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Date : 20011220

Dossier_: T-1051-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1407

ENTRE :

                                              JOHN KING

                                                                                                  demandeur

                                                         et

                 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                    défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SIMPSON

[1]    La présente demande fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications, vise le contrôle judiciaire d'une décision rendue par un arbitre de grief en date du 11 mai 2000 (la décision) concernant un grief présenté par le demandeur en vertu de l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, et ses modifications (LRTFP).


Exposé des faits

[2]    Le demandeur travaillait à Revenu Canada - Accise, douanes et impôt, maintenant connu sous l'appellation « Agence des douanes et du revenu du Canada » (Revenu Canada), comme agent des douanes à l'aéroport international Pearson de Toronto. Il était également président de la section locale 0024 du Customs and Excise Union Douanes Accise (CEUDA) de Toronto, un élément de l'Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) qui agit à titre d'agent négociateur accrédité des agents des douanes.

[3]    Le 2 mai 1997, le demandeur a discuté avec M. Norm Sheridan, directeur intérimaire des Services frontaliers des douanes - intérieurs, des préoccupations qu'il avait depuis longtemps concernant le traitement accordé aux employés faisant l'objet d'une enquête par suite d'accusations d'inconduite. M. Sheridan a recommandé au demandeur de ne pas conseiller aux agents des douanes d'entreprendre une grève illégale ou d'autres moyens de pression illégaux et l'a averti que, le cas échéant, il s'exposerait à une sanction disciplinaire. Le demandeur soutient avoir suivi cette recommandation. Le 28 mai 1997, il a fait afficher sur les lieux de travailplusieurs exemplaires d'un avis destiné aux employés (l'avis) après avoir consulté ses collègues du syndicat qui ont estimé que l'avis proposé ne posait aucun problème.


[4]                 L'avis était rédigé comme suit :

[traduction] « Le présent avis, destiné à tous les fonctionnaires, concerne l'application de la Charte canadienne des droits et des libertés et se veut un rappel du droit à l'équité de la procédure durant une enquête interne.

Revenu Canada est un exemple de ministère qui continue de démontrer qu'il n'est pas disposé à respecter les droits des employés lorsqu'une enquête concernant des allégations liées au travail est menée. Il semble que nous, qui sommes chargés d'administrer et d'appliquer la loi au pays, ne jouissions pas des mêmes droits que les autres Canadiens, les visiteurs ou les détenteurs de casier judiciaire.

J'ai demandé à de nombreuses reprises que soit clarifiée la question de nos droits et de nos obligations légales. Cette question est tout à fait légitime. Pourtant, les dirigeants de Revenu Canada ne sont toujours pas disposés à y répondre ou en sont incapables. La situation est d'autant plus préoccupante que le ministre du Revenu, le ministre de la Justice et le Cabinet du premier ministre ne veulent ou ne peuvent pas non plus répondre à cette question fondamentale. Pourquoi?

Les exemples décrits ci-dessous illustrent notre point de vue et aideront, comme nous l'espérons, à vous sensibiliser davantage aux risques potentiels que vous encourez dans votre travail pour le gouvernement.

1)              Douanes Canada demande l'inspection d'un voyageur. Trois jours après son retour à la maison, le voyageur s'aperçoit qu'il lui manque plus de cinq mille dollars dans ses bagages. Son avocat envoie une lettre au ministère dans laquelle un inspecteur est accusé de vol, une infraction       susceptible d'entraîner des accusations au criminel. Durant l'enquête, les demandes des agents pour obtenir une assistance juridique ne sont pas considérées. Les employés paradent devant le voyageur et son avocat pour l'identification. Croyant à une violation des droits de la personne, nous avons demandé des explications sans jamais obtenir de réponse. Il importe de souligner qu'aucun agent n'a été déclaré coupable de quelque infraction que ce soit.

2)              Un agent de perception utilise le système informatique pour l'exécution de ses tâches normales de travail. Le directeur note un comportement à son avis suspect. L'employé est suspendu sans traitement jusqu'à la fin de l'enquête effectuée par la Division des affaires internes. Une fois encore, aucun acte répréhensible n'a été démontré. L'employé dont le rendement était supérieur à la moyenne ne faisait que son travail. Cette situation était-elle juste?

Compte tenu de ces exemples ainsi que d'autres incidents, il incombe à tous les employés de se protéger eux-mêmes dans l'exécution de leur travail. N'oubliez pas que l'un de nos collègues a récemment été déclaré coupable d'une infraction et congédié sans même avoir été entendu. En suivant les recommandations ci-dessous, vous réduirez au minimum les risques dans l'exécution de votre travail.


1)              Ne touchez pas au contenu des bagages des voyageurs. Demandez à ces derniers de retirer eux-mêmes le contenu de leurs bagages. Une fois l'inspection terminée, demandez-leur de refaire leurs bagages.

2)              Si le voyageur refuse de coopérer, demandez l'assistance du surintendant. Ce témoin constituera votre protection en cas de fausses accusations. Votre environnement de travail sera ainsi plus sûr. Vous pouvez même faire patienter le voyageur jusqu'à ce que l'assistance nécessaire soit disponible. Procédez à l'inspection seulement lorsque vous êtes certain que vous ne risquez rien. Si le personnel approprié n'est pas disponible pour vous prêter assistance, vous pouvez à votre discrétion laisser partir le passager sans procéder à l'inspection.

Nous avons épuisé tous les moyens internes possibles au cours des deux dernières années et nous n'avons plus guère le choix que d'exercer notre dernière option.Il faut bien comprendre que ces recommandations ont pour seul but de protéger le bien-être des employés qui ont pour mission de protéger notre pays. »

[Non souligné dans l'original.]

[5]                 Cet avis n'a été affiché que pendant un courte période de temps et n'a vraisemblablement pas donné lieu à des moyens de pression ni à des mouvements de grève.

[6]                 Le 5 juin 1997, le demandeur a reçu une suspension disciplinaire de 10 jours sans traitement. Revenu Canada a allégué que l'avis recommandait une grève illégale et transgressait ainsi le paragraphe 102(1) et l'article 103 de la LRTFP, ainsi que l'article M-15 de la convention collective de l'AFPC. L'article 103 de la LRTFP est rédigé comme suit :



103. Il est interdit à une organisation syndicale de déclarer ou d'autoriser une grève de fonctionnaires, et à un dirigeant ou représentant de l'organisation de conseiller ou susciter la déclaration ou l'autorisation d'une telle grève, ou encore la participation de fonctionnaires à celle-ci, quand elle a ou aurait pour effet de placer ces fonctionnaires en situation d'infraction à l'article 102.

S.R., ch. P-35, art. 102.

103. No employee organization shall declare or authorize a strike of employees, and no officer or representative of an employee organization shall counsel or procure the declaration or authorization of a strike of employees or the participation of employees in a strike, the effect of which is or would be to involve the participation of an employee in a strike in contravention of section 102.


[7]                 L'article 102 prévoit essentiellement que la grève est interdite lorsqu'une convention collective est en vigueur.

[8]                 Le terme « grève » est défini comme suit au paragraphe 2(1) de la LRTFP :


« grève » S'entend notamment d'un arrêt du travail ou du refus de travailler, par des fonctionnaires agissant conjointement, de concert ou de connivence; lui sont assimilés le ralentissement du travail ou toute autre activité concertée, de la part des fonctionnaires, ayant pour objet la diminution ou la limitation du rendement et relative au travail de ceux-ci.

"strike" includes a cessation of work or a refusal to work or to continue to work by employees, in combination, in concert or in accordance with a common understanding, and a slow-down of work or other concerted activity on the part of employees that is designed to restrict or limit output;


[9]                 Le demandeur a déposé de nombreux griefs à l'encontre de Revenu Canada ainsi qu'une plainte fondée sur l'article 23 de la LRTFP. Dans sa plainte, le demandeur alléguait que, contrairement à l'article 8 de la LRTFP, la direction l'avait harcelé, interdit d'accès et de mouvement, intimidé et puni pour avoir exercé ses fonctions de président de la section locale et était intervenue dans cet exercice.


[10]            Madame l'arbitre Rosemary Vondette Simpson (l'arbitre de grief) est membre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Douze jours d'audience entre octobre 1998 et novembre 1999 ont été nécessaires pour entendre les griefs et la plainte du demandeur. Cependant, durant le débat à la fin des audiences, le demandeur a indiqué qu'il abandonnait tous les griefs et la plainte formulée en vertu de l'article 23 de la LRTFP, à l'exclusion du grief relatif à la suspension (le grief).

[11]            Dans son grief, le demandeur soutient ce qui suit :

[traduction] La mesure prise par Revenu Canada était contraire aux articles M-15 et M-16 de la convention collective. Revenu Canada a omis de tenir compte de son statut de dirigeant syndical et des droits inhérents à ce statut et n'avait pas le pouvoir de le punir pour avoir affiché l'avis. Il n'avait aucune intention de susciter un mouvement de grève illégale contraire à la LRTFP.

[12]                        L'arbitre de grief a rendu sa décision le 11 mai 2000. Elle a rejeté le grief du demandeur et maintenu sa suspension en la réduisant toutefois à cinq jours, en reconnaissance de l'excellent service offert par le demandeur comme agent des douanes et dirigeant syndical dévoué.

[13]                        L'arbitre a maintenu la suspension parce qu'elle a conclu que le demandeur avait recommandé le recours à des [Traduction] « moyens de pression au travail » . Elle a établi que l'agent des douanes ne jouit d'aucune discrétion pour décider de pas procéder à l'inspection d'un voyageur du seul fait qu'un autre agent n'est pas disponible pour l'assister. Elle a conclu que l'agent des douanes ne peut limiter l'exercice de sa discrétion pour se conformer à une [Traduction] « décision préétablie de ne pas toucher les bagages des voyageurs et de ne pas procéder à la fouille sans la présence d'un autre agent » , parce que cette situation n'est pas compatible avec la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1 (la Loi), qui exige que les agents fouillent les passagers s'ils croient que ces derniers ne se sont pas conformés à la Loi.


Les questions en litige

[14]            1.          L'arbitre de grief a-t-elle commis une erreur en ne faisant pas référence à la définition légale d'une grève dans sa décision?

2.          L'arbitre de grief a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte du statut de dirigeant syndical du demandeur et des protections prévues par les articles 6 et 8 de la LRTFP?

3.          L'arbitre de grief a-t-elle mal interprété l'avis?

4.          L'arbitre de grief a-t-elle commis une erreur en omettant de déterminer si les procédures disciplinaires en l'espèce contrevenaient aux prescriptions de l'article M-16 de la convention collective de l'AFPC interdisant la discrimination?

5.          Quelle est la norme de contrôle applicable en l'espèce? Même si le demandeur reconnaît que les décisions rendues par les arbitres de grief sont normalement accueillies avec le plus grand respect, il affirme qu'en l'espèce la norme applicable devrait être la décision raisonnable parce que l'arbitre a interprété la LRTFP.

La première question en litige


[15]            Bien que l'arbitre n'ait pas cité la définition légale d'une grève, il apparaît évident qu'elle a pris en considération la signification du mot « grève » . À cet égard, elle a examiné les responsabilités et les obligations des agents des douanes pour tenter de déterminer si le fait de ne pas fouiller manuellement les bagages des voyageurs pouvait être justifié d'après la Loi. À mon avis, elle s'est demandé si l'avis recommandait la grève et elle a conclu que tel était le cas en affirmant que l'avis conseillait des [Traduction] « moyens de pression » .

[16]            Il va de soi que l'arbitre aurait pu préciser davantage ce qui était évident. Il aurait été préférable qu'elle fasse référence dans sa décision à la définition du mot « grève » de la LRTFP et à l'interdiction de recommander des mesures de grève, prévue à l'article 103. Il importe toutefois de situer le contexte : un grief déposé par le président d'une section locale à qui les dispositions de la LRTFP étaient familières.

[17]            L'arbitre n'a pas erré en ne faisant pas directement allusion aux dispositions légales bien connues, mais elle a commis une erreur de droit en omettant de faire des constatations et de tirer des conclusions expresses quant aux prescriptions contenues dans ces dispositions. Pour en venir comme elle l'a fait à la conclusion que l'avis recommandait des moyens de pression au travail, il lui avait fallu également conclure qu'il encourageait une activité qui avait « pour objet la diminution ou la limitation du rendement » . Malheureusement, sa décision n'a pas fait état de ses conclusions concernant l'intention du demandeur ou le sens du mot « rendement » dans le contexte de travail des agents des douanes.


La deuxième question en litige

[18]            À mon avis, l'arbitre de grief était consciente du statut de dirigeant syndical du demandeur. Elle l'a d'ailleurs mentionné dans la première phrase de sa décision et elle a tenu compte du fait que le demandeur était reconnu comme un représentant syndical dévoué pour réduire la suspension. Elle a toutefois commis une erreur en n'indiquant pas dans sa décision si elle avait tenu compte de ce statut pour décider de l'objet de l'avis.

La troisième question en litige

[19]            Le demandeur soutient que Revenu Canada a mal interprété la phrase « Ne touchez pas au contenu des bagages des voyageurs » dans l'avis. Il affirme que cette phrase ne peut vraisemblablement pas être interprétée comme interdisant les fouilles ou les inspections de bagages parce que la dernière phrase du paragraphe indique aux agents de demander aux voyageurs de refaire leurs bagages « une fois l'inspection terminée » .

[20]            Je ne suis pas d'accord avec le demandeur sur cette question. L'avis recommande principalement de ne toucher à aucun article, ce qui écarte la possibilité de faire une fouille manuelle pour déceler dans les bagages des objets cachés ou des objets qui, en raison de leur poids ou de leur texture ne devraient pas s'y trouver. S'il est interdit de toucher au contenu, seul un examen visuel est possible et, à mon avis, il s'agit du seul type d'examen que l'avis prescrivait d'exécuter en l'absence d'un témoin.


La quatrième question en litige

À mon avis, l'arbitre de grief n'a commis aucune erreur à ce sujet parce qu'il n'a pas été fait état des prescriptions de l'article M-16 de la convention collective de l'AFPC devant elle.

Conclusions

[21]            La décision de l'arbitre de grief est incomplète parce qu'elle ne contient pas de conclusions expresses quant à l'intention du demandeur dans le contexte d'exercice de ses fonctions syndicales et quant au sens du mot « rendement » dans le contexte de travail des agents des douanes. Les questions fondamentales doivent être tranchées de manière expresse et, peu importe la norme de contrôle applicable (la cinquième question en litige), le défaut de les considérer constitue une erreur donnant matière à révision.


[22]            Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et une ordonnance renvoyant le grief à un autre arbitre de grief pour un nouvel examen sera prononcée.

  

       « Sandra J. Simpson »                  

JUGE

  

Toronto (Ontario)

Le 20 décembre 2001

  

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                              COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               T-1051-00

INTITULÉ :                                   JOHN KING

                                                                                                  demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                    défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 7 JUIN 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                   OTTAWA (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :        MADAME LE JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :              LE JEUDI 20 DÉCEMBRE 2001

COMPARUTIONS :

M. David Yazbeck                                           Pour le demandeur

M. Richard Fader                                           Pour le défendeur

AVOCATS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne                              Pour le demandeur

Avocats

1600-220, avenue Laurier Ouest

Ottawa (Ontario)

K1P 5Z9

M. Richard Fader                                        Pour le défendeur

Conseil du Trésor, Services juridiques

5e étage, tour Ouest

L'Esplanade Laurier

300, avenue Laurier Ouest

Ottawa (Ontario)

K1A 0R5


                                      COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

Date : 20011220

Dossier : T-1051-00

Entre :

JOHN KING

                                                                                                 demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU

CANADA

                                                                                                  défendeur

                                                          

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                           


   

Date : 20011220

Dossier : T-1051-00

Toronto (Ontario), le 20 décembre 2001

  

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SANDRA J. SIMPSON

ENTRE :

                                              JOHN KING

                                                                                                  demandeur

  

                                                         et

                 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                    défendeur

                                           ORDONNANCE

VU LA DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision rendue par un arbitre de grief en date du 11 mai 2000;

APRÈS avoir entendu les avocats des parties à Ottawa, le 7 juin 2001;

ET APRÈS avoir sursis à prononcer ma décision afin de pouvoir faire un examen plus approfondi de l'affaire;


LA COUR PAR LES PRÉSENTES ORDONNE QUE, pour les motifs exposés aujourd'hui (les Motifs), la demande soit accueillie et que le grief du demandeur, tel qu'il a été défini dans les motifs, soit renvoyé à un autre arbitre de grief pour un nouvel examen.

  

          « Sandra J. Simpson »                

JUGE

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

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