Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190507


Dossier : T‑2182‑18

Référence : 2019 CF 595

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2019

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

ENTRE :

TEVA CANADA INNOVATION ET

TEVA CANADA LIMITÉE

demanderesses

et

PHARMASCIENCE INC.

défenderesse

et

YEDA RESEARCH AND DEVELOPMENT CO., LTD.

Brevetée ajoutée en application du paragraphe 6(2)

du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et

du paragraphe 55(3) de la Loi sur les brevets


ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Dans le contexte de la présente action, déposée en vertu du paragraphe 6(1) de la version récemment modifiée du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (« le Règlement »), la défenderesse Pharmascience Inc. cherche à faire radier des éléments de la déclaration des demanderesses Teva Canada Innovation et Teva Canada Limitée (collectivement appelées « Teva » dans les présents motifs), sur le fondement que ces dernières plaident ou réunissent irrégulièrement une cause d’action en contrefaçon à l’égard d’un produit pharmaceutique pour lequel elle détient déjà un avis de conformité et dont il n’a pas été fait état dans un avis d’allégation.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la requête de Pharmascience sera accueillie en partie, mais uniquement en ce qui concerne la radiation des éléments de la déclaration de Teva qui allèguent l’existence d’une cause d’action pour contrefaçon actuelle et antérieure.

I.  LE CONTEXTE FACTUEL ET PROCÉDURAL

[3]  Yeda Research and Development Co. Ltd. est la propriétaire du brevet canadien no 2 702 437 (le brevet 437), qui concerne l’utilisation d’acétate de glatiramère pour le traitement des patients atteints ou à risque de sclérose en plaques. Teva a obtenu, avec le consentement de Yeda, des avis de conformité (AC) afin de vendre au Canada un produit à base d’acétate de glatiramère sous la marque nominative Copaxone aux concentrations de 20 mg/1 ml et de 40 mg/1 ml. Teva a aussi inscrit, avec le consentement de Yeda, le brevet 437 au registre des brevets tenu par le ministère de la Santé en application du Règlement, mais uniquement en ce qui a trait à la concentration de 40 mg/1 ml. Aucun brevet n’est inscrit au registre quant à la concentration de 20 mg/1 ml.

[4]  Pharmascience a obtenu un AC et vend au Canada depuis août 2017 son propre produit à base d’acétate de glatiramère en concentration de 20 mg/1 ml, sous la marque nominative Glatect (le Glatect 20 mg).

[5]  En novembre 2018, Pharmascience a présenté une demande d’AC concernant le Glatect 40 mg, une forme posologique d’acétate de glatiramère en concentration de 40 mg/1 ml. La présentation de drogue de Pharmascience compare directement ou indirectement le Glatect 40 mg au Copaxone et a été déposée sous la forme d’un supplément à une présentation de drogue nouvelle (SPDN), en l’occurrence la présentation de drogue nouvelle pour laquelle l’AC du Glatect 20 mg avait été délivré.

[6]  Étant donné que le brevet 437 n’est pas inscrit à l’égard de la concentration de 20 mg/1 ml, mais qu’il l’est à l’égard de la concentration de 40 mg/1 ml, Pharmascience n’avait pas à tenir compte de ce brevet en vue d’obtenir son AC initial pour le Glatect 20 mg, mais elle était tenue de le faire pour le Glatect 40 mg. Pharmascience l’a fait en signifiant à Teva un avis d’allégation (AA) daté du 13 novembre 2018, dans lequel elle allègue que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente du Glatect 40 mg ne contrefera pas le brevet 437 et que ce dernier est invalide.

[7]  Par une déclaration déposée dans le cadre de la présente action, Teva invoque le paragraphe 6(1) du Règlement et demande à la Cour de déclarer que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente du Glatect 20 mg et du Glatect 40 mg, conformément au SPDN déposé en novembre 2018, contreferait le brevet 437. De plus, dans sa déclaration, Teva fait état de la contrefaçon actuelle et antérieure de Pharmascience, et elle demande réparation à cet égard, relativement à la vente du Glatect 20 mg aux termes de l’AC antérieurement délivré à Pharmascience, et ce, depuis le mois d’août 2017.

[8]  Dans la présente requête, Pharmascience cherche à faire radier tous les éléments de la déclaration qui se rapportent à son Glatect 20 mg, au motif que la tentative de Teva pour concevoir une cause d’action au titre du paragraphe 6(1) du Règlement à l’égard du produit à concentration de 20 mg/1 ml ne révèle aucune cause raisonnable d’action, qu’elle est frivole ou vexatoire ou constitue par ailleurs un abus de procédure, et que l’article 6.02 du Règlement interdit à Teva d’inclure une action en contrefaçon de brevet à l’égard du Glatect 20 mg.

II.  LE CADRE D’ANALYSE

[9]  Les causes d’action pour contrefaçon de brevet sont purement d’origine législative. L’article 55 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4, prévoit un droit d’action en cas de contrefaçon de brevet. Cependant, le paragraphe 55.2 (1) de cette Loi, également appelé l’« exception relative aux travaux préalables », établit une exception pour l’utilisation d’une invention brevetée à seule fin de préparer et de produire le dossier d’information qu’exige un règlement. Un fabricant de produits pharmaceutiques qui a l’intention de vendre une version générique d’un médicament breveté n’est donc pas susceptible d’être poursuivi pour contrefaçon de brevet juste parce qu’il a fabriqué ou mis à l’essai un produit censément contrefaisant dans le but de présenter une demande d’AC avant l’expiration du brevet. À défaut d’un acte de contrefaçon donnant ouverture à une action, un breveté n’aurait, sous le régime de la Loi sur les brevets, aucun moyen d’intenter une poursuite ou de demander une injonction par anticipation, dans le but d’empêcher qu’un fabricant de génériques mette sur le marché un produit contrefaisant, sauf s’il peut, d’une part, invoquer des faits montrant que ce fabricant utilise l’invention à une fin autre que l’obtention d’une approbation réglementaire ou, d’autre part, répondre au critère très strict qui s’applique au dépôt d’une action quia timet.

[10]  Dans le but de créer dans le secteur pharmaceutique un juste équilibre entre les droits relatifs aux travaux préalables des fabricants de génériques et les droits de brevet des innovateurs, le gouvernement s’est servi des pouvoirs réglementaires que confère le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets pour créer les droits d’action qui figurent au paragraphe 6(1) du Règlement. De façon générale, le paragraphe 6(1) autorise un breveté, dans certaines circonstances précises, à s’adresser à la Cour pour qu’elle déclare que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente d’un produit médicamenteux proposé pour lequel un fabricant de génériques demande un AC contreferait ses brevets.

[11]  En droit canadien, tout droit d’action pour contrefaçon de brevet se limite donc à ceux que créent l’article 55 de la Loi sur les brevets et le paragraphe 6(1) du Règlement. Cependant, le Règlement envisage que les droits d’action que confère le paragraphe 6(1) doivent être exercés dans un strict cadre procédural, et l’article 6.02 dispose que, au cours de la période définie au paragraphe 7(1) du Règlement, ces droits ne devraient pas être combinés à d’autres droits découlant de la Loi sur les brevets.

[12]  Tout en gardant à l’esprit le contexte législatif décrit plus tôt, il est utile, pour les besoins de la présente requête, de considérer que la déclaration de Teva soulève trois causes d’action distinctes :

  • a) une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement en vue d’obtenir une déclaration portant que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente du Glatect 40 mg, conformément au SPDN, contreferait le brevet 437;

  • b) une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement en vue d’obtenir une déclaration portant que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente du Glatect 20 mg, conformément au SPDN, contreferait le brevet 437;

  • c) une action en vue d’obtenir une déclaration portant que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente du Glatect 20 mg depuis août 2017, conformément à l’AC déjà délivré à Pharmascience, contrefait et continuera de contrefaire le brevet 437. Bien qu’il s’agisse là d’une cause d’action qui peut être invoquée au titre de l’article 55 de la Loi sur les brevets, Teva semble également l’invoquer au titre du paragraphe 6(1) du Règlement.

[13]  Pharmascience ne conteste pas que Teva a une cause raisonnable d’action au titre du paragraphe 6(1) du Règlement à l’égard du Glatect 40 mg. Pour ce qui est des deuxième et troisième causes d’action, Pharmascience fait valoir que Teva n’a aucune cause d’action valide au titre du paragraphe 6(1) du Règlement à l’égard du Glatect 20 mg. Elle admet que Teva aurait une cause raisonnable d’action au titre de l’article 55 de la Loi sur les brevets à l’égard du Glatect 20 mg, mais elle affirme qu’une telle action, du fait de l’article 6.02 du Règlement, ne peut pas être réunie à celle qu’intente Teva en vertu du paragraphe 6(1) à l’égard du Glatect 40 mg.

[14]  Les questions que soulève la présente requête vont donc au‑delà de celle qui consiste à savoir si, dans les circonstances de l’espèce, une action en contrefaçon de brevet ordinaire peut être réunie à une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement. La principale question à trancher consiste plutôt à déterminer s’il est raisonnablement défendable que Teva a une cause d’action au titre du paragraphe 6(1) du Règlement à l’égard du Glatect 20 mg et, dans l’affirmative, si cette cause d’action englobe une cause d’action pour contrefaçon actuelle et antérieure. De plus, Pharmascience soutient que les allégations formulées dans la déclaration, à savoir que le Glatect 20 mg est visé par le SPDN de Pharmascience, sont frivoles et vexatoires et constituent un abus de procédure. Enfin, dans la mesure où il n’existe aucune cause raisonnable d’action au titre du paragraphe 6(1) du Règlement à l’égard d’une contrefaçon actuelle ou antérieure par le Glatect 20 mg, la Cour devra examiner s’il y a lieu de radier les allégations formulées à cet effet dans la déclaration, au motif qu’elles sont contraires à l’article 6.02 du Règlement.

III.  ANALYSE

A.  Teva a‑t‑elle une cause d’action raisonnablement défendable à l’égard du Glatect 20 mg, au titre du paragraphe 6(1)?

[15]  Dans la mesure où la requête en radiation de Pharmascience est fondée sur l’alinéa 221(1)a) des Règles et affirme que les éléments contestés ne révèlent aucune cause raisonnable d’action, il est nécessaire, conformément au paragraphe 221(2) des Règles, de l’examiner sans se reporter à la preuve que Pharmascience a produite. La Cour doit considérer comme avérés les faits importants qui sont allégués dans la déclaration, sauf si les allégations reposent sur des hypothèses et des conjectures (R c Imperial Tobacco, 2011 CSC 42).

[16]  Un élément clé de l’analyse de la Cour est l’allégation formulée au paragraphe 22 de la déclaration, à savoir que [traduction] « Pharmascience a déposé une demande d’avis de conformité, à savoir un SPDN déposé le 1er novembre 2018, à l’égard d’un médicament, à savoir le Glatect »; Teva, au paragraphe 1.a, a défini le terme « Glatect » et celui-ci inclut le Glatect 20 mg et le Glatect 40 mg. Bien que Pharmascience, dans tout son dossier de requête et toute son argumentation, affirme que cette allégation est trompeuse, inexacte et non fondée, la Cour n’est pas convaincue que cette allégation repose sur des conjectures ou des hypothèses. D’après le Règlement, Pharmascience était tenue de signifier à Teva une copie des éléments pertinents de son SPDN. Teva serait ainsi en mesure de fonder ses allégations sur la teneur du SPDN, plutôt que sur des conjectures ou des hypothèses. En outre, pour étayer son affirmation selon laquelle le Glatect 20 mg n’est pas visé par son SPDN, Pharmascience se fonde sur des faits qui ne sont pas allégués dans la déclaration, mais qui sont énoncés dans des affidavits déposés à l’appui de sa requête. Comme il a été mentionné, il est interdit d’utiliser une preuve par affidavit pour déterminer si les allégations figurant dans une déclaration révèlent une cause raisonnable d’action, surtout si cette preuve vise à contredire la véracité de faits exposés dans la déclaration.

[17]  Pour les besoins de la présente analyse, la Cour considérera donc comme avérée l’allégation selon laquelle le SPDN de Pharmascience vise également le Glatect 20 mg.

[18]  La position de Teva est simple. Elle se fonde sur le libellé clair du paragraphe 6(1) et lie chacune des exigences énoncées dans cette disposition aux allégations formulées dans sa déclaration.

[19]  Le texte du paragraphe 6(1) du Règlement est le suivant :

6 (1) La première personne ou le propriétaire d’un brevet qui reçoit un avis d’allégation en application de l’alinéa 5(3)a) peut, au plus tard quarante-cinq jours après la date à laquelle la première personne a reçu signification de l’avis, intenter une action contre la seconde personne devant la Cour fédérale afin d’obtenir une déclaration portant que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente d’une drogue, conformément à la présentation ou au supplément visé aux paragraphes 5(1) ou (2), contreferait tout brevet ou tout certificat de protection supplémentaire visé par une allégation faite dans cet avis.

6(1) The first person or an owner of a patent who receives a notice of allegation referred to in paragraph 5(3)(a) may, within 45 days after the date on which the first person is served with the notice, bring an action against the second person in the Federal Court for a declaration that the making, constructing, using or selling of a drug in accordance with the submission or supplement referred to in subsection 5(1) or (2) would infringe any patent or certificate of supplementary protection that is the subject of an allegation set out in that notice.

 

[Non souligné dans l’original.]

[20]  Teva mentionne donc les éléments essentiels de la cause d’action qui sont énoncés au paragraphe 6(1) et elle les lie aux faits allégués dans sa déclaration :

  • a) Teva est une première personne;

  • b) L’AA que Pharmascience a envoyé à Teva est un AA mentionné à l’alinéa 5(3)a);

  • c) Le SPDN de Pharmascience est un supplément mentionné au paragraphe 5(2);

  • d) Le SPDN de Pharmascience vise à la fois le Glatect 20 mg et le Glatect 40 mg;

  • e) La déclaration vise à demander à la Cour de déclarer que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente du Glatect 20 mg, conformément au SPDN, contrefera le brevet 437;

  • f) Le brevet 437 est visé par une allégation énoncée dans l’AA.

[21]  C’est donc dire, selon Teva, qu’il importe peu que le brevet 437 ne soit pas inscrit à l’égard de la concentration de 20 mg/1 ml ou que l’AA ne fasse pas mention du Glatect 20 mg. Ce qui compte, c’est que, comme il est allégué dans la déclaration, si un AC est délivré conformément au SPDN, il s’ensuit que le Glatect 20 mg sera fabriqué, construit, exploité ou vendu conformément au SPDN et qu’il contrefera un brevet à l’égard duquel des allégations sont formulées dans l’AA. Selon l’argument de Teva, la cause d’action envisagée au paragraphe 6(1) n’est plus fondée sur la teneur de l’AA et sur la question de savoir si les allégations sont justifiées, comme c’était le cas sous l’ancien régime, mais sur la teneur de la présentation et sur la question de savoir si un médicament fabriqué d’une manière conforme à cette présentation contreferait un brevet inscrit.

[22]  Pharmascience fait quant à elle valoir que l’interprétation littérale que fait Teva du paragraphe 6(1) contrevient à l’objet et à l’esprit du Règlement, lesquels demeurent, comme c’était le cas avant les modifications apportées en 2017, axés sur la création d’un juste équilibre entre les droits relatifs aux travaux préalables des fabricants de génériques et ceux relatifs au brevet des innovateurs. Ainsi, se fondant sur le raisonnement de la Cour suprême dans l’arrêt AstraZeneca Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 560, [2006] 2 RCS 50, Pharmascience fait valoir que le droit d’action que confère le paragraphe 6(1) à une première personne ne peut exister indépendamment des obligations d’une seconde personne que prévoit l’article 5 du Règlement, ni avoir une portée plus large que ces obligations. Essentiellement, Pharmascience soutient qu’une interprétation téléologique du paragraphe 6(1) exige que les mots « une drogue » soient interprétés comme désignant le médicament à l’égard duquel l’AA devait être signifié, de façon à ce qu’il y ait, conformément à l’ancien régime, une relation claire entre les droits d’action que confère le paragraphe 6(1) et l’obligation qu’a une seconde personne de signifier un AA. Vu que le brevet 437 n’est pas inscrit à l’égard de la concentration de 20 mg/1 ml, que Pharmascience détient déjà un AC pour le Glatect 20 mg et que Pharmascience n’est pas tenue de traiter et n’a pas traité du brevet 437 dans son AA à l’égard du Glatect 20 mg, les obligations qu’impose l’article 5 à Pharmascience ne sont pas entrées en jeu à l’égard du Glatect 20 mg, et Teva ne peut bénéficier d’un droit d’action au titre du paragraphe 6(1) à l’égard de cette formulation pharmaceutique particulière.

[23]  L’avocate de Pharmascience a présenté la justification de cet argument de manière complète, cohérente et convaincante à l’audience, et la Cour lui sait gré de ses observations. Cependant, le seuil à atteindre pour radier une action comme ne révélant aucune cause raisonnable d’action est très élevé. La Cour doit être persuadée que, à supposer que les faits allégués soient avérés, l’action n’a aucune chance raisonnable de succès. Aussi convaincant que puisse être l’argument de Pharmascience, la position de Teva est elle aussi éminemment défendable. L’interprétation correcte et la détermination de la portée du paragraphe 6(1) soulèvent des questions d’interprétation législative complexes dans le contexte d’un nouveau régime réglementaire. Tout comme elle a refusé, dans une longue série de décisions jurisprudentielles portant sur l’interprétation appropriée à donner à l’article 8 du Règlement, de radier des actes de procédure dans le cadre de requêtes préliminaires pendant que le droit relatif au droit d’action que conférait cette disposition demeurait dans un « état embryonnaire », la Cour devrait hésiter à radier une action intentée sous le nouveau régime au stade des actes de procédure où l’on soulève des questions d’interprétation législative défendables (voir Apotex Inc c Eli Lilly and Co, 2001 CFPI 636; Apotex Inc c Syntex Pharmaceuticals International Ltd (2001), 16 CPR (4th) 473 (CF 1re inst), conf. par (2002), 20 CPR (4th) 190 (CAF); Apotex Inc c Merck & Co (2004) 248 FTR 82, [2004] ACF no 1495 (QL); Apotex Inc c Astrazeneca Canada Inc 2007 CF 696).

[24]  La Cour n’est pas convaincue qu’il est évident et manifeste que Teva n’a pas une cause raisonnable d’action en vue d’obtenir, aux termes du paragraphe 6(1) du Règlement, une déclaration portant que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente du Glatect 20 mg, conformément au SPDN, contreferait le brevet 437.

B.  Teva a‑t‑elle une cause d’action raisonnablement défendable, au titre du paragraphe 6(1), à l’égard de la contrefaçon actuelle ou antérieure par le Glatect 20 mg?

[25]  Comme il est allégué dans la déclaration, Pharmascience vend le Glatect 20 mg depuis le mois d’août 2017. Le paragraphe 6(1) du Règlement envisage expressément qu’une action a pour but d’obtenir une déclaration portant que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente d’un médicament, conformément à la présentation, contreferait le brevet. Il n’est pas allégué dans la déclaration que la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente, qu’elle soit actuelle ou antérieure, du Glatect 20 mg était conforme au SPDN. En fait, il est évident et manifeste que les activités antérieures ou actuelles de Pharmascience à l’égard du Glatect 20 n’ont pas été exécutées « conformément au SPDN », puisque ce dernier n’a pas été déposé avant le 1er novembre 2018 et que, aux termes de l’article 7 du Règlement, il est interdit au ministre de délivrer un AC à l’égard de ce SPDN avant, au moins, la date à laquelle la présente action est rejetée ou qu’il se soit écoulé une période de 24 mois depuis qu’elle a été intentée.

[26]  L’argument de Teva n’est pas tant que le paragraphe 6(1) peut s’interpréter comme étendant les droits d’action qu’il crée à toutes les versions du même médicament, indépendamment de la présentation ou du supplément aux termes desquels elles sont fabriquées, mais que la disposition doit être interprétée de manière à faire droit à de telles actions, parce que, sans cela, l’article 6.01 du Règlement interdirait injustement à Teva de les faire valoir. Le texte de l’article 6.01 est le suivant :

6.01 Aucune autre action qu’une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) ne peut être intentée contre la seconde personne pour la contrefaçon d’un brevet ou d’un certificat de protection supplémentaire visé par un avis d’allégation signifié en application de l’alinéa 5(3)a) relativement à la fabrication, à la construction, à l’exploitation ou à la vente d’une drogue conformément à la présentation ou au supplément visé aux paragraphes 5(1) ou

2) sauf si la première personne ou le propriétaire du brevet n’avait pas, dans la période de quarante-cinq jours prévue au paragraphe 6(1), de motifs raisonnables pour intenter une action en vertu de ce paragraphe.

6.01 No action, other than one brought under subsection 6(1), may be brought against the second person for infringement of a patent or a certificate of supplementary protection that is the subject of a notice of allegation served under paragraph 5(3)(a) in relation to the making, constructing, using or selling of a drug in accordance with the submission or supplement referred to in subsection 5(1) or

(2) unless the first person or the owner of the patent did not, within the 45 day period referred to in subsection 6(1), have a reasonable basis for bringing an action under that subsection.

[Non souligné dans l’original.]

[27]  Teva affirme qu’étant donné que le brevet 437 est un « brevet […] visé par un avis d’allégation », elle doit forcément inclure son action relative à une contrefaçon antérieure de ce brevet par le Glatect 20 mg dans son action fondée sur le paragraphe 6(1) car, sans cela, il lui serait interdit d’intenter une action pour cette contrefaçon. Teva se fonde sur le résumé de l’étude d’impact de la réglementation accompagnant les modifications apportées en 2017 au Règlement, lequel explique que les modifications ont pour but de préserver les droits d’action des innovateurs et même d’autoriser les allégations de contrefaçon à l’égard de brevets non visés par un AA, en tant qu’appui supplémentaire à sa position selon laquelle il n’y a pas lieu d’interpréter le Règlement d’une manière qui ferait disparaître des droits d’action existants (Résumé de l’étude d’impact de la réglementation concernant le Règlement de 2017 modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) : Gazette du Canada, vol. 151, no 28 – 15 juillet 2017 (le « REIR »).

[28]  La manière dont Teva interprète l’article 6.01 est déraisonnable. Tant selon son sens ordinaire que par son esprit, ainsi que le précise le REIR, l’article 6.01 ne s’applique qu’aux actions en contrefaçon qui auraient pu être intentées à titre d’actions déclaratoires en vertu du paragraphe 6(1) en faisant preuve de diligence raisonnable. Au sujet de l’article 6.01, le REIR indique :

Si la première personne ou le propriétaire du brevet choisit de ne pas engager d’instance en vertu du règlement proposé à l’égard d’un brevet inscrit au registre des brevets et mentionné dans un AA, le règlement proposé interdirait que des actions soient intentées par la suite contre la seconde personne au sujet de la contrefaçon de ce brevet, sauf si la première personne ou le propriétaire du brevet n’avait pas, dans le délai prévu au Règlement, des motifs raisonnables pour intenter une action en vertu du Règlement. Des exemples de situations où la première personne ou le propriétaire du brevet peut ne pas avoir eu des motifs raisonnables pour intenter une action comprennent lorsque les renseignements fournis par le fabricant de médicaments génériques étaient faux, contenaient une erreur trompeuse sur un point important ou étaient nettement incomplets (notamment en raison d’un changement subséquent apporté au produit générique).

La disposition favorise la certitude en droit, en prévenant les retards stratégiques pour introduire une procédure à l’égard d’un brevet inscrit au registre des brevets, et encourage par ailleurs une divulgation importante de la part de la seconde personne qui cherche à se prévaloir de cette disposition. […]

[Non souligné dans l’original.]

[29]  Rien ne justifie que le Règlement vise à entraver l’exercice de droits d’action découlant de la Loi sur les brevets à l’égard de produits qui sont déjà vendus, et pour lesquels la détermination de caractéristiques potentiellement contrefaisantes n’exige pas que la seconde personne fasse une divulgation particulière.

[30]  L’argument de Teva selon lequel une action pour contrefaçon antérieure du brevet 437 par le Glatect 20 mg serait interdite par l’article 6.01, juste parce que le brevet 437 est un « brevet […] visé par un avis d’allégation » fait en outre abstraction de l’énoncé « relativement à la fabrication, à la construction, à l’exploitation ou à la vente d’une drogue conformément à la présentation ou au supplément visé ». Cet énoncé reflète directement les dispositions du paragraphe 6(1) et lie l’interdiction aux actions en contrefaçon qui se rapportent à un médicament fabriqué conformément à cette présentation particulière. Les derniers mots de l’article 6.01 précisent également que, pour que l’interdiction s’applique, la première personne ne devrait pas avoir eu de motif raisonnable pour intenter une action « en vertu de ce paragraphe », c’est‑à‑dire en vertu du paragraphe 6(1).

[31]  Comme il n’est pas allégué que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente, antérieure et actuelle, du Glatect 20 mg est conforme au SPDN du 1er novembre 2018 et qu’elle ne peut pas l’être, Teva n’est pas et ne peut pas être justifiée en droit d’intenter une action pour la contrefaçon du brevet 437 par ce produit, en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement, et une action pour cette contrefaçon ne peut pas être interdite par l’article 6.01 du Règlement. Il n’y a donc aucune restriction des droits d’action que la Loi sur les brevets confère à Teva qui pourrait justifier que l’on étende le sens et l’esprit ordinaires du paragraphe 6(1). Il vaut la peine de signaler qu’à l’audition de la présente requête Pharmascience a expressément soutenu qu’étant donné qu’il est nécessaire d’interpréter de manière cohérente le paragraphe 6(1) et l’article 6.01, l’article 6.01 ne pourrait pas interdire le dépôt d’une action ultérieure qui serait fondée sur un élément quelconque de la déclaration que notre Cour pourrait radier comme ne révélant aucune cause raisonnable d’action au titre du paragraphe 6(1).

[32]  La Cour est convaincue qu’il est évident et manifeste que Teva n’a aucune cause raisonnable d’action au titre du paragraphe 6(1) du Règlement à l’égard de la contrefaçon antérieure ou actuelle, par le Glatect 20 mg, du brevet 437.

C.  Les allégations de Teva selon lesquelles le SPDN est lié au Glatect 20 mg sont-elles frivoles ou vexatoires ou constituent-elles un abus de procédure?

[33]  Comme il a été mentionné plus tôt, l’action de Teva à l’égard du Glatect 20 mg s’articule autour de l’interprétation du paragraphe 6(1), en ce sens que cette disposition lie le droit d’action à la présentation ou au supplément aux termes duquel un médicament doit être fabriqué, exploité ou vendu, ainsi qu’autour de l’allégation selon laquelle le SPDN qui est en litige dans la présente action est lié au Glatect 20 mg. Dans la première partie de la présente analyse, la Cour a tenu pour acquis que cette allégation, telle qu’elle a été formulée dans la déclaration, était avérée et elle s’est abstenue d’examiner la preuve que Pharmascience a produite sur cette question.

[34]  Pharmascience soutient que cette preuve est toutefois admissible pour examiner une requête fondée sur l’alinéa 221(1)c) des Règles et faisant valoir qu’un acte de procédure est frivole ou vexatoire, ou fondée sur l’alinéa 221(1)f) des Règles et faisant valoir qu’il s’agit d’un abus de procédure. Pharmascience fait valoir que l’allégation de Teva selon laquelle le SPDN est lié au Glatect 20 mg est dénuée de fondement et a pour seul but d’étayer la réunion irrégulière d’une cause d’action à l’égard du Glatect 20 mg dans le cadre d’une action fondée sur le paragraphe 6(1), de façon à contrecarrer l’objet et l’esprit du régime réglementaire.

[35]  Pharmascience déclare que la monographie de produit qu’elle a déposée dans le cadre de son SPDN fait bel et bien référence au Glatect 20 mg et au Glatect 40 mg, mais que le SPDN avait pour seul but de faire homologuer la concentration de 40 mg/1 ml, puisqu’elle dispose déjà d’un AC pour le Glatect 20 mg. Elle soutient qu’aucun changement important n’a été apporté à la concentration de 20 mg/1 ml et que Teva s’est simplement servie du fait que la monographie de produit mentionne les deux concentrations comme prétexte pour alléguer que le SPDN se rapporte au Glatect 20 mg.

[36]  La position de Pharmascience s’appuie sur l’affidavit de sa directrice des affaires réglementaires mondiales. Cet affidavit est court, et ce qu’il établit est plutôt limité : il établit que le SPDN vise l’homologation du Glatect 40 mg, que Pharmascience détient déjà un AC concernant le Glatect 20 mg, qu’aucun brevet n’est inscrit au registre à l’égard du produit à base d’acétate de glatiramère de 20 mg de Teva, et que les avis d’allégation envoyés à Teva par Pharmascience en novembre 2018 se rapportent au Glatect 40 mg, et non au Glatect 20 mg. Il importe de souligner que rien dans l’affidavit n’indique que le SPDN se rapporte au Glatect 20 mg de quelque façon que ce soit, hormis le fait qu’il vise l’homologation du Glatect 40 mg.

[37]  Teva n’a pas contre-interrogé l’auteure de l’affidavit et, à vrai dire, ne conteste pas vraiment les faits qui y sont énoncés. Cependant, en réponse, Teva a déposé l’affidavit d’un parajuriste dans le but d’introduire, entre autres documents : la lettre d’Accusé de réception et attestation des renseignements reçus qui était jointe à l’avis d’allégation, qui confirme que la présentation avait été déposée sous la forme d’un SPDN, et qui désigne le produit sous le nom de « Glatect » sans en préciser la concentration; le projet de monographie de produit joint à l’avis d’allégation de Pharmascience, seul élément du SPDN communiqué à Teva par Pharmascience, qui se rapporte aux concentrations de 20 mg et de 40 mg; la monographie de produit approuvée pour la version actuelle du Glatect 20 mg; la version actuelle de la monographie de produit concernant le Copaxone 20 mg et 40 mg de Teva.

[38]  Les deux avocats se sont appuyés sur ces quelques documents pour présenter des arguments détaillés sur la question de savoir si le Glatect 20 mg était visé par le SPDN, si des modifications nécessitant le dépôt d’un SPDN avaient été apportées à la monographie de produit du Glatect 20 mg, et si Pharmascience était tenue de structurer sa présentation relative au Glatect 40 mg sous la forme d’un SPDN si aucun changement important n’avait été fait à l’égard du Glatect 20 mg. Ces arguments comprenaient : un examen des lignes directrices de Santé Canada énonçant dans quelles conditions et à quel moment les changements doivent faire l’objet d’un SPDN; une comparaison des sections de la monographie actuelle du Glatect 20 mg de Pharmascience, des sections du projet de monographie de produit mentionnant Glatect 20 mg et des sections de la monographie du Copaxone de Teva, afin de déterminer si les différences observables révèlent des changements notables à un aspect quelconque de la concentration de 20 mg/1 ml du Glatect qui auraient nécessité le dépôt d’un SPDN pour cette concentration, ce qui justifierait l’allégation de Teva selon laquelle le SPDN [traduction] « se rapporte » au Glatect 20 mg.

[39]  La Cour a de sérieux doutes quant au bien-fondé de recourir à l’alinéa 221(1)c) ou f) des Règles comme moyen de produire une preuve qui permet précisément de réfuter la véracité d’une allégation de fait formulée dans un acte de procédure, de façon à pouvoir ensuite faire valoir que cette allégation est frivole ou vexatoire ou qu’elle constitue un abus de procédure. La Cour trouve qu’il s’agirait là d’un moyen indirect de produire une preuve dans le cadre d’une requête en radiation d’un acte de procédure comme ne révélant aucune cause raisonnable d’action, ou que cela aurait pour effet de transformer une requête préliminaire en radiation en une requête en jugement sommaire. Quoi qu’il en soit, même si l’on présume que la preuve que produit Pharmascience peut être prise en considération pour les besoins de la présente requête, la Cour n’est pas convaincue que Pharmascience s’est acquittée de son fardeau.

[40]  Pour faire droit à une telle requête, la Cour doit être convaincue que l’action est si clairement futile qu’elle n’a pas la moindre chance de réussir (Apotex Inc c Syntex Pharmaceuticals International Ltd, 2005 CF 1310, aux paragraphes 32 et 33).

[41]  Au vu des documents déposés, il est clair que des changements sont proposés à la monographie de produit en ce qui a trait au Glatect 20 mg. Bien que ces changements soient subtils et semblent minimes, ils pourraient avoir pour effet « d’accroître les niveaux d’exposition à la drogue », ainsi qu’il est défini dans les lignes directrices publiées par Santé Canada et de nécessiter le dépôt d’un supplément à l’égard du Glatect 20 mg, indépendamment de l’ajout proposé d’une concentration de 40 mg. La Cour n’est toutefois pas convaincue que les documents dont elle dispose sont suffisants pour arriver à une conclusion quelconque sur l’affaire, que ce soit en faveur de Teva ou en faveur de Pharmascience. Il s’agit là d’une question qu’on devrait laisser suivre son cours jusqu’à l’instruction afin qu’elle puisse être tranchée sur la foi d’un dossier complet. La preuve est bien loin de montrer que la cause de Teva est si clairement futile et dénuée de fondement qu’elle n’a aucune chance de réussir et qu’il y a lieu de la radier comme étant frivole ou vexatoire ou constituant un abus de procédure.

D.  Les allégations relatives à la contrefaçon antérieure ou actuelle à l’égard du Glatect 20 mg doivent-elles être radiées, au motif qu’elles sont contraires à l’article 6.02 du Règlement?

[42]  Comme il a été conclu plus tôt, Teva n’a pas de cause raisonnable d’action, au sens du paragraphe 6(1) du Règlement, à l’égard de la contrefaçon antérieure ou actuelle du brevet 437 en raison de la fabrication, de la construction, de l’exploitation ou de la vente du Glatect 20 mg, conformément à l’AC existant. La cause d’action de Teva à cet égard ne survient qu’au titre de l’article 55 de la Loi sur les brevets.

[43]  Le texte de l’article 6.02 du Règlement est le suivant :

6.02 Aucune action ne peut être réunie à une action donnée intentée en vertu du paragraphe 6(1) durant la période pendant laquelle le ministre ne peut délivrer d’avis de conformité en raison de l’alinéa 7(1)d), sauf :

a) une autre action intentée en vertu de ce paragraphe relativement à la présentation ou au supplément visé dans cette action donnée;

b) toute action relative à un certificat de protection supplémentaire ajouté au registre après le dépôt de la présentation ou du supplément visé dans cette action donnée, si le brevet mentionné dans ce certificat de protection supplémentaire est en cause dans cette action donnée.

 

6.02 No action may be joined to a given action brought under subsection 6(1) during any period during which the Minister shall not issue a notice of compliance because of paragraph 7(1)(d) other than

(a) another action brought under that subsection in relation to the submission or supplement in that given action; and

(b) an action brought in relation to a certificate of supplementary protection that is added to the register after the filing of the submission or supplement in that given action, if the patent that is set out in that certificate of supplementary protection is at issue in that given action.

[Non souligné dans l’original.]

[44]  Le REIR explique cette disposition ainsi que la justification de son inclusion :

Pendant la période de 24 mois pendant laquelle la ministre ne peut pas délivrer d’AC, le règlement proposé interdirait la réunion d’actions, sauf la réunion d’une action relative à une allégation formulée par la seconde personne dans une présentation ou un supplément dans l’action principale ou une action visant un CPS qui mentionne un brevet qui est en cause dans l’action principale. Ainsi, une réunion d’actions pourrait être permise dans certaines circonstances dans le cas (i) d’actions distinctes présentées par la première personne et le propriétaire de brevet en réponse au même avis d’allégation (AA) et (ii) d’actions distinctes présentées en réponse aux multiples AA qui portent sur différents brevets, mais sont signifiés à l’égard d’une même présentation. D’autres actions, comme une action en contrefaçon de brevet qui ne peut être intentée en vertu du Règlement, ne pourraient pas faire l’objet d’une réunion. Les restrictions quant à la réunion d’actions sont nécessaires afin de limiter le nombre de questions en litige et faciliter la résolution de l’affaire dans le délai de 24 mois. Il est aussi nécessaire d’éviter de compliquer davantage l’évaluation des dommages-intérêts découlant du report de l’entrée sur le marché du produit. Si la période de 24 mois est expirée ou ne s’applique pas aux termes du règlement proposé, il serait loisible à la Cour d’ordonner au besoin une réunion d’actions.

[Non souligné dans l’original.]

[45]  Il est évident et manifeste que l’article 6.02, selon son libellé clair ainsi que l’objet et l’esprit du Règlement, interdit de réunir une action en contrefaçon ordinaire intentée sous le régime de la Loi sur les brevets et une action intentée en vertu du paragraphe 6(1). Teva ne laisse pas entendre que la disposition est susceptible d’une interprétation différente qui validerait l’inclusion de son action en contrefaçon dans l’instance fondée sur le paragraphe 6(1). Ce que Teva plaide, c’est que, dans les circonstances particulières de l’espèce, où sont en litige le même brevet, les mêmes allégations d’invalidité, le même médicament et essentiellement les mêmes allégations de contrefaçon, le fait d’autoriser l’action en contrefaçon ordinaire à se poursuivre dans le cadre de l’action fondée sur le paragraphe 6(1) n’irait pas à l’encontre du Règlement et concorderait encore mieux avec son objet.

[46]  Teva fait valoir que la seule différence importante que présente la poursuite des actions dans les circonstances de l’espèce a trait aux réparations financières, qui peuvent être scindées. Sinon, Teva fait remarquer que le paragraphe 6(4) du Règlement procure à la Cour la latitude voulue pour prononcer la réparation qui convient à l’action en contrefaçon, que la réunion dans la présente affaire ne ferait pas obstacle à la poursuite de l’action durant le délai de 24 mois, que cela favorise la certitude légale et la prévention des délais stratégiques qui sous-tend l’article 6.01 et que cela élimine les inefficacités, les coûts, les retards et les doubles litiges qui ont motivé les changements apportés au régime réglementaire.

[47]  Les points que soulève Teva sont tous valides et pourraient être pris en compte si la Cour avait le pouvoir discrétionnaire d’ordonner cette réunion, comme elle peut le faire sous le régime des Règles des Cours fédérales. Cependant, comme le Règlement est de nature précise et réparatrice, il faut considérer que les dispositions procédurales explicites qu’il contient ont, en cas de conflit, préséance sur les dispositions de nature plus générale des Règles des Cours fédérales. L’article 6.02 est clair et impératif. Contrairement à de nombreuses autres dispositions du Règlement, il ne prévoit pas que la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour en modifier les dispositions ou s’en écarter. La Cour est donc tenue de l’appliquer, indépendamment des gains d’efficacité qu’il serait par ailleurs possible de réaliser. Il convient de signaler que, si Teva devait engager son action en contrefaçon sous la forme d’une instance distincte, les gains d’efficacité auxquels elle fait allusion pourraient, dans les circonstances appropriées, être réalisés en obtenant des parties qu’elles collaborent et en prévoyant que l’instruction des questions communes ait lieu simultanément, sans aller à l’encontre de l’article 6.02 (voir Bayer Inc c Apotex Inc, 2019 CF 191).

[48]  Le fait d’inclure l’action en contrefaçon de Teva à l’égard du Glatect 20 mg dans son action fondée sur le paragraphe 6(1) est clairement interdit par l’article 6.02 du Règlement et, pour cette raison, il s’agit d’un abus de procédure qui justifie que l’on radie les éléments pertinents de la déclaration. Il faudrait également comprendre que Teva demeure libre de faire valoir cette cause d’action dans le cadre d’une instance distincte.

[49]  Teva a demandé que, si la Cour en venait à radier un élément quelconque de son action à l’égard du Glatect 20 mg, qu’elle rende également une ordonnance l’autorisant à déposer une action en contrefaçon sous le régime de la Loi sur les brevets à l’égard du Glatect 20 mg, indépendamment de l’article 6.01 du Règlement. Comme il a été conclu plus tôt que l’action de Teva pour contrefaçon antérieure et actuelle par le Glatect 20 mg ne pouvait pas être présentée en vertu du paragraphe 6(1) et ne pouvait donc pas être interdite par l’article 6.01, il n’est pas nécessaire de rendre l’ordonnance que Teva sollicite.

E.  Les dépens

[50]  Le succès étant partagé, les dépens afférents à la requête suivront l’issue de la cause.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

  1. les éléments suivants de la déclaration soient radiés, sans préjudice au droit des demanderesses de faire valoir la cause d’action qu’elles formulent dans une instance distincte :

    • a) la partie de l’alinéa 1b) qui suit le mot « valid » (« valide »);

    • b) les alinéas 1c) à f);

    • c) le paragraphe 21;

    • d) au paragraphe 27, les mots « The making, constructing, using and/or selling of Glatect does, and » (« La fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente du Glatect, et »);

    • e) au paragraphe 28, les mots « is and/or» (« est et/ou »);

    • f) aux paragraphes 29 à 41, 49 à 52 et 57, les mots « is and» (« est et »);

    • g) aux paragraphes 42 à 48, 54 et 58, les mots « does and» (« fait et »);

    • h) le paragraphe 53;

    • i) au paragraphe 56, les mots « do and» (« font et »), et ce, les quatre fois où ils sont employés;

    • j) au paragraphe 59, les mots « ongoing and» (« en cours et »);

    • k) au paragraphe 60, les mots « foregoing activities and » (« les activités qui précèdent et »), « have and » (« ont et ») et « has made and » (« a fait et »);

  2. La requête de la défenderesse est par ailleurs rejetée, et les dépens suivront l’issue de la cause.

« Mireille Tabib »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de juillet 2019.

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑2182‑18

 

INTITULÉ :

TEVA CANADA INNOVATION ET AL c PHARMASCIENCE INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 FÉVRIER 2019 ET LE 1ER AVRIL 2019

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE DE L’ORDONNANCE

ET DES MOTIFS :

LE 7 MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

BRYAN NORRIE

DEVIN DOYLE

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

KAVITA RAMAMOORTHY

KERRY ANDRUSIAK

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

AITKEN KLEE LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

FINEBERG RAMAMOORTHY LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.