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Date : 20190508


Dossier : IMM-4015-18

Référence : 2019 CF 620

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2019

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

ROSE MICHOU DEFAITE

demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 27 juillet 2018. Cette demande est présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c-27 [LIPR]. La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] qui a refusé la demande d’asile de la demanderesse au motif qu’elle n’était pas crédible et ne possédait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la LIPR, ni celle de personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR.

[2]  La demanderesse est une citoyenne haïtienne dont la langue maternelle est le créole. La demanderesse allègue qu’elle a commencé à recevoir des appels menaçants de la part de personnes inconnues en décembre 2015. Après avoir reçu quatre autres appels anonymes la menaçant de mort le 4 juillet 2016, la demanderesse a quitté sa maison pour aller vivre chez une tante. Le 17 août 2016, elle arrive au Canada avec un visa de visiteur obtenu à Port-au-Prince. Elle fait une demande d’asile le 5 octobre 2016.

[3]  La demande d’asile est entendue par la SPR le 5 décembre 2016. Le 21 décembre 2016, la SPR rejette la demande de la demanderesse en raison de son absence de crédibilité.

[4]  Le 19 janvier 2017, la demanderesse interjette appel de la décision de la SPR en invoquant des problèmes d’interprétation lors de l’audience devant la SPR. Dans ses observations écrites à la SAR, son avocat affirme que l’interprète a commis « beaucoup » d’erreurs durant son interprétation, qu’il ne lit pas le créole et ne comprend par les nuances des mots utilisés. La demanderesse ne présente toutefois aucune preuve au soutien de ses prétentions. Toujours selon son avocat, la SPR aurait dû ajourner l’audience afin de permettre à la demanderesse de réviser son Fondement de la demande d’asile avec l’aide d’un interprète.

[5]  La SAR a rejeté l’appel de la demanderesse le 27 juillet 2018. Elle reconnait dans sa décision que le droit à l’assistance d’un interprète est garanti par l’article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 et que cette interprétation fournie aux demandeurs doit satisfaire à la norme de la continuité, de la fidélité, de la compétence, de l'impartialité et de la concomitance. En relisant la transcription de l’audience tenue devant la SPR, la SAR note que la SPR a veillé à ce que la demanderesse comprenne les questions qui lui étaient posées avant d’y répondre. La SAR remarque aussi qu’à un certain moment durant l’audience, l’avocat de la demanderesse, qui comprend le créole, est intervenu pour indiquer qu’un mot avait mal été interprété. Un peu plus tard, l’interprète a demandé de prendre une pause après avoir eu quelques difficultés à utiliser la première personne plutôt que la troisième personne du singulier. Par la suite, la demanderesse a répondu à une question avant que l’interprète ait terminé d’interpréter. La SAR estime que la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile n’a pas été causée par une erreur d’interprétation et qu’il n’y a pas eu d’atteinte aux principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale.

[6]  La demanderesse souhaite que la Cour infirme la décision de la SAR, renvoie le dossier devant la SPR pour une nouvelle décision sur sa demande d’asile et ordonne la tenue d’une nouvelle audience et la présence d’un interprète français-créole compétent.

[7]  Le présent dossier ne soulève qu'une seule question en litige, soit celle de savoir si la SAR a eu raison de conclure que les services d'interprétation offerts à l'audience de la SPR n'avaient pas entraîné de manquement à l'équité procédurale. La norme de contrôle que la Cour doit appliquer à la décision rendue par la SAR sur cette question est celle de la décision correcte (Siddiqui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 FC 1028 au paragraphe 38).

[8]  La demanderesse produit deux affidavits à l'appui de la présente demande. Elle déclare dans son affidavit personnel que l'interprétation de son témoignage à l'audience devant la SPR est entachée de problèmes. Selon la demanderesse, elle a eu de la difficulté à comprendre l’interprétation du français au créole et à se faire comprendre en créole par l’interprète. Cependant, elle ne soulève pas les erreurs précises qui auraient été commises par l’interprète.

[9]  Dans le deuxième affidavit, Madame Corine Jacquet déclare qu’elle est d’origine haïtienne et parle couramment le créole. Elle signale dans son affidavit plusieurs exemples de traduction d’extraits de la transcription de l’audience devant la SPR originalement en créole qu’elle considère erronés ou restructurés par l’interprète.

[10]  La demanderesse invoque plusieurs faits nouveaux devant cette Cour qui n’ont pas été présentés devant la SAR. La plainte de la demanderesse est uniquement fondée sur son opinion personnelle, étayée par celle d’une personne qui n’est pas un interprète qualifié.

[11]  La demanderesse ne fournit pas de raison pour laquelle elle n’a pas soulevé les erreurs ou les problèmes d’interprétation allégués devant la SPR avant le rejet de sa demande d’asile. La question de savoir s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'une plainte soit présentée est une question de fait, qui doit être déterminée dans chaque cas en l’espèce. Si l'interprète a de la difficulté à parler la langue de la demanderesse ou à se faire comprendre par celle-ci, la question doit être soulevée à la première occasion : Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CAF 191, [2001] 4 CF 85 au paragraphe 13.

[12]  De plus, la demanderesse n’explique pas la raison pour laquelle elle n’a pas présenté les éléments de preuve contenus dans l’affidavit de Mme Jacquet en appel devant la SAR. Pour reprendre les mots du juge Patrick Gleeson dans Ghauri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 548 au paragraphe 34 : « des appelants qui, devant la SAR, ne précisent pas où et en quoi la SPR a commis une erreur le font à leurs risques et périls ».

[13]  En l'instance, je conclus que la qualité de l'interprétation et la compétence de l’interprète auraient dû être soulevées devant la SPR puisque, selon les dires de la demanderesse, elle avait de la difficulté à comprendre l'interprète et les procédures devant la SPR. Ceci suffit à démontrer qu'elle aurait dû en faire état à ce moment-là devant la SPR. Comme elle ne l'a pas fait, sa réclamation ne peut donner suite devant la SAR, ni a fortiori en contrôle judiciaire.

[14]  J’aimerais ajouter que la demanderesse demande à cette Cour d’évaluer la qualité de l’interprétation sans fournir de contexte. Pourtant, la demanderesse n’a pas fourni de transcription de l’audience et n’indique pas dans son mémoire à quel endroit au cours de l’audience ces erreurs ont été faites. Les quelques irrégularités mineures ou divergences de traduction soulevées par la demanderesse ne semblent pas avoir nui à sa capacité de répondre aux questions ou joué un rôle sérieux quant à l’évaluation de sa crédibilité. Dans son ensemble, la demanderesse a pu répondre à toutes les questions de la SPR, y compris des questions plus spécifiques, et ce, de manière cohérente.

[15]  Par conséquent, la SAR avait raison de conclure qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. La demande est donc rejetée.

[16]  Aucune question à certifier n’a été proposée et aucune n’est formulée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4015-18

LA COUR STATUE que :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Roger R. Lafrenière »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4015-18

 

INTITULÉ :

ROSE MICHOU DEFAITE c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 mai 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 mai 2019

 

COMPARUTIONS :

Me Fernando Belton

 

Pour la demanderesse

 

Me Eloise Eysseric

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Belton Avocats Inc.

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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