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Date : 20001109


Dossier : T-2521-97



         DANS L'AFFAIRE INTÉRESSANT les articles 7, 9, 19, 20, 22, 25, 50, 52, 53, 53.1 et 53.2 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13

        

         ET les articles 3, 5, 6, 13, 25, 27 et 34 à 39 de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, modifiée

        

ENTRE :

     HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO MERCHANTS LTD.

     et EMPRESA CUBANA DEL TABACO exerçant son activité

     sous le nom commercial CUBATABACO et HABANOS S.A.,

    

demanderesses,

     - et -

     MADAME ET MONSIEUR UNTEL et

D'AUTRES PERSONNES DONT LES NOMS SONT INCONNUS,

QUI METTENT EN VENTE, VENDENT, IMPORTENT, FABRIQUENT, DISTRIBUENT, ANNONCENT DES MARCHANDISES DE HAVANA HOUSE NON AUTORISÉES OU CONTREFAITES

OU EN FONT D'UNE AUTRE MANIÈRE LE COMMERCE,

ET LES PERSONNES DONT LE NOM FIGURE

À L'ANNEXE_ « A » DE LA DÉCLARATION et 1116270 ONTARIO INC., exerçant son activité sous le nom commercial KOZY KORNER'S, ANTHONY NIGRO et 714660 ONTARIO INC., exerçant son activité sous le nom commercial COPA-HABANA SMOKE & CIGAR SHOP,

     défendeurs,

ET ENTRE :


1116270 ONTARIO INC., exerçant son activité

sous le nom commercial KOZY KORNER'S, ANTHONY NIGRO

et 714660 ONTARIO INC., exerçant son activité sous le nom commercial

COPA-HABANA SMOKE & CIGAR SHOP,

     demandeurs reconventionnels,

     - et -

     HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO MERCHANTS LTD.,

     EMPRESA CUBANA DEL TABACO exerçant son activité

     sous le nom commercial CUBATABACO et HABANOS S.A.

     défenderesses reconventionnelles.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON


LA REQUÊTE DONT LA COUR EST SAISIE


[1]      Par la voie d'une requête déposée le 1er mars 1999, les défendeurs 1116270 Ontario Inc., exerçant son activité sous le nom commercial Kozy Korner's, et Anthony Nigro (les défendeurs Kozy Korner's), et 714660 Ontario Inc., exerçant son activité sous le nom commercial Copa-Habana Smoke & Cigar Shop, (la défenderesse Copa-Habana) cherchent à obtenir les mesures de redressement suivantes :

         [TRADUCTION]

1.      Une ordonnance adjugeant les dépens de l'action aux défendeurs et demandeurs reconventionnels sans délai, sur la base avocat-client, fixés par accord entre les parties ou par taxation, ou sur la base partie-partie, fixés par accord entre les parties ou par taxation selon la colonne V du tableau du tarif B [des Règles de la Cour fédérale (1998)].
2.      Une ordonnance rejetant la défense reconventionnelle déposée par les demanderesses et défenderesses reconventionnelles.
3.      Une ordonnance autorisant les demanderesses et défenderesses reconventionnelles à déposer une défense reconventionnelle dans un délai de dix (10) jours à compter de la date de l'ordonnance, sous réserve que celles-ci s'engagent, avant de prendre toute mesure, à payer sans délai les dépens et à ne pas engager d'autres procédures fondées sur la même cause d'action sans égard à la date de la contrefaçon alléguée, et, à défaut du dépôt par elles de la défense reconventionnelle dans ces conditions, prononçant un jugement accueillant la demande reconventionnelle des défendeurs et demandeurs reconventionnels.
4.      Une ordonnance prévoyant que la Cour statue en droit si elle a compétence dans la présente affaire pour accorder aux défendeurs et demandeurs reconventionnels le redressement sollicité dans la demande reconventionnelle, notamment :
         i)      une déclaration que la vente au Canada, par les défendeurs et demandeurs reconventionnels, de cigares cubains portant les marques de commerce des fabricants ne porte pas atteinte aux droits de marque ni au droit d'auteur revendiqués par les demanderesses et défenderesses reconventionnelles dans la déclaration, selon les prétentions du paragraphe 42(a) de la défense;
         ii)      une déclaration que les enregistrements des marques de commerce spécifiés dans la déclaration sont invalides aux termes des dispositions de l'article 18 de la Loi sur les marques de commerce, comme le prétend le paragraphe 42(b) de la défense;
         iii)      les dommages-intérêts et les frais visés à l'article 36 de la Loi sur la concurrence, résultant du complot entre les demanderesses et défenderesses reconventionnelles visant à réduire indûment la concurrence, en contravention de l'article 45 de la Loi sur la concurrence, conformément au paragraphe 42(f) de la défense;
         iv)      les dommages-intérêts pour atteinte au droit de propriété, appropriation et atteinte à la réputation subies par les défenderesses et demanderesses reconventionnelles par suite de l'exécution incorrecte de l'ordonnance Anton Piller prononcée par le juge Jerome en date du 24 novembre 1997 à l'encontre des défendeurs et demandeurs reconventionnels Kozy Korner's et Anthony Nigro, conformément aux paragraphes 42(c), 42(d) et 42(e) de la défense.
5.      Une ordonnance fixant un délai pour le dépôt et la signification des dossiers de requête par les parties et une ordonnance fixant la date et le lieu pour débattre les points de droit.
6.      Une ordonnance prorogeant le délai pour la signification et le dépôt de la réponse à la défense reconventionnelle par les défendeurs et demandeurs reconventionnels.
7.      Les dépens de la requête sur la base avocat-client.
8.      Toute autre mesure de redressement que la Cour peut estimer juste.

[2]      À l'instruction de la requête à Toronto le 19 octobre 2000, les observations n'ont porté que sur la première mesure de redressement, portant sur l'attribution des dépens aux demanderesses. Les mesures de redressement 2 et 4 n'ont pas été plaidées. La défense des demanderesses à la demande reconventionnelle visée par la troisième mesure de redressement avait été déposée antérieurement et il a été fait allusion aux conditions du dépôt, mais sans les contester sérieusement. Le calendrier de dépôt et de signification des dossiers de requête, objet de la mesure de redressement 5, avait été réglé auparavant au cours d'une conférence téléphonique entre les avocats et la Cour. La mesure de redressement recherchée au paragraphe 6, en l'occurrence une ordonnance prorogeant le délai pour la signification et le dépôt de la réponse à la défense reconventionnelle, est intimement liée à une ordonnance sur consentement qui, selon ce que la Cour a été amenée à comprendre, sera présentée sous peu par l'avocat pour le dépôt d'une demande reconventionnelle modifiée, d'une défense reconventionnelle modifiée et d'une réponse à toute défense reconventionnelle modifiée. Dans le cas où aucune défense reconventionnelle modifiée ne serait déposée conformément à une ordonnance sur consentement, la Cour a indiqué à l'ouverture de l'audience, qu'elle prorogerait par une ordonnance distincte le délai pour le dépôt d'une réponse à la défense reconventionnelle. La question des dépens de la requête a été traitée relativement sommairement à l'audience.

[3]      Il s'ensuit que l'argumentation relative à la présente requête a été centrée exclusivement sur la question des dépens afférents à l'action ayant fait l'objet d'un désistement contre les défendeurs Kozy Korner's et la défenderesse Copa-Habana.

LES PARTIES

[4]      Chacune des demanderesses est un fabricant ou un distributeur de cigares cubains authentiques. Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. est une société par actions constituée selon les lois de la province de l'Ontario. Empresa Cubana del Tabaco, exerçant son activité sous le nom commercial Cubatabaco (le fabricant), et Habanos S.A. (l'exportateur), sont des sociétés d'État constituées selon les lois de Cuba. À toutes les époques pertinentes, les demanderesses faisaient notamment la mise en vente, la vente, l'importation, la fabrication, la distribution, l'annonce, l'impression, l'entreposage, l'expédition ou toute autre forme de commerce des produits du tabac.

[5]      À toutes les époques pertinentes également, Cubatabaco était propriétaire, entre autres objets de propriété intellectuelle, de la marque de commerce déposée COHIBA, Havana House était titulaire d'une licence exclusive au Canada de COHIBA et d'autres objets de propriété intellectuelle.

[6]      La défenderesse et demanderesse reconventionnelle 1116270 Ontario Inc., exerçant son activité sous le nom commercial Kozy-Korner's, est une société par actions constituée selon les lois de la province de l'Ontario. Elle exploite un commerce au détail d'alimentation du type dépanneur. À toutes les époques pertinentes, la vente au détail de cigares par Kozy-Korner's a représenté une faible partie de son chiffre d'affaires, les cigares étant stockés en consignation.

[7]      Le défendeur et demandeur reconventionnel Anthony Nigro a été à toutes les époques pertinentes le propriétaire de Kozy Korner's.

[8]      La défenderesse et demanderesse reconventionnelle 714660 Ontario Inc., exerçant son activité sous le nom commercial Copa-Habana Smoke & Cigar Shop, est une société par actions constituée selon les lois de la province de l'Ontario, qui pratique la distribution au détail et en gros de cigares et de produits du cigare. Son propriétaire est le frère d'Anthony Nigro. À toutes les époques pertinentes, la société a été le consignataire de cigares pour les défendeurs Kozy Korner's.

LE CONTEXTE

[9]      Le 24 novembre 1997, les demanderesses ont déposé une déclaration auprès de la Cour revendiquant la propriété d'une gamme de marques de commerce. Elles alléguaient que les défendeurs, à l'époque exclusivement Madame et Monsieur Untel et d'autres personnes dont les noms sont inconnus, qui mettent en vente, vendent, importent, fabriquent, distribuent, annoncent des marchandises de Havana House non autorisées ou contrefaites, ou en font d'une autre manière le commerce, pratiquaient cette activité en rapport avec des marchandises de qualité inférieure, donnaient des indications fausses ou trompeuses sur ces marchandises de qualité inférieure, trompaient le public et donnaient des indications fausses aux utilisateurs finaux visant à nuire au commerce ou à l'achalandage des demanderesses et à induire le public en erreur, entraînant ainsi une dépréciation importante de l'achalandage attaché aux marques de commerce des demanderesses et causant de ce fait un dommage irréparable important aux demanderesses et à la réputation ayant une grande valeur des marques de commerce des demanderesses. Sur le fondement de la déclaration déposée, sur requête ex parte, la Cour a prononcé une ordonnance Anton Piller accordant aux demanderesses de larges pouvoirs de perquisition et de saisie des marchandises non autorisées ou contrefaites et des matières connexes. Dans l'ordonnance Anton Piller, les demanderesses prennent l'engagement suivant au sujet des dommages-intérêts :


         [Traduction]
         26.      La présente ordonnance est prononcée sur le fondement de l'engagement des demanderesses à se conformer sans délai à toute ordonnance de la Cour concernant les dommages-intérêts découlant de toute exécution non autorisée de la présente ordonnance ou à la suite de son annulation.

    

[10]      Dans la période avoisinant la date du dépôt de la déclaration des demanderesses, la Gendarmerie royale du Canada menait une enquête au sujet d'allégations que des cigares de contrefaçon et non acquittés étaient offerts en vente dans la région d'Hamilton/Niagara Falls, où les défendeurs Kozy Korner's exerçaient leur activité.

[11]      Le 26 novembre 1997, la Gendarmerie royale du Canada a effectué des perquisitions dans plusieurs commerces, dont Kozy Korner's, et saisi seize cigares considérés comme de contrefaçon et/ou non acquittés. Des représentants des demanderesses étaient présents avec la Gendarmerie royale du Canada chez Kozy Korner's et ont signifié la déclaration ainsi que l'ordonnance Anton Piller aux défendeurs Kozy Korner's.

[12]      Aucun cigare ni aucune autre marchandise ou matière n'ont été saisis chez les défendeurs Kozy Korner's en vertu de l'ordonnance Anton Piller.

[13]      Le 8 décembre 1997, la Cour a examiné la signification de l'ordonnance Anton Piller aux défendeurs Kozy Korner's et une nouvelle ordonnance (l'ordonnance révisée) a été prononcée, qui ajoutait les défendeurs Kozy Korner's comme défendeurs nommés dans l'action des demanderesses et prolongeait l'injonction contenue dans l'ordonnance Anton Piller sur une base interlocutoire. Les défendeurs Kozy Korner's ont été informés de la date et de l'heure de l'examen et étaient alors représentés par un avocat. Cependant, ils n'ont comparu ni personnellement ni par l'entremise de leur avocat à l'audience d'examen de l'ordonnance. L'avocate des demanderesses a indiqué aux défendeurs Kozy Korner's ou à leur avocat que les demanderesses coopéreraient à une requête des défendeurs Kozy Korner's visant l'annulation de l'ordonnance révisée. Toutefois, les défendeurs Kozy Korner's et leur avocat ont choisi de ne pas présenter cette requête.

[14]      La Gendarmerie royale du Canada a porté des accusations contre les défendeurs Kozy Korner's concernant les cigares saisis dans leur établissement. On n'a pas donné suite à ces accusations et elles ont fini par être abandonnées.

[15]      Le 2 février 1998, les défendeurs Kozy Korner's ont demandé à la Cour par voie de requête d'ajouter Copa-Habana comme partie défenderesse à l'action. Les demanderesses se sont opposées à la requête. Les défendeurs Kozy Korner's ont eu gain de cause et Copa-Habana a été ajoutée comme partie défenderesse. Il a été statué que les dépens suivraient l'issue de la cause.

[16]      Le 20 février 1998, les défendeurs Kozy Korner's ont présenté une nouvelle requête demandant d'ordonner l'interrogatoire de l'avocate des demanderesses sur un affidavit déposé par elle dans la présente instance le 13 février 1998. La requête a également été accueillie et l'interrogatoire a eu lieu. Les dépens ont été adjugés aux défendeurs Kozy Korner's et à la défenderesse Copa-Habana.

[17]      La défense et demande reconventionnelle des défendeurs a été déposée le 15 avril 1998.

                                            

[18]      Le 8 février 1999, une ordonnance sur consentement a été prononcée autorisant les demanderesses à déposer tardivement leur réponse et défense reconventionnelle. Malgré l'ordonnance, seule une défense reconventionnelle a été déposée. Au moment du dépôt de la défense reconventionnelle, un avis de désistement de l'action intentée contre Kozy Korner's et Copa-Habana a été déposé.

[19]      Ainsi qu'il a déjà été indiqué, la dépôt de la requête dont est saisie la Cour a suivi, le 1er mars 1999. À compter de ce moment jusqu'à la présente, il ne s'est effectué que des actes de procédure auprès de la Cour concernant les demanderesses ainsi que les défenderesses et demanderesses reconventionnelles Kozy Korner's et Copa-Habana.

ANALYSE

[20]      L'article 402 des Règles de la Cour fédérale (1998)1 dispose :

402. Unless otherwise ordered by the Court or agreed by the parties, a party against whom an action, application or appeal has been discontinued or against whom a motion has been abandoned is entitled to costs forthwith, which may be assessed and the payment of which may be enforced as if judgment for the amount of the costs had been given in favour of that party.

402. Sauf ordonnance contraire de la Cour ou entente entre les parties, lorsqu'une action, une demande ou un appel fait l'objet d'un désistement ou qu'une requête est abandonnée, la partie contre laquelle l'action, la demande ou l'appel a été engagé ou la requête présentée a droit aux dépens sans délai. Les dépens peuvent être taxés et le paiement peut en être poursuivi par exécution forcée comme s'ils avaient été adjugés par jugement rendu en faveur de la partie.


[21]      La règle générale est donc qu'à défaut d'entente entre les parties ou d'ordonnance de la Cour, la défenderesse à l'action qui fait l'objet d'un désistement a droit aux dépens sans délai. Dans l'affaire McCain Foods Limited c. C.M. McLean Limited2, la Cour d'appel fédérale a conclu que le désistement, dans le cas d'actions qui ont peu de chance d'avoir gain de cause, doit être encouragé plutôt que découragé. Par conséquent, elle a annulé l'attribution de dépens qui étaient considérés comme pénalisant indûment une partie pour un retard à se désister de son action.

[22]      À l'audience sur la présente requête, les défenderesses et demanderesses reconventionnelles Kozy Korner's and Copa-Habana ont fait valoir qu'elles ne cherchaient pas à pénaliser les demanderesses pour leur désistement dans la poursuite engagée contre elles mais plutôt à définir des dépens supérieurs au tarif normal comme dommages-intérêts payables au titre de l'engagement des demanderesses en matière de dommages-intérêts souscrit dans l'ordonnance Anton Piller rendue en leur faveur, mentionnée plus haut. Cet engagement reposait sur un engagement contracté dans un affidavit des demanderesses déposé dans la présente instance et souscrit le 21 novembre 19973. À l'appui de cette position, l'avocat a renvoyé à l'affaire Church of Jesus Christ of Latter Day Saints v. King3 dans laquelle les demandeurs, dans une action intentée le 23 octobre 1990, avaient demandé l'autorisation de se désister de leur action contre certains défendeurs sans avoir à payer les dépens. La requête n'a été entendue qu'en décembre 1995, époque où une ordonnance interlocutoire interdisant certains actes aux défendeurs était en vigueur depuis plus de cinq ans. Les défendeurs demandaient les dépens sur la base avocat-client. Le juge des requêtes a annulé l'ordonnance rendue à l'encontre des défendeurs, rejeté l'action contre eux et attribué les dépens partie-partie.

[23]      La question dont était saisie la Cour d'appel était de savoir si le juge des requêtes avait commis une erreur en n'adjugeant pas les dépens aux défendeurs/appelants sur la base avocat-client, compte tenu de l'engagement à l'égard des dommages-intérêts pris par les demandeurs au moment où ils avaient demandé un redressement par voie d'ordonnance interlocutoire de ne pas faire.

[24]      Le juge Finlayson, s'exprimant au nom de la Cour, a écrit à la page 395 :

[TRADUCTION] Les conclusions auxquelles arrive le juge des requêtes ne sont pas compatibles avec le rôle critique que doivent jouer les engagements lors d'une demande de mesure de redressement interlocutoire. Ces engagements sont issus des règles de l'équité. C'est un principe élémentaire de droit, qu'il convient de répéter ici, que l'engagement du demandeur à l'égard des dommages-intérêts reflète la reconnaissance par la Cour du risque qu'un défendeur subisse un préjudice indu résultant d'une injonction accordée sur audition sommaire. Les tribunaux exerçant leur compétence en equity ont depuis longtemps exigé des engagements avant d'exercer leur pouvoirs à cet égard; la règle 40.03 est la codification de ce principe d'equity.
[25]      La règle 40.03 des Règles de procédure civile de l'Ontario4 dispose :

40.03 On a motion for an interlocutory injunction or mandatory order, the moving party shall, unless the Court orders otherwise, undertake to abide by any order concerning damages that the Court may make if it ultimately appears that the granting of the order has caused damage to the responding party for which the moving party ought to compensate the responding party.

40.03 La partie qui présente une motion visant à obtenir une injonction ou une ordonnance de faire interlocutoire s'engage, sauf ordonnance contraire du tribunal, à se conformer à l'ordonnance de dommages-intérêts que le tribunal peut rendre s'il paraît finalement que l'ordonnance a causé à la partie intimée un préjudice pour lequel l'auteur de la motion devrait la dédommager.



[26]      Je suis persuadé que cette règle envisage l'engagement à l'égard des dommages-intérêts de manière beaucoup plus large que celui que les demanderesses se sont ici engagées à fournir et auquel elles ont effectivement souscrit dans l'ordonnance Anton Piller prononcée en leur faveur, bien que la règle visée porte seulement sur les dommages-intérêts reliés à une ordonnance interlocutoire et non à une ordonnance Anton Piller, comme c'est ici le cas.

[27]      Le juge Finlayson poursuit à la page 395 :

[TRADUCTION] L'importance de l'engagement est encore plus cruciale lorsque la mesure de redressement interlocutoire recherchée et accordée porte sur des injonctions Mareva et des ordonnances Anton Piller, ce qui était ici le cas. En outre, la facilité accrue avec laquelle les demandeurs peuvent obtenir des mesures de redressement interlocutoires exige nécessairement en contrepartie des engagements obligatoires. ...

[28]      À la page 398, il poursuit :

[TRADUCTION] Je suis d'avis que la règle 40.03 étant seulement la codification d'une pratique d'equity, elle doit être mise en oeuvre dans les limites que dictent les principes d'equity. Par conséquent, dans les affaires appropriées, les dépens peuvent certainement être adjugés au titre du dommage. C'est ici le cas. Les appelants ont supporté pendant plus de cinq ans un préjudice à leur réputation professionnelle causé par les allégations graves qui ont été faites. De plus, ils ont supporté les frais de la défense contre la poursuite et les frais reliés aux requêtes afférentes. Le simple fait de ne pas avoir d'intérêt en jeu dans les questions de fond qui faisaient l'objet de l'action ne justifie pas de conclure que l'injonction interlocutoire ne leur a causé aucun préjudice. La seule question qui reste à trancher est donc l'ordre de grandeur des dépens qui devraient être adjugés.
La Cour n'a pas tranché jusqu'ici la question. Cependant, il s'est trouvé des cas où un juge des requêtes, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire pour adjuger les dépens d'une action abandonnée ou ayant fait l'objet d'un désistement, a tranché en faveur d'un rehaussement du tarif normal aux dépens sur la base avocat-client en fonction de la nature des allégations faites dans l'affaire. Si cela avait été fait dans l'affaire en appel, la question des dépens serait théorique. La jurisprudence sur la question est partagée, mais elle éclaire les facteurs que les juges des requêtes prennent en considération dans une telle décision. La plupart concluent que ce rehaussement est indiqué lorsque les allégations de fraude ou d'autres méfaits graves sont sans fondement ou ne sont pas prouvées au procès; lorsque l'effet des allégations ou de la mesure de redressement interlocutoire accordée est de nature à porter une atteinte grave à la réputation professionnelle du défendeur; et lorsque le demandeur ne retire pas rapidement ses allégations non fondées.

Le juge a conclu à la page 401 :

Qu'on me comprenne bien, je ne laisse pas entendre que les dépens sur la base avocat-client doivent toujours être adjugés par suite de l'engagement en matière de dommages-intérêts du demandeur qui cherche à obtenir une mesure de redressement interlocutoire. Mais cela ne veut pas dire qu'ils ne sont pas justifiés en l'espèce. J'estime que le juge des requêtes a commis une erreur en ne se demandant pas si l'ensemble des honoraires d'avocat était couvert par l'engagement en matière de dommages-intérêts. Cet engagement avait été fourni à la Cour en vue d'obtenir l'injonction.
Tout bien considéré, je suis d'avis que l'affaire justifiait largement l'attribution des dépens sur la base avocat-client. Comme les intimés ont soutenu jusqu'à la fin, y compris dans le présent appel, que leurs allégations étaient vraies, l'attribution des dépens est la seule réhabilitation publique de la réputation des appelants.

[29]      En appliquant ces principes aux faits de l'espèce, je conclus que l'adjudication des dépens sur la base avocat-client, à titre de dommages-intérêts, n'est pas justifiée.

[30]      Tout d'abord, s'agissant de la défenderesse Copa-Habana, l'ordonnance Anton Piller ne lui a pas été signifiée et aucune injonction n'a donc été obtenue contre elle. Par conséquent, l'engagement en matière de dommages-intérêts ne s'applique pas à l'égard de la défenderesse Copa-Habana. Ce point n'était d'ailleurs pas en litige devant la Cour.

[31]      Par contre, il n'était pas non plus contesté que l'engagement en matière de dommages-intérêts pris dans l'ordonnance Anton Piller s'appliquait aux défendeurs Kozy Korner's visés par l'ordonnance Anton Piller signifiée et révisée, de sorte qu'ils faisaient l'objet d'une injonction interlocutoire. Les allégations faites dans la déclaration à ce sujet et celles contre les défendeurs tels que Kozy Korner's ne parlent pas de fraude mais sont néanmoins graves. Étant donné que l'action a fait l'objet d'un désistement, leur véracité n'a jamais été établie au procès. D'autre part, sur la base des éléments de preuve qui m'ont été présentés, je ne puis conclure qu'elles étaient sans fondement ni que leur effet ou la mesure de redressement interlocutoire ont causé un préjudice important aux défendeurs Kozy Korner's. Kozy Korner's était un dépanneur. Les cigares, et en particulier les cigares de luxe, semblent avoir été simplement un à-côté, une activité réalisée seulement sur la base de la consignation. La preuve semble indiquer que les allégations de la déclaration ont difficilement pu être cruciales pour la réputation du dépanneur ou, d'ailleurs, de son propriétaire. Pour ces raisons, je n'accorde pas beaucoup de poids au fait que, selon la preuve, les demanderesses n'ont jamais retiré leurs allégations contre les défendeurs Kozy Korner's, rapidement ou d'une autre manière.

[32]      En me fondant sur la terminologie relativement étroite de l'engagement pris en matière de dommages-intérêts dans l'ordonnance Anton Piller, engagement qui rejoint, j'en suis persuadé, l'offre d'engagement présentée dans l'affidavit déposé au nom des demanderesses mentionné plus haut, et qui est incontestablement relié au préjudice résultant d'une exécution non autorisée ou de l'annulation de l'ordonnance Anton Piller, et jugeant que tout préjudice que pourraient ici subir les défendeurs Kozy Korner's ne résulterait pas d'une exécution non autorisée de l'ordonnance ni d'une annulation de l'ordonnance puisqu'il n'y a pas eu annulation, et m'inspirant aussi des considérations énoncées ci-dessus dans l'affaire King, je conclus qu'il ne s'agit pas d'un cas où les dépens doivent être adjugés sur la base avocat-client à titre de dommages-intérêts visés par l'engagement en matière de dommages-intérêts.

[33]      En étant arrivé à cette conclusion, j'en viens à la question de savoir si je dois dans la présente ordonnance modifier la règle normale prévue à l'article 402 des Règles de la Cour fédérale (1998), soit que les dépens sont accordés, dans le cas où une action fait l'objet d'un désistement, à la partie défenderesse. Je conclus que la règle normale doit s'appliquer. Les éléments de preuve qui m'ont été présentés ne m'amènent pas à conclure que les défendeurs Kozy Korner's et la défenderesse Copa-Habana n'ont pas droit aux dépens attribués au tarif normal. De la même façon, en m'appuyant toujours sur les éléments de preuve qui ont été soumis, je ne puis conclure que le comportement des demanderesses ni, à vrai dire, celui des défendeurs Kozy Korner's et de la défenderesse Copa-Habana justifient que les dépens soient supérieurs à ce que prévoit la colonne III du tarif B des Règles de la Cour fédérale.

[34]      Les pièces justificatives déposées auprès de la Cour au sujet des honoraires d'avocat et des débours supportés par les défendeurs Kozy Korner's et la défenderesse Copa-Habana dans la présente procédure m'ont conduit à me demander si on pouvait raisonnablement fixer les dépens en fonction des dépenses réelles et, le cas échéant, si les résultats seraient en proportion avec les coûts d'un tel calcul. De toute évidence, les défendeurs Kozy Korner's et la défenderesse Copa-Habana ont supporté des honoraires d'avocat et des débours pour les avis juridiques afférents non seulement à la défense à l'action des demanderesses, mais également à leur propre demande reconventionnelle ainsi qu'aux mesures prises pour répondre aux perquisitions de la Gendarmerie royale du Canada, aux accusations portées contre les défendeurs Kozy Korner's et, en fin de compte, au retrait de ces accusations. La ventilation des honoraires d'avocat et débours entre ces trois composantes m'apparaît impossible à réaliser ou, si elle était réalisée, carrément arbitraire sur la base des pièces justificatives disponibles.

[35]      Par conséquent, j'ai décidé que le meilleur parti à prendre était d'adjuger les dépens aux défendeurs Kozy Korner's et à la défenderesse Copa-Habana exclusivement sur la base de ce qui pouvait être tiré des pièces justificatives déposées auprès de la Cour en rapport avec le tarif, selon un processus que les avocats des parties avaient déjà entrepris de manière préliminaire. À la clôture de l'audience, j'ai indiqué aux avocats que j'adjugerais les dépens sous forme de somme globale plutôt que de renvoyer la question des dépens à la taxation. Je leur ai donné un délai pour me fournir des observations écrites au sujet de la détermination de la somme globale appropriée.

[36]      Les avocats m'ont communiqué leurs observations écrites et j'en ai maintenant pris connaissance. L'avocat des défendeurs Kozy Korner's et de la défenderesse Copa-Habana a fait valoir que je devais adjuger pour les dépens une somme globale de 19 059,68 $ pour les honoraires d'avocat et les débours, somme qui, pour reprendre ses mots, représentait « une réduction considérable sur les honoraires et débours effectivement supportés. » De son côté, l'avocate des demanderesses, compte tenu du fait que j'avais opté d'adjuger les dépens sous forme de somme globale, préconisait la somme de 7 000 $ ou même une somme inférieure, comme 5 298,59 $, y compris la TPS et les intérêts avant jugement et après jugement, exigible dans un délai de 30 jours de mon ordonnance. L'avocate des demanderesses a indiqué dans son mémoire de dépens que le chiffre de 7 000 $ avait été proposé au nom des demanderesses dans le cadre de négociations en vue d'un règlement, alors que le montant proposé au nom des défendeurs Kozy Korner's et de la défenderesse Copa-Habana était très nettement supérieur au montant qu'ils défendent maintenant.

[37]      Tout bien pesé, je conclus que la proposition faite au nom des défendeurs Kozy Korner's et de la défenderesse Copa-Habana est la plus réaliste des deux. Mon ordonnance établira donc les dépens à payer par les demanderesses aux défendeurs Kozy Korner's et à la défenderesse Copa-Habana au titre du désistement de leur action à la somme de 19 000 $, y compris la TPS et les intérêts avant jugement et après jugement, exigible dans un délai de 30 jours de l'ordonnance.

            

DÉPENS AFFÉRENTS À LA PRÉSENTE REQUÊTE

[38]      S'agissant des dépens afférents à la présente requête, je prends la décision d'ordonner à chaque partie de supporter ses propres dépens, étant donné que chacune a eu partiellement gain de cause et au vu de leur comportement reflété dans les pièces justificatives qui m'ont été présentées. L'ordonnance y pourvoira.

AUTRES MESURES DE REDRESSEMENT DEMANDÉES AU DÉPART

[39]      À tous autres égards, la présente requête est rejetée. Comme je l'ai indiqué précédemment dans les présents motifs, je suis disposé à examiner une demande, au titre de la règle 369 des Règles de la Cour fédérale (1998), pour l'obtention d'une ordonnance supplémentaire prorogeant le délai de dépôt d'une réponse à la défense reconventionnelle, au besoin.

    

                             ___________________________

                             J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 9 novembre 2000




Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




N º DU GREFFE :              T-2521-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO

                         MERCHANTS LTD. ET AL.

                          c. MADAME ET MONSIEUR UNTEL ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 19 OCTOBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE GIBSON

EN DATE DU :              9 NOVEMBRE 2000

ONT COMPARU :

COLLEEN                  POUR LES DEMANDERESSES

SPRING ZIMMERMAN

JOHN BROWN              POUR LES DÉFENDEURS

                         1116270 ONTARIO INC., ANTHONY NIGRO ET

                         714660 ONTARIO INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

FASKEN MARTINEAU          POUR LES DEMANDERESSES

DUMOULIN

TORONTO (ONTARIO)

McCARTHY TÉTRAULT          POUR LES DÉFENDEURS
TORONTO (ONTARIO)          1116270 ONTARIO INC., ANTHONY NIGRO ET

                         714660 ONTARIO INC.





Date : 20001109


Dossier : T-2521-97

Ottawa (Ontario), le jeudi 9 novembre 2000

EN PRÉSENCE DU JUGE GIBSON


         DANS L'AFFAIRE INTÉRESSANT les articles 7, 9, 19, 20, 22, 25, 50, 52, 53, 53.1 et 53.2 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13
         ET les articles 3, 5, 6, 13, 25, 27 et 34 à 39 de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, modifiée,

ENTRE :

     HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO MERCHANTS LTD.

     et EMPRESA CUBANA DEL TABACO, exerçant son activité

sous le nom commercial CUBATABACO et HABANOS S.A.,

    

demanderesses,

     - et -


MADAME ET MONSIEUR UNTEL

et D'AUTRES PERSONNES DONT LES NOMS SONT INCONNUS,

QUI METTENT EN VENTE, VENDENT, IMPORTENT, FABRIQUENT, DISTRIBUENT, ANNONCENT DES MARCHANDISES DE HAVANA HOUSE NON AUTORISÉES OU CONTREFAITES

OU EN FONT D'UNE AUTRE MANIÈRE LE COMMERCE ,

ET LES PERSONNES DONT LE NOM FIGURE

À L'ANNEXE_ « A » DE LA DÉCLARATION

et 1116270 ONTARIO INC., exerçant son activité sous le nom commercial KOZY KORNER'S, ANTHONY NIGRO et 714660 ONTARIO INC., exerçant son activité sous le nom commercial COPA-HABANA SMOKE & CIGAR SHOP,

     défendeurs,


ET ENTRE :

1116270 ONTARIO INC., exerçant son activité

sous le nom commercial KOZY KORNER'S, ANTHONY NIGRO

et 714660 ONTARIO INC., exerçant son activité sous le nom commercial

COPA-HABANA SMOKE & CIGAR SHOP,

     demandeurs reconventionnels,

     - et -

     HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO MERCHANTS LTD.,

     EMPRESA CUBANA DEL TABACO, exerçant son activité

sous le nom commercial CUBATABACO et HABANOS S.A.,

     défenderesses reconventionnelles.


     ORDONNANCE


     IL EST ORDONNÉ :

     1.      Les dépens de l'action dont se sont désistées les demanderesses contre les défendeurs 1116270 Ontario Inc., exerçant leur activité sous le nom commercial Kozy Korner's, Anthony Nigro et 714660 Ontario Inc., exerçant son activité sous le nom commercial Copa-Habana Smoke & Cigar Shop (défendeurs) sont fixés à 19 000 $, y compris tous les honoraires et débours ainsi que la TPS et les intérêts avant jugement et après jugement, et sont exigibles par les défendeurs auprès des demanderesses dans un délai de 30 jours de la date de la présente ordonnance.
     2.      Chaque partie assume ses propres frais sur la requête déposée au nom des défendeurs le 1er mars 1999, qui fait l'objet de la présente ordonnance.
     3.      À tous autres égards, la requête des défendeurs déposée le 1er mars 1999 est rejetée.


                             _________________________

                                     J.C.F.C.


Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


__________________

1      DORS/98-106.     

2      [1981] 1 C.F. 534 (C.A.).

          Voir le dossier de requête à la page 111 où Abel Gonzalez Ortego atteste au paragraphe 49 :[TRADUCTION] Les demanderesses sont disposées à prendre l'engagement devant la Cour que, dans le cas où il serait jugé par la suite qu'une injonction interlocutoire accordée par la Cour a été accordée à tort, elles acceptent d'indemniser les défendeurs pour le préjudice subi par eux du fait de l'injonction, selon la taxation de la Cour.

3      (1998), 41 O.R. (3d) 389 (C.A.).

4      R.R.O. 1990, Règlement 194, modifié.

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