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Date : 20020814

Dossier : T-2755-95

Ottawa (Ontario), le mercredi 14 août 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

AFFAIRE INTÉRESSANT une révocation de la citoyenneté en vertu de l'article 10 de la Loi sur la citoyenneté, L.C. 1974-75-76, chapitre 108;

ET une demande de renvoi à la Cour fédérale

en vertu de l'article 17 de la Loi sur la citoyenneté;

ET un renvoi à la Cour fédérale

en vertu de l'article 920 des Règles de la Cour fédérale.

ENTRE :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                                 MALKIAT SINGH

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR, STATUANT SUR LES REQUÊTES PRÉSENTÉES POUR LE COMPTE DU DEMANDEUR EN VUE D'OBTENIR :


Premièrement, une ordonnance fondée sur l'article 273 des Règles de la Cour fédérale (1998) en vue de faire verser au dossier du procès les dépositions recueillies dans le cadre de la commission rogatoire qui a eu lieu à Ludhiana, en Inde, en mars 2002;

Et, en deuxième lieu, une ordonnance fondée sur l'article 53 de la Loi sur la Cour fédérale et les articles 271 et 272 des Règles de la Cour fédérale (1998) en vue de modifier l'ordonnance en date du 15 décembre 1998 aux termes de laquelle le juge McKeown a ordonné à l'administrateur de la Cour de rédiger et de délivrer une commission rogatoire afin de nommer M. le juge Frederick E. Gibson commissaire chargé de recueillir en Inde le témoignage de 21 personnes nommément désignées en supprimant de cette liste de témoins les noms suivants et les titres qui leur sont associés :

Ranjit Singh, directeur par intérim, Bureau des empreintes digitales, Phillaur (Inde);

Gurdial Singh Mann, administrateur carcéral adjoint, Prison centrale, Firozpur (Inde);

Daljeet Singh, commis-archiviste, Prison centrale, Ludhiana (Inde),

et en les remplaçant respectivement par les noms [et titres associés] suivants :

Darshan Singh, directeur, Bureau des empreintes digitales, Phillaur (Inde);

Surinder Kumar Kaushal, administrateur carcéral adjoint, Prison centrale, Firozpur (Inde);


Ashu Bhattai, archiviste, Prison centrale, Ludhiana (Inde).

LECTURE FAITE des pièces versées au dossier et après avoir tenu compte des observations formulées par les avocats lors de l'audience tenue à Winnipeg (Manitoba) le 29 juillet 2002 et pour les motifs prononcés ce jour :

LA COUR ORDONNE QUE :

1.         Avec le consentement des parties, les dépositions des témoins suivants qui ont été recueillies dans le cadre de la commission rogatoire qui a eu lieu à Ludhiana, en Inde, en mars 2002 :

Malkiat Singh, expert assistant en dactyloscopie, Bureau des experts en dactyloscopie, Ludhiana (Inde);

Zora Singh, examinateur, Direction générale de la reprographie, juridictions inférieures, Premier magistrat judiciaire, Ludhiana (Inde);

Ravi Kant, commis, Section de la reprographie, Haute Cour du Pendjab et de Haryana,            Chandigarh (Inde);

Avtar Singh, commis, Section de la reprographie, Haute Cour du Pendjab et de Haryana,          Chandigarh (Inde);

G.S. Sidhu, administrateur adjoint, Prison centrale, Ludhiana (Inde);


Paramjit Singh, archiviste, Cour des juges de la Cour de district et des sessions de la paix,         Ludhiana (Inde);

Ramesh Nagi, retraité, ancien directeur du Service des archives, Cour des juges de la Cour de district et des sessions de la paix, Ludhiana (Inde);

Jang Singh, alias Jangir Singh, Dolon Kalan (Inde);

Ajay Sharma, commis à la Cour du Premier magistrat judiciaire, Ludhiana (Inde);

R.K. Soni, superviseur, Salle des archives, Haute Cour du Pendjab et de Haryana,

Chandigarh (Inde),

soient versées au dossier de la présente demande;

2.         Les dépositions des trois témoins suivants qui ont été recueillies dans le cadre de la commission rogatoire qui a eu lieu à Ludhiana, en Inde, en mars 2002, à savoir :

Darshan Singh, directeur, Bureau des empreintes digitales, Phillaur (Inde);

Surinder Kumar Kaushal, administrateur carcéral adjoint, Prison centrale, Firozpur (Inde);

Ashu Bhattai, archiviste, Prison centrale, Ludhiana (Inde),


soient versées au dossier de la présente demande si, et seulement si, dans l'année suivant la date de la présente ordonnance, le gouvernement de l'Inde accepte de modifier son autorisation de manière à ce que la commission rogatoire s'applique également à la déposition de ces témoins en Inde.

3.         L'ordonnance rendue le 15 décembre 1998 par le juge McKeown soit modifiée :

Premièrement, en supprimant de la liste des témoins le nom des personnes suivantes :

Ranjit Singh, directeur par intérim, Bureau des empreintes digitales, Phillaur (Inde);

Gurdial Singh Mann, administrateur carcéral adjoint, Prison centrale, Firozpur (Inde);

Daljeet Singh, commis-archiviste, Prison centrale, Ludhiana (Inde),

et en les remplaçant respectivement par les noms et titres associés suivants :

            Darshan Singh, directeur, Bureau des empreintes digitales, Phillaur (Inde);

Surinder Kumar Kaushal, administrateur carcéral adjoint, Prison centrale, Firozpur (Inde);

Ashu Bhattai, archiviste, Prison centrale, Ludhiana (Inde),

et, en second lieu, en y ajoutant le paragraphe suivant :


2.          LA COUR ORDONNE à l'administrateur de la Cour de rédiger et de délivrer une lettre rogatoire à l'intention de l'autorité judiciaire compétente ou aux autres autorités compétentes de l'Inde pour leur demander de modifier l'autorisation qui a été accordée en réponse à la lettre rogatoire présentée par la Cour en vue de tenir une commission rogatoire pour recueillir la déposition de certaines personnes en liaison avec la procédure de révocation de la citoyenneté de M. Shri Malkiat Singh consignée dans une lettre adressée le 15 ou le 16 octobre 2001 par M. J. Sharma, directeur (PS), ministère de l'Intérieur, gouvernement de l'Inde, à M. Robert Andrigo, haut-commissaire adjoint, Haut-commissariat du Canada, New Delhi, de manière à ce que la commission rogatoire s'applique aussi aux personnes suivantes :

Darshan Singh, directeur, Bureau des empreintes digitales, Phillaur (Inde);

Surinder Kumar Kaushal, administrateur carcéral adjoint, Prison centrale, Firozpur (Inde);

Ashu Bhattai, archiviste, Prison centrale, Ludhiana (Inde).

                                                                                                                                 « Frederick E. Gibson »    

                                                                                                                                                                 Juge                 

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20020814

Dossier : T-2755-95

Référence neutre : 2002 CFPI 861

AFFAIRE INTÉRESSANT une révocation de la citoyenneté en vertu de l'article 10 de la Loi sur la citoyenneté, L.C. 1974-75-76, chapitre 108;

ET une demande de renvoi à la Cour fédérale

en vertu de l'article 17 de la Loi sur la citoyenneté;

ET un renvoi à la Cour fédérale

en vertu de l'article 920 des Règles de la Cour fédérale

ENTRE :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                                 MALKIAT SINGH

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1]         Les présents motifs font suite à deux requêtes présentées pour le compte du demandeur dans le cadre d'un renvoi portant sur la révocation de la citoyenneté du défendeur que le demandeur a formé parce qu'il était convaincu que « l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la [Loi sur la citoyenneté] par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels » [1]. Le renvoi, qui est fondé sur l'équivalent du paragraphe 18(1) actuel de la Loi sur la citoyenneté, a été formé le 28 décembre 1995.

[2]         Aux termes de ses deux requêtes, le demandeur sollicite les mesures suivantes :

­                       en premier lieu, la modification de l'ordonnance en date du 15 décembre 1998 aux termes de laquelle mon collègue le juge McKeown a ordonné à l'administrateur de la Cour de rédiger et de délivrer une commission rogatoire me désignant à titre de commissaire chargé de recueillir en Inde les dépositions de vingt et une (21) personnes nommément désignées en supprimant de cette liste de témoins le nom de trois (3) personnes et en les remplaçant par trois (3) autres personnes;

­                       en second lieu, le dépôt au dossier du procès, en vertu de l'article 273 des Règles de la Cour fédérale (1998), des dépositions recueillies dans le cadre de la commission rogatoire qui a eu lieu à Ludhiana, en Inde, en mars 2002.


[3]        La première requête devait être jugée sur dossier en vertu de l'article 369 des Règles de la Cour fédérale, c'est-à-dire sans comparution des avocats. Aux termes des directives que j'ai données le 8 juillet 2002 en vertu du paragraphe 369(4) des Règles, j'ai précisé que la requête serait jugée en même temps que la seconde requête, dont l'instruction devait avoir lieu le 29 juillet 2002 dans les locaux de la Cour à Winnipeg.

[4]         Treize (13) témoins ont été entendus à Ludhiana, dans l'État du Pendjab, en Inde, les 11, 12, 13 et 14 mars 2002. La façon dont le témoignage de dix (10) de ces témoins, ainsi que les pièces afférentes, à l'exception des annexes A2 et A7, a été consigné au dossier de la procédure de renvoi n'a pas été contestée. En conséquence, j'ai précisé, lors de l'instruction des requêtes, que la Cour rendrait une ordonnance, avec le consentement des parties, prescrivant que le témoignage de ces dix (10) témoins, ainsi que les pièces afférentes, à l'exception des annexes A2 et A7, soient versés au dossier du renvoi. Le dépôt au dossier des dépositions des trois (3) autres témoins entendus à Ludhiana a été contesté. Le reste des présents motifs porte donc expressément sur le différend qui oppose les parties au sujet du dépôt en preuve du témoignage et des pièces y afférentes de ces trois (3) autres témoins.

CONTEXTE


[5]         Ainsi que je l'ai déjà précisé, le présent renvoi a été introduit au moyen d'un avis de renvoi qui a été déposé devant la Cour le 28 décembre 1995. Pour diverses raisons - notamment le décès du premier avocat du défendeur - qui ne nous intéressent pas particulièrement en l'espèce, le déroulement du renvoi a été interrompu pendant presque trois ans avant que ne soit entamée la procédure visant à recueillir des dépositions en Inde ou ailleurs. Le 15 décembre 1998, mon collègue le juge McKeown a ordonné à l'administrateur de la Cour de rédiger et de délivrer une commission rogatoire me désignant à titre de commissaire chargé de recueillir le témoignage de vingt et une personnes à Chandigarh, en Inde, ou à tout autre lieu précisé par le commissaire à cette fin. Tous les témoins étaient nommément désignés. À l'exception de quatre (4) d'entre eux, ces témoins étaient également identifiés par le titre du poste officiel qu'ils occupaient.

[6]         Le même jour, l'administrateur de la Cour m'a délivré une commission rogatoire dans laquelle était précisé le nom des témoins dont j'étais chargé de recueillir le témoignage conformément à l'ordonnance de Monsieur le juge McKeown.


[7]         Encore le même jour, la Cour a adressé une « lettre rogatoire » à l' « autorité judiciaire compétente de l'Inde » , à l'attention de M. K.K. Garg, greffier de la Haute Cour du Pendjab et de Haryana, Chandigarh (Inde). Il était fait mention dans cette lettre qu'une instance était pendante devant notre Cour et que la Cour jugeait nécessaire, dans l'intérêt de la justice, que certains témoins résidant dans le ressort de la Haute Cour du Pendjab et de Haryana, y soient interrogés. La Cour identifiait ces témoins par leur nom et, sauf pour quatre (4), par leur titre, et priait l'autorité judiciaire compétente en question [TRADUCTION] « dans l'intérêt de la justice, selon le mode en usage dans votre juridiction, [d'ordonner aux auxiliaires de la justice compétents] d'amener à comparaître devant le commissaire [...] les témoins nommément désignés et, en cas de besoin, d'assurer leur présence, pour qu'ils répondent sous serment ou sous affirmation solennelle ou selon tout autre mode conforme à leurs convictions religieuses, aux questions posées et qu'ils apportent avec eux et produisent lors de l'interrogatoire les documents et éléments matériels suivants [...]

[8]         L'administrateur priait également les autorités judiciaires compétentes à qui la lettre rogatoire était adressée de me permettre, en tant que commissaire, de mener l'interrogatoire des témoins conformément au droit, aux règles de preuve et de procédure en vigueur au Canada, aux Règles de la Cour fédérale (1998) et à la commission rogatoire délivrée par la Cour.

[9]         La lettre rogatoire a vraisemblablement été acheminée au gouvernement de l'Inde. Il semble que les fonctionnaires du gouvernement indien ne connaissaient pas bien ce type de demande, de sorte que ce n'est qu'à la mi-octobre 2001 qu'ils ont « accédé à la demande » , que le Haut-commissariat du Canada à New Delhi a été informé de l'acceptation de la demande et que les fonctionnaires judiciaires compétents indiens ont été autorisés à [TRADUCTION] « [...] fournir l'aide nécessaire au commissaire nommé par la Cour fédérale du Canada pour assurer la présence des témoins nommément désignés dans la lettre rogatoire » . [Non souligné dans l'original.]


[10]       Au cours de la conférence téléphonique que j'ai eue avec l'avocat du demandeur et l'avocat du défendeur le 15 novembre 2001, la période du 10 au 29 mars 2002 a été retenue pour la tenue de la commission rogatoire en Inde. La date du 4 janvier 2002 a été retenue comme date d'examen des éventuelles requêtes préliminaires. Aucune requête préliminaire n'a été déposée.

[11]       À la mi-février 2002, la Cour a donné des directives écrites aux avocats relativement à la confirmation, au plus tard le 22 février 2002, de la date d'interrogatoire des témoins, y compris la délivrance des subpoena, que les fonctionnaires du tribunal indien désignent sous le nom d' « assignations » , au respect des conditions relatives aux avis et à l'acceptabilité des interprètes proposés.


[12]       Toujours à la mi-février, le Haut-commissariat du Canada à New Delhi a, comme on pouvait s'y attendre, informé l'avocat du demandeur que certains des fonctionnaires désignés comme témoins dans la commission rogatoire et qui étaient également identifiés par le poste qu'ils occupaient n'exerçaient plus la fonction qui y était précisée. Le nom de la personne qui leur avait succédé était précisé. Comme le seul témoignage que devaient donner ces fonctionnaires consistait à confirmer les copies certifiées de certains dossiers originaux qui étaient sous leur garde, l'avocat du demandeur a informé la Cour et l'avocat du défendeur qu'il serait nécessaire de remplacer le nom des témoins par celui des personnes qui occupaient présentement leur poste. Malgré le fait que la Cour a dit craindre que l'autorisation accordée par le gouvernement de l'Inde au sujet du déroulement de la commission rogatoire ne vaille que pour les témoins nommément désignés dans la commission rogatoire, aucune requête n'a été présentée en vue de faire modifier la commission rogatoire et la lettre rogatoire qui avaient été acceptées. Il a d'ailleurs été reconnu qu'aucune suite ne pourrait être donnée à une telle demande de modification sans devoir modifier considérablement l'horaire du voyage prévu en Inde.

[13]       En tout état de cause, la commission rogatoire a eu lieu comme prévu à Ludhiana, dans l'État du Pendjab, en Inde.

[14]       Voici les propos qu'a tenus la Cour à l'ouverture de l'audience de la commission rogatoire, tels qu'ils ont été transcris dans le procès-verbal d'audience :

[TRADUCTION]

Comme nous en avons par ailleurs discuté lors des conférences téléphoniques et, en fait, plus tôt ce matin, la Cour tient à entendre vos témoins, quels qu'ils soient, que leur nom se trouve ou non sur la liste que le gouvernement de l'Inde a expressément approuvée. Nous examinerons plus tard au Canada, lorsque nous reprendrons l'instruction de l'affaire, comment nous allons traiter ces témoignages de même que tout autre témoignage au sujet duquel des préoccupations seront soulevées au cours de notre audience ici[2].

[15]       À la page 12 du même volume de la transcription, on trouve l'échange suivant entre l'avocat du défendeur et la Cour :

[TRADUCTION]

[...]

Finalement, je si bien compris, Votre Seigneurie a confirmé que les objections, si on peut les appeler ainsi, ne seront pas plaidées ici en Inde, mais qu'elles devront être débattues au Canada. C'est pourquoi, avant de commencer, nous allons aviser verbalement ou par écrit Me Gosman [l'avocat du demandeur] de toute objection. De fait, j'ai porté à son attention une question que je n'ai pas l'intention de soulever au Canada lorsque nous reprendrons les débats, compte tenu du fait qu'il s'agissait de la première occasion de comparaître devant ce qu'on pourrait au mieux qualifier de tribunal de première instance.


[...]

LA COUR : Merci, Me Minuk [l'avocat du défendeur]. Je vous invite toutefois dans la mesure du possible, si vous avez des objections - et j'espère qu'il n'y en aura pas trop - à les soulever ici même devant le tribunal pour qu'elles soient consignées au dossier et que la Cour, vous-même et Me Gosman soyons au courant de vos objections et que nous soyons davantage en mesure de nous préparer de notre propre façon à reprendre l'audience au Canada[3].

[16]       Au cours de la commission rogatoire, trois (3) témoins ont été appelés à témoigner pour le compte du demandeur. Aucun d'entre eux n'était nommé dans l'ordonnance du juge McKeown ou dans la lettre rogatoire s'y rapportant, mais chacun occupait un des postes énumérés dans l'ordonnance et la lettre rogatoire et chacun se présentait comme le successeur d'un des témoins nommément désignés. Des objections ont été soulevées de façon générale ou dans des cas déterminés. Dans le cas d'un de ces trois témoins, M. Darshan Singh, une objection supplémentaire a été soulevée au nom du défendeur relativement à deux pièces produites par son intermédiaire qui n'avaient pas été auparavant communiquées à l'avocat du défendeur ou que ce dernier n'avait pas vues avant le contre-interrogatoire[4].

[17]       Tout était donc en place pour la présentation des requêtes examinées dans les présents motifs.


QUESTIONS EN LITIGE

[18]       Bien que les points litigieux découlant des requêtes dont la Cour est saisie n'aient pas été définis avec précision dans les documents qui ont été soumis à la Cour, je suis convaincu qu'on peut les décrire brièvement de la façon suivante :

            1)         La Cour, telle qu'elle est présentement constituée, a-t-elle le pouvoir de modifier l'ordonnance rendue le 15 décembre 1998 par le juge McKeown en remplaçant le nom des titulaires de charge actuels [en date des 11 au 14 mars 2002] par le nom d'autres personnes qui étaient titulaire des mêmes charges ou de charges équivalentes à la date de l'ordonnance et de la lettre rogatoire?

            2)         Dans l'affirmative, quelles seraient les incidences d'une telle ordonnance modificative?


            3)         Quelles mesures la Cour doit-elle prendre si elle veut trouver un juste équilibre entre l'intérêt de la justice en jeu dans les présentes requêtes, en l'occurrence, suivant la Cour, dans un premier temps, de s'assurer qu'il n'y ait pas d'abus dans l'attribution de la citoyenneté canadienne, deuxièmement, de s'assurer que la Cour respecte la permission extraordinaire que lui accorde un État étranger et, troisièmement, d'assurer une procédure équitable aux personnes qui, comme le défendeur, participent à un renvoi comme celui-ci? L'examen de la question de l'équité de la procédure suppose l'éventuelle utilisation des dépositions et des pièces y afférentes des témoins qui ne sont pas identifiés par leur nom, mais par la charge qu'ils occupent, et qui n'ont pas été divulgués au défendeur avant l'audience de la commission rogatoire, et l'éventuel recours à des documents qui n'ont pas été communiqués à l'avocat du défendeur avant qu'il contre-interroge les témoins par l'intermédiaire desquels les pièces ont été versées au dossier.

ANALYSE

            1)         Le pouvoir de modification de la Cour

[19]       Lors de la conférence téléphonique qu'elle a tenue avec les avocats avant l'instruction des requêtes en litige, la Cour s'est dite préoccupée par le fait que l'ordonnance rendue le 15 décembre 1998 par le juge McKeown et la lettre rogatoire en résultant étaient peut-être périmées et que la Cour était peut-être en conséquence functus officio en ce qui concerne l'ordonnance et la lettre rogatoire en question.


[20]       Ayant entendu les avocats sur cette question et après avoir pris connaissance de tous les éléments dont disposait la Cour et tenu compte des circonstances dans lesquelles les présentes requêtes ont été introduites et instruites, je suis convaincu que l'ordonnance du juge McKeown et la lettre rogatoire y afférente ne sont pas périmées. Sur les vingt et un (21) témoins dont le nom figure dans l'ordonnance et la lettre rogatoire y afférente, seulement treize (13) d'entre eux, dont trois (3) ont été remplacés, ont été entendus à Ludhiana. Ainsi, du moins en théorie, l'un ou l'autre avocat pourrait demander que la commission rogatoire soit reprise de manière à ce que l'on entende le témoignage d'un ou de plusieurs des huit (8) témoins qui n'ont pas encore été entendus. Bien que je sois convaincu qu'une telle éventualité est peu probable et qu'il puisse être difficile d'envisager d'accéder à une telle requête en raison des frais qu'une telle mesure entraînerait, il s'agit malgré tout d'une mesure qui est en principe possible. De plus, tant que les témoignages et les pièces connexes recueillis lors de la commission rogatoire n'auront pas été versés au dossier du renvoi, il sera toujours loisible à l'avocat, du moins en théorie, de demander de retourner en Inde pour interroger ou contre-interroger à nouveau un ou plusieurs des témoins dont la déposition a été recueillie.

[21]       Je suis persuadé que, si toutes les personnes nommément désignées dans l'ordonnance du juge McKeown et la lettre rogatoire y afférente avaient effectivement témoigné et que leurs dépositions et les pièces connexes avaient été versées au dossier du renvoi, l'ordonnance du juge McKeown et la lettre rogatoire y afférente seraient effectivement périmées. Mais ce n'est pas le cas.

[22]       En conséquence, je suis convaincu que l'ordonnance du juge McKeown et la lettre rogatoire y afférente sont toujours exécutoires et peuvent être modifiées. Telle qu'elle est présentement constituée, la Cour n'est pas functus officio.


2)         Incidences de l'ordonnance modificative

[23]       Bien que je sois persuadé que, telle qu'elle est présentement constituée, la Cour est compétente pour modifier l'ordonnance du juge McKeown et la lettre rogatoire y afférente, je suis par ailleurs convaincu que, si le gouvernement de l'Inde ne modifie pas l'autorisation qu'il a déjà accordée de manière à élargir la portée de cette autorisation pour qu'elle s'étende à toute modification que notre Cour pourrait apporter à son ordonnance et à la lettre rogatoire y afférente, la modification effectuée par la Cour serait inutile. Notre Cour devrait répugner à prendre des mesures inutiles. Autrement dit, la réponse à la question de savoir si une telle mesure prise par la Cour serait ou non utile dépend entièrement de la réponse du gouvernement de l'Inde.

[24]       Notre Cour a déjà, dans la présente affaire, pris des mesures qu'on pourrait effectivement qualifier d'inutiles. En entendant à Ludhiana le témoignage de trois (3) témoins qui, en théorie du moins - et je suis convaincu que ce n'était pas seulement en théorie -, n'étaient pas visés par l'autorisation accordée par le gouvernement de l'Inde, la Cour a essentiellement pris des « mesures inutiles » en supposant qu'une fois de retour au Canada, cette mesure pourrait devenir utile ou pourrait être rendue utile.


[25]       L'avocat du demandeur insiste pour dire que la mesure en question a été rendue utile par le fait que la Haute Cour du Pendjab et de Haryana a délivré des assignations - ce que nous appelons des subpoenas - à trois (3) témoins de remplacement alors qu'elle était parfaitement au courant des modalités de la lettre rogatoire qui lui avait été adressée et à laquelle le gouvernement de l'Inde a finalement donné suite.

[26]       En toute déférence, je ne suis pas convaincu que la Haute Cour du Pendjab et de Haryana avait le pouvoir de modifier la portée de l'autorisation accordée par le gouvernement de l'Inde et, partant, la portée des pouvoirs qui lui étaient conférés. Certes, il n'en demeure pas moins que les mesures prises par la Haute Cour démontrent que celle-ci a reconnu que le remplacement du nom des témoins constituait davantage une mesure procédurale qu'une mesure de fond.


[27]       Ainsi que je l'ai déjà expliqué plus tôt dans les présents motifs, le témoignage des témoins de remplacement portait sur les fonctions qu'ils exerçaient en tant que titulaires des charges auparavant occupées par les témoins désignés dans l'ordonnance du juge McKeown et dans la lettre rogatoire y afférente. Il n'y a aucune raison de penser qu'en tant que gardiens des dossiers qui étaient appelés à témoigner uniquement au sujet des archives qu'ils gardaient et de la conformité avec les originaux qu'ils avaient apportés avec eux de certaines copies certifiées destinées à être utilisées dans le cadre de l'instance introduite devant le tribunal canadien, leur témoignage aurait été différent du témoignage que les témoins initialement désignés auraient pu donner, n'eût été du changement de circonstances. Dans ces conditions, il ne serait peut-être pas déraisonnable de s'attendre à ce que l'audition des témoins de remplacement par la Cour - audition qui, en théorie du moins, débordait le cadre des pouvoirs conférés à la Cour aux termes de l'autorisation accordée par le gouvernement de l'Inde - ne constituait rien de plus qu'une mesure raisonnable, compte tenu des frais que supposait l'obligation de se déplacer du Canada jusqu'en Inde pour recueillir des dépositions dans le cadre d'une commission rogatoire. On pourrait raisonnablement s'attendre à ce que le gouvernement de l'Inde aurait entériné cette mesure si notre Cour lui avait demandé de modifier après-coup l'autorisation initialement accordée.

[28]       Compte tenu de la brève analyse que je viens de faire, je ne suis pas disposé à conclure qu'il est plus probable qu'improbable qu'une modification de l'ordonnance du juge McKeown et de la lettre rogatoire y afférente serait inutile et, partant, injustifiée.

            3)         Les intérêts de la justice en jeu


[29]       La citoyenneté canadienne est un privilège et non un droit, et un privilège n'est jamais conféré à la légère. Le gouvernement du Canada et la population canadienne ont tout intérêt à s'assurer qu'il n'y ait pas d'abus dans l'attribution de ce privilège. Ainsi, la Loi sur la citoyenneté renferme des dispositions concernant la révocation de la citoyenneté canadienne lorsque quelqu'un a abusé de ce privilège en obtenant la citoyenneté par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Le présent renvoi est un exemple d'une partie de la procédure de révocation. Je suis convaincu qu'il importe, dans l'intérêt de la justice, que l'autorité chargée d'instruire un renvoi comme celui-ci dispose d'un dossier dans lequel se trouve la totalité des meilleurs éléments de preuve connus. En versant au dossier les témoignages et les pièces connexes produites par les témoins de remplacement, on contribuerait à sauvegarder cet intérêt.

[30]       C'est par ailleurs un lieu commun de dire que le Canada et la Cour ont tout intérêt à s'assurer que l'autorisation de recueillir des dépositions sur un sol étranger dans le cadre d'une commission rogatoire est respectée et que personne n'abuse de cette autorisation. Abuser de cette permission risquerait de compromettre à l'avenir les demandes d'une nature équivalente à celle qui est en litige en l'espèce. Ce facteur militerait en faveur de la non-admission en preuve du témoignage et des pièces connexes des témoins de remplacement à moins qu'on puisse d'abord s'assurer que le gouvernement indien modifie l'autorisation qu'il a déjà accordée de manière à dissiper tout doute quant à son assentiment à l'admission en preuve de ces témoignages et de ces documents.

[31]       Finalement, il est certainement incontestable qu'un défendeur comme le présent défendeur, qui se trouve au Canada depuis de nombreuses années, qui est citoyen canadien depuis plusieurs années et qui, si j'ai bien compris, s'est passablement intégré dans la société canadienne, ne doit pas être déchu de la citoyenneté par le biais d'une procédure qui pourrait être soupçonnée d'injustice.

[32]       L'avocat du défendeur soutient que, vu l'ensemble des faits de la présente affaire, admettre en preuve le témoignage et les pièces connexes des témoins de remplacement constituerait effectivement une procédure qui, non seulement pourrait être considérée comme injuste, mais qui l'est effectivement. Il invoque deux moyens au soutien de sa thèse. Premièrement, il affirme que le défendeur avait le droit de se fier à la portée de l'ordonnance du juge McKeown et de la demande et de l'autorisation en découlant. Il soutient que, si les dépositions des témoins de remplacement ne sont pas versées au dossier du renvoi ici au Canada, du moins sans que la procédure ne soit « régularisée » , son client se verra frustré de son droit à une procédure équitable malgré le fait que, si l'ordonnance et la lettre rogatoire connexe du juge McKeown avaient été modifiées comme il se doit avant que les dépositions en question ne soient recueillies en Inde et si cette modification avait été acceptée par le gouvernement de l'Inde, les préoccupations à ce sujet auraient certainement été dissipées.

[33]       En second lieu, l'avocat du défendeur affirme que l'admission en preuve des deux pièces qui ont été soumises par le truchement d'un des témoins de remplacement crée une injustice, malgré le fait que ces documents seraient, selon toute vraisemblance, pratiquement identiques aux deux pièces qui auraient été soumises par le titulaire de la charge nommément désigné dans l'ordonnance du juge McKeown et dans la lettre rogatoire connexe et qui ont effectivement été soumises, bien qu'avec peut-être une moins grande autorité, par le truchement des témoins de remplacement.


[34]       À tout prendre, je suis convaincu que l'intérêt de la justice favorise l'admission en preuve des dépositions des témoins de remplacement qui ont été recueillies dans le cadre du renvoi, à la condition expresse que le gouvernement indien autorise officiellement a posteriori l'audition des témoins de remplacement dont les dépositions ont été recueillies en Inde en mars de cette année. Pour en arriver à cette conclusion, je suis convaincu que cette mesure devrait s'appliquer également aux pièces qui ont été présentées par le troisième des témoins de remplacement, malgré le fait que ces pièces n'aient pas été communiquées précédemment à l'avocat du défendeur et qu'elles n'étaient même pas à la disposition des avocats, aux fins d'un contre-interrogatoire. Pour l'essentiel, je suis convaincu qu'aucun manquement sérieux à l'équité n'a été commis en raison de la non-divulgation antérieure de ces pièces.

CONCLUSION

[35]       En conséquence, la Cour prononcera une ordonnance par laquelle elle accordera les mesures suivantes :

- Premièrement, en versant au dossier du procès les dépositions et les pièces connexes, à l'exception des pièces A2 et A7, des dix (10) témoins au témoignage desquels le défendeur ne s'oppose pas et à l'admission en preuve duquel le défendeur a effectivement consenti;


- en deuxième lieu, en modifiant l'ordonnance prononcée le 15 décembre 1998 par le juge McKeown en y remplaçant le nom des témoins dont le témoignage a effectivement été recueilli dans le cadre d'une commission rogatoire et qui, au moment où leur témoignage a été recueilli, n'étaient pas nommément désignés dans l'ordonnance du juge Gibson et en donnant pour directives à l'administrateur de la Cour de rédiger et de délivrer une autre lettre rogatoire relativement aux témoins remplacés par d'autres témoins, en modifiant dans chaque cas le titre de la charge occupée par le témoin dont la déposition a effectivement été recueillie et des charges occupées par les témoins qui occupaient les postes en question au moment où le juge McKeown a prononcé son ordonnance et a délivré sa lettre rogatoire;

- troisièmement, en acceptant en preuve dans le cadre de la procédure de révocation le témoignage et toutes les pièces connexes de témoins de remplacement si, et uniquement si, dans un délai d'un an à compter de la date de la présente ordonnance, le gouvernement de l'Inde accepte de modifier son autorisation pour se conformer à la lettre rogatoire supplémentaire.

[36]       La modification de l'ordonnance du juge McKeown modifierait en conséquence la commission rogatoire en vertu de laquelle j'ai agi.


[37]       J'ai hésité à prendre une mesure qui pourrait sembler équivaloir à l'imposition arbitraire d'un délai au gouvernement de l'Inde. Je suis conscient du fait que la Cour n'a pas ce pouvoir. Par ailleurs, je suis conscient aussi du fait que la présente instance dure depuis presque sept ans. L'incertitude prolongée a sans nul doute fait subir au défendeur et à sa famille un stress important et je suis conscient de ces incidences. Ainsi, le délai arbitraire imposé n'est pas dirigé contre le gouvernement de l'Inde, mais vise plutôt à s'assurer, du moins dans la mesure où j'ai le pouvoir de le faire, que le défendeur bénéficie d'une procédure équitable. Je demeure ouvert à la possibilité de proroger le délai imparti au gouvernement de l'Inde pour modifier son autorisation si l'on me prouve de façon appropriée que le gouvernement du Canada a tout fait en son pouvoir pour faciliter une prise de décision par le gouvernement indien. Si je suis convaincu que le délai d'un an est trop court pour des raisons que l'on ne peut imputer au gouvernement du Canada, je ferai bon accueil à une requête visant à faire modifier mon ordonnance de manière à proroger le délai prescrit.

                                                                             « Frederick E. Gibson »    

                                                                                                             Juge                 

Ottawa (Ontario)

Le 14 août 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-2755-95

INTITULÉ :              MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION c. MALKIAT SINGH

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 29 JUILLET 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                     LE 14 AOÛT 2002

COMPARUTIONS:

ROBERT GOSMAN                                           POUR LE DEMANDEUR

MARTIN MINUK                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

MORRIS ROSENBERG                                                 POUR LE DEMANDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

PITBLADO BUCHWALD ASPER                                POUR LE DÉFENDEUR

WINNIPEG (MANITOBA)



[1]         L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 10.

[2]       Transcription, volume 1, lundi 11 mars 2002, page 8, lignes 16 à 25 et page 9, ligne 1.

[3]       Transcription, volume 1, lundi 11 mars 2002, page 12 - lignes 18 à 25, et page 13, ligne 1.

[4]         Transcription, volume IV, jeudi 14 mars 2002, page 232, lignes 4 à 8.

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