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Date: 19980617

Dossier: T-2165-97

OTTAWA, ONTARIO, CE 17e JOUR DU MOIS DE JUIN 1998

Présent :              MONSIEUR LE JUGE J.E. DUBÉ

Entre :

                                    PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                                                           Requérant,

                                                                    - et -

                                                 MAURICE ST-LAURENT,

                                                                                                                                    Intimé,

                                                                    - et -

                              Me MURIEL KORNGOLD-WEXLER en qualité

                           d'arbitre nomméaux termes de l'alinéa 95(2c) de

                  la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique,

                                                   L.R.C. (1985), ch. P-35,

                                                                                                                      Mis en cause.

                                                         ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                                                               

                                                                                                                                        Juge


Date: 19980617

Dossier: T-2165-97

Entre :

                                    PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                                                           Requérant,

                                                                    - et -

                                                 MAURICE ST-LAURENT,

                                                                                                                                    Intimé,

                                                                    - et -

                              Me MURIEL KORNGOLD-WEXLER en qualité

                          d'arbitre nomméaux termes de l'alinéa 95(2(c) de

                  la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique,


                                                   L.R.C. (1985), ch. P-35,

                                                                                                                      Mis en cause.

                                               MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ:

[1]                     Il s'agit ici d'une demande d'examen et d'annulation déposée par le Procureur Général du Canada en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la cour fédéraleà l'encontre d'une décision interlocutoire rendue le 5 septembre 1997 par un arbitre relativement à un grief renvoyéà l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique[1]("la Loi").

                                            1. Faits et décision de l'arbitre


[2]                     L'intiméa étéà l'emploi du Service correctionnel Canada ("le Service") de 1965 jusqu'à novembre 1995. Le 15 juin 1994, il est arrivéà une entente avec son employeur prévoyant qu'il quitterait le Service le 4 novembre 1995 et qu'il serait affectépour sa dernière année à un poste moins exigeant mais au même salaire et aux mêmes conditions de travail que le poste d'attache qu'il occupait.

[3]                     Par la suite, soit le 20 octobre 1995 [en raison d'un accident de travail survenu le 10 mars 1995], l'intiméfit parvenir une lettre à Lise Bouthillier, Directrice de l'établissement de Cowansville, l'avisant que sa date de départ prévue pour le 4 novembre 1995 était reportée. La Directrice a répondu que "nous ne pourrons plus vous garantir le maintien de votre affectation à un poste de chauffeur-manutentionnaire". Le 5 décembre 1995, elle l'avisait que "nous ne pouvons aujourd'hui considérer positivement de reporter la date de votre retraite à une date autre que celle du 4 novembre".

[4]                     En conséquence, le 11 décembre 1995, l'intiméécrivait au Sous-commissaire du Service. Ce dernier lui répondit que sa date de retraite devait rester inchangée. Finalement, le 17 janvier 1996, l'intimécommuniqua par lettre au Commissaire du Service, lequel réaffirma que la date de retraite demeurait la même. C'est alors que l'intimédéposa son grief à l'arbitrage.


[5]                     Au départ l'arbitre avait à vider deux questions préliminaires, à savoir si l'intiméavait bien déposéun grief au sens de la Loi et, deuxièmement, si le grief avait étéprésentédans les délais prescrits. L'arbitre répondit dans l'affirmative aux deux questions.

[6]                     Àl'audience devant l'arbitre, l'avocate de l'intiméa fait valoir que son client a présentéson grief soit dans sa lettre du 20 octobre 1995 à la Directrice, soit dans celle du 17 janvier 1996 au Commissaire. Par contre, l'arbitre a déterminéque c'est la deuxième lettre, celle du 11 décembre 1995 au Sous-commissaire qui constitue le grief en l'espèce et qu'en conséquence le grief a étéprésentédans les délais prévus au paragraphe 71(3) du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. (1993)[2]("le Règlement"), soit "dans les 25 jours ouvrables du refus daté du 5 décembre 1995".

                                         2. La lettre du 11 décembre 1995

[7]                     La lettre en question, qui selon l'arbitre constitue le grief en date du 11 décembre 1995, est adressée à M. Jean-Claude Perron, Sous-commissaire du Service, et se lit comme suit:

Par la présente je demande votre aide pour régler la situation difficile dans laquelle je me trouve. Voici les faits qui expliquent ce qui se passe dans mon cas:


Je suis présentement en accident de travail depuis le 29 juillet 1995. (voir dossier de l'accident au régional). Suite à une entente avec M. Jean-Paul Lupien je devais prendre ma retraite le 4 novembre 1995, ce que j'aurais fait si les circonstances avaient étéautres c'est-à -dire si il n'y avait pas cet accident de travail. J'ai fait tout ce qu'on m'a demandéc'est à dire rencontrer tous les médecins nécessaires, et je fais tout ce que les spécialistes me recommandent.

J'ai rencontréM. Gilles Lacasse DAFP, qui est mon supérieur immédiat, j'ai aussi écrit une lettre (avec copie pour vous) à Mme Lise Bouthillier pour que ma retraite soit retardée jusqu'à ce que cet accident soit définitivement réglé. Suite à la réponse de Mme Bouthillier je constate qu'après trente ans de loyaux services on refuse de reporter ma mise à la retraite pour quelques temps. Je ne pensais pas que c'était trop demander. Je sollicite votre aide pour régler cette situation dans les plus brefs délais. Je suis prêt à aller vous rencontrési vous le jugez à propos. Merci à l'avance de votre réponse et de votre aide.

Sincèrement.

Maurice St-Laurent

55 Bourgeois, Granby, Québec J2G 8G8

Tel : 514-378-3063

CC:       Mme Lise Bouthillier, Institution de Cowansville

M. Vignis, Directeur des Ressources Humaines

                                  3. La validitédu grief

[8]       Le requérant allègue que la procédure établie pour la présentation de grief revêt un certain formalisme. Le paragraphe 70(1) du Règlement précitése lit comme suit:

70. (1) L'employeur rédige une formule de grief qui indique les renseignements à fournir par le fonctionnaire qui s'estime lésé, à savoir :

a) ses nom et adresse et tout autre renseignement nécessaire à son identification, sauf son numéro d'assurance sociale;


b) un exposéconcis de la nature de chaque action ou omission y compris, le cas échéant, le renvoi à la disposition d'une loi ou d'un règlement - administratif ou autre -, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur et concernant les conditions d'emploi, ou à la disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale qui aurait étéviolée ou mal interprétée, qui permettra de définir la nature de la prétendue violation ou fausse interprétation;

c) la date de chaque action, omission ou situation ayant donnélieu au grief;

d) les mesures de redressement qu'il demande.

[9]       Par ailleurs, même si la lettre en question n'est pas rédigée en des termes formalistes, elle révèle tout de même le nom et l'adresse et tout autre renseignement nécessaire pour identifier le requérant. Elle expose également la nature du problème et l'entente sur laquelle repose le redressement demandé.

[10]     De plus, l'arbitre n'est pas strictement circonscrit par la disposition en question attendu que le paragraphe 71(5) du Règlement atténue l'exigence de la Loi:

71. (5) Le grief d'un fonctionnaire n'est pas invalide au seul motif qu'il n'a pas étéprésentésur la formule approuvée par la Commission selon l'article 70.


[11]     Cette disposition prévoit donc l'importance que l'on doit attribuer au contenu du grief et non seulement à sa forme. Ce principe général de libre interprétation en matière de grief se retrouve dans les extraits suivants de l'ouvrage, Collective Agreement Arbitration in Canada[3]:

5.92 The cases have not been totally consistent in this area. Some have indicated leniency in allowing deviation; others have demanded strict compliance with the provisions in a collective agreement. A list of the problems which have arisen and how arbitrators have approached them is helpful.

...

(ii) Failure to Use a Standardized Form

5.94 At least one case required strict compliance with any collective agreement provision which stipulates that all grievances are to be submitted on standardized forms[4]. Where there has been substantial compliance with the agreement and the objection is merely technical, the objection can be overruled. Thus an objection to the form upon which the grievance is submitted has frequently been dealt with in this manner[5]. Individual grievances can also be filed together on one form[6].


[12]     En l'espèce, il ne s'agit ici que d'une décision préliminaire de l'arbitre, un document de 36 pages qui indique bien qu'il est parfaitement au courant de la situation, qu'il ne s'est pas mépris quant à la nature du grief et qu'il a constatéque l'intimén'a pas outrepasséles personnes mandatées pour traiter du différend en question. Effectivement, l'intimés'est adresséaux trois paliers pertinents, soit la Directrice de l'établissement, le Sous-Commissaire du Service et le Commissaire lui-même. L'arbitre conclut sa décision par les deux paragraphes suivants:

Pour ces raisons, la lettre du 11 décembre 1995 est un grief. M. St-Laurent prétend qu'il a étécongédiéet qu'il a présentéun grief contestant ce « congédiement » . Les parties se sont entendues pour que je décide en premier deux questions préliminaires: (1) M. St-Laurent a-t-il déposéun grief au sens de la LRTFP? et (2) Subsidiairement, ce grief a-t-il étéprésentédans les délais prescrits? Je conclus que la réponse aux deux questions est oui.

Vu ma décision affirmative sur ces deux questions en litige préliminaires, il faut maintenant décider si ce grief est arbitrable en vertu de l'article 92 de la LRTFP. Les parties ont choisi de ne pas traiter de cette importante question lors de l'audience des 25 et 26 juin 1997. En conséquence, cette affaire est remise au rôle. Les parties seront dûment informées de la date de la continuation de cette cause.

[13]     Il s'agit donc de savoir si l'arbitre doit continuer l'arbitrage du grief ou s'il n'y avait pas de grief devant lui, tel qu'alléguépar le requérant.


[14]     Selon le requérant, en l'absence d'un grief, l'arbitre n'a aucune compétence sur le différend qui oppose les parties. Le renvoi d'un grief à l'arbitrage, son audition et la décision de l'arbitre à son sujet ne peuvent intervenir qu'après l'observation intégrale de la procédure jusqu'au dernier palier. La procédure établie pour la présentation de griefs et le renvoi à l'arbitrage revêtent un certain formalisme dans le but d'assurer un débat exhaustif sur le différend qui oppose les parties. L'effet d'outrepasser cette procédure a pour conséquence d'outrepasser les personnes mandatées pour traiter les différends en question. Même si l'intiméne fait pas partie d'une unitéde négociation, il aurait pu demander de l'aide et être représentépar l'organisation syndicale de son choix à l'occasion du dépôt de son grief ou de son renvoi à l'arbitrage.

[15]     Je ne crois pas qu'il y ait lieu de priver l'intiméde son droit de présenter un grief à l'arbitrage pour des raisons purement formalistes. L'intiméa épuiséses recours aux trois paliers pertinents et il a déposéla substance de son grief devant l'arbitre en deçà des délais. Il est manifeste, à la lecture même de la décision préliminaire de l'arbitre, que celui-ci était parfaitement au courant de la situation. L'intiméa donc droit à ce que son grief soit soumis à l'arbitrage. Si l'arbitre en arrive à une décision déraisonnable sur le fond du grief, alors le requérant sera libre de déposer une demande de contrôle judiciaire.

[16]     En conséquence, cette demande de contrôle judiciaire ne peut être accueillie.

OTTAWA, Ontario

le 17 juin 1998

                                                                                                                                              

                                                                                                    Juge


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DE LA COUR:                       T-2165-97

INTITULÉ:                                     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c.

MAURICE ST-LAURENT ET AL

LIEU DE L'AUDIENCE :            MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 2 JUIN 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DE L'HONORABLE JUGE DUBÉ EN DATE DU 17 JUIN 1998

COMPARUTIONS

ME MICHEL LEFRANÇOIS                                                 POUR LE REQUÉRANT

ME JOCELYN GRENON                                                      POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA                            POUR LE REQUÉRANT OTTAWA, ONTARIO

ME JOCELYN GRENON

COWANSVILLE, QUÉBEC                                                  POUR L'INTIMÉ



[1]                                    L.R. (1985), ch. P-35.

[2]                                    71. (3) Le fonctionnaire présente son grief au plus tard 25 jours après le premier en date des jours suivants : le jour où il a eu connaissance pour la première fois de l'action, de l'omission ou de la situation à l'origine du grief ou le jour où il en a été avisé.

[3]                                    Palmer et Palmer, 3e éd., Toronto: Butterworths, 1991.

[4]                                               See Monarch Knitting, 12 L.A.C. 129 (Cross, 1961). Compare, however, the reasoning in Daal Specialties, 18 L.A.C. 141 (Weatherill, 1967) and Stelco, 4 L.A.C. (2d) 68 (Weatherill, 1973).

[5]                                               See, e.g., Central Hospital, 10 L.A.C. (2d) 412 (Weatherill, 1975).

[6]                                               Douglas Aircraft, 5 L.A.C. (2d) 171 (Gorsky, 1974).


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