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Date : 20040720

Dossier : IMM-5794-03

Référence : 2004 CF 1019

ENTRE :

                                                               NINA LAZAREVA

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                       

LE JUGE PHELAN

Introduction

[1]                Le défendeur exige que la demanderesse, qui a 66 ans, laisse son mari infirme, qui a 82 ans (pour qui elle est la seule personne soignante), et qu'elle retourne en Russie, d'où elle est partie il y a 40 ans, pour qu'il puisse traiter sa demande de résidence permanente.


[2]                En dépit des excellentes observations présentées par M. George au nom du défendeur, la Cour ne confirmera pas la décision du défendeur de ne pas exempter la demanderesse de l'obligation de présenter sa demande du statut de résidente permanente de l'extérieur du Canada.

Les faits

[3]                Le paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) prévoit que le ministre peut exempter un étranger de toute exigence de la LIPR s'il « estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger - compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - ou l'intérêt public le justifient » .

[4]                La demanderesse a maintenant 66 ans et elle vit au Canada depuis plus de 10 ans sans aucun statut juridique. Née dans le pays qui est maintenant la Russie, elle a passé 33 ans en Bulgarie, où elle a travaillé comme infirmière, avant d'arriver au Canada.

[5]                Pendant les dix dernières années, apparemment de façon sporadique, elle a essayé par divers moyens de demeurer au Canada, d'abord à titre de réfugiée, puis par d'autres moyens légaux.

[6]                En 2003, la demanderesse a épousé M. Posdniakow, un veuf canadien de 82 ans. M. Posdniakow souffre de divers problèmes de santé qui nécessitent une attention soutenue. Il est incapable de voyager et, si ce n'était des capacités professionnelles de la demanderesse comme infirmière, il aurait besoin de soins infirmiers de l'extérieur.

[7]                La demanderesse a présenté une demande du statut de résidente permanente en invoquant des considérations humanitaires relativement à son mariage avec un Canadien. Personne ne doute que le mariage soit un mariage véritable. Elle a aussi demandé une exemption de manière à ce qu'elle puisse demeurer au Canada pendant que sa demande du statut de résidente permanente est traitée ( « traitement de la demande au Canada » )

[8]                Le ministre a refusé d'accorder l'exemption demandée, au motif que la demanderesse n'avait pas établi qu'elle subirait « des difficultés inhabituelles, injustes ou indues » si elle devait demeurer à l'extérieur du pays pendant le temps que sa demande est traitée. Cette décision se fondait, entre autres, sur deux choses : la première, que la demanderesse retournerait en Bulgarie; la seconde, que la séparation ne serait que temporaire et qu'elle ne causerait donc pas des difficultés inhabituelles, injustes ou indues.


Analyse

[9]                Il est admis que la norme de contrôle applicable à la décision du ministre est la décision raisonnable; voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 174 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.).

Le pays de destination                                   

[10]            Il y a eu beaucoup de confusion et d'argumentation sur la question de savoir quel était le pays de destination vers lequel la demanderesse pouvait retourner « temporairement » . La Russie est le pays où elle est née, mais elle en est partie il y a 40 ans et elle n'y a aucune attache. La Bulgarie est le pays où elle a travaillé, mais elle n'est pas bulgare et son statut dans ce pays est au mieux discutable.

[11]            Le représentant du ministre a conclu dans ses motifs de décision que la demanderesse pouvait retourner et que, effectivement, elle retournerait en Bulgarie, où elle a une fille avec laquelle elle ne communique plus.


[12]            On a avisé la Cour au cours de l'audience que seule la Russie lui ouvrirait ses portes. Par conséquent, le ministre était dans l'erreur sur un point crucial, ce qui mine la validité de sa décision. Pour ce seul motif, la décision devrait être annulée; mais cela laisse pendante la question de savoir quel est le recours approprié.

Les difficultés

[13]            Pour savoir quel est le recours approprié, il faut se demander si la conclusion tirée quant aux difficultés était raisonnable. Bien qu'il ne fasse aucun doute que le représentant du ministre ait essayé de trouver un juste équilibre dans une décision qui devait tenir compte de facteurs opposés, je ne suis pas d'accord que sa conclusion ultime était raisonnable.

[14]            Bien que la demanderesse ait pu avoir été l'auteur de sa propre infortune, il ne faudrait pas imputer au mari les mêmes fautes.

[15]            La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Baker, exige que l'on prenne en compte l'incidence sur les personnes à charge et la famille des décisions mettant en cause des considérations d'ordre humanitaire. Cette exigence vaut tant pour les personnes âgées que pour les jeunes enfants.


[16]            Le ministre a conclu que la séparation serait temporaire, dans le sens qu'elle serait de courte durée. On a admis que le traitement de la demande pourrait prendre jusqu'à deux ans et peut-être plus. Pendant ce temps, M. Posdniakow serait privé de son épouse, et d'une qualité de soins qu'on ne trouve pas toujours en s'adressant à des sources commerciales, et il serait également incapable de voyager pour aller la voir.

[17]            Le défendeur n'a pas accordé une attention adéquate à ces facteurs, entre autres, dans son examen des difficultés qu'il y aurait à surmonter. Ce qui constitue une séparation temporaire dans le cas d'une famille avec de jeunes enfants peut très bien s'avérer définitive dans le cas de personnes âgées et de malades.

[18]            Par conséquent, je conclus que la décision du défendeur n'est pas raisonnable au vu des circonstances de l'espèce.            

Le recours

[19]            Dans le cours normal des choses, la Cour annulerait ce genre de décision et renverrait l'affaire; mais le temps presse. L'avocat de la demanderesse a demandé que la Cour impose un délai au ministre et lui donne des directives quant à la façon de traiter la demande du statut de résidente permanente. La Cour n'est pas en mesure de donner de telles directives. Il n'y a aucune preuve de retards excessifs ou de mauvaise foi.

[20]            Toutefois, vu mes commentaires sur la nature éphémère des choses en ce qui concerne la demanderesse et son mari, le ministre devra faire le traitement de la demande au Canada.


[21]            L'affaire porte sur des faits qui sont si particuliers que son règlement ne dépend d'aucune question grave de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.

[22]            La Cour délivrera une ordonnance donnant suite aux présents motifs.

                                                                                                                           « Michael L. Phelan »                  

                                                                                                                                                     Juge                              

Toronto (Ontario)

20 juillet 2004

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5794-03

INTITULÉ :                                        NINA LAZAREVA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 15 JUILLET 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                       LE 20 JUILLET 2004

COMPARUTIONS :

Inna Kogan

POUR LA DEMANDERESSE

Greg George

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Inna Kogan

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR


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