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Date : 20010927

Dossier : T-785-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1054

ENTRE :

                               LE COMMISSAIRE À L'INFORMATION DU CANADA

                                                                                                                                                     demandeur

ET :

                                LE PRÉSIDENT DE LA COMMISSION CANADIENNE

                                      DES EXPORTATIONS DE BIENS CULTURELS

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                 Conformément à l'article 44 de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. 1985, ch. A-1, les demandeurs de renseignements sollicitent de la Cour la révision de la décision par laquelle le défendeur a refusé de communiquer certains documents en réponse à la demande d'accès à l'information qu'ils lui ont faite.


[2]                 La Commission canadienne d'examen des exportations de biens culturels a été créée par la Loi sur l'exportation et l'importation de biens culturels, L.R.C. 1974-75-76, ch. C-51. L'une de ses fonctions consiste à contrôler et, lorsque nécessaire, à préserver le patrimoine national du Canada. Sa nomenclature des biens protégés comprend des documents et des collections de documents qui peuvent avoir une valeur historique et intrinsèque et qui doivent être préservés.

[3]                 Quelque temps avant avril 1998, M. Mel Lastman, l'ancien maire de la Ville de North York, a communiqué avec les autorités municipales de cette ville pour leur signaler qu'il aimerait faire don d'une série de documents, d'écrits, d'allocutions, de photographies, de procès verbaux, etc. Les autorités municipales ont alors contacté la Commission défenderesse, qui a constitué un comité chargé de déterminer si cette collection de documents avait une valeur archivistique et respectait les critères prévus par la Loi et si elle pouvait être attestée à titre de donation pour la Ville de North York.

[4]                 Sur demande et avec l'approbation du sous-ministre du Revenu national, le président défendeur peut désigner un comité formé de personnes ayant une expertise professionnelle.

[5]                 La Commission est chargée de déterminer la juste valeur marchande d'un objet visé par une demande faite en vertu de la Loi. Elle détermine si l'objet respecte certains critères et, une fois l'objet aliéné de façon irrévocable au profit d'un établissement ou d'une administration publique désignés, elle peut remettre à l'auteur de la demande un certificat en attestant la juste valeur marchande, établi en la forme déterminée par arrêté du ministre du Revenu national.


[6]                 Le paragraphe 33(2) de la Loi sur l'exportation et l'importation de biens culturels prévoit qu'un fonctionnaire ou un membre de la Commission communique ensuite à un fonctionnaire du ministère du Revenu national la juste valeur marchande des objets en question et lui remet le certificat.

[7]                 En l'espèce, la Commission défenderesse a entrepris et mené à terme ce processus et, après avoir examiné l'opinion soumise par des experts dans le domaine, elle a avisé M. Lastman par lettre datée du 1er avril 1998 que la collection satisfaisait aux critères de « l'intérêt exceptionnel et de l'importance nationale » . La Commission a établi une juste valeur marchande et a remis un certificat attestant la qualité de biens culturels aux fins de l'impôt sur le revenu et suivant la forme déterminée par arrêté du ministre du Revenu national.

[8]                 M. Lastman a par la suite rendu public le montant du crédit d'impôt lors d'une conférence de presse tenue le 11 janvier 1999, au cours de laquelle il a fourni des renseignements sur sa donation au bénéfice de l'ancienne Ville de North York et a révélé que la Commission avait accepté la donation, ce qui a donné lieu à un crédit d'impôt au montant de 55 000 $.

[9]                 Dans sa demande d'accès à l'information datée du 23 septembre 1998, un dénommé Jonathan Gatehouse, qui est citoyen canadien et journaliste pour un journal national, a requis les documents suivants :


[Traduction] tous les documents relatifs à l'examen et à l'approbation par la Commission d'une demande de crédit d'impôt faite par ou pour l'ancienne Ville de North York (faisant maintenant partie de Toronto) concernant la donation des archives et des souvenirs du maire Mel Lastman et/ou de ses proches, dont son épouse Marilyn. La présente demande vise notamment tout rapport d'évaluation préparé par votre organisme ou par des experts externes concernant la collection, toutes les lettres entre les parties en cause, les notes de service et les communications internes (y compris les courriels) quant à la demande ainsi que le procès-verbal de toutes les réunions où il a été question de la demande ou de la collection.

[10]            Le 2 décembre 1998, le Secrétaire de la Commission et le Coordonnateur de l'accès à l'information ont avisé par écrit le demandeur de renseignements de la décision de la Commission de ne pas communiquer certains des documents demandés et ont invoqué les articles 19 et 24 de la Loi sur l'accès à l'information comme motifs de ce refus. La Commission avait initialement soulevé l'article 20 de la Loi mais elle a renoncé à invoquer cet article au moment de la présentation de la présente demande de révision.

[11]            Les renseignements faisant l'objet du refus de communication sont contenus dans le dossier confidentiel des demandeurs de renseignements, dans le volume C-1, aux pages 16 à 28. Certains documents comportent des phrases et des paragraphes qui, bien qu'ils ne soient pas oblitérés, sont soulignés, contenus dans des boîtes et rayés par des lignes diagonales; ces boîtes contiennent des renseignements qui ne sont pas en litige et qui peuvent demeurer confidentiels selon entente entre les parties.


[12]            Le défendeur prétend que les documents en cause constituent des renseignements personnels au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, de sorte qu'ils ne doivent pas être communiqués conformément au paragraphe 19(1) de la Loi sur l'accès à l'information. En outre, le défendeur s'appuie sur l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu, dans la mesure où le paragraphe (10) de cet article restreint la communication de renseignements confidentiels. Enfin, le défendeur prétend que la Cour ne doit pas intervenir quant à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de refuser la communication.

[13]            J'accueille la demande pour les motifs suivants.

[14]            Premièrement, j'ai examiné les documents et je ne suis pas convaincu qu'ils soient visés par la définition énoncée à l'alinéa 3b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. L'article 3 de cette loi prévoit que pour l'application de l'article 19 de la Loi sur l'accès à l'information, certains renseignements ne sont pas considérés comme des « renseignements personnels » . Ces exceptions à ce qui constitue des « renseignements personnels » se trouvent aux alinéas 3j) à m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, l'alinéa 3l) étant le plus pertinent en l'espèce :

toutefois, il demeure entendu que, pour l'application des articles 7, 8 et 26, et de l'article 19 de la Loi sur l'accès à l'information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :

l) des avantages financiers facultatifs, notamment la délivrance d'un permis ou d'une licence accordés à un individu, y compris le nom de celui-ci et la nature précise de ces avantages; [...]


[15]            Je suis d'avis que les renseignements sollicités en l'espèce sont visés par l'exemption figurant à l'alinéa 3l) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Une fois que la Commission rend sa décision, elle remet à la personne un certificat fondé sur la juste valeur marchande qu'a, selon elle, le bien culturel donné à un établissement désigné. La juste valeur marchande du bien culturel visé par le certificat est convertie en crédit d'impôt aux termes du paragraphe 118.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu en vue du calcul de l'impôt sur le revenu payable, de sorte qu'on peut la considérer comme un avantage fiscal. Le gain en capital provenant de l'aliénation de ce bien est également exonéré d'impôt. En l'espèce, les Lastman ont reçu de la CCEEBC un certificat au montant de 55 000 $ aux fins de l'impôt sur le revenu.

[16]            De toute manière, il semble clair que les renseignements en question doivent aussi être communiqués parce qu'ils sont accessibles au public au sens de l'alinéa 19(2)b) de la Loi sur l'accès à l'information.


[17]            Les mentions du fait que la Ville de North York se soit vu « désignée » expressément dans le but d'acquérir la collection des Lastman font partie du domaine public en raison des déclarations rapportées dans des articles de journaux et de l'application de l'article 32 de la Loi sur l'exportation et l'importation de biens culturels. Les articles de journaux révèlent que la Ville de North York était l'administration publique qui tentait d'accepter la collection des Lastman. La Loi exige qu'un établissement ou une administration publique qui désire recevoir une donation et présenter une demande de certificat attestant des qualités d'un bien culturel aux fins de l'impôt sur le revenu soit désigné par le ministre du Patrimoine canadien. Le paragraphe 32(2) prévoit que le ministre peut désigner tout établissement et toute administration publique « à des fins générales ou particulières » . Une désignation de « catégorie B » s'applique aux donations faites à des fins particulières. En outre, l'affiant a reconnu que l'identité des établissements et des administrations publiques désignés dans la catégorie B et autorisés à recevoir des donations particulières serait communiquée au public sur demande.

[18]            La carrière de M. Lastman en tant que titulaire d'une charge publique et en tant qu'homme d'affaire fait partie du domaine public. L'observation permet d'établir que ses [Traduction] « dossiers et documents personnels » , qui, de son propre aveu, ont fait l'objet d'une attestation par la CCEEBC selon laquelle ils constituaient des biens culturels, ont trait à sa vie publique. Cela ressort également du fait qu'une demande d'attestation n'est accordée que si elle respecte les exigences des alinéas 11(1)a) et b) selon lesquelles l'objet doit présenter un « intérêt exceptionnel en raison [...] de son rapport étroit avec l'histoire du Canada ou la société canadienne » et revêtir une importance nationale, suivant l'évaluation de la Commission.

[19]            J'estime donc que les renseignements en question font partie du domaine public. La défenderesse CCEEBC n'a pas appliqué comme il se doit le paragraphe 19(2) de la Loi sur l'accès à l'information et n'a donc pas relevé la charge, imposée par l'article 48, d'établir qu'elle était bien fondée de refuser la communication des documents ou des parties de documents en vertu du paragraphe 19(1).


[20]            Enfin, je ne suis pas convaincu par l'argument avancé par le défendeur relativement à l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu, à savoir que les renseignements en question constituent des « renseignements confidentiels » . Le paragraphe 241(10) de la Loi définit ainsi la notion de renseignement confidentiel :

Renseignement de toute nature et sous toute forme concernant un ou plusieurs contribuables et qui, selon le cas :

a) est obtenu par le ministre ou en son nom pour l'application de la présente loi;

b) est tiré d'un renseignement visé à l'alinéa a).

N'est pas un renseignement confidentiel le renseignement qui ne révèle pas, même indirectement, l'identité du contribuable en cause.

[21]            À mon avis, les renseignements personnels consistent en des renseignements sur des contribuables en particulier qui sont obtenus au moyen des déclarations de revenus ou recueillis lors de vérifications et qui révéleraient l'identité de la personne physique ou morale. Avant que le contribuable ne fournisse les renseignements à Revenu Canada ou que ceux-ci ne soient obtenus dans le cadre d'une enquête, on ne peut pas dire qu'ils ont été « obtenus » par Revenu Canada ou en son nom. Le défendeur n'a présenté en preuve aucun affidavit des Lastman pour démontrer que ceux-ci avaient fourni ces renseignements à Revenu Canada.

[22]            De plus, l'article 241 a comme but la protection de la confidentialité des renseignements donnés au ministre pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu. Lorsque le contribuable lui-même a révélé les renseignements en public ou qu'il est généralement connu que ceux-ci font partie du domaine public et qu'ils peuvent être recensés au moyen de certaines mesures, on ne peut pas dire que le droit à la vie privée de cette personne a été violé.


[23]            L'article 48 de la Loi sur l'accès à l'information prévoit qu'il incombe à l'établissement gouvernemental défendeur d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements personnels en litige sont visés par l'exemption sur laquelle cet établissement se fonde pour refuser la communication. La Cour fédérale a souligné que la partie refusant de communiquer les renseignements demandés devait relever une lourde charge puisqu'elle devait présenter au juge de première instance des éléments de preuve précis et détaillés pour démontrer que les renseignements demandés étaient visés par l'exemption. J'estime que cette charge n'a pas été relevée en l'espèce.

[24]            Pour l'ensemble de ces motifs, la demande est accueillie.

« P. ROULEAU »

     JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 27 septembre 2001

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-785-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             LE COMMISSAIRE À L'INFORMATION DU CANADA

c. LE PRÉSIDENT DE LA COMMISSION CANADIENNE D'EXAMEN DES EXPORTATIONS DE BIENS CULTURELS

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 10 septembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

EN DATE DU :                                     27 septembre 2001

ONT COMPARU

Daniel Brunet

Marc-Aurèle Racicot                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Melanie Aitken                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Commissaire à l'information du Canada                          

Ottawa (Ontario)                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                            POUR LE DÉFENDEUR


Date : 20010927

Dossier : T-785-00

OTTAWA (Ontario), le 27 septembre 2001

EN PRÉSENCE DE : Monsieur le juge Rouleau

ENTRE :

LE COMMISSAIRE À L'INFORMATION DU CANADA

demandeur

ET :

LE PRÉSIDENT DE LA COMMISSION CANADIENNE

DES EXPORTATIONS DE BIENS CULTURELS

défendeur

ORDONNANCE

[1]         La demande est accueillie.

« P. ROULEAU »                        

     JUGE                               

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.

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