Décisions de la Cour fédérale

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Date: 19980203


Dossier: T-2586-97

Entre :

     CONFÉDÉRATION DES SYNDICATS NATIONAUX

     Requérante

     ET

     COMMISSION DE L'ASSURANCE-EMPLOI DU CANADA

et

MINISTÈRE DE DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA

et

L'HONORABLE PIERRE PETTIGREW

et

MINISTÈRE DU REVENU DU CANADA

et

L'HONORABLE HERB DHALIWAL

et

FINANCES CANADA

et

L'HONORABLE PAUL MARTIN

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

SA MAJESTÉ LA REINE

     Intimés

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

Introduction

[1]      Le 27 novembre 1997, la requérante déposait une demande de contrôle judiciaire à l'encontre du régime de l'assurance emploi tel qu'il est constitué en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 ainsi qu'à l'encontre de son administration telle qu'accomplie par les divers intimés (la "demande").

[2]      La Cour est maintenant saisie de deux requêtes dans le cadre de cette demande.

[3]      L'une est mue par la requérante afin que sa demande soit instruite comme s'il s'agissait d'une action, le tout en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale (la Loi).

[4]      L'autre requête est logée par les intimés et recherche le rejet de la demande de la requérante au motif que cette demande ne porte pas sur une décision, ordonnance ou question particulière et qu'elle contrevient, partant, à diverses dispositions de la Loi et des Règles de la Cour fédérale (les règles).

[5]      L'étude de cette attaque contre la demande nous permettra de faire ressortir les limites de l'institution du contrôle judiciaire telle qu'elle est instituée par la Loi et les règles.

Comme la requête des intimés a le potentiel de mettre fin au débat, nous débuterons notre analyse par celle-ci après avoir résumé la demande de la requérante.

La demande de la requérante

[6]      Une lecture du texte de l'avis de requête (texte qui précède la demande même de la requérante) combinée avec une lecture de la demande nous indique que la requérante recherche devant cette Cour un jugement déclaratoire à l'encontre de plusieurs gestes généraux des intimés. Ces gestes, qui seraient à la fois illégaux et inconstitutionnels (paragraphes 78 et 83 de la demande), consisteraient en l'approbation, l'utilisation et l'affectation par les intimés des surplus du Compte d'assurance-emploi à des fins autres que le paiement de prestations.

[7]      Une de ces fins résiderait dans le fait que les intimés utiliseraient ce surplus afin de réduire le déficit d'opération de l'État fédéral.

[8]      Cette pratique aurait cours depuis l'année 1990 (paragraphe 50 de la demande).

[9]      Ces gestes de l'exécutif ne font pas l'objet de plus de précisions et l'on ignore, conséquemment, le nombre de gestes posés et, surtout, la date où chacun aurait été posé.

[10]      Quant au surplus, ce dernier aurait été généré par des compressions successives au régime d'assurance-emploi et par une augmentation des taux de cotisations. Ces dernières mesures seraient essentiellement - mais non limitativement, d'après ce que j'ai pu déceler de la plaidoirie des procureurs de la requérante - le fruit d'amendements législatifs passés au cours des ans et non le fait, selon ma compréhension, de gestes, d'ordonnances ou de décisions de l'exécutif.

[11]      L'amplitude de ce surplus ainsi accumulé est dénoncée par la requérante et, à cet égard, elle recherche maintenant - en vertu d'un amendement qu'elle requiert d'apporter à sa demande, que cette dernière soit entendue comme telle ou comme une action - une déclaration d'inconstitutionnalité à l'effet "que la législation contrevient aux dispositions de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés" (texte de l'amendement joint à la requête de la requérante).

Analyse

[12]      L'institution du contrôle judiciaire en Cour fédérale requiert pour être utilisée certaines exigences de base qui sous-tendent la compétence rationae materiae de la Cour à l'égard de ce type de recours.

[13]      Ces exigences sont donc plus que de simples questions de procédure et, si elles sont absentes, une partie peut faire appel à la juridiction inhérente de la Cour pour demander le rejet d'une demande de contrôle judiciaire qui présente de telles lacunes (voir arrêt Bull (David) Laboratories (Canada) Inc. v. Pharmacia Inc. et al. (1994), 176 N.R. 48, aux pages 54-5).

[14]      Une demande de contrôle judiciaire doit premièrement viser une décision ou une ordonnance rendue par un office fédéral. Les paragraphes 18(1) et 18.1(2) de la Loi sont clairement à cet effet. Ces dispositions se lisent comme suit:

                      18.(1) Sous réserve de l'article 28, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour:                 
                      a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;                 
                      b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l'alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d'obtenir réparation de la part d'un office fédéral.                 
                 ...                 
                      18.1(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.                 

[15]      Quant à l'expression "office fédéral", elle se trouve définie comme suit à l'article 2 de la Loi:

                      2.(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.                 
                 ...                 
                 "office fédéral" Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d'une prorogative royale, à l'exclusion d'un organisme constitué sous le régime d'une loi provinciale ou d'une personne ou d'un groupe de personnes nommées aux termes d'une loi provinciale ou de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 .                 
                 ...                 
                      (2) Il est entendu que sont également exclus de la définition d'"office fédéral" le Sénat et la Chambre des communes ou tout comité ou membre de l'une ou l'autre chambre.                 

[16]      Tel que mentionné plus avant, la demande cherche à faire déclarer inconstitutionnelles certaines dispositions de la Loi sur l'assurance-emploi. Outre le fait capital que la demande n'identifie pas les dispositions précises qu'elle vise à cette loi, elle appert identifier la source première et unique de son attaque directement dans ces dispositions législatives et non en fonction ou par le biais d'un geste ou d'une décision prise par un office fédéral.

[17]      En conséquence, il ne saurait être question pour cette partie de la demande d'une décision d'un office fédéral. Il s'agit plutôt ici d'une attaque directe contre la législation et, à ce titre, ce n'est pas à mon avis par le biais d'une demande de contrôle judiciaire que l'on peut amener la couronne fédérale devant la Cour.

[18]      Il est plus que difficile d'identifier précisément la ou les parties de la demande qui visent ainsi la législation. Conséquemment, il serait quasi-impossible de vouloir sauver en partie la demande et, en raison de cette confusion, la demande entière mériterait pour cette seule raison d'être rejetée.

[19]      Mais il y a plus.

[20]      Tel que mentionné plus avant, la demande vise plusieurs gestes de l'exécutif sans jamais véritablement en circonscrire un en particulier par sa date et ses particularités.

[21]      Toutefois, outre les paragraphes 18(1) et 18.1(2) de la Loi mentionnés plus avant, les règles 1602(2)f) et 1602(4) font bien ressortir que toute demande de contrôle judiciaire doit porter sur une seule décision, ordonnance ou question. Ces règles se lisent ainsi:

                      1602.(2) L'avis de requête, daté et signé par la partie requérante ou son avocat, indique:                 
                      ...                 
                      f) la date et les particularités de la décision, de l'ordonnance ou de toute autre question à l'égard de laquelle le contrôle judiciaire est demandé;                 
                 ...                 
                      (4) L'avis de requête porte sur le contrôle judiciaire d'une seule ordonnance, décision ou autre question, sauf lorsqu'il s'agit d'une décision rendue conformément à la Loi sur l'immigration concluant qu'une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention est dénuée d'un minimum de fondement, et de la mesure de renvoi subséquente à cette décision.                 

[22]      Or, ici, on doit conclure à la lecture de la demande que plusieurs gestes ou décisions sont visés. Sur cette base également la demande ne respecte pas le cadre d'une demande de contrôle judiciaire et mérite d'être rejetée (voir l'arrêt Delisle et al. v. Inkster et al. (1993), 67 F.T.R. 213, pages 216-7).

[23]      Enfin, même si l'on tentait ici de se limiter à un seul geste posé, aucune date spécifique ou particularité ne nous est fournie. Il devient donc difficile, comme l'ont soulevé les procureurs des intimés, de vérifier le respect des exigences statutaires de présentation prévues au paragraphe 18.1(2) de la Loi.

[24]      Peut-on néanmoins parler ici d'un processus continu pour échapper à ces exigences législatives?

[25]      À cet effet, les procureurs de la requérante ont fait référence à un seul arrêt, soit l'arrêt Puccini c. Canada (Directeur Général, Services de l'Administration corporative, Agriculture Canada) (1re inst.), [1993] 3 C.F. 557, où pour les fins de décider d'une demande de mesures provisoires en vertu de l'article 18.2 de la Loi, la Cour a accepté, en page 568, de considérer un processus d'enquête institué suite à une plainte de harcèlement contre le requérant comme un processus continu. La Cour en est venue à cette solution en raison du fait qu'il lui était "... impossible de relever des dates précises, autres que la date du dépôt de la plainte de harcèlement et de divers incidents de procédure subséquents.".

[26]      On notera que cette solution interlocutoire de la Cour - dans le cadre d'une demande sous l'article 18.2 et non à l'égard d'une demande en chef en vertu des paragraphes 18(1) et (3) - lui a permis de regarder au mérite la demande de mesures provisoires et de rejeter celle-ci.

[27]      On semble devoir être très réticent à reconnaître une situation comme un processus continu pour les fins d'échapper au paragraphe 18.1(2) de la Loi. On peut se référer à cet égard à l'arrêt Drolet v. Surintendant des faillites et al (1996), 118 F.T.R. 147, où la Cour a refusé de voir comme un processus continu la décision de refuser d'émettre à un syndic des certificats le nommant à des dossiers de faillite lors de dépôts de tels dossiers auprès du Surintendant des faillites. La Cour a retenu qu'il y avait bien eu une seule décision dans cette affaire et que la demande de contrôle judiciaire du requérant à son encontre avait été prise tardivement.

[28]      Dans le cas qui nous occupe, la requérante, contrairement à la situation dans l'arrêt Pucini, n'est pas dans le cadre d'une demande de mesures provisoires. Elle ne soulève pas de plus à l'égard de tout geste ou décision une situation qui se ramène à une équation individuelle. Alors, même limité à un geste posé, il n'y aurait pas lieu de s'autoriser de cet arrêt en les circonstances.

[29]      Pour ces motifs, la requête en rejet de l'intimé sera accueillie. En conséquence, il n'y a pas lieu formellement de s'attarder sur la requête de la requérante en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi.

[30]      Néanmoins, je tiens à mentionner que si j'avais eu à trancher cette dernière, je l'aurais rejetée puisque la requérante ne m'a pas convaincu que sa demande aurait mérité d'être entendue comme une action, le tout à la lumière des enseignements dégagés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Macinnis c. Canada (Procureur général) (C.A.), [1994] 2 C.F. 464.

[31]      Le fait que la Cour puisse possiblement avoir certaines questions à poser à des témoins, soient-ils des témoins experts on non, est une considération beaucoup trop hypothétique pour enclencher le paragraphe 18.4(2) de la Loi.

[32]      Une ordonnance sera émise en conséquence.

Richard Morneau

     protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 3 février 1998

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

T-2586-97

CONFÉDÉRATION DES SYNDICATS NATIONAUX

     Requérante

ET

COMMISSION DE L'ASSURANCE-EMPLOI DU CANADA et

MINISTÈRE DE DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA et

L'HONORABLE PIERRE PETTIGREW et

MINISTÈRE DU REVENU DU CANADA et

L'HONORABLE HERB DHALIWAL et

FINANCES CANADA et

L'HONORABLE PAUL MARTIN et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

SA MAJESTÉ LA REINE

     Intimés

LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 26 janvier 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 3 février 1998

COMPARUTIONS:

Me Guy Martin et Me Claudine Barabé pour la requérante

Me Carole Bureau et Me Claude Joyal pour les intimés

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Guy Martin pour la requérante

Sauvé et Roy

Montréal (Québec)

Me George Thomson pour les intimés

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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