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Date : 20000908


Dossier : T-1297-00



ENTRE :


TELUS INTEGRATED COMMUNICATIONS,


demanderesse,


- et -


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,


défendeur,


- et -


BCE NEXXIA INC.,


défenderesse.




MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

[1]          Telus Integrated Communications (Telus), demanderesse dans la présente demande de contrôle judiciaire, demande une injonction interlocutoire pour empêcher le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada (le Ministre) de poursuivre l'exécution d'un contrat conclu avec la défenderesse BCE NEXXIA Inc. (BCE), ou tout autre entrepreneur, jusqu'au jugement final sur sa demande de contrôle judiciaire ou jusqu'à ce que le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) ait complété l'examen de la plainte et rendu sa décision et fait ses recommandations au ministre.

[2]          Le procureur général du Canada (procureur général) et BCE, à titre de défendeurs dans la demande de contrôle judiciaire, s'opposent à la demande d'injonction interlocutoire.

[3]          Pour les besoins du présent avis de requête, les faits peuvent être énoncés brièvement.

[4]          Le 20 octobre 1999, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) a publié une demande de propositions (DDP) portant sur les services de télécommunications à fournir au ministère de la Défense nationale (MDN) dans la cadre du Projet de renouvellement des services de télécommunication. L'invitation demandait des propositions pour la fourniture de services étendus de télécommunications à divers emplacements du MDN à travers le pays, comprenant l'installation d'infrastructures aussi bien que la gestion des divers contrats existants.

[5]          Telus, un fournisseur de services de télécommunications qui fournissait déjà des services au MDN, a fait parvenir sa soumission le 15 février 2000.

[6]          Le 17 avril 2000, Telus a reçu une demande de TPSGC pour la clarification de sa soumission. Elle y a répondu le 18 avril 2000.

[7]          Le 16 juin 2000, le ministre des TPSGC a signé un contrat avec BCE pour la fourniture des services en question. Le 19 juin 2000, Telus était informée par TPSGC que le contrat avait été adjugé à BCE.

[8]          Suite à une réunion avec des représentants de TPSGC le 27 juin 2000, Telus a déposé une plainte devant le TCCE le 28 juin 2000. Cette plainte a été faite en vertu de l'article 30.11 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) (la Loi TCCE). La plainte comprend une demande pour que le TCCE examine la plainte suivant la procédure expéditive.

[9]          Par lettre en date du 5 juillet 2000, le TCCE a répondu qu'il avait accepté la demande d'enquête mais, qu'étant donné la nature de la plainte, il ne convenait pas de recourir à la procédure expéditive. Cela voulait dire que les délais normaux allaient s'appliquer et que le TCCE devait tenir son enquête à l'intérieur d'un délai de 90 jours à moins qu'une prorogation ne soit accordée, auquel cas le délai pour produire un rapport sur la plainte était de cent trente-cinq (135) jours.

[10]          Le 17 juillet 2000, Telus a écrit au TCCE et lui a demandé qu'une ordonnance soit rendue afin de différer l'adjudication du contrat BCE. Cette demande a été faite en vertu du paragraphe 30.13(3) de la Loi TCCE. Le TCCE y a répondu par lettre en date du 19 juillet 2000, disant qu'il n'avait pas compétence pour différer l'adjudication puisque le contrat avait déjà été adjugé.

[11]          Le 18 juillet 2000, Telus a entamé la demande de contrôle judiciaire en l'espèce par une demande de jugement déclaratoire ainsi que d'injonction interlocutoire.

[12]          Le 25 juillet 2000, Telus a déposé son avis de requête demandant une injonction. Le 4 août 2000, une ordonnance a été rendue établissant le calendrier du dépôt des affidavits relativement à cet avis de requête. Le 11 août 2000, la présente Cour a rendu une autre ordonnance rejetant une requête présentée par le procureur général défendeur pour obtenir la radiation de la demande de contrôle judiciaire en l'espèce ou, subsidiairement, une ordonnance pour suspendre les procédures jusqu'à la décision du TCCE sur la plainte déposée par Telus.

[13]          Dans l'état actuel du dossier, Telus poursuit sa plainte devant le TCCE. Le défendeur, le procureur général, a produit une défense contre cette plainte et Telus a soumis une réponse à la position du gouvernement. BCE s'est vu attribuer le statut d'intervenante devant le TCCE.

[14]          Pour obtenir une injonction interlocutoire, Telus doit satisfaire au critère en trois volets défini par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, 164 N.R. 1. Telus doit ainsi prouver que la demande de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse, qu'elle subira un préjudice irréparable si une injonction interlocutoire n'est pas accordée à cette étape et que la prépondérance des inconvénients est en sa faveur, eu égard aux situations respectives des parties touchées, soit Telus, le procureur général et BCE.

Question sérieuse

[15]          Les deux défendeurs ont fait valoir que la demande de contrôle judiciaire en l'espèce ne soulevait pas de question sérieuse et que Telus essaie d'obtenir de la Cour un recours qui n'est pas prévu à la Loi TCCE, à savoir qu'elle sursoie provisoirement au contrat qui a déjà été adjugé, recours qui a été refusé par le TCCE dans sa lettre du 19 juillet 2000. De plus, les défendeurs soutiennent que lorsque le TCCE enquête sur une plainte, le fondement de la présente demande de contrôle judiciaire disparaît et, par conséquent, cette demande de contrôle judiciaire ne soulève pas de question sérieuse.

[16]          La défenderesse BCE allègue également que le recours déclaratoire demandé par Telus dans sa demande de contrôle judiciaire ne peut pas faire l'objet d'une demande interlocutoire et que l'objet de la demande de contrôle judiciaire est le même que celui soumis au TCCE, à savoir si la soumission de Telus était conforme au sens de la DDP. La défenderesse BCE dit que la « question sérieuse » examinée récemment par le juge Lemieux lorsqu'il a entendu la requête en radiation du procureur général n'est pas la même « question sérieuse » qui est soulevée dans une requête en injonction interlocutoire.

[17]          Ces arguments ne me convainquent pas.

[18]          La demanderesse a clairement indiqué dans sa demande de contrôle judiciaire que la décision attaquée dans sa demande de contrôle judiciaire est la décision du ministre d'adjuger le contrat avant d'aviser Telus que sa soumission n'était pas conforme, décision qui, selon la demanderesse, contrevenait à l'article C.4.3 de la DDP qui prévoit que l'évaluation de la conformité doit avoir lieu pendant, et non pas après, l'étape de l'évaluation. De plus, la demanderesse allègue que cette décision du ministre, si elle a été prise en vertu d'une politique du gouvernement de retarder l'envoi d'un avis de non-conformité à des soumissionnaires afin d'éviter les contestations des marchés publics, est contraire au paragraphe 514(2) de l'Accord sur le commerce intérieur (ACI).

[19]          Selon moi, la question soulevée par Telus dans la présente demande de contrôle judiciaire est différente de la plainte qui est devant le TCCE. La décision qui est contestée dans la présente instance n'est pas liée aux questions soumises au TCCE. Par conséquent, je suis convaincue que la demanderesse satisfait au premier volet du critère, c'est-à-dire que la demande de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse.

Préjudice irréparable

[20]          Le deuxième volet du critère exige de celui qui demande une injonction qu'il établisse l'existence d'un préjudice irréparable qui ne peut pas être compensé par des dommages-intérêts si le recours demandé n'est pas accordé. Le demandeur doit produire une preuve à cet effet et non pas de simples prétentions. La jurisprudence est claire sur ce point; voir Centre Ice Ltd. c. Ligue nationale de Hockey (1994), 53 C.P.R. (3d) 34; Caterpillar Inc. c. Chaussures Mario Moda Inc. (1995), 99 F.T.R. 299 et ITV Technologies, Inc. c. WIC Television Ltd. (1997), 140 F.T.R. 302.

[21]          La demanderesse soutient qu'à cause du comportement et de la décision du ministre elle a été privée d'un contrat qui lui aurait donné la possibilité d'élargir sa part de marché dans toutes les régions du Canada et de renforcer sa capacité d'obtenir plus de marchés de l'État à l'avenir. La demanderesse dit que sa préoccupation première n'est pas la perte de profit mais la perte de la possibilité de développer sa présence dans le domaine des télécommunications à l'échelle nationale et qu'elle risque de perdre, au profit de BCE un avantage compétitif qui, une fois perdu, ne pourra pas être recouvré.

[22]          Elle affirme que le manque de précision pour ce qui est de la part de marché qu'elle risque de perdre ne porte pas un coup fatal à sa prétention qu'elle va subir un préjudice irréparable si l'injonction n'est pas accordée et à cet égard, elle se fonde sur la décision de la présente Cour Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (1989), 22 C.P.R. (3d) 493, à la page 505 (C.F. 1re inst.).

[23]          Enfin, Telus fait valoir qu'il n'y a aucune preuve que BCE subira un préjudice irréparable si l'injonction est accordée. Telus dit que, d'après la preuve, elle est la seule à subir des inconvénients. Il convient de noter que le défendeur, le procureur général, n'a produit aucun affidavit d'un représentant du MDN ou encore de TPSGC. À la place, le procureur général a choisi de se fonder sur l'affidavit de Louis Savoie, directeur général, Ventes au gouvernement fédéral chez BCE qui est une personne qui connaît bien ce contrat. De même, BCE se fonde sur le même affidavit pour traiter de la question du préjudice irréparable.

[24]          La période de temps pertinente pour l'examen de cette question est la période entre l'audition de la requête et le moment où le TCCE rend sa conclusion sur la plainte de Telus. Si le TCCE statue sur l'affaire dans les quatre-vingt-dix (90) jours après le dépôt de la plainte, une décision sera rendue pour le 26 septembre 2000. Si le TCCE accorde une prorogation de délai, ce qui n'a pas été demandé, le délai sera prorogé de quarante-cinq (45) jours et une décision sera rendue pour le 10 novembre 2000.

[25]          La question du préjudice irréparable doit être étudiée en relation avec la preuve de préjudice irréparable que la demanderesse subira si le remède sollicité n'est pas accordé.

[26]          La demanderesse fait valoir que le paragraphe 30.15(2) de la Loi TCCE habilite le TCCE à accorder un large éventail de remèdes, l'autorisant notamment à recommander qu'il soit mis fin à un contrat adjugé et à recommander que le contrat soit adjugé à un autre soumissionnaire, il est peut probable que le tribunal recommande un tel remède si le contrat en question est en voie d'exécution. À l'appui de ces arguments, la demanderesse soumet les deux décisions du TCCE dans les affaires Wescam Inc. (Re), [1999] TCCE No. 30 (dossier PR-98-039) et Novell Canada, Ltd. (Re) [1999] TCCE No. 46 (dossier PR-98-047).

[27]          Pour sa part, BCE a soumis d'autres décisions du TCCE par lesquelles le tribunal a plutôt exercé son pouvoir discrétionnaire de recommander qu'il soit mis fin aux contrats qui étaient en voie d'exécution et à cet égard, BCE renvoie aux décisions du Tribunal dans les affaires Novell Canada, Ltd. (Re), [1999] TCCE No. 54 (dossier : PR-99-001) et Société d'énergie Mechron Limitée et le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, [1995] TCCE No. 59 (dossier PR-95-001).

[28]          Normalement, et en l'absence de prorogation de délai, le tribunal doit rendre sa décision dans les quatre-vingt-dix (90) jours du dépôt de la plainte, soit au plus tard le 26 septembre 2000. En vertu du contrat qui a maintenant été adjugé à BCE, les quatre-vingt-dix (90) premiers jours qui suivent l'adjudication du contrat représentent une période de transition au cours de laquelle BCE doit examiner les contrats en vigueur et les supprimer graduellement. Cette période de transition prendra fin le 16 septembre 2000, à la suite de quoi BCE commencera l'installation des infrastructures requises en vertu du contrat ainsi que des divers autres services prévus au contrat.

[29]          Il n'y a aucune preuve que BCE aura complété l'installation des infrastructures le 10 novembre 2000 qui est la date la plus éloignée à laquelle le TCCE doit rendre une décision. De même, il n'y a aucune preuve que l'exécution du contrat sera si avancée que le TCCE refusera d'exercer sa compétence pour recommander qu'il soit mis fin au contrat et que celui-ci soit attribué à Telus, si Telus a gain de cause devant le TCCE.

[30]          Je ne suis pas en meilleure position que les avocats des parties pour anticiper de quelle façon le TCCE va exercer la faculté que lui confère le paragraphe 30.15(2) de la Loi TCCE advenant qu'il fasse droit à la plainte de Telus. Le paragraphe 30.15(2) de la Loi TCCE n'est pas exhaustif mais simplement indicatif des remèdes que le tribunal peut recommander. Le tribunal a toute latitude pour recommander un remède efficace en faveur de la demanderesse Telus, si celle-ci a gain de cause dans sa plainte devant le Tribunal. Il ne serait pas approprié pour moi de spéculer, positivement ou négativement, sur la façon dont ce tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire en accordant un remède et je refuse de le faire.

[31]          Prenant en compte ces facteurs et la nature de la preuve présentée par Telus sur la question du préjudice irréparable, je ne suis pas convaincue que Telus a fait la preuve qu'elle subira un préjudice irréparable si l'injonction est refusée. Même si les pertes de parts de marché projetées peuvent être difficiles à évaluer, on peut parvenir à les évaluer. La preuve soumise par Telus à ce jour ne satisfait pas au critère de certitude qui a été constamment requis par les tribunaux qui ont jugé des demandes d'injonction interlocutoire.

[32]          Comme j'ai conclu que Telus n'avait pas satisfait au critère sur la question du préjudice irréparable, je n'ai pas à traiter du volet de la prépondérance des inconvénients.     

[33]          Pour ces motifs, l'avis de requête pour obtenir une injonction interlocutoire est rejeté avec dépens suivant l'issue de la cause.



ELIZABETH HENEGHAN

JUGE

Traduction certifiée conforme


Daniel Dupras, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :                  T-1297-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Telus Integrated Communications c. Procureur général du Canada et al.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          5 septembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE RENDUS PAR LE JUGE HENEGHAN

EN DATE DU :              8 septembre 2000

ONT COMPARU :

Barbara McIsaac

Kris Klein                  POUR LA DEMANDERESSE

Ronald Lunau

Mary-Rose Ebos              POUR LA DÉFENDERESSE (BCE Nexxia)

Anne Turley

Michael Roach              POUR LE DÉFENDEUR (Procureur général du Canada)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault

Ottawa (Ontario)              POUR LA DEMANDERESSE

Gowling Lafleur Henderson s.a.r.l.

Ottawa (Ontario)              POUR LA DÉFENDERESSE (BCE Nexxia)

Morris Rosemberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa(Ontario)              POUR LE DÉFENDEUR (Procureur général du Canada)
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