panalpina a le droit d’invoquer le délai de prescription de neuf (9) mois prévu dans les Conditions générales (les Conditions générales) de l’ATIC (Association des transitaires internationaux canadiens) ou, à titre subsidiaire, si toute défenderesse peut invoquer le délai de prescription d’un (1) an de la Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, mieux connue sous le nom de Règles de La Haye, comme elle est incorporée par renvoi aux connaissements maritimes produits par Desgagnés [les connaissements maritimes], que ce soit sur le fondement de :

  • (1) la clause paramount [clause 2] des connaissements maritimes;

  • (2) d’un sous‑dépôt;

  • (3) la clause « Himalaya » dans les notes d’engagement de fret entre Nalcor et Panalpina.

[12]  Avant d’aborder ces questions, la Cour doit d’abord se pencher sur la question de savoir si un jugement sommaire est approprié en l’espèce.

III.  Un jugement sommaire est‑il approprié?

[13]  En ce qui concerne les principes applicables à un jugement sommaire rendu en vertu des articles 213, 214 et 215 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, je ne pourrais faire mieux que d’adopter les motifs de madame la juge Anne Mactavish dans l’affaire Milano Pizza Ltd c. 6034799 Canada Inc., 2018 CF 1112, aux paragraphes 33 à 40 :

[33]  La question qui se pose lors de l’examen d’une requête en jugement sommaire n’est pas « de savoir si une partie n’a aucune chance d’obtenir gain de cause au procès, mais plutôt d’établir si le succès de la demande est tellement douteux que celle‑ci ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès ». Par conséquent, « les jugements sommaires ne sont pas réservés aux affaires particulièrement claires » : les deux citations sont tirées de la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Campbell, 2014 CF 40, [2014] ACF no 30, au paragraphe 14, qui cite ITV Technologies Inc. c WIC Television Ltd, 2001 CAF 11, 199 FTR 319, aux paragraphes 4 à 6; Premakumaran c Canada, 2006 CAF 213, [2007] 2 RCF 191, aux paragraphes 9 à 11; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Schneeberger, 2003 CF 970, au paragraphe 17, [2004] 1 RCF 280.

[34]  Il incombe à la partie requérante de démontrer qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse. Toutefois, les parties qui répondent à des requêtes en jugement sommaire sont également tenues de « présenter leurs meilleurs arguments » dans leur réponse : F. Von Langsdorff Licensing Ltd. c S.F. Concrete Technology, Inc. (1999), 165 FTR 74, aux paragraphes 12 et 27, [1999] ACF no 526.

[35]  La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut se fonder sur des conjectures touchant la preuve qui pourrait être produite à une étape ultérieure de l’instance. Les intimés doivent plutôt invoquer des faits précis dans leur réponse à une requête en jugement sommaire et produire les éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse : article 214 des Règles. Voir aussi MacNeil c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2004 CAF 50, au paragraphe 37, [2004] ACF no 201. Cette exigence est réputée nécessiter qu’une partie intimée doit « jouer atout ou risquer de perdre » : voir Kirkbi AG c Ritvik Holdings Inc. (1998), 150 FTR 205, au paragraphe 18, [1998] ACF no 912.

[36]  Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, pour être » juste et équitable », le dossier dont est saisi le juge des requêtes doit lui permettre de dégager les faits nécessaires au règlement du litige : Hryniak, précité, au paragraphe 28. Un jugement sommaire ne sera pas rendu lorsque le juge n’est pas en mesure de dégager les faits essentiels ou lorsqu’il serait injuste de le faire.

[37]  Il est en effet de jurisprudence constante que le tribunal saisi d’une requête en jugement sommaire ne doit pas se prononcer sur les questions de crédibilité. En règle générale, le juge qui entend et observe le témoignage principal et le contre‑interrogatoire des témoins est mieux à même d’apprécier leur crédibilité et de tirer des inférences que le juge qui doit uniquement se fonder sur des affidavits et des éléments de preuve documentaires : TPG Technology Consulting Ltd. c Canada, 2013 CAF 183, au paragraphe 3, [2013] ACF no 836.

[38]  En l’absence de témoignages de vive voix, le juge des requêtes qui est saisi d’une véritable question litigieuse ne peut pas apprécier la crédibilité de la façon appropriée ou encore examiner à fond la preuve et la soupeser : MacNeil, précité, au paragraphe 38. Par conséquent, les litiges devraient faire l’objet d’un procès lorsqu’il existe des questions sérieuses quant à la crédibilité des témoins : Newman c Canada, 2016 CAF 213, au paragraphe 57, [2016] ACF no 952; Suntec Environmental Inc. c Trojan Technologies, Inc., 2004 CAF 140, aux paragraphes 20 et 28‑29, [2004] ACF no 636; MacNeil, précité, au paragraphe 32.

[39]  Cela étant dit, « l’existence d’une apparente contradiction de preuves n’empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire ». Les juges doivent « se pencher de près » sur le fond de l’affaire et décider s’il y a des questions de crédibilité à trancher : Granville Shipping Co. c Pegasus Lines Ltd. S.A., [1996] ACF no 481, au paragraphe 7, [1996] 2 CF 853.

[40]  Lorsqu’il statue sur ce point, le juge des requêtes doit faire preuve de prudence puisque le prononcé d’un jugement sommaire fera en sorte que la partie ne pourra pas présenter de preuve à l’instruction au sujet de la question litigieuse. Autrement dit, la partie qui répond à une requête et qui n’a pas gain de cause perdra » la possibilité de se faire entendre en cour « : voir Apotex Inc. c Merck & Co., 2004 CF 314, au paragraphe 12, 248 F.T.R. 82, conf. par 2004 CAF 298, [2004] ACF no 1495.

[14]  Dans la décision Graymar Equipment (2008) Inc c Cosco Pacific Shipping Ltd, 2018 CF 974, au paragraphe 16, le juge Sean Harrington ajoute qu’« il n’existe pas véritablement de question en litige si la requête permet au juge de faire les constatations nécessaires quant aux faits et qu’elle lui permet d’appliquer le droit aux faits de la cause, ce qui constitue une façon proportionnée, expéditive et moins onéreuse de procéder. »

[15]  Les parties s’accordent pour dire qu’une requête en jugement sommaire est un véhicule procédural approprié en l’espèce. Elles conviennent que la Cour est à même de juger si ce sont les Conditions générales de l’ATIC ou la teneur des connaissements maritimes qui s’appliquent à l’égard de Nalcor, compte tenu du dossier de preuve qui lui a été soumis. Je suis d’accord.

[16]  Les éléments de preuve sur le fond présentés par les parties procurent une piste documentaire complète sur leurs activités et leurs rapports contractuels. De plus, les affidavits produits par les parties et les transcriptions des contre‑interrogatoires permettent à la Cour de vérifier l’intention des parties au moment de conclure les ententes sous‑jacentes. Aucune évaluation de crédibilité des témoins n’est nécessaire pour traiter de ces questions. Ajoutons que de laisser une revendication frappée de prescription aller à procès pour des faits qui sont largement non contestés serait un gaspillage des ressources et du temps de la Cour. J’en conclus qu’il est juste et approprié d’établir par jugement sommaire si la demande de Nalcor est prescrite.

IV.  Les faits

[17]  L’audience s’est déroulée sur dossier de preuve commun.

[18]  Dans sa requête, Panalpina s’appuie sur l’affidavit de M. Lorne Grant, gestionnaire de projet, solutions énergie et projets, qui a directement été associé à ses activités d’agent transitaire en ce qui concerne le projet du cours inférieur du Churchill.

[19]  Desgagnés a déposé l’affidavit de M. Daniel Desgagnés, son directeur des ventes et du service à la clientèle, qui a directement participé à la préparation des offres détaillées en vue de l’exécution des deux expéditions, ainsi qu’à l’organisation du transport de la cargaison.

[20]  Logistec a déposé l’affidavit de M. Michel Miron, son vice‑président à l’exploitation, qui a une connaissance personnelle des propositions de prix à Panalpina et des services fournis par Logistec relativement aux deux envois.

[21]  Nalcor a répondu par l’affidavit de M. Pat Hussey, gestionnaire de chaîne d’approvisionnement pour le projet du cours inférieur du Churchill. Cet affidavit a été modifié le 11 septembre 2018. M. Hussey a pris part aux négociations de Nalcor et de Panalpina qui ont mené à la signature de l’ESAT. Il a également été associé aux dispositions d’achat et de transport pour les deux envois avec M. Rick Caporiccio, gestionnaire de logistique qui relevait de lui dans le cadre du projet du cours inférieur du Churchill.

[22]  Les quatre déposants ont été contre‑interrogés et des transcriptions des contre‑interrogatoires ont été produites.

[23]  Les réponses aux engagements découlant des contre‑interrogatoires des déposants sont jointes comme pièces à l’affidavit de M. Philip Louis, avocat du cabinet représentant Nalcor.

[24]  Comme il a été indiqué, les faits sont assez simples, car toutes les opérations sont bien documentées. Il n’y a pas non plus de questions importantes de crédibilité qui se posent.

A.  Entente de services d’agent transitaire

[25]  L’ESAT fixe les modalités qui s’appliquent aux mouvements du fret de Nalcor par Panalpina. Elle contient des dispositions sur le rôle, les obligations, les déclarations et les attestations de Panalpina, ainsi que sur la fourniture de personnel et de matériel, la sous‑traitance, la rétribution et les modalités de paiement, les défauts et la résiliation, la responsabilité, l’indemnisation et d’autres dispositions connexes.

[26]  En général, Nalcor lance le processus en question en produisant une demande de prix [DDP] avec des indications expresses sur l’acheminement en question, dont la nature de la cargaison, la quantité, le lieu, le moyen de transport à privilégier et la date de livraison requise. Cette DDP permet à Panalpina d’aller sur le marché et de solliciter des prix des transporteurs d’après ces indications de Nalcor.

[27]  Quand Panalpina obtient des prix, elle les transmet à Nalcor. Après examen de chaque proposition de prix avec le calendrier et la logistique, Nalcor fait son choix en produisant une recommandation d’approvisionnement pour le transport. Elle informe Panalpina de son choix en produisant un billet de mouvement de matériel [BMM], qui confirme le moyen de transport, les points d’origine et de destination et la date de livraison requise et donne des précisions sur la collecte et le transport des marchandises.

[28]  Au reçu du BMM, Panalpina communique avec le transporteur choisi et prend l’ensemble des dispositions et des engagements de fret pour le transport de la cargaison, ce qui comprend les notes d’engagement destinées à Nalcor.

[29]  L’article 1.9 de l’ESAT dit que l’entente doit [TRADUCTION] « être interprétée selon les lois de la province de Terre‑Neuve‑et‑Labrador et du Canada » et que Panalpina [TRADUCTION] « s’en remet irrévocablement à la compétence exclusive des tribunaux de la province de Terre‑Neuve‑et‑Labrador et du Canada pour le règlement de tout différend découlant de la présente entente ».

[30]  L’article 2.2 de l’ESAT dit expressément que Panalpina [TRADUCTION] « n’est pas un mandataire de [Nalcor] ni d’une entité affiliée de [Nalcor] ».

[31]  L’article 6 aborde la question de la possibilité de sous‑traitance par Panalpina :

[traduction]

6.1 L’entrepreneur ne sous‑traite pas l’ensemble des travaux ni l’exécution de toute partie de ceux‑ci sans l’assentiment préalable de la société.

6.2 Tout contrat passé en sous‑traitance qui est approuvé par la société ne dégage pas l’entrepreneur de ses devoirs, obligations, garanties, charges et responsabilités aux termes de la présente entente.

6.3 L’entrepreneur est responsable de toute action, omission et négligence de tout mandataire ou sous‑traitant et de tout membre du personnel de ce mandataire ou de ce sous‑traitant, entièrement comme s’il s’agissait d’une action, d’une omission ou d’une négligence de son propre personnel.

[32]  L’ESAT contient, à l’article 28, une rubrique intitulée [TRADUCTION] « Intégralité de l’entente » :

[traduction]

28.1 La présente entente constitue l’intégralité de l’entente entre les parties en ce qui concerne son objet. Elle remplace et annule toute entente et tout document, écrit ou accord verbal des parties en ce qui concerne les travaux. Il n’y a aucun accord, déclaration ni engagement de vive voix ou par écrit, exprès ou non, valide s’il ne figure pas expressément aux présentes.

28.2 Aucune modification à la présente entente par l’entrepreneur ou la société n’entre en vigueur ou ne prend effet si elle n’est pas écrite, qu’il n’est pas expressément mentionné qu’elle modifie la présente entente et qu’elle n’est pas signée par les représentants autorisés de chacune des parties.

28.3 Aucune renonciation à une disposition à la présente entente n’est valide si elle n’est pas écrite, qu’elle n’est pas expressément mentionnée comme renonciation à une disposition énoncée et qu’elle n’est pas signée par la partie devant ainsi être liée.

[33]  La pièce 1 de l’ESAT énonce la portée des travaux et établit la marche à suivre pour l’exécution du transport de la cargaison de Nalcor par Panalpina.

[34]  Le paragraphe 2.2 de l’énoncé de portée des travaux dit que Panalpina sera l’entrepreneur principal de Nalcor :

[traduction]

2.2 Agent transitaire du projet

L’entrepreneur fournira des services généraux d’agent transitaire aux fins du projet. Le transitaire sera l’entrepreneur principal et il aura l’entière responsabilité d’assurer la prestation des services conformément aux dispositions des présentes et sous-réserve de celles-ci […]

B.  Déroulement des événements relativement aux envois de mai et d’octobre

[35]  Panalpina a agi à titre de transitaire conformément aux modalités de l’ESAT pour les envois et de mai et d’octobre. Desgagnés a été le transporteur et Logistec, l’acconier. Il s’agissait respectivement des 299e et 459e expéditions exécutées au nom de Nalcor. Ni Desgagnés ni Logistec n’avaient de rapports directs avec Nalcor.

[36]  Voici comment s’est déroulé chacun des envois :

[37]  Nalcor a lancé le processus en produisant une DDP avec des indications précises sur l’acheminement, la nature de la cargaison, sa quantité, son lieu, le moyen de transport à privilégier et la date de livraison requise. Ce document a permis à Panalpina de faire appel au marché et de solliciter des prix de transporteurs selon les spécifications de Nalcor.

[38]  Logistec a communiqué à Desgagnés ses tarifs, modalités et autres conditions pour ses services d’acconage selon son contrat type d’acconage et de terminal. Desgagnés a retenu les services de Logistec suivant ces modalités pour la manutention et l’arrimage dans la cale du navire de charge. De même, Logistec a communiqué à Panalpina ses tarifs, modalités et autres conditions pour ses services de terminal, ce qui comprend la réception de la cargaison acheminée par camion et le transbordement au quai à portée de manutention en vue du chargement de la cargaison dans les navires de Desgagnés.

[39]  Panalpina a alors présenté à Nalcor les prix obtenus d’un ou de plusieurs transporteurs et acconiers. Dans chaque cas, elle a porté la mention suivante dans le document présentant les prix : [TRADUCTION] « Les tarifs relèvent des plus récentes Conditions générales de l’ATIC (disponibles sur demande). » L’article 19 des Conditions générales stipule ceci : « Sauf convention contraire, la société est dégagée de toute responsabilité en vertu des présentes conditions à moins qu’une action ne soit intentée dans les neuf mois suivant : a) la date de livraison des marchandises, pour les réclamations pour dommages à celles‑ci […] »

[40]  M. Caporiccio a été le principal interlocuteur auprès de Panalpina. Il a reçu copie de chaque document présenté par celle‑ci, a examiné ces documents, puis les a transmis à M. Hussey. Nalcor a répondu à Panalpina à l’aide d’un BMM; elle a accepté les prix proposés par Logistec et Desgagnés et relayés par Panalpina.

[41]  Panalpina a passé un contrat avec Logistec pour la réception et l’entreposage des bobines de câbles conducteurs à son terminal préalablement au transport océanique, ainsi qu’avec Desgagnés pour le transport maritime.

[42]  Panalpina a alors envoyé « coup sur coup » les notes d’engagement de fret à Nalcor (une produite par Desgagnés et une autre identique par Panalpina) à l’égard de chaque envoi; Desgagnés était indiqué comme transporteur, Panalpina comme expéditeur et Nalcor (Labrador‑Island Link Limited Partneship) comme destinataire.

[43]  Dans chaque cas, les notes d’engagement contenaient l’énoncé suivant sous la rubrique [traduction] « Connaissement maritime » : [traduction] « Toutes les autres modalités sont selon le connaissement maritime de Desgagnés Transarctik ».

[44]  Dans les modalités qu’ils énoncent, les connaissements maritimes comportent les clauses suivantes :

[traduction]

Modalités de transport

1. DÉFINITIONS. « transporteur » s’entend de DESGAGNÉS TRANSARCTIK INC. (DTI ci‑après) […]

« expéditeur » s’entend non seulement de la personne physique ou morale qui expédie les marchandises au navire dans le port d’embarquement, mais aussi le propriétaire des marchandises en question avec toute personne physique ou morale agissant au nom du propriétaire.

« destinataire » s’entend de quiconque a le droit de se faire livrer les marchandises au port de débarquement, ce qui comprend, s’il y a lieu, le propriétaire des marchandises ou la personne désignée comme destinataire.

2. CLAUSE « PARAMOUNT ». Les parties reconnaissent et conviennent que le transport exécuté en vertu de ce contrat n’est pas régi par un connaissement autre que le présent connaissement maritime. Elles conviennent cependant que les modalités, dispositions et autres conditions des articles II à IX de la Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, qui a été signée à Bruxelles le 25 août 1924 (les Règles de La Haye), sont incorporées par renvoi au présent contrat. Les droits et exonérations du transporteur, dont sa limitation de responsabilité à 500 $ par colis ou unité, sont plus expressément intégrés aux présentes. En cas de divergence entre lesdites règles et les autres modalités, dispositions et conditions du présent contrat, ces dernières prévaudront.

[45]  M. Pat Hussey a signé les notes d’engagement de fret produites par Panalpina au nom de Nalcor et les a renvoyées à celle‑ci. Les représentants de Panalpina ont signé les notes d’engagement de fret de Desgagnés.

[46]  Une fois chaque envoi mis en route, Panalpina a délivré une facture à Nalcor, celle‑ci comportant chaque fois l’énoncé suivant dans la partie intitulée [traduction] « Modalités » :

[traduction]

1) Toute activité commerciale sera acceptée par Panalpina Inc. (ci‑après la société) du propriétaire, du destinataire ou de l’expéditeur (ci‑après le client), sous réserve des Conditions générales de l’Association des transitaires internationaux canadiens (ATIC) actuellement en vigueur. Les Conditions générales comportent des dispositions exonérant la société et limitant le montant recouvrable; chaque condition est réputée être incorporée à toute entente de la société et du client et en constituer une condition. Aux fins des affaires à traiter avec la société, le client reconnaît avoir connaissance des Conditions générales et les accepter. On peut demander copie des Conditions générales de l’ATIC à la société ou à l’association des transitaires internationaux canadiens. Dans ce dernier cas, l’adresse est la suivante : Association des transitaires internationaux canadiens (ATIC), 170, promenade Atwell, bureau 480, Toronto (Ontario), M9W 5Z5 ou http://www.ciffa‑atic.com/ sur le Web.

[47]  Le règlement d’une facture de Panalpina par Nalcor se fait en deux étapes. D’abord, une attestation de paiement avec les prix de Panalpina et les factures de Desgagnés est préparée et envoyée au service de la logistique de Nalcor pour examen et approbation. En second lieu, une fois ce certificat signé et approuvé par Nalcor, Panalpina présente sa facture au service des comptes créditeurs de Nalcor.

V.  Analyse

[48]  Il est bien établi que la partie qui présente une requête en jugement sommaire a la charge de prouver l’absence de questions de fond à juger.

[49]  Panalpina soutient qu’elle ne peut avoir agi dans cette affaire que comme a) agent transitaire et mandataire pour le compte de Nalcor ou b) transporteur ou mandataire du transporteur. Elle fait valoir que, dans l’un ou l’autre des cas, il ne fait aucun doute les Conditions générales de l’ATIC ou les modalités des connaissements maritimes doivent s’appliquer. Comme je l’expliquerai, je conviens que Nalcor est inévitablement assujettie à un délai de prescription de neuf mois ou d’un an.

A.  Double rôle de l’agent transitaire

[50]  La conception classique de la qualité juridique du transitaire a été énoncée par monsieur le juge Rowlatt dans Jones c European & General Express Company, Ltd, (1920) 25 Com Cas 296, à la p. 298, et approuvée par la Cour d’appel d’Angleterre dans les arrêts Marston Excelsior Ltd c Arbuckle, Smith & Co Ltd, [1971] 2 Lloyd’s Rep 306 et Gillespie Bros & Co Ltd c Roy Bowles Transport Ltd, [1973] 1 Lloyd’s Rep 10 :

[traduction]

On se doit de clairement comprendre qu’un agent transitaire n’est pas un transporteur; il n’obtient pas la possession des marchandises; il ne s’engage pas à les expédier à l’autre extrémité sauf empêchement pour cause de sinistre à titre d’exception ou pour ce qui constituerait une excuse. Tout ce qu’il fait, c’est d’agir comme mandataire du propriétaire des marchandises en vue des dispositions à prendre avec les transporteurs – sociétés de navigation, de transport ferroviaire, etc. – et pour les autres dispositions nécessaires aux étapes intermédiaires entre le navire et le rail, les douanes ou quoi que ce soit d’autre…

[51]  La caractéristique essentielle de ce rôle classique est que le transitaire est un mandataire de l’expéditeur. Si tel est le cas, l’expéditeur ne peut faire valoir une réclamation contre le transitaire si celui‑ci a exercé ses fonctions de mandataire avec la diligence requise.  

[52]  Parfois cependant, le transitaire a agi à titre d’entrepreneur principal prenant des dispositions de transport en son propre nom. Dans de telles situations, il assume la responsabilité du transport selon sa capacité à choisir des transporteurs compétents. Comme l’indique William Tetley dans Marine Cargo Claims, 4e édition (Cowansville : Les Éditions Yvon Blais, 2008), à la p. 1695 : [TRADUCTION] « Dans ce contexte, la responsabilité du transitaire envers l’expéditeur est souvent celle d’un transporteur. »

[53]  Les documents contractuels et les rapports des parties en ce qui concerne les envois de mai et d’octobre s’accordent avec une situation où Panalpina agit à titre d’entrepreneur principal de Nalcor, et non comme son mandataire. Au‑delà de la formulation expresse de l’ESAT, la conduite de Panalpina revêt toutes les apparences du rôle d’une partie agissant comme entrepreneur principal, avec notamment ce qui suit :

  • (1) Nalcor a passé contrat et communiqué directement et exclusivement avec Panalpina. Panalpina a passé contrat et communiqué directement et exclusivement avec Desgagnés et Logistec;

  • (2) Nalcor n’a pas été désignée comme partie dans quelque contrat que ce soit entre Panalpina, Desgagnés et/ou Logistec;

  • (3) Panalpina a été désignée comme expéditeur dans une suite de documents produits par Panalpina et Desgagnés;

  • (4) Panalpina a demandé que la démarche retenue d’engagement de fret soit en deux étapes, Panalpina devant préparer une note d’engagement pour la signature de Nalcor et Desgagnés devant faire de même pour la signature de Panalpina;

  • (5) Desgagnés a admis avoir été retenue par Panalpina, et Logistec admet l’avoir été par Panalpina, pour les services de terminal et par Desgagnés pour les services d’acconage;

(6)  Desgagnés a été payée par Panalpina et Logistec l’a été par Desgagnés et Panalpina.

[54]  On ne peut toutefois dire que Panalpina agissait en tout temps à titre d’entrepreneur indépendant. Fait inhabituel, Nalcor a été associée de près au transport maritime des bobines de câbles conducteurs. Elle a approuvé le choix du transporteur et des acconiers, ainsi que les plans d’arrimage de la cargaison dans les navires. Elle a aussi donné des consignes pour les connaissements et approuvé les factures de transport effectivement produites par Desgagnés. Dans tous les cas, Panalpina exerçait essentiellement des fonctions de messager entre les deux.

[55]  Il est néanmoins clair que Panalpina a convenu d’être entièrement responsable de la prestation des services conformément aux dispositions de l’ESAT et sous réserve des conditions de celles-ci.

B.  Les Conditions générales de l’ATIC s’appliquent‑elles?

[56]  Panalpina invoque le délai de prescription de neuf mois institué par l’article 19 des Conditions générales de l’ATIC.

[57]  Nalcor soutient que les Conditions générales de l’ATIC ne s’appliquent pas, et ce, pour deux raisons : d’abord, elle prétend que Panalpina ne l’a jamais avisée de l’application des Conditions générales à la suite de la signature de l’ESAT; ensuite, elle fait valoir que les Conditions générales entrent directement en contradiction avec les modalités de l’ESAT. Pour les raisons qui suivent, je suis en désaccord.

[58]  En ce qui concerne le premier point, il convient de noter que Nalcor est un expéditeur averti ayant une connaissance et une expérience appréciables du rôle et des modalités d’affaires des divers intervenants de l’industrie du transport maritime. M. Hussey a admis en contre‑interrogatoire avoir déjà travaillé avec Panalpina et d’autres transitaires internationaux et connaître la nature de leur rôle. De plus, bien qu’il ait affirmé ne pas se rappeler si Panalpina était membre de l’ATIC avant d’apposer sa signature à l’ESAT, il a dit supposer qu’elle en ferait partie. Dans les circonstances, je conclus que Nalcor savait ou aurait dû savoir que Panalpina était membre de l’ATIC depuis le début.

[59]  Le fait qu’un transitaire soit membre de l’ATIC n’a pas pour effet d’incorporer les Conditions générales de l’ATIC à un contrat entre les parties, mais il est notoire que, sur le marché du transport des marchandises, les transitaires offrent communément leurs services suivant des modalités types qui s’appliquent à toutes les activités d’organisation des services de transport et autres services liés.

[60]  Même si Nalcor ne savait pas au préalable que Panalpina était membre de l’ATIC, la preuve établit que les modalités types ont été portées à l’attention de Nalcor par Panalpina dans ses rapports avec elle, et plus particulièrement en relation avec les envois de mai et d’octobre. Comme il est indiqué au paragraphe 39 des présents motifs, il était fait expressément mention de l’application des Conditions générales de l’ATIC dans les documents de Panalpina présentant les prix proposés pour les envois.

[61]  Nalcor fait valoir que, selon une lecture simple des stipulations invoquées par Panalpina, soit [traduction] « Les tarifs sont assujettis aux plus récentes Conditions générales de l’ATIC (disponibles sur demande) », celles-ci n’ont pas la signification que Panalpina leur prête. D’après Nalcor, la mention est peu claire et semble dire que les Conditions générales de l’ATIC s’appliquent aux « tarifs », et non à tout autre aspect du transport des marchandises.

[62]  M. Hussey a dit dans son affidavit et en contre‑interrogatoire que, comme l’ESAT énonçait toutes les modalités applicables entre Nalcor et Panalpina, les seuls éléments qui ont été examinés lorsque Nalcor a reçu de Panalpina les documents relatifs aux envois sont les prix, le calendrier et la logistique. À la question de savoir s’il avait alors pris acte des diverses modalités qu’énonçaient les documents, il a répondu qu’il [TRADUCTION] « ne se concentrerait pas sur cela » ou qu’il [TRADUCTION] « n’avait pas prêté attention à quelque autre modalité ». Sa réponse en dit long.

[63]  Nalcor reconnaît que M. Caporiccio était le principal interlocuteur dans les rapports avec Panalpina. Et pourtant, ce dernier n’a produit aucun élément de preuve au sujet de propre examen des mentions d’application des Conditions générales de l’ATIC. Priée de dire si elle avait demandé à M. Caporiccio de signer un affidavit, Nalcor a répondu que celui‑ci n’avait plus de contrat avec elle et qu’il n’avait accès ni aux documents ni aux courriels dans ses dossiers. Elle a ajouté que M. Hussey était considéré comme son témoin approprié.

[64]  Panalpina invite la Cour à tirer une inférence défavorable du silence de M. Caporiccio. Je suis d’accord. Étant la personne qui prend des dispositions directement et immédiatement avec Panalpina, celui‑ci est un témoin important. La partie qui répond à une requête en jugement sommaire a l’obligation de faire de son mieux et de fournir les éléments de preuve à l’appui de sa cause. Rien n’indique que Nalcor ait pris des mesures pour obtenir le témoignage de M. Caporiccio, choisissant plutôt de s’en remettre à la connaissance indirecte de M. Hussey.

[65]  Je conclus que M. Caporiccio a pris acte de l’application des Conditions générales de l’ATIC. Rien n’indique que M. Caporiccio ou M. Hussey aient demandé des précisions ou qu’ils aient remis en question à un moment donné la mention de l’application des Conditions générales. Au contraire, la preuve démontre que, en réponse aux propositions de prix, Nalcor a produit des BMM par lesquels elle approuvait les modalités avancées par Panalpina.

[66]  Je fais observer que, même si Nalcor n’avait pas effectivement pris acte de la mention de l’application des Conditions générales, cela ne peut fonder un refus d’appliquer celles‑ci. Tout défaut de Nalcor de dûment prendre connaissance des modalités clairement énoncées dans les documents échangés par les parties n’est simplement pas une excuse et ne saurait être invoqué pour modifier de telles modalités contractuelles ni pour les rendre inapplicables.

[67]  Comme second motif, Nalcor invoque une stipulation de l’ESAT selon laquelle celle‑ci constitue le [traduction] « seul contrat » de transport des bobines de câbles conducteurs. Je ne suis pas d’accord. L’ESAT ne fait aucune mention de ce transport. Elle n’énonce aucune modalité importante relativement à ce dernier. En fait, il était clairement prévu par les parties à l’ESAT que les modalités propres à chaque envoi seraient établies par la suite au moyen de documents contractuels distincts.

[68]  M. Hussey a admis que, au moment de la signature de l’ESAT, on s’attendait à ce que les modalités propres à chaque envoi soient énoncées dans des documents ultérieurs, comme le donne à penser l’extrait suivant de son contre‑interrogatoire :

[traduction]

R – Il était entendu que, pour les envois, nous remettrions un document – je pensais que c’était appelé un BMM, et puis j’ai vu à nouveau que c’est une DDP – pour préciser le matériel que nous voulions acheminer, le lieu, la quantité, pour qu’ils puissent s’adresser au marché et trouver des transporteurs... les transporteurs appropriés pour nous faire une proposition de transport de ce fret.

81 Q – Et ces modalités ne figuraient pas dans l’Entente de services d’agent transitaire?

R – Elles n’y figureraient pas.

82 Q – Non?

R – Les conditions, non, parce que c’est... c’est ainsi que vous traitez un contrat de transitaire, vous leur donneriez cette information pour... pour aller et... et demander des propositions aux transporteurs.

83 Q – Et ensuite, après chaque DDP…

R – Oui.

84 Q – ... une (1) ou plusieurs propositions de prix revenaient de Panalpina...

R – Oui.

85 Q – ... pour un (1) ou plusieurs transporteurs...

R – Oui.

86 Q – ... à... à un prix spécifié...

R – Oui.

87 Q – ... exact? Et cela a toujours été envisagé dès le départ, n’est‑ce pas?

R – Oui.

[69]  M. Hussey a par la suite reconnu l’importance des modalités qui devaient être convenues après la conclusion de l’ESAT :

[traduction]

175 Q – Mais vous conviendrez certainement avec moi que, dans les DDP et les propositions de prix, il y a d’importants éléments qui ne figurent pas du tout dans l’Entente de services d’agent transitaire, exact?

Me SHAWN FAGUY :

Pardonnez‑moi, avez‑vous dit « importants »?

Me MATTHEW LIBEN :

D’importants éléments.

Me SHAWN FAGUY :

Je ne le sais pas... Je ne sais... Je m’oppose à ce qu’on les qualifie d’« importants éléments ». Vous pouvez lui poser une question factuelle, mais je ne pense pas qu’il doive être d’accord avec vous sur ce qu’est un élément important.

Me MATTHEW LIBEN :

C’est une question parfaitement... parfaitement raisonnable, vous ne pouvez pas... vous ne pouvez pas vous opposer à ce que je qualifie la chose ainsi. Je dis : « Seriez‑vous d’accord avec moi que d’importants éléments... » Je n’essaie pas d’induire le témoin en erreur, je veux qu’il décide s’il est d’accord pour dire que... que certains éléments qui étaient importants ne figuraient pas dans l’Entente de services d’agent transitaire, mais plutôt dans les DDP et les propositions de prix qui sont revenues.

MSHAWN FAGUY :

Vague, objection. Si vous voulez qualifier à nouveau la chose sans employer le mot « important », c’est très bien.

Me MATTHEW LIBEN :

176 Q – La nature de la cargaison serait-elle un important élément?

R – Qu’entendez‑vous par « nature »?

177 Q – Chaque personne...

R – Le...

178 Q – ... mouvement, la nature de la cargaison, est‑ce...

R – Bien sûr.

179 Q – ... est‑ce une enveloppe ou est‑ce une turbine? Vous conviendrez avec moi que c’est un important élément?

R – Oui.

180 Q – D’accord, et le prix qui sera facturé pour le transport est un important élément?

R – Oui.

181 Q – Et combien de temps faudra-t-il pour livrer?

R – Oui.

182 Q – Et l’identité du transporteur?

R – Oui.

183 Q – Et vous avez approuvé toutes ces choses dans chaque cas?

R – Dans la recommandation d’approvisionnement, oui.

184 Q – En fonction des propositions de prix qui sont revenues de…

R – Oui.

185 Q – ... de Panalpina?

R – Oui.

[70]  Nalcor fait valoir que l’article 19 des Conditions générales de l’ATIC, qui prévoit un délai de prescription bien plus court que celui des lois de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, entre en conflit avec l’article 1.9 de l’ESAT. Elle soutient que, si Panalpina souhaitait incorporer des modalités modifiant l’ESAT, elle devait se conformer à la procédure de modification établie à l’article 28.2 de l’ESAT. Je n’admets pas que la tentative de Panalpina de limiter sa responsabilité ait été restreinte de quelque manière par l’ESAT.

[71]  Selon une lecture simple de l’article 1.9 de l’ESAT, on comprend que [traduction« les lois de Terre‑Neuve‑et‑Labrador et du Canada » sont censées s’appliquer uniquement à l’interprétation de l’ESAT et au règlement d’un différend relatif à l’ESAT elle-même. Rien n’indique que les parties se sont penchées dans leurs négociations sur la question du retard à intenter une action. L’ESAT est muette sur la question. En fait, Nalcor reconnaît, dans une note au paragraphe 15 de ses observations écrites, que les délais de prescription éventuellement applicables sont de trois ans au Québec, de deux ans à Terre‑Neuve‑et‑Labrador et de trois ans au niveau fédéral.

[72]  Faute de mention dans l’ESAT du délai de prescription applicable à l’introduction d’une action, il était loisible à Panalpina de proposer des modalités quand elle présentait les propositions de prix à Nalcor, ce qui la mettait dans la même position que si elle n’avait été qu’un mandataire avec, par conséquent, l’avantage de laisser le fardeau de tout contrat formé de la sorte à son client, Nalcor (voir Schenker and Co (Aust) Pty Ltd c Maplas Equipment and Services Pty Ltd, [1990] VicRp 74; [1990] VR 834.

[73]  Nalcor soutient que la répartition contractuelle du risque entre les parties doit être respectée. Elle maintient que la conclusion selon laquelle elle a conclu un contrat comprenant des modalités qui ne figurent pas dans l’ESAT et qu’elle est liée par ces modalités irait à l’encontre du principe bien établi de la connexité contractuelle. Il reste que les conditions commerciales de Panalpina sont des conditions types et qu’elles sont incorporées à de nombreux contrats de transport de marchandises. Il s’agit pour l’essentiel de contrats d’adhésion. Nalcor pourrait avoir remis en question ou rejeté les Conditions générales de l’ATIC après examen des propositions de prix reçues de Panalpina, mais elle ne l’a pas fait.

C.  Préclusion

[74]  Nalcor fait valoir à titre subsidiaire que, si les Conditions générales de l’ATIC devaient être jugées applicables, Panalpina a nettement prolongé le délai de prescription qui s’applique sur consentement et qu’elle ne peut à ce stade-ci, par effet de la préclusion, invoquer ce délai, étant donné ses déclarations et le fait que Nalcor s’en soit remise à celles‑ci. Le seul élément de preuve déposé par Nalcor à l’appui de ces arguments est un échange abondamment expurgé de courriels entre Panalpina et Charles Taylor Adjusting, expert en sinistres de Nalcor, en janvier 2017.

[75]  Au-delà du fait que le contenu des courriels constitue du ouï‑dire, rien n’indique que Panalpina a consenti à une prorogation du délai de prescription. La gestionnaire nationale en sinistres de Panalpina déclare à tort dans son courriel : [traduction] « Le délai type de prescription en l’espèce est de 2 ans à compter de la date de livraison, selon les règles de Hambourg. » Elle ajoute que Panalpina a pour politique de prendre dûment en considération une demande de prorogation présentée dans les mois qui précèdent l’échéance du délai de prescription initial. Il faut aussi dire que Nalcor n’a pas établi les facteurs essentiels pouvant donner lieu à la préclusion. Plus précisément, elle n’a pas présenté la preuve qu’elle s’en était remise à son détriment à une déclaration faite par Panalpina.

[76]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que Nalcor est assujettie aux Conditions générales de l’ATIC et que l’action intentée contre Panalpina est prescrite.

[77]  Il s’ensuit que l’action intentée contre Desgagnés et Logistec, comme entrepreneurs retenus par Panalpina pour la prestation des services de transport de bobines de câbles conducteurs et autres services liés, est elle aussi prescrite, puisque les deux peuvent invoquer l’article 2 des Conditions générales de l’ATIC et le délai plus court de prescription de neuf (9) mois à l’article 19 de celles‑ci. L’article 2, une sorte de clause Himalaya, est libellé ainsi :

2.  RÉCLAMATIONS CONTRE DES TIERS

Les présentes conditions s’appliquent également à toute réclamation faite contre un employé, un mandataire ou un entrepreneur indépendant engagé par la Société pour exécuter tout transport ou service connexe concernant les marchandises du Client, qu’une telle réclamation soit fondée ou non sur le régime de la responsabilité contractuelle ou celui de la responsabilité extracontractuelle. La responsabilité globale de la Société et de l’une ou l’autre des parties mentionnées ci‑dessus ne pourra pas excéder les limites de responsabilité prévues aux présentes conditions. Aux fins de l’application de cette disposition, la Société agit comme mandataire de ces parties et celles‑ci peuvent ratifier ce mandat a posteriori.

[78]  Une clause Himalaya est une disposition contractuelle qui vise à étendre les avantages de la limitation contractuelle du transporteur aux sous‑transporteurs ou à d’autres tiers retenus par le transporteur pour aider au transport des marchandises.

[79]  Dans l’affaire New Zealand Shipping Co c AM Satterthwaite & Co., [1975] AC 154 (C. Priv.), le Comité judiciaire du Conseil privé a accepté l’argument selon lequel une clause Himalaya peut être efficace à l’égard de tiers, au motif que la partie contractante agissait à titre de mandataire de ces tiers en ce qui concerne la limitation de responsabilité. Le Comité judiciaire s’en est remis à la formulation du contrat en concluant que les deux parties savaient que des tiers seraient retenus et que c’était là une pratique courante dans l’industrie. Il a conclu qu’il ne serait pas déraisonnable d’estimer que la partie contractante agissait à titre de mandataire des tiers aux fins du contrat. Les clauses Himalaya ont depuis été acceptées comme faisant partie du droit canadien.

[80]  Les clauses Himalaya sont des stipulations bien connues dans les contrats de transport et elles sont exécutables devant les tribunaux, et ce, malgré l’ignorance totale du tiers quant à l’existence d’une clause lui accordant un tel avantage au moment de l’exécution de son propre contrat. Voir à cet égard la décision Boutique Jacob Inc. c Pantainer Ltd, 2006 CF 217, au paragraphe 38, laquelle a été annulée en appel pour d’autres motifs (Boutique Jacob Inc. c Pantainer Ltd, 2008 CAF 85).

[81]  L’effet de ces clauses est simple. Chaque participant à un contrat de transport, qu’il y soit expressément dénommé ou constitue simplement un mandataire ou un sous‑traitant, a le droit d’invoquer et de mettre à profit les modalités de transport énoncées dans le contrat.

[82]  Au cas où je me tromperais dans les conclusions qui précèdent, je conclus à titre subsidiaire que les connaissements maritimes sont ce qui témoigne le plus éloquemment de ce que sont les contrats de transport de bobines de câbles conducteurs. Panalpina n’a pas produit de document d’expédition pour le transport par mer de la cargaison. Cela s’accorde avec la situation de Panalpina agissant comme mandataire de Nalcor, et non comme entrepreneur principal. Dans ses formulaires DDP, M. Caporiccio a indiqué sous [traduction] « Contrat » : [traduction] « … aucun connaissement du transporteur non maritime », ce qui pouvait seulement signifier que le document réel d’expédition attestant le contrat de transport devait émaner du transporteur effectif par voie maritime, et non d’un transitaire agissant comme transporteur non maritime. Les instructions de connaissement désignant Nalcor comme expéditeur pour chaque envoi venaient en réalité de Nalcor elle-même et devaient être relayées à Desgagnés par Panalpina. En l’espèce, Nalcor était partie au contrat de transport avec Desgagnés, comme en témoigne le connaissement maritime de chaque envoi. Elle est donc liée par toutes ses modalités, dont la clause Paramount reproduite au paragraphe 44 des présents motifs.

[83]  À titre subsidiaire encore, même si la prétention de Nalcor selon laquelle Desgagnés et Logistec ont agi strictement à titre de sous‑traitants de Panalpina avait être avérée, les revendications demeureraient frappées de prescription.

[84]  Je conviens avec les défenderesses que les tentatives, par ceux qui présentent des demandes d’indemnités relativement à des pertes de marchandise, de contourner les limitations de responsabilité et autres modalités, que ce soit par des poursuites en responsabilité délictuelle ou en soulevant artificiellement des questions de confidentialité des contrats, appartiennent aujourd’hui à un passé révolu. Le sous-dépôt assorti de conditions et la reconnaissance accrue des clauses « Himalaya » ont mis un terme à ces tentatives artificielles, surtout dans des affaires comme celle‑ci, où Nalcor était pleinement consciente que Panalpina ne serait pas la partie effectivement chargée de l’acconage et du transport maritime des bobines de câbles conducteurs.

[85]  Il y a sous‑dépôt lorsque le transporteur contractant met en sous‑traitance le transport en tout ou en partie. Il y a sous‑dépôt assorti de conditions lorsque le transporteur principal (qui est ici censé être Panalpina) était expressément, implicitement ou ostensiblement habilité par les propriétaires de la cargaison (en l’occurrence, Nalcor) à sous‑traiter la partie du transport aux conditions du sous‑transporteur (en l’occurrence, Desgagnés), auquel cas le propriétaire des marchandises était lié par ces modalités, dont celles qui excluent ou limitent la responsabilité de ce sous‑transporteur. Ce sont des principes qui ont été sanctionnés et constamment appliqués dans les affaires canadiennes en matière de navigation.

VI.  Conclusion

[86]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les requêtes en jugement sommaire devraient être accueillies.

[87]  Pour ce qui est des dépens liés à la requête, je ne vois aucune raison de m’écarter de la règle générale selon laquelle les dépens devraient suivre l’issue de la cause. Je suis néanmoins prêt à recevoir les observations des parties sur la question des dépens s’ils ne sont pas d’accord. Dans ce cas, Nalcor doit signifier et déposer ses observations écrites sur les dépens dans au plus cinq (5) pages avec un mémoire de frais d’ici le 3 juin 2019. Les défenderesses doivent signifier et déposer leurs observations écrites en réponse d’ici le 13 juin 2019. Toute observation de Nalcor en réplique doit être signifiée et déposée au plus tard le 20 juin 2019.


JUGEMENT DANS T‑772‑17

LA COUR STATUE que :

  1. Les requêtes en jugement sommaire sont accueillies.

  2. L’action contre les défenderesses est rejetée.

  3. Si les parties ne peuvent s’entendre sur les dépens, les demanderesses doivent signifier et déposer leurs observations écrites, d’au plus cinq (5) pages, d’ici le 3 juin 2019. Les défenderesses doivent signifier et déposer leurs observations écrites en réponse d’ici le 13 juin 2019. Toute réplique des demanderesses doit être signifiée et déposée au plus tard le 20 juin 2019.

« Roger R. Lafrenière »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour de juillet 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑772‑17

 

INTITULÉ :

LABRADOR‑ISLAND LINK GENERAL PARTNER CORPORATION, FAISANT OFFICE DE COMMANDITÉE DE LABRADOR‑ISLAND LINK LIMITED PARTNERSHIP, ET LABRADOR‑ISLAND LINK LIMITED PARTNERSHIP c. PANALPINA INC., DESGAGNÉS TRANSARCTIK INC. ET LOGISTEC STEVEDORING INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 NOVEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

lE 24 MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

Shawn Faguy

Emilie Kokmanian

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Matthew Liben

Louis Buteau

Fady Toban

Peter Pamel

POUR LA DÉFENDERESSE PANALPINA INC.

POUR LA DÉFENDERESSE DESGAGNÉS TRANSARCTIK INC.

POUR LA DÉFENDERESSE

LOGISTEC STEVEDORING INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stikeman Elliott

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Faguy & Co.

Avocats

Montréal (Québec)

Navilex Inc.

Saint‑Lambert (Québec)

Borden Ladner Gervais

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

PANALPINA INC.

(AUPARAVANT) POUR LA DÉFENDERESSE DESGAGNÉS TRANSARCTIK INC.

POUR LA DÉFENDERESSE

LOGISTEC STEVEDORING INC.

 

 

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