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Date : 20030912

Dossier : IMM-478-03

Référence : 2003 CF 1059

ENTRE :

                                                                      CHEN, CHANG YEN

                                                              (alias CHENG, CHANG YAN)

                                                                                                                                                                 demandeur

                                                                                        et

                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                                   défendeur

                                                           MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1]                 Les présents motifs font suite à l'audition de la demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié par laquelle la SPR a décidé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention et a de plus décidé que sa conclusion que le demandeur, dans toutes les particularités de sa situation, n'est pas un réfugié au sens de la Convention, ne porte pas atteinte aux droits consacrés à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte)[1]. La décision visée par le contrôle judiciaire est datée du 8 octobre 2002.

CONTEXTE

[2]                 Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine. Il est passé clandestinement au Canada en provenance de Fuzhou, Fujian (Chine) à l'âge de 16 ou 17 ans. Avant le départ du demandeur de la Chine, son père était devenu si endetté qu'il ne pouvait rembourser le capital emprunté et les intérêts, au taux très élevé qui avait été fixé. Le demandeur et son père craignaient qu'en conséquence le demandeur ne soit tenu dans l'asservissement des créanciers de son père. Le demandeur et son père avaient apparemment discuté de la situation familiale. Le demandeur a déclaré, et la SPR a accepté, que son père lui a demandé s'il souhaitait ou non aller en Amérique du Nord. Le demandeur a indiqué qu'il souhaitait effectivement aller en Amérique du Nord. En conséquence, le père du demandeur s'est entendu avec des passeurs pour que le demandeur vienne au Canada, apparemment en route pour les États-Unis. Le demandeur n'a été arrêté, avec d'autres, qu'à un point frontalier avec les États-Unis.

LA DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[3]                 La SPR a décidé que le demandeur est crédible. Elle a écrit :


Le tribunal n'a aucune raison de penser que le demandeur n'a pas tenté de dire la vérité - telle qu'il la percevait. Le tribunal a eu la possibilité d'observer le demandeur, tant lors de la séance initiale, où l'on était à la recherche d'un représentant désigné, que lors de la séance finale de l'audience. Ce jeune homme aime visiblement sa famille et croit ce que lui dit son père. Son témoignage ne comporte aucune contradiction flagrante. Les problèmes relatifs à la modification de sa date de naissance ont été expliqués et la Commission doit, dans les circonstances, tenir compte de la culture locale.

La demande doit être examinée en fonction de l'information que l'on estime, selon la prépondérance des probabilités, être véridique. Le tribunal est d'avis que le demandeur éprouve une véritable crainte subjective à l'endroit de M. Li, fondée sur ce qu'il a observé et sur ce que son père lui a dit. Le tribunal estime que le demandeur, à la différence de nombreux autres jeunes pauvres de la province de Fujian, croit être responsable de sa propre vie. Il est venu au Canada de son propre gré, et non sur l'ordre de ses parents.                 

Le demandeur a une crainte subjective, mais elle n'est probablement pas fondée[2].

[4]                 Le demandeur a apparemment fondé sa demande d'asile sur ses opinions politiques et son appartenance à un groupe social particulier, le groupe défini comme _ les jeunes citoyens de la province de Fujian (surtout de sexe féminin) qui voyagent sans aucun membre de leur famille en vertu d'ententes abusives entre leurs parents ou d'autres membres de leur famille et des passeurs criminels de clandestins chinois _. Vu les conclusions de la SPR qui ressortent de la citation ci-dessus, il est contestable que le demandeur, certainement un jeune ressortissant de Funji mais pas de sexe féminin, ait voyagé en application d'une _ entente abusive _. La SPR a conclu que le demandeur était partie consentante à l'entente et elle n'a pas paru contester sa capacité d'être une partie consentante.

[5]                 La SPR n'a trouvé aucun lien entre la situation du demandeur et le motif d'opinions politiques prévu par la Convention. Relativement au groupe social particulier, la SPR a écrit :

Le conseil a fait valoir, au moyen de nombreux éléments de preuve, que le demandeur appartient à un groupe social - [tel que défini ci-dessus dans les présents motifs].


Or, dans la présente cause, la preuve ne soutient pas le concept de complicité parentale _ malgré l'argumentation contraire du conseil. Nous disposons même d'une _ lettre d'affidavit _ de la part du père du demandeur, lequel tente de favoriser une _ tutelle _ au Canada.

Le demandeur a décidé qu'il veut étudier au Canada, plutôt que d'y travailler, et n'a fait aucune tentative pour rembourser la seconde dette que son père a contractée pour l'envoyer au Canada.

On peut ainsi affirmer que le demandeur n'appartient pas de plein droit au groupe social sur lequel repose sa contestation fondée sur la Charte[3].

La SPR a ensuite conclu que le groupe social défini pour le compte du demandeur, n'est pas un _ groupe social particulier _ selon l'emploi de cette expression dans la définition de _ réfugié au sens de la Convention _.

[6]                 À l'appui de sa décision que le demandeur n'appartient pas à un groupe social particulier, la SPR a cité Zhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4] et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Lin[5].

[7]                 La SPR a écrit, relativement aux deux (2) décisions citées :

Ces décisions rappellent au tribunal que la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ward a expressément rejeté une définition large de l'expression _ groupe social _, laquelle servirait de _ filet de protection _ permettant d'inclure toutes les formes imaginables de persécution :


[...] Le droit international relatif aux réfugiés était destiné à servir de _ substitut _ à la protection nationale si celle-ci n'était pas fournie. C'est pourquoi le rôle international était assujetti à des limitations intrinsèques. Ces mécanismes restrictifs montrent que la communauté internationale n'avait pas l'intention d'offrir un refuge à toutes les personnes qui souffrent. Par exemple, la _ persécution _ nécessaire pour justifier la protection internationale entraîne l'exclusion de suppliques comme celles des migrants économiques, c'est-à-dire des personnes à la recherche de meilleures conditions de vie, ou des victimes de catastrophes naturelles, même si l'État d'origine ne peut pas les aider, quoique les personnes dans ces deux cas puissent sembler mériter l'asile international.

De même, les rédacteurs de la Convention ont limité les motifs énumérés de crainte justifiée de persécution à la race, à la religion, à la nationalité, à l'appartenance à un groupe social ou aux opinions politiques. Même si les délégués ont inclus la catégorie du groupe social afin de combler toute lacune possible laissée par les quatre autres groupes, cela n'amène pas nécessairement à conclure que toute association ayant certains points en commun est incluse. Si c'était le cas, il aurait été inutile d'énumérer ces motifs; la définition du mot _ réfugié _ aurait pu être limitée sans plus aux personnes qui craignent d'être persécutées. Les rédacteurs ont décidé d'énumérer ces motifs afin de fixer une autre limite intrinsèque aux obligations des États signataires. Il s'agit donc de déterminer la ligne de démarcation de cette limite[6].[En caractères gras dans la décision de la SPR, renvoi omis.]

[8]         La SPR a ensuite examiné, à la demande du conseil du demandeur et, à la lumière des conclusions qu'elle avait elle-même tirées auparavant, la question de savoir si son interprétation de l'expression _ groupe social particulier _ est _ inconstitutionnellement limitative _. Elle a rapporté avec passablement de détails les arguments qui lui ont été présentés sur cette question, a brièvement analysé ces arguments à la lumière de l'arrêt Eldridge c.Colombie-Britannique (Procureur General)[7] de la Cour suprême du Canada et a formulé comme suit sa conclusion sur cette question :


La Section de la protection des réfugiés ne peut élever un exercice d'interprétation législative au niveau d'un recours constitutionnel. On ne peut intégrer une personne dans un groupe social qui, selon l'énoncé actuel de la loi, n'appartient pas à ce groupe. En d'autres termes, le tribunal ne peut estimer que les _ personnes qui font face à une grave menace à leur dignité humaine et aux droits fondamentaux de la personne _ sont nécessairement des _ réfugiés _. Le demandeur doit plutôt établir qu'il existe un lien entre la menace et la définition[8].                                                                                      

LES QUESTIONS EN LITIGE

[9]         L'avocat du demandeur a défini comme suit les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire :

-              [TRADUCTION] La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur a fait l'objet d'un trafic en tant que mineur et cela place-t-il le demandeur dans le contexte d'un groupe social particulier? [et]

-              La Commission a-t-elle commis une erreur en analysant la Charte?[9]


[10]       Dans les documents dont dispose la Cour, l'avocat du demandeur ne paraît pas avoir mis en doute la décision de la SPR qu'on _ peut [...] affirmer que le demandeur n'appartient pas de plein droit au groupe social sur lequel repose sa contestation fondée sur la Charte _, mais il a plutôt contesté : premièrement, la décision de portée plus large de la SPR que le demandeur n'appartenait à aucun groupe social particulier au sens de cette expression dans la définition de _ réfugié au sens de la Convention _; et deuxièmement, sa décision qu'il ne lui était pas loisible, vu la jurisprudence, en particulier l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward[10] de la Cour suprême du Canada, de décider que la définition de _ réfugié au sens de la Convention _, et plus particulièrement la portée de l'expression _ groupe social particulier _ dans cette définition, est _ inconstitutionnellement limitative _ ou, en d'autres termes, qu'elle viole le paragraphe 15(1) de la Charte.

[11]       On pourrait soutenir à tout le moins que la décision de la SPR que le demandeur n'appartient pas au groupe social particulier dont on a dit qu'il faisait partie, est tout à fait déterminante pour la présente demande de contrôle judiciaire et je n'ai pas besoin d'en dire plus. C'est ma conclusion. Cependant, par souci d'exhaustivité, j'examinerai très brièvement les questions qui ont été soulevées pour le compte du demandeur.

ANALYSE

a)    _ Groupe social particulier _

[12]       Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Lin[11], la Cour d'appel était saisie de deux questions certifiées, parmi lesquelles seule la suivante est pertinente :

[TRADUCTION] - La section du statut de réfugié commet-elle une erreur de droit lorsqu'elle conclut que l'intéressé mineur craignait avec raison d'être persécuté du fait qu'il était membre d'un groupe social, à savoir « l'enfant mineur d'une famille chinoise qui doit subvenir aux besoins d'autres membres de la famille? »             


[13]       La Cour d'appel a répondu par l'affirmative à la question certifiée précitée. Les faits dont elle disposait sont, au sens large, semblables à ceux de la présente affaire. Cela étant, pour quelque raison que ce soit, les agents de persécution qui étaient craints dans cette affaire-là ne comprennent pas apparemment les passeurs qui ont organisé la venue de M. Lin au Canada. Dans la présente affaire, les passeurs qui ont facilité la venue du demandeur au Canada sont présentés comme des persécuteurs potentiels du demandeur vu que, peut-on présumer, la dette que le père du demandeur a contractée envers eux pour faire passer le demandeur au Canada est vraisemblablement en souffrance.

[14]       La réponse bien simple est que, comme dans Lin, les éléments de preuve dont dispose la Cour et dont disposait la SPR n'appuient tout simplement pas la crainte du demandeur d'être persécuté au-delà du niveau de simple conjecture, ce qui est fondamentalement la même conclusion que celle de la Cour d'appel dans Lin.

[15]       Je suis convaincu que la SPR n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire en décidant que le demandeur n'était membre d'aucun groupe social particulier dans les limites de ce terme tel qu'il est employé dans la définition de _ réfugié au sens de la Convention _.                                   

b)     Champ d'application restreint


[16]       L'analyse de la SPR sur la question du champ d'application restreint de la définition de _ réfugié au sens de la Convention _, relativement à l'expression _ groupe social particulier _, avec pour résultat que la définition, allègue-t-on, porte atteinte aux droits à l'égalité consacrés par l'article 15 de la Charte, est brève, presqu'une faute. Cela étant, le fait que la SPR se fonde sur l'arrêt Eldridge[12] de la Cour suprême du Canada n'est pas, comme l'a soutenu l'avocat du demandeur, mal placé. Par analogie avec le raisonnement mené dans l'arrêt Eldridge, il est préférable d'interpréter la définition de _ réfugié au sens de la Convention _ en conformité avec le paragraphe 15(1) de la Charte. Cela, je suis convaincu, n'entraîne pas une interprétation de _ groupe social particulier _ suivant laquelle, pour reprendre les termes de la SPR, toutes les _ [...] personnes qui font face à une grave menace à leur dignité humaine et aux droits fondamentaux de la personne [...] _ seraient des _ réfugiés au sens de la Convention _. Donner une telle portée au concept de _ groupe social particulier _ irait manifestement à l'encontre de l'analyse du sens que la Cour suprême a donné à cette expression dans l'arrêt Ward[13]. Comme précédemment mentionné, la SPR a conclu :

Le demandeur doit [...] établir qu'il existe un lien entre la menace et la définition.

[17]       Je suis convaincu qu'il était loisible à la SPR de conclure que le demandeur ne s'est pas acquitté de la charge qui lui incombait et, après avoir tiré cette conclusion, de choisir d'interpréter la définition de _ réfugié au sens de la Convention _, et plus précisément l'expression _ groupe social particulier _, contenue dans la définition, de façon que la définition ne soit pas d'application trop restreinte lorsque interprétée en fonction du paragraphe 15(1) de la Charte.

CONCLUSION

[18]       La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


CERTIFICATION D'UNE QUESTION      

[19]       Les présents motifs seront prononcés sans ordonnance d'accompagnement. L'avocat du demandeur disposera d'un délai de sept (7) jours à partir de la date des présents motifs pour signifier et déposer des observations sur toute question grave de portée générale que le demandeur souhaiterait proposer pour certification. Par la suite, l'avocat du défendeur disposera d'un délai de sept (7) jours pour signifier et déposer toute observation en réponse. Par la suite, une ordonnance sera rendue.

_ Frederick E. Gibson _

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 12 septembre 2003

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                                   IMM-478-03

INTITULÉ :                                                                                  CHEN, CHANG YEN

c.

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE                                                                                                                               L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                          TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE:                                                         le 19 août 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           le juge Gibson

DATE DES MOTIFS :                                                               le 12 septembre 2003

COMPARUTIONS :

Clifford Luyt                                                                                    pour le demandeur

David Tyndale                                                                  pour le défendeur

Matina Karvellas

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maureen Silcoff

Avocat

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario) M4P 1L3                                                          pour le demandeur

David Tyndale

Ministère de la Justice

130, rue King Ouest

Bureau 3400, C.P. 36

Toronto (Ontario) M5X 1K6                                                         pour le défendeur



[1]         Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, 1982 (L.R.C. 1985, appendice II, no 44), qui constitue l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11.

[2]       Dossier de demande du demandeur, page 9.

[3]       Dossier de demande du demandeur, pages 11 et 12.

[4]         (2001), 16 Imm. L.R. (3d) 227 (C.F. 1re inst.).   

[5]         (2001), 17 Imm. L.R. (3d) 133 (C.A.F.).   

[6]     Dossier de demande du demandeur, page 14. La citation est tirée de l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 731 et 732.

[7]         [1997] 3 R.C.S. 624.

[8]       Dossier de demande du demandeur, pages 62 et 63.

[9]       Dossier de demande du demandeur, page 115.

[10]       [1993] 2 R.C.S. 689.

[11] Précité, note 5.

[12]       Précité, note 5.

[13]       Précité, note 10.


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