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     IMM-4667-96

Ottawa (Ontario), le lundi 18 août 1997

En présence de : Monsieur le juge Gibson

ENTRE

     OLGA NECHIPORENKO,

     requérante,

     et

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                 Frederick E. Gibson

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet

     IMM-4667-96

ENTRE

     OLGA NECHIPORENKO,

     requérante,

     et

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

         Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire de la décision dans laquelle la section du statut de réfugié (la SSR), de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a conclu que la requérante n'était pas une réfugiée au sens de la Convention, selon la définition figurant au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1. La décision de la SSR est datée du 26 novembre 1996.

         La requérante est citoyenne ukrainienne. Elle revendique le statut de réfugié au sens de la Convention parce qu'elle prétend avoir raison de craindre, dans l'éventualité de son retour en Ukraine, d'être persécutée du fait, compte tenu de son formulaire de renseignements personnels, de sa religion, et selon les motifs de décision de la SSR, de sa nationalité. La distinction est sans différence puisque, dans chaque cas, il est manifeste que sa revendication repose sur son origine juive.

         Dans son formulaire de renseignements personnels et son témoignage devant la SSR, la requérante a fait état de la discrimination, du harcèlement et de la violence qu'elle avait connus en Ukraine en raison de son origine juive. La violence la plus grave a eu lieu lorsqu'elle a été frappée par une voiture et a eu une commotion et des contusions, ce qui fait qu'elle a dû être hospitalisée. Elle a également témoigné du défaut de protection de l'État.

         La requérante a décidé de s'enfuir de l'Ukraine.

         La requérante a rencontré un citoyen canadien en Ukraine. Sa version de la façon dont ils se sont rencontrés et de ce qui s'est déroulé différait considérablement de celle du citoyen canadien. Quoi qu'il en soit, après son retour au Canada, le citoyen canadien a écrit à la requérante pour l'inviter au Canada à ses frais. Elle a accepté l'invitation. Très peu de temps après son arrivée au Canada, il est devenu manifeste que les deux espéraient très différemment ce qui arriverait alors. La requérante a rapidement rompu sa relation avec le citoyen canadien, et elle a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.

         Le citoyen canadien se préoccupait non seulement de ce qu'on abusait de lui, mais aussi de ce que la requérante abusait du système de revendication du statut de réfugié au Canada.

         Le citoyen canadien, par l'entremise soit de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié soit du ministère de l'intimé, a été au courant de la revendication du statut de réfugié présentée par la requérante. Il a entrepris une vaste campagne écrite, auprès tant d'hommes politiques que de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, dans laquelle il a critiqué sévèrement la requérante.

         La SSR a décidé de considérer la correspondance du citoyen canadien comme preuve devant elle à l'égard de la revendication de la requérante. En fin de compte, l'avocat de la requérante a demandé à la SSR de forcer la comparution du citoyen canadien devant elle afin qu'il puisse le contre-interroger. Il a prétendu devant moi qu'il ne pouvait faire autrement que de le faire. La SSR a fait droit à la requête, et le citoyen canadien a comparu et a été contre-interrogé.

         Avant que le citoyen canadien ne comparaisse, l'avocat de la requérante a demandé une nouvelle audition pour sa cliente, alléguant qu'il y avait préjudice en raison de la [TRADUCTION] "violation du caractère confidentiel" qui a permis au citoyen canadien de relever une date précise fixée pour l'audition de la revendication de la requérante. Sa demande a été rejetée. Néanmoins, l'avocat a continué de maintenir son opposition au processus et de prétendre qu'il y avait préjudice pour sa cliente.

         En fin de compte, malgré le fait que, au contre-interrogatoire du citoyen canadien, il est apparu qu'il mentait lorsqu'il a nié avoir proféré des menaces de violence contre la requérante, la SSR a préféré son témoignage à celui de cette dernière. Elle a conclu :

         [TRADUCTION] Le tribunal conclut que la revendicatrice n'était pas un témoin crédible. Compte tenu de la preuve dont il disposait, il ne saurait conclure que la revendicatrice est d'origine ethnique juive. Une conclusion d'appartenance ethnique juive est essentielle à la revendication. Compte tenu de tous les éléments de preuve, pour les motifs susmentionnés, le tribunal conclut qu'il n'y a pas lieu de croire que la revendicatrice serait persécutée pour un motif énuméré dans la Convention si elle était renvoyée en Ukraine. Le tribunal conclut donc qu' Olga Nechiporenko n'est pas une réfugiée au sens de la Convention.

         L'avocat de la requérante a prétendu devant moi que la SSR avait commis deux erreurs susceptibles de contrôle. Il soutient en premier lieu que la requérante s'est vu refuser le droit à une audition à huis clos prévu par le paragraphe 69(2) de la Loi sur l'immigration et, en second lieu, que la SSR a commis une erreur de droit en tirant une conclusion sur la crédibilité de la requérante sans tenir compte de la totalité des éléments de preuve dont elle disposait ou, subsidiairement, en tirant une telle conclusion de façon arbitraire et abusive.

         Le paragraphe 69(2) de la Loi sur l'immigration est ainsi rédigé :

         (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (3.1), la section du statut tient ses séances à huis clos ou, sur demande en ce sens, en public, et dans la mesure du possible en présence de l'intéressé.

         Ni le paragraphe 69(3) ni le paragraphe (3.1) ne se rapportent aux fins de la présente demande.

         L'avocat fait valoir que, en révélant la date fixée pour l'audition de la revendication de la requérante, audition qui n'a pas eu lieu à la date divulguée, l'intimé ou la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a permis au citoyen canadien de commencer sa campagne de rédaction de lettres pour influencer la SSR, au préjudice de la requérante, ce qui fait qu'il ne pouvait pas faire autrement que de demander la comparution du citoyen canadien à une audition de la SSR aux fins de contre-interrogatoire, violant ainsi l'obligation de tenir à huis clos l'audition tout entière de la requérante dans des circonstances où aucune demande n'avait été faite pour l'audition en public.

         Je suis convaincu que cet argument ne saurait être accueilli. Tout d'abord, je ne dispose d'aucune preuve qui me permette de conclure que la campagne de rédaction de lettres menée par le citoyen canadien n'aurait pas eu le même effet s'il n'avait pas été au courant d'une date d'audition particulière prévue. En second lieu, l'obligation légale de tenir une audition à huis clos n'a simplement pas été violée. Une audition à huis clos n'équivaut pas à une audition à laquelle seulement les membres de la SSR, un agent chargé de la revendication, un traducteur, la requérante et son avocat sont présents. Le huis clos est respecté malgré la présence du citoyen canadien à la demande de l'avocat de la requérante. Dans l'arrêt La Reine c. C.B.2, le juge Chouinard s'est appuyé sur la définition suivante de in camera figurant dans le Jowitt's Dictionary of English Law, 2e édition :

         [TRADUCTION] ...lorsque le juge siège dans son bureau privé ou fait fermer les portes de la salle d'audience après l'avoir fait évacuer par tous ceux qui ne sont pas intéressés dans la cause.

         En l'espèce, bien qu'aucun juge n'ait été en cause à l'exception de la SSR, il n'a pas été allégué devant moi qu'un aspect de l'audition de la requérante devant la SSR avait été conduit dans des circonstances autres que celles dans lesquelles toutes les personnes, excepté les intéressés, ont été exclues. Le citoyen canadien qui était un témoin avait amplement démontré qu'il était un intéressé dans la cause, et je suis convaincu que tel était le cas.

         À propos de la seconde question, la SSR a justifié assez longuement sa conclusion de non-crédibilité de la requérante. Ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, elle a préféré le témoignage du citoyen canadien à celui de la requérante, malgré le fait qu'il a témoigné n'avoir jamais proféré des menaces de violence contre la requérante alors qu'il était clair qu'il l'avait fait. La SSR a noté des invraisemblances, des inconsistances et des contradictions qui lui permettaient de tirer sa conclusion.

         Dans l'affaire Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration3, le juge Décary s'est prononcé en ces termes :

         Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.

        

         J'en arrive à la même conclusion en l'espèce. Par ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

         L'avocat de la requérante a recommandé que soit certifiée la question de savoir si le droit à une audition à huis clos prévu au paragraphe 69(2) a été violé compte tenu des faits de l'espèce. L'avocat de l'intimé soutient que la présente affaire est un cas d'espèce, et qu'une question comme celle proposée, bien qu'il s'agisse d'une question de droit grave, ne serait pas une question de portée générale. Je suis d'accord avec la position de l'avocat de l'intimé. Ma décision relativement à la première question susmentionnée porte entièrement sur les faits particuliers de l'espèce. En conséquence, il n'y a pas lieu à certification.

                             FREDERICK E. GIBSON

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

le 18 août 1997

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      IMM-4667-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :              OLGA NECHIPORENKO c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 13 août 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU                      18 août 1997

ONT COMPARU :

Steven Beiles                      pour la requérante

Robin Sharma                      pour l'intimé

                    

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Steven Beiles                  pour la requérante

Toronto (Ontario)

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

                             pour l'intimé

__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

     2      [1981] 2 R.C.S. 480 (n'est pas cité devant moi).

     3      (1993), 160 N.R. (C.A.F.) (n'est pas cité devant moi).

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