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Date : 20040429

Dossier : IMM-2427-03

Référence : 2004 CF 635

Toronto (Ontario), le 29 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

                                                            QEFSERE BROVINA

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Avant de venir au Canada, Mme Brovina, une citoyenne albanaise de 71 ans, vivait avec son fils et l'épouse de ce dernier en Albanie. Elle dit avoir une crainte fondée de persécution en raison de son appartenance à un groupe social, à savoir celui des membres de la famille de son fils, Fisnik Brovina, qui a lui aussi présenté une demande d'asile fondée sur ses opinions politiques. Le récit que contient le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de Mme Brovina dit que la demanderesse s'est fondée sur le récit de son fils. Le récit de son fils reprend à son tour les incidents relatés dans le récit de son épouse. Les demandes du fils de Mme Brovina et de son épouse étaient jointes à la demande de la demanderesse.

[2]                Les demandes d'asile du couple ont été accueillies au motif de la persécution en raison de leurs opinions politiques. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SPR) a conclu que Mme Brovina n'était pas personnellement en danger en Albanie et, puisque son fils et son épouse allaient demeurer au Canada, qu'elle ne devrait pas avoir de problèmes en rentrant dans son pays. La Commission a conclu que Mme Brovina n'était pas active en politique et que, même si elle avait reçu des appels téléphoniques menaçants à l'intention de son fils et avait été présente lorsque l'appartement de son fils a été saccagé, elle n'avait pas été personnellement visée. Puisque son fils et son épouse ont réussi dans leurs demandes d'asile Canada, Mme Brovina pourrait rentrer en Albanie en toute sécurité sans crainte de représailles.

[3]                Mme Brovina prétend que la Commission a commis des erreurs et que l'affaire devrait être renvoyée à la SPR afin que celle-ci statue à nouveau sur l'affaire. Même s'ils sont intéressants d'un point de vue théorique, ses arguments ne sont pas soutenus par les faits de la présente affaire.


[4]                La première erreur alléguée est que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de l'exception des « raisons impérieuses » prévue à l'article 108 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Cet argument repose essentiellement sur le fait que, dans la même décision, la SPR a conclu que, parce que le fils et la bru de Mme Brovina ont obtenu l'asile, ils n'allaient pas retourner en Albanie, et que les raisons pour lesquelles Mme Brovina avait été persécutée en Albanie seraient donc éliminées. Puisque les motifs pour lesquels Mme Brovina avait quitté l'Albanie avaient cessé d'exister - en raison de la décision de la Commission elle-même - la Commission aurait dû se prononcer sur l'existence ou non de raisons impérieuses pour lesquelles elle ne devait pas être renvoyée en Albanie.

[5]                Le problème que pose cet argument est que la SPR n'a pas conclu que Mme Brovina a été victime de persécution dans le passé. Pour que la Commission entreprenne une analyse des raisons impérieuses, elle doit d'abord conclure qu'il existait une demande valide du statut de réfugié (ou de personne à protéger) et que les motifs de la demande ont cessé d'exister (en raison d'un changement de la situation dans le pays). C'est alors seulement que la Commission doit évaluer si la nature des expériences du demandeur dans l'ancien pays était à ce point épouvantable que l'on ne devrait pas s'attendre à ce qu'il ou elle rentre dans son pays et se réclame de la protection de l'État.


[6]                Dans la présente affaire, on n'a pas conclu qu'il y avait eu persécution dans le passé et il est implicite dans la décision que, malgré qu'elle ait cru le récit de Mme Brovina, la SPR n'a pas accepté sa prétention qu'elle avait été victime de persécution dans le passé. Au contraire, la SPR a mentionné que très peu d'Albanais sont reconnus comme réfugiés à cause de leurs activités politiques. Les rôles de leader et les postes importants occupés par le fils et la bru de Mme Brovina au sein du Parti de l'union démocratique constituaient les motifs de l'acceptation de leurs demandes. D'autre part, Mme Brovina n'a jamais été active sur le plan politique. Malheureusement, lorsque l'appartement de son fils a été saccagé, elle s'y trouvait et il est tout aussi malheureux que ce soit elle qui ait répondu au téléphone. Toutefois, aucun élément de preuve n'indique que les auteurs de l'effraction s'intéressaient à elle. En l'absence d'une conclusion de persécution dans le passé, le paragraphe 108(4) ne s'applique pas.

[7]                Le deuxième argument dit que la SPR a omis de tirer une conclusion sur la persécution dans le passé. Mme Brovina prétend que la Commission a jugé crédibles les éléments de preuve qu'elle a présentés ainsi que sa crainte subjective. Même si la Commission n'a pas dit de manière explicite que Mme Brovina avait été victime de persécution dans le passé, celle-ci prétend qu'elle l'a clairement été en raison des appels téléphoniques et de l'effraction dont elle a été témoin. En se fondant sur ces mêmes événements, la Commission a conclu que les deux jeunes demandeurs étaient des réfugiés.


[8]                Cet argument renvoie au premier. Même si la SPR n'a pas expressément dit que la demanderesse n'avait pas été victime de persécution dans le passé, comme je l'ai mentionné précédemment, cette conclusion est implicite dans les motifs. De plus, contrairement à l'allégation de la demanderesse, la Commission n'a pas conclu que le fils et la bru de Mme Brovina étaient des réfugiés au sens de la Convention en se fondant sur les mêmes événements que ceux qu'a vécus Mme Brovina. Tous deux ont fait l'objet de menaces considérables et ont été victimes d'événements violents; pour la bru, il s'agissait d'agressions sexuelles et pour le fils, il a été battu et menacé de mort. Ce n'était pas le cas de Mme Brovina.

[9]                Il n'était pas nécessaire de tirer une conclusion de persécution dans le passé parce que la SPR a fait (correctement) une analyse prospective et a conclu que Mme Brovina n'allait pas être victime de persécution à l'avenir. Il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer la conclusion qu'elle a tirée, c'est-à-dire que si Mme Brovina ne vivait pas avec son fils, elle ne serait pas plus en danger que ne l'était son deuxième fils qui est demeuré en Albanie en toute sécurité.


[10]            Ensuite, Mme Brovina plaide que la SPR a commis une erreur en ce qui concerne le fardeau de la preuve parce qu'elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, il n'existait pas une possibilité sérieuse que Mme Brovina soit la cible de persécution. La demanderesse prétend que pour ce qui est d'établir les faits, le fardeau est celui de la prépondérance des probabilités mais que pour ce qui est d'établir le bien-fondé d'une demande, le fardeau est celui des motifs sérieux (c'est-à-dire plus qu'une simple possibilité). On allègue que la Commission a également commis une erreur relativement à l'article 97 en renvoyant à la possibilité de risque. On pourrait dire que le fardeau de preuve de l'article 96 est plus lourd que celui de l'article 97. Le critère applicable à l'article 96 est la possibilité raisonnable, mais un simple risque constitue un critère encore moins exigeant. De plus, on pourrait dire que les alinéas 97(1)a) et 97(1)b) ont des critères différents puisque l'alinéa 97(1)a) renvoie au risque de torture pour des motifs sérieux, alors que l'alinéa 97(1)b) renvoie seulement au risque.

[11]            Cet argument est théorique. Peu importe la norme de preuve applicable, elle n'aurait eu aucune incidence sur les conclusions dans la présente affaire. La SPR a fondé ses conclusions sur la prépondérance des probabilités qu'il n'existait pas de possibilité sérieuse de persécution : « Dans la preuve qui m'a été soumise, rien n'indique que selon la prépondérance des probabilités, la mère du demandeur principal serait exposée si elle rentrait en Albanie à une possibilité sérieuse dtre la cible d'actes de persécution. » Même si la phrase est formulée plutôt maladroitement, il ne s'agit pas d'une formulation incorrecte du critère pertinent. La Commission a également conclu que « rien ne permet de croire qu'elle serait ciblée de quelque façon que ce soit » et « qu'il n'existe pas de raison de croire que [...] elle serait plus exposée que son fils se trouvant en Albanie à un risque de persécution, à un risque pour sa vie ou à un risque de subir des châtiments cruels et inusités » . Donc, la question du seuil du fardeau de la preuve ne se pose pas puisque la Commission a conclu qu'il n'y avait aucun élément de preuve permettant de conclure à l'existence de quelque risque que ce soit.


[12]            Enfin, Mme Brovina prétend qu'il incombait à la SPR de faire une analyse distincte en vertu de l'article 97. La demanderesse, en revoyant à la jurisprudence récente de la Cour, allègue qu'à moins que sa décision ne repose sur la crédibilité - ce qui n'est pas le cas - la SPR doit faire une analyse distincte selon l'article 97. On dit que l'exception concernant la crédibilité ressort des différentes causes étudiées.

[13]            Dans Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1211, le juge Blanchard a examiné la question dans le contexte d'une affaire dans laquelle l'identité n'était pas contestée, mais où la situation dans le pays pouvait donner lieu à une crainte objective (tout de même fondée sur la situation personnelle) de risque selon l'article 97, même si on a conclu que la prétention de crainte subjective n'était pas crédible. Le juge Blanchard a noté la distinction entre les demandes fondées sur l'article 96 et celles fondées sur l'article 97 et il a dit que, même si le fondement probatoire pouvait être le même, les demandes devaient être traitées de façon distincte. Mais surtout, pour les besoins de l'affaire qui nous occupe, il a dit : « La question de savoir si la Commission a valablement examiné les deux revendications doit être tranchée, en tenant compte des éléments différents qui sont requis pour démontrer le bien-fondé de chacune, en fonction des faits d'espèce. » Même si la Commission avait commis une erreur en ne faisant pas une analyse particulière de la demande selon l'article 97, son erreur avait peu d'incidence sur le dénouement de l'affaire.

[14]            Dans Kilic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 84, le juge Mosley a dit ceci au paragraphe 27 :


À mon avis, la Commission dans la présente affaire n'a pas examiné la documentation sur le pays et les autres éléments de preuve touchant les conditions dans les prisons en Turquie et elle a omis d'examiner la question de savoir si le demandeur pouvait avoir la qualité de « personne à protéger » s'il était renvoyédans ce pays compte tenu de la possibilitéqu'il soit exposé à une [TRADUCTION] « sentence sévère d'emprisonnement » pour s'être soustrait au service militaire en Turquie. Malgré les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la Commission, une analyse distincte, dans le sens de celle effectuée dans la décision Bouaouni, précitée, compte tenu du libellé de l'article 97, aurait pu amener à conclure que M. Kilic avait la qualité de personne à protéger. Ainsi, la conséquence de l'erreur commise par la Commission est inconnue et, par conséquent, la présente demande devrait être renvoyée à la Commission afin que, pour ce motif, cette dernière statue à nouveau sur l'affaire.

Il est évident que dans la décision Kilic, précitée, on a omis, dans l'analyse faite selon l'article 96, d'examiner certains éléments de preuve qui auraient dû l'être en vertu de l'article 97.

[15]            Dans la décision Yorulmaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 128, le juge von Finckenstein a conclu que la décision défavorable de la Commission sur la crédibilité était étayée par les faits et que l'omission de faire une analyse selon l'article 97 n'avait pas d'incidence sur l'issue de la cause, faute de preuve.

[16]            Le juge Gibson, dans Kulendrarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 79, a décidé que la Commission n'avait pas commis d'erreur en tirant une conclusion défavorable sur la crédibilité. Puisque la demande était fondée uniquement sur des motifs de la Convention (l'origine ethnique et l'appartenance à un groupe social particulier), les analyses de la Commission sur la crédibilité et le risque ont suffi pour justifier le refus d'accorder le statut de réfugié. Le juge Gibson a de plus conclu que le demandeur n'était pas une personne à protéger parce que, à part un motif visé par la Convention, aucun autre motif à l'appui du besoin de protection n'avait été mis de l'avant. Bien qu'on ait pu espérer une explication plus détaillée de la décision de la Commission relativement à l'article 97, ce manquement ne constituait pas une erreur susceptible de contrôle.


[17]            À mon avis, cette jurisprudence n'exige pas qu'une analyse selon l'article 97 soit faite dans tous les cas. Plutôt, une analyse sera exigée dans certains cas. C'est une question qui doit être examinée au cas par cas. Si des éléments de preuve à l'appui d'une analyse des risques visés à l'article 97 sont soumis à la Commission, alors l'analyse doit être faite.

[18]            Donc, même si une analyse distincte selon l'article 97 est souhaitable, l'omission de faire une telle analyse ne sera pas fatale dans des circonstances où aucun élément de preuve ne l'exigerait. Dans l'affaire qui nous occupe, il n'existait pas d'autres motifs à l'appui d'une conclusion que la demanderesse avait qualité de personne à protéger et, pour Mme Brovina, l'analyse du risque a été faite dans le contexte de la protection des réfugiés. De plus, la Commission a effectivement fait une brève analyse du risque visé à l'article 97 lorsqu'elle a tiré la conclusion qu' « il n'existe aucune raison de croire » que Mme Brovina fera face à quelque risque que ce soit si elle rentre en Albanie. La Commission ne disposait d'aucun élément de preuve objectif qui lui aurait permis de tirer une autre conclusion.       

[19]            L'avocat de Mme Brovina a fait valoir que dans l'éventualité où ma décision dans la présente affaire reposerait sur les critères de normes de preuve des alinéas 97(1)a) et 97(1)b), la question de la norme applicable devait être soulevée pour certification. Ce n'est pas le cas. Le défendeur s'est objecté à la certification en raison de l'absence de fondement factuel. Je suis d'accord.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                             « Carolyn Layden-Stevenson »          

                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                            IMM-2427-03

INTITULÉ :                           QEFSERE BROVINA

c.                       

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE : LE 22 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :          LA JUGE LAYDEN-STEVENSON     

DATE DES MOTIFS :         LE 29 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :            

Micheal Crane                         POUR LA DEMANDERESSE

Ann Margaret Oberst               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Micheal Crane                         POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                   


                               COUR FÉDÉRALE

                                               

Date : 20040429

Dossier : IMM-2427-03

ENTRE :

QEFSERE BROVINA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                               

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                               


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