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Date : 20000918


Dossier : T-1435-91



ENTRE :

     GAYLE KATHLEEN HORII

     demanderesse

     - et -


SA MAJESTÉ LA REINE

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL

LE SOUS-COMMISSAIRE DU SERVICE

CORRECTIONNEL (PACIFIQUE),

LE DIRECTEUR DE L'ÉTABLISSEMENT DE MATSQUI

LE DIRECTEUR DE L'ÉTABLISSEMENT DE FERNDALE

     défendeurs

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE

JOHN A. HARGRAVE,


[1]          La présente requête rejetée, visant la radiation de certaines parties de la déclaration alléguées théoriques du fait qu'elles ne comporteraient aucune cause d'action valable et n'auraient aucune chance d'être accueillies, illustre bien la règle générale selon laquelle, en sauf circonstances exceptionnelles, une partie ne devrait pas avoir plus d'une occasion de contester les actes de procédure d'une partie adverse.

ANALYSE

[2]          L'action, intentée il y a près de dix ans, porte sur de prétendus actes discriminatoires résultant de l'absence de pénitencier fédéral pour femmes en Colombie-Britannique. La solution actuelle qui a dû être adoptée consiste en une entente de coopération entre la Couronne fédérale et la Couronne provinciale, en vertu de laquelle les détenues sous responsabilité fédérale, y compris celles qui purgent de longues peines, sont incarcérées dans des prisons provinciales. Dans ces prisons, elles n'ont pas accès aux mêmes possibilités de s'instruire que les détenus de sexe masculins incarcérés dans des établissements fédéraux, et notamment dans les établissements fédéraux situés en Colombie-Britannique.

[3]          La demanderesse affirme dans ses actes de procédure qu'après avoir été incarcérée en vertu d'une dispense spéciale à l'établissement de Matsqui, un pénitencier pour hommes, et grâce à un recours de la nature d'une injonction, elle a pu bénéficier de plusieurs programmes auxquels elle n'avait pas accès lorsqu'elle était incarcérée dans une prison provinciale pour femmes.

[4]          Par voie de requête déposée le 24 novembre 1998, la Couronne a tenté d'obtenir la radiation de la déclaration en entier en invoquant tous les moyens prévus par la règle 221, soit l'absence de cause d'action, la non-pertinence, le contenu scandaleux, frivole ou vexatoire, le risque de retarder l'instance et l'abus de procédure. Monsieur le juge Teitelbaum a rejeté cette requête. Il a mentionné tous les moyens énumérés dans la règle 221, puis il a affirmé : « Le seul motif sérieux invoqué par le défendeur à l'appui de la présente requête est que toute l'affaire dont la Cour est saisie n'a plus qu'un intérêt théorique. » Il a ensuite tranché la question du caractère théorique. Au vu des motifs du juge Teitelbaum, il semble clair qu'il a examiné tous les aspects de la requête. Toutefois, l'avocat des défendeurs fait valoir que l'ordonnance semble plus limitée :

[Traduction] La demande de radiation fondée sur le caractère théorique est rejetée. Les dépens suivront l'issue de l'instance.

J'estime pouvoir m'appuyer à cet égard sur la présomption voulant que l'omission de mentionner expressément que tous les facteurs pertinents ont été considérés ne constitue pas une raison d'admettre un appel parce qu'elle indiquerait que tous les facteurs et les éléments accessoires n'ont pas été pris en compte : voir par exemple les motifs de madame le juge McLachlin, devenue depuis juge en chef, dans l'arrêt R. c. Burns [1994] 1 R.C.S. 656, à la page 664.

[5]          Dans de très courts motifs, non publiés, en date du 13 juin 2000, dans le dossier A-437-99, la Cour d'appel a confirmé, à la majorité, la décision du juge de première instance, en soulignant, premièrement, que l'affaire n'était pas théorique et, deuxièmement, que la Couronne n'avait pas tenté de séparer les demandes de réparations qu'elle alléguait exclues en raison de changements apportés au système correctionnel.

[6]          Les résultats susmentionnés soulèvent deux autres points : Mme Horii, bien qu'elle ne soit pas incarcérée actuellement, se trouve en liberté conditionnelle et peut donc être incarcérée à nouveau sommairement, d'où la conclusion que son action est toujours pertinente; de plus, la Couronne a été déboutée de sa requête visant à faire radier la déclaration en entier, bien qu'il soit difficile de dire si la Cour d'appel a été saisie de tous les aspects de sa requête, ou simplement du seul élément sérieux dégagé par monsieur le juge Teitelbaum, parmi tous ceux inclus dans la requête en radiation, soit celui du caractère théorique de l'action.

[7]          La Couronne soutient, dans le cadre de la présente requête, non pas que la déclaration en entier est incorrecte, comme elle l'a prétendu précédemment, mais que certains paragraphes précis doivent être radiés. On peut paraphraser ces paragraphes en disant qu'ils allèguent que les programmes accessibles à l'établissement de Matsqui, un pénitencier fédéral pour hommes situé en Colombie-Britannique, ne sont pas offerts aux femmes détenues dans le système fédéral en Colombie-Britannique parce que le gouvernement fédéral confie par contrat au gouvernement provincial l'hébergement des détenues sous responsabilité fédérale dans des établissements provinciaux. La demanderesse fait valoir que les femmes incarcérées dans des prisons provinciales sont régies par les lois, règlements et règles de la province et, plus particulièrement, que les programmes auxquels ont accès les femmes détenues sous responsabilité fédérale incarcérées dans des établissements provinciaux ne sont pas comparables à ceux offerts aux détenus de sexe masculin dans les établissements fédéraux, ce qui constitue une atteinte aux droits garantis par les articles 15 et 25 de la Charte.

[8]          Les défendeurs prétendent que les paragraphes énonçant ces arguments ne présentent plus qu'un intérêt théorique, sont frivoles et ne révèlent aucune cause d'action valable : les paragraphes dont les défendeurs demandent la radiation et les motifs qu'ils invoquent dans leur requête étaient inclus dans leur requête en radiation qui a été rejetée précédemment.

[9]          Les défendeurs attaquent maintenant aussi certains éléments précis des réparations demandées, qui sont de la nature d'un jugement déclaratoire et d'une injonction. Sur ce point, je constate que l'injonction permanente découlant de l'actuelle déclaration modifiée et de la réparation demandée, prononcée par la Cour d'appel afin d'empêcher le transfert de Mme Horii à l'établissement provincial situé à Burnaby, est toujours en vigueur.

[10]          J'examinerai maintenant la jurisprudence pertinente qui étaye la règle générale selon laquelle une partie ne devrait avoir qu'une occasion de contester les actes de procédure d'une partie adverse, sauf circonstances exceptionnelles. Cette règle se fonde au moins en partie sur le principe selon lequel un plaideur ne doit pas être contraint de répondre à une série continuelle de requêtes sur des questions semblables. De plus, elle comporte un aspect lié à l'économie des ressources judiciaires : les requêtes doivent servir de moyen de parvenir promptement à l'audition sur le fond d'une affaire et non à quelque autre fin. Ainsi, le temps consacré aux requêtes interlocutoires doit être réduit au minimum : on peut y arriver en partie en combinant des requêtes, par exemple une requête sollicitant des précisions comme solution de rechange à une requête en radiation, et non en revenant sur des questions déjà débattues comme en l'espèce.

[11]          Le protonotaire Conant, c.r., a parlé de la nécessité de combiner les requêtes et de la règle générale voulant qu'une partie n'ait qu'une occasion de contester les actes de procédure dans la décision Stonkus v. Stonkus [1946] O.W.N. 701, à la page 703 :

[Traduction] Le défendeur demande aussi la radiation de certaines parties de la déclaration « au motif qu'elles sont prolixes et gênantes » . Le 12 mars 1946, une requête présentée par le défendeur en vue de faire radier certaines parties de la déclaration a été plaidée devant la Cour et tranchée le 30 mars, la requête du défendeur étant accueillie et les parties en cause radiées. Le défendeur demande maintenant la radiation d'autres parties de la déclaration.
La question de savoir si la déclaration contrevient à la règle 137 [devenue depuis la règle 139] parce que susceptible de « nuire à l'instruction équitable de l'action, de la gêner ou de la retarder » a acquis qualité de chose jugée lorsque la requête présentée antérieurement par le défendeur aux mêmes fins a été tranchée, même si les deux requêtes ne contestent pas les mêmes parties de la déclaration. Permettre à une partie à une action de contester à la pièce les actes de procédure de la partie adverse entraînerait la multiplicité des instances et mènerait de toute évidence à une absurdité. La partie qui présente une requête en vertu de la règle 137, doit y inclure toutes les dispositions de l'acte de procédure de la partie adverse qu'elle allègue de façon que la question de savoir si l'acte de procédure contrevient à une règle puisse être tranchée dans le cadre d'une seule requête.

Le protonotaire Conant a utilisé, par analogie, le concept de la chose jugée. En un sens, cette analogie fonctionne et peut effectivement être comprise. Toutefois, la Cour d'appel de l'Alberta, bien qu'elle reconnaisse ce concept, a réduit l'analogie à une question de pratique générale dans l'arrêt Grassick et al. v. Calgary Power Co. Ltd. [1948]1 D.L.R. 103, à la page 106. M. le juge O'Connor de la Cour d'appel a dit ce qui suit, après avoir mentionné l'affaire Stonkus :

[Traduction] Avec égard pour le savant protonotaire, je ne vois pas comment on peut dire qu'une ordonnance radiant un paragraphe d'un acte de procédure a qualité de chose jugée relativement à une requête en radiation d'un paragraphe différent. Je suis d'accord pour dire que, pour ce qui est de la pratique générale, chaque partie devrait être limitée à une seule requête en radiation, mais qu'il peut exister des circonstances exceptionnelles dans lesquelles une deuxième requête peut être présentée , moyennant des dépens appropriés.      [non souligné dans l'original]

[12]          Il existe de nombreuses autres décisions susceptibles d'être citées qui commentent ou peaufinent cette règle générale, y compris Slan v. Beyak (1973), 3 O.R. (2d) 295 et Great Lakes Lumber & Shipping Ltd. v. Great Lakes Paper Co. Ltd. [1951] O.W.N. 499, mais je porterai maintenant mon attention sur des affaires tranchées par notre Cour.

[13]          Dans la décision Speedo Knitting Mills Pty. Ltd. c. Christina Canada Inc. (1985) 3 C.P.R. (3d) 360, M. le juge Walsh a mentionné la décision Slan v. Beyak, précitée, à l'appui de la proposition suivante, à la page 297 :

[Traduction] Ainsi donc, la règle générale applicable à tout le moins dans les cas où il n'existe pas de circonstances exceptionnelles, est la suivante : la partie qui désire contester la plaidoirie de son adversaire ne doit disposer que d'une seule occasion pour le faire. Elle doit demander subsidiairement à la Cour de lui accorder toues autres mesures de redressement, de telle sorte que la question puisse être tranchée sans qu'une multiplicité d'actes de procédure s'ensuive et de façon à se conformer aux règles générales de la Cour ...      [page 363 de Speedo]

Monsieur le juge Walsh a poursuivi en parlant de la jurisprudence antérieure, a souligné que la demande dans Speedo Knitting Mills avait été présentée sans motif inavoué et a ensuite confirmé le principe général selon lequel une partie ne devrait pas présenter une série de requêtes visant un acte de procédure donné et les requêtes doivent être combinées (voir la page 365).

[14]          La prochaine cause dont je parlerai relativement au fait de n'accorder qu'une seule occasion à une partie de faire radier un acte de procédure, sauf circonstances exceptionnelles, est la décision rendue par le juge en chef adjoint Jerome dans l'affaire Windsurfing International Inc. et al. c. Novaction Sports Inc. et autre (1988), 18 C.P.R. (3d) 230. Dans cette cause, une requête en radiation d'une partie de la déclaration a été accueillie et, par la suite, deux autres requêtes ont été présentées en vue de faire radier d'autres aspects de la déclaration. La décision rendue par le protonotaire à leur égard a fait l'objet d'un appel. Ces requêtes ont été accueillies et, je le répète, portées en appel. Le juge en chef adjoint Jerome s'est reporté lui aussi aux décisions Slan v. Beyak, précitée, et Speedo Knitting Mills, précitée, à l'appui de la proposition suivante :

Dans ces deux cas, la Cour a reconnu que règle générale, on ne devrait donner à une partie qu'une seule occasion de contester la plaidoirie de son adversaire. Cependant, ces décisions ont aussi reconnu que des circonstances spéciales peuvent justifier la présentation d'une deuxième requête.      [page 233]

Cette règle et son exception sont des principes exemplaires.

CONCLUSION

[15]          Le fait que la Section de première instance et la Cour d'appel aient refusé de radier la déclaration au motif qu'elle était futile ou ne menait à aucun résultat utile ne signifie pas que l'action de la demanderesse sera accueillie, mais plutôt que la demanderesse ne doit pas être privée de l'occasion de se faire entendre par la Cour.

[16]          Depuis le début de l'action, il y a près de 10 ans, la situation ne semble pas avoir changé de façon appréciable. En fait, cet absence de changement ressort implicitement de la façon dont la Section de première instance et la Cour d'appel ont tranché les procédures interlocutoires. En outre, on n'a porté à mon attention aucun changement pertinent des circonstances qui pourrait justifier une autre attaque contre les actes de procédure. Au contraire, et je m'intéresserai maintenant aux dépens, la demanderesse a dû engager des dépenses pour répondre à une attaque semblable ou identique à celle qu'elle avait déjà subie et cela doit se refléter dans les dépens.

[17]          Il n'y a pas lieu d'exiger la taxation des dépens. Il convient plutôt de faire tout ce qui est possible pour éviter une autre mesure interlocutoire. En tenant compte des tarifs de la Cour et de tous les facteurs pertinents pour fixer le montant des dépens, j'adjuge les dépens en faveur de la demanderesse et en fixe le montant à 1 000 $, payable immédiatement.

                             « John A. Hargrave »

                                 Protonotaire

18 septembre 2000

Vancouver (Colombie-Britannique)

Traduction certifiée conforme



Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




DOSSIER :      T-1435-91

INTITULÉ DE LA CAUSE :      GAYLE KATHLEEN HORII

     c.     

     SA MAJESTÉ LA REINE ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :      VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :      22 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

EN DATE DU :      18 septembre 2000



ONT COMPARU :

Me John Conroy          POUR LA DEMANDERESSE

Me Curtis Workun

Me Wendy Divoky          POUR LES DÉFENDEURS

    

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Conroy & Company

Abbotsford (C.-B.)          POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada      POUR LES DÉFENDEURS

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