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Date : 20190522


Dossiers : T‑920‑17

T‑1230‑17

Référence : 2019 CF 724

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2019

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

Dossier : T‑920‑17

ENTRE :

WHIRLPOOL CANADA LP

demanderesse

et

ALLIANCE LAUNDRY SYSTEMS LLC

défenderesse

Dossier : T‑1230‑17

ET ENTRE :

ALLIANCE LAUNDRY SYSTEMS LLC

demanderesse

et

WHIRLPOOL CANADA LP et WHIRLPOOL CORPORATION

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  Dans une première demande que Whirlpool Canada LP (Whirlpool) a déposée, il est demandé à la Cour de déterminer si Alliance Laundry Systems LLC (Alliance) a employé irrégulièrement la marque nominale « SPEED QUEEN » (la marque SPEED QUEEN), selon l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 (la Loi).

[2]  Dans une seconde demande qu’Alliance a déposée à l’encontre de Whirlpool et de Whirlpool Corporation (Whirlpool Corp), il est demandé à la Cour de déterminer si ces deux dernières ont trompé le public à propos de la marque SPEED QUEEN d’Alliance, au sens de l’article 7 de la Loi et du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C‑34.

[3]  Les demandes de Whirlpool et d’Alliance (les dossiers T‑920‑17 et T‑1230‑17, respectivement) ont été réunies en une seule (le dossier T‑920‑17) par une ordonnance du juge Locke datée du 16 octobre 2017.

II.  LE CONTEXTE

[4]  Whirlpool, qui est une filiale en propriété exclusive de Whirlpool Corp, est constituée en société sous le régime de la Loi sur les sociétés en commandite, LRO 1990, c L.16. Whirlpool Corp est un fabricant mondial d’appareils électroménagers de cuisine et de lavage.

[5]  Alliance fabrique elle aussi des appareils électroménagers, comme des laveuses et des sécheuses à linge.

[6]  La marque SPEED QUEEN (employée pour la commercialisation de laveuses et de sécheuses à linge) a été déposée pour la première fois au Canada en 1941 par Barlow & Seelig, et ensuite cédée à McGraw‑Edison Company en 1957.

[7]  À la suite de plusieurs opérations survenues en 1979, la propriété de la marque SPEED QUEEN a été scindée entre des entités non liées, au Canada et aux États-Unis. La marque SPEED QUEEN canadienne s’est finalement retrouvée dans le portefeuille de Whirlpool en 2004, tandis que la marque de commerce employée aux États-Unis et dans le reste du monde appartient aujourd’hui à Alliance.

[8]  Entre 2004 et 2012, Whirlpool a vendu ses produits SPEED QUEEN à deux distributeurs situés au Canada : Harco Co Ltd (Harco) et Debsel Inc. Depuis 2013, l’unique distributeur de Whirlpool est Harco.

[9]  En 2011, Alliance a engagé une instance en vertu de l’article 45 de la Loi afin de contraindre Whirlpool à démontrer que la marque de commerce avait été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois années précédant la date de l’avis (la période d’octobre 2008 à octobre 2011). Le registraire des marques de commerce s’est tout d’abord prononcé en faveur du fait d’autoriser Whirlpool à maintenir sa marque de commerce. Cette décision a été confirmée par la Cour fédérale en 2014, mais infirmée par une décision majoritaire de la Cour d’appel fédérale en 2015 (Alliance Laundry Systems LLC c Whirlpool Canada LP, 2014 CF 1224, inf. par 2015 CAF 232). En mai 2016, la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel. L’enregistrement canadien de la marque SPEED QUEEN de Whirlpool a donc été radié en 2016.

[10]  Alliance a aussitôt lancé ses produits SPEED QUEEN sur le marché canadien, et ce, en rebaptisant ses laveuses et ses sécheuses à linge de marque HUEBSCH et en leur donnant une nouvelle image.

[11]  Les parties ont présenté chacune des demandes d’enregistrement au Canada de la marque SPEED QUEEN : Whirlpool a présenté une demande concernant la marque nominale ainsi qu’une demande concernant le logo (les deux demandes ont été déposées le 13 septembre 2016). Alliance, pour sa part, a présenté deux demandes concernant la marque nominale (l’une en 2011 et l’autre en 2014). En novembre 2016, Whirlpool a déposé une déclaration d’opposition concernant la demande d’Alliance de 2011.

III.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[12]  La demande de Whirlpool soulève les questions suivantes :

  1. Whirlpool est-elle la propriétaire de la marque non déposée SPEED QUEEN?

  2. Alliance a‑t‑elle fait des déclarations fausses et trompeuses, en violation de l’alinéa 7a) de la Loi?

  3. Alliance a‑t‑elle fait passer ses produits de marque SPEED QUEEN pour des produits de Whirlpool, en violation de l’alinéa 7b) de la Loi?

[13]  La demande d’Alliance soulève les questions suivantes :

  1. Alliance a‑t‑elle au Canada un achalandage rattaché à la marque SPEED QUEEN et, dans l’affirmative, comment devrait‑il être protégé?

  2. La lettre de Whirlpool à Harco constitue‑t‑elle une conduite trompeuse, en violation de la Loi sur les marques de commerce et de la Loi sur la concurrence?

IV.  ANALYSE

A.  Whirlpool est‑elle la propriétaire de la marque non déposée SPEED QUEEN?

[14]  Du point de vue du consommateur, une marque de commerce a pour objet de garantir que ce qu’il achète provient bien de la source auprès de laquelle il pense faire son achat, et qu’il reçoit la qualité qu’il associe à cette marque. Du point de vue du marchand, une marque de commerce a pour objet de symboliser la source et la qualité de marchandises et de services, ainsi que de distinguer ses marchandises et ses services de ceux d’autres marchands (Kirkbi AG c Ritvik Holdings Inc, 2005 CSC 65; Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22; Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23).

[15]  Ce n’est pas l’enregistrement d’une marque de commerce qui rend la partie propriétaire de la marque; celle-ci doit lui appartenir pour qu’elle puisse l’enregistrer (Partlo c Todd (1888), 17 RCS 196, à la page 200). Contrairement à d’autres formes de propriété intellectuelle, le fondement du droit à une marque de commerce repose sur son emploi véritable (arrêt Mattel, précité, au paragraphe 5). Dans l’arrêt Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, le juge Rothstein analyse comme suit les droits qui découlent de l’emploi d’une marque de commerce :

[36]  Ce principe, que les premières lois canadiennes en matière de marque de commerce ont établi, a été repris dans la Loi, qui confère des droits de deux façons au premier utilisateur d’une marque de commerce. D’une part, selon l’art. 16, la partie qui est la première à employer la marque de commerce obtient normalement un droit prioritaire de l’enregistrer. D’autre part, l’utilisateur de la marque de commerce peut s’opposer aux demandes d’enregistrement d’autres personnes ou encore demander la radiation d’enregistrements au motif qu’il emploie déjà une marque de commerce créant de la confusion. Cela explique pourquoi Masterpiece Inc. peut, pour contester la demande d’Alavida, invoquer le fait qu’elle employait déjà une certaine marque de commerce non déposée au moment où cette dernière a présenté sa demande. Le paragraphe 16(3) de la Loi reconnaît à l’utilisateur d’une marque de commerce le droit de s’opposer à toute demande d’enregistrement d’une marque qui crée de la confusion avec la sienne, au motif qu’il employait déjà sa marque au moment du dépôt de la demande. Le paragraphe 17(1) garantit ce droit, sous réserve de certaines limites qui ne nous nous intéressent pas ici, dans les cas où la marque de commerce a été enregistrée.

[16]  Whirlpool fait valoir qu’elle a conservé la protection de la marque SPEED QUEEN sous le régime de la common law, de par son emploi. Elle soutient en outre qu’elle n’a jamais abandonné la marque. Même s’il a été conclu qu’il y avait eu non-emploi de la marque entre 2008 et 2011 par suite de l’instance en radiation, Whirlpool n’a jamais eu l’intention de l’abandonner. Elle déclare qu’elle-même et ses prédécesseurs en titre emploient la marque au Canada en liaison avec leurs laveuses et leurs sécheuses depuis 1930, et que la baisse des ventes qui est survenue entre le milieu et la fin des années 2000 peut être attribuée aux facteurs suivants : 1) l’acquisition de Maytag, qui a obligé à procéder à une réaffectation des ressources, 2) le lancement du programme Energy Star, qui a obligé à effectuer des changements de plateforme et de conception, et 3) la récession de 2008, qui a entraîné une baisse de la demande des consommateurs.

[17]  Alliance récuse cet argument en disant que Whirlpool a employé la marque SPEED QUEEN en liaison avec des laveuses et des sécheuses à seule fin de créer une preuve. Elle ajoute que Whirlpool a fait montre d’une intention d’abandonner sa marque et que sa marque SPEED QUEEN reste simplement dans le sillage de la marque d’Alliance.

[18]  À l’appui de ses allégations, Alliance souligne la différence qu’il y avait, avant 2016, entre le volume des ventes d’Alliance aux États-Unis et le volume des ventes de Whirlpool au Canada, au sein du secteur commercial. Aux États-Unis, affirme Alliance, son taux de pénétration du marché est de 80 % dans le secteur des habitations multifamiliales et de plus de 50 % dans le secteur de la distribution, lequel se compose principalement de buanderies automatiques. Au Canada, Whirlpool a vendu 10 607 appareils électroménagers portant la marque SPEED QUEEN pendant toute la période de 1996 à 2017 (il convient de garder à l’esprit que, sur les 500 000 appareils électroménagers de toutes marques que Whirlpool vend chaque année au Canada, seuls 3 000 à 5 000 sont des appareils de buanderie commerciaux). Ces ventes, selon Alliance, ont constamment fléchi et n’ont été stimulées de façon périodique que par l’intérêt d’Alliance à l’égard de la marque SPEED QUEEN pour le marché canadien. Par contraste, Alliance a vendu plus de 13 000 appareils électroménagers au Canada pendant la courte période d’octobre 2016 à août 2017.

[19]  S’appuyant sur ces statistiques, Alliance demande à la Cour de protéger l’achalandage et le caractère distinctif de ses appareils de marque SPEED QUEEN au Canada, ainsi que de reconnaître la différence entre l’achalandage d’Alliance et la prétendue atteinte, par Whirlpool, de ses droits relatifs à la marque de commerce.

[20]  Pour ce qui est de ces statistiques, il faut garder à l’esprit qu’avant 2016, la marque SPEED QUEEN canadienne était clairement la propriété de Whirlpool, par suite de la décision commerciale qu’avaient prise en 1979 les prédécesseurs en titre communs des parties. Bien qu’Alliance déclare en termes vagues qu’elle a [traduction] « cessé de vendre des appareils électroménagers SPEED QUEEN au Canada quelque temps avant 1992 » (au paragraphe 11 de son mémoire des faits et du droit), dans les faits elle n’a jamais vendu d’appareils électroménagers SPEED QUEEN au Canada avant 2016, c’est-à-dire quand la Cour suprême a refusé de lui accorder l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Cour d’appel fédérale en matière de radiation. Le fait qu’Alliance ait vendu des appareils électroménagers de marque SPEED QUEEN aux États-Unis et ailleurs dans le monde avant de réaliser sa première vente au Canada a fort peu de chose à voir avec la propriété de la marque de commerce au Canada. La propriété de la marque SPEED QUEEN au Canada est plutôt une conséquence de la décision commerciale qui a été prise en 1979.

[21]  De plus, le fait qu’Alliance possède le nom de domaine www.speedqueen.com pourrait expliquer en partie les retombées de la réputation d’Alliance au Canada, compte tenu surtout de la transformation des méthodes de mise en marché qui a eu lieu entre 1979 et 2016 : Internet est devenu « l’endroit où aller » pour se renseigner sur un produit.

[22]  La nette différence que l’on constate sur le plan du volume des ventes a aussi peu de chose à voir avec la propriété de la marque de commerce. Ce qui importe, c’est que les ventes de Whirlpool doivent être authentiques, et avoir été réalisées dans le cadre de la pratique normale du commerce. De plus, dans l’arrêt Cosmetic Warriors Limited c Riches, McKenzie & Herbert LLP, 2019 CAF 48, au paragraphe 22, le juge John Laskin a conclu qu’il n’était pas nécessaire que le transfert de produits portant une marque de commerce soit réalisé à profit pour qu’il constitue un transfert fait « dans la pratique normale du commerce ». Une telle exigence serait incompatible avec le principe selon lequel « l’emploi d’une marque de commerce n’est pas synonyme du succès commercial des marchandises qui y sont liées » : JC Penney Co. Inc. c. Gaberdine Clothing Co. Inc., 2001 CFPI 1333, au paragraphe 91, 213 FTR 189.

[23]  Ce qui importe à ce stade, c’est le fait de savoir si Whirlpool a abandonné ou entend abandonner la marque SPEED QUEEN au Canada.

[24]  Dans la décision Diageo Canada Inc c Heaven Hill Distilleries, Inc, 2017 CF 571, au paragraphe 43, et citant l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Promafil Canada Ltée c Munsingwear Inc, [1992] ACF no 611 (CAF), au paragraphe 15, le juge Keith Boswell énonce les deux exigences à remplir pour pouvoir établir qu’une marque de commerce a été abandonnée, à savoir : 1) la marque de commerce n’est plus employée au Canada, et 2) le propriétaire a l’intention de l’abandonner. Bien qu’Alliance invoque des arguments qui sont liés au premier volet de ce critère, elle ne dit rien à propos du fait de savoir si Whirlpool a jamais eu l’intention d’abandonner sa marque. Alliance allègue simplement que Whirlpool tente de rester dans son sillage pour ce qui est de l’achalandage rattaché à sa marque SPEED QUEEN aux États-Unis et dans le reste du monde. Pour des raisons que nous verrons plus loin, Alliance n’a pas établi que sa marque était assortie d’un achalandage quelconque sur le marché canadien et, même si tel était le cas, cet aspect ne répond pas à la question de l’intention ou de l’absence d’intention de Whirlpool d’abandonner la marque SPEED QUEEN canadienne.

[25]  Pour établir la protection d’une marque de commerce en vertu de la common law, un demandeur est tenu de démontrer l’emploi de cette marque sur le marché canadien. Le paragraphe 4(1) de la Loi décrit en ces termes ce qui constitue un emploi :

Quand une marque de commerce est réputée employée

When deemed to be used

4 (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4 (1) A trade-mark is deemed to be used in association with goods if, at the time of the transfer of the property in or possession of the goods, in the normal course of trade, it is marked on the goods themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the goods that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

[26]  Il suffit que la demanderesse apporte la preuve de ventes à un distributeur (par opposition à un utilisateur ultime). La common law établit que l’emploi confère un droit prioritaire sur la marque.

[27]  Alliance ne conteste pas directement le fait que Whirlpool revendique un droit de common law sur la marque SPEED QUEEN. Elle fait simplement ressortir les lacunes que présente la preuve de Whirlpool; toutefois, ces arguments semblent être plus pertinents pour l’analyse de l’achalandage que pour celle de l’emploi en common law. Fait à noter, Alliance reconnaît bel et bien que Whirlpool a vendu des produits depuis 2011 à Harco, un distributeur ontarien.

[28]  Selon la common law, la première personne à employer la marque se devrait se voir accorder des droits prioritaires sur cette dernière. Les ventes de Whirlpool ont commencé au Canada en 2004, tandis que les produits SPEED QUEEN d’Alliance n’ont fait leur entrée sur le marché canadien qu’en 2016.

[29]  Cependant, les ventes réalisées entre 2011 et 2016 sont attribuées à Whirlpool Corp. Pour que Whirlpool puisse tirer avantage de ces ventes, il faut qu’elle réponde aux critères que prévoit le paragraphe 50(1) de la Loi à propos des contrats de licence. Dans la décision Kabushiki Kaisha Mitsukan Group Honsha c Sakuta-Nakaya Alimentos Ltd, 2016 CF 20, notre Cour a énoncé quelles sont les exigences à remplir pour que l’emploi d’une marque fait par un titulaire de licence joue en faveur du propriétaire :

[24]  Il est bien établi que pour se conformer aux exigences prévues au paragraphe 50(1) de la Loi, un demandeur doit démontrer qu’il avait conclu un contrat de licence avec le titulaire de licence avant la date pertinente et que le concédant « contrôle directement ou indirectement les caractéristiques et la qualité des [produits] »; voir la décision Fairweather Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 1248, aux paragraphes 51 et 52, 301 FTR 263, conf. par 2007 CAF 376 et la décision Wells’ Dairy Inc. c. U L Canada Inc., au paragraphe 42, (Wells’ Dairy). Aucune preuve de contrat de licence formel n’est nécessaire pour prouver l’existence d’un contrat de licence aux termes de l’article 50 de la Loi (décision 3082833 Nova Scotia Company c. Lang Michener LLP, 2009 CF 928 [Nova Scotia]; Wells’ Dairy, précitée, au paragraphe 38; TGI Friday’s of Minnesota Inc. c. Canada (Registrar of Trade Marks), [1999] 241 NR 362, sub nom Lindy v Canada (Registrar of Trade Marks), au paragraphe 9, 88 ACWS (3d) 201. Le juge Kelen a déclaré ce qui suit dans Nova Scotia, au paragraphe 32 :

[32] […] L’existence d’un contrat de licence peut s’inférer des faits [et] [...] [i]l n’est pas nécessaire que la licence soit octroyée par écrit (Cushman & Wakefield, Inc. c. Wakefield Realty Corp., 2004 CF 210, 247 F.T.R. 180, au paragraphe 56). Toutefois, le fait qu’il existe une forme de contrôle entre les sociétés de la requérante ne permet pas en soi d’établir que l’emploi de la marque de commerce était contrôlé et d’en déduire qu’un contrat de licence existait (Cheung Kong (Holdings) Ltd. c. Living Realty Inc., [2000] 2 C.F. 501, 179 F.T.R. 161, aux paragraphes 44 et 45). Le contrôle doit être démontré.

[25]  Dans la décision Empresa Cubana Del Tabaco (Sociale Cubatabaco) c. Shapiro Cohen, 2011 CF 102, 383 FTR 164, le juge Kelen a expliqué, au paragraphe 84, les trois manières dont le contrôle peut être démontré :

[84] Il y a, pour le propriétaire inscrit d’une marque de commerce, essentiellement trois manières de démontrer l’effectivité de son contrôle afin de bénéficier de la présomption du paragraphe 50(1) de la Loi :

1. il peut explicitement affirmer sous serment qu’il exerce effectivement le contrôle prévu : voir, par exemple, Mantha & Associés/Associates c. Central Transport Inc. (1995), 64 C.P.R. (3d) 354 (C.A.F.), par. 3;

2. il peut produire des preuves démontrant qu’il exerce effectivement le contrôle nécessaire : voir, par exemple, Eclipse International Fashions Canada Inc. c. Shapiro Cohen, 2005 CAF 64, par. 3 à 6;

3. il peut produire une copie du contrat de licence qui prévoit expressément l’exercice d’un tel contrôle.

[30]  Dans son affidavit, M. Dibkey affirme qu’il y a eu une entente verbale entre Whirlpool et Whirlpool Corp avant la conclusion du contrat de licence en 2017.

[31]  Lors du contre-interrogatoire, M. Dibkey a expliqué que le directeur général du marché canadien (Gary Power) passait en revue le système d’information sur la qualité afin de s’assurer de la qualité des produits. De plus, dans le contrat de 2017, Whirlpool a conservé le pouvoir de soumettre les installations de Whirlpool Corp à des inspections de la qualité. Ensemble, ces deux aspects tendraient à démontrer que Whirlpool continue d’exercer un contrôle sur les produits. À mon avis, Whirlpool a répondu aux exigences que prévoit le paragraphe 50(1) de la Loi, et serait autorisée à se fonder sur le fait que l’emploi que fait son titulaire de licence de la marque est assimilable à celui qu’elle en fait elle-même.

[32]  En conclusion, même si les ventes des produits SPEED QUEEN de Whirlpool sont modérées, le paragraphe 4(1) ne prévoit aucun quota fixe que cette dernière est tenue d’atteindre. Alliance admet que Whirlpool a réalisé des ventes avant qu’elle-même fasse son entrée sur le marché canadien. Enfin, Whirlpool peut tirer avantage des ventes de Whirlpool Corp, et les droits qu’elle détient en common law sur la marque SPEED QUEEN ont été établis.

B.  Alliance a‑t‑elle fait des déclarations fausses et trompeuses, en violation de l’alinéa 7a) de la Loi?

[33]  Whirlpool prétend qu’Alliance emploie la marque SPEED QUEEN en violation de l’alinéa 7a) de la Loi. Elle fait valoir qu’Alliance inclut le symbole « ® » dans les déclarations publiques qu’elle fait au sujet de ses produits SPEED QUEEN, dans ses communiqués de presse, dans son site Web SPEED QUEEN canadien, de même que sur ses laveuses et sécheuses SPEED QUEEN au Canada. Cela est trompeur, car Alliance n’a jamais été propriétaire de la marque de commerce SPEED QUEEN au Canada. De plus, Whirlpool fait valoir que, dans un communiqué de presse d’Alliance, la phrase suivante : [traduction] « [e]n tant qu’entreprise, nous sommes enchantés de réintroduire les produits de marque SPEED QUEEN au Canada » est trompeuse, car elle sous-entend que les produits SPEED QUEEN n’étaient pas disponibles auparavant au pays et que, à une certaine époque antérieure, Alliance était propriétaire de la marque SPEED QUEEN. Whirlpool soutient que ces déclarations, ainsi que l’emploi du symbole « ® », portent atteinte à ses produits SPEED QUEEN en laissant entendre qu’elle n’est pas propriétaire de la marque ou qu’elle n’a aucun droit sur celle-ci; elle ajoute que l’on peut déduire de cette conduite que Whirlpool en a subi un préjudice.

[34]  Alliance soutient que le communiqué de presse ne porte que sur ses produits SPEED QUEEN et ne dit rien sur la disponibilité des produits SPEED QUEEN de Whirlpool. En outre, l’emploi du symbole « ® » indique qu’Alliance possède une marque de commerce déposée pour la marque SPEED QUEEN, ce que Whirlpool reconnaît même dans ses propres brochures. Enfin, Alliance signale que Whirlpool n’a présenté aucune preuve de préjudice.

[35]  Dans l’arrêt S & S Industries Inc c Rowell, [1966] RCS 419, la Cour suprême du Canada a énoncé les trois éléments qui doivent être présents pour que le critère prévu à l’alinéa 7a) de la Loi soit rempli :

[TRADUCTION]

1.  une déclaration fausse et trompeuse;

2.  le fait de chercher à discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services d’un concurrent;

3.  l’existence d’un préjudice.

[36]  Comme il est indiqué dans la décision EAB Tool Company Inc c Norske Tools Ltd, 2017 CF 898, au paragraphe 56 : « [n]otamment, il n’est pas nécessaire d’établir que la déclaration fausse ou trompeuse a été faite de manière malveillante ou en connaissance de sa fausseté, mais il est nécessaire de montrer la tendance de cette déclaration à discréditer et les dommages qui en découlent ».

[37]  Whirlpool se fonde tout d’abord sur une déclaration incluse dans le communiqué de presse par lequel Alliance annonçait son expansion sur le marché canadien. Whirlpool conteste la déclaration d’Alliance selon laquelle [traduction] « [e]n tant qu’entreprise, nous sommes enchantés de réintroduire les produits de marque SPEED QUEEN au Canada ». Cependant, si on lit le communiqué de presse dans son ensemble, il ressort clairement que cette déclaration n’est pas un commentaire sur les ventes antérieures de Whirlpool, mais uniquement sur celles d’Alliance. Comme il est indiqué au paragraphe qui précède la déclaration en litige :

[traduction]

[…] Alliance Laundry Systems (ALS), l’un des premiers fabricants au monde d’équipement commercial de blanchissage, a aujourd’hui annoncé que ses produits de marque Speed Queen destinés aux buanderies communautaires et domestiques seront offerts au Canada. C’est la première fois en plus de 20 ans que l’on vendra au Canada des produits de marque Speed Queen fabriqués par ALS.

[Non souligné dans l’original.]

[38]  Ce paragraphe indique clairement que l’analyse se limite aux produits SPEED QUEEN fabriqués par Alliance.

[39]  Whirlpool soutient également que ce communiqué de presse donne au consommateur l’impression qu’Alliance détenait autrefois la marque de commerce relative aux produits SPEED QUEEN au Canada, ce qui porte atteinte à la marque de Whirlpool (par suite de l’emploi du symbole « ® »). Alliance signale que Whirlpool reconnaît, dans sa brochure, qu’Alliance est la propriétaire d’une marque de commerce déposée SPEED QUEEN. Cependant, les brochures en question semblent avoir été produites par Whirlpool Corp. La brochure n’aide pas la cause d’Alliance, parce qu’elle fait référence à la situation inverse. Dans la brochure, Whirlpool Corp reconnaît qu’elle ne détient pas les droits afférents à la marque SPEED QUEEN aux États-Unis, mais qu’Alliance, oui. Cependant, dans le communiqué de presse canadien, l’emploi du symbole « ® » donne à entendre qu’Alliance possède une marque de commerce canadienne pour SPEED QUEEN, ce qui n’est pas le cas et ne l’a jamais été. Il s’agit là d’une déclaration fausse et trompeuse. Cette déclaration tend à discréditer les marchandises de Whirlpool, car elle donne à penser qu’Alliance est la propriétaire légitime de la marque.

[40]  Enfin, il reste la question du préjudice. Les décisions jurisprudentielles qu’invoque Whirlpool pour faire valoir qu’un préjudice peut être présumé s’insèrent toutes dans le contexte d’une analyse relative à l’alinéa 7b) de la Loi réalisée en fonction du troisième volet du critère, soit celui du « préjudice réel ou possible »; ou encore, de façon plus générale, elles traitent du délit de commercialisation trompeuse. La seule affaire citée où il est question de l’alinéa 7a) ne traite pas de ce principe de [traduction] « présomption de préjudice ».

[41]  S’agissant de l’alinéa 7a), le troisième volet du critère est celui du « préjudice en résultant », ce qui oblige à produire une certaine preuve de préjudice, comme la Cour l’a précisé dans les affaires Enterprise Rent‑A‑Car et Diageo :

[…] Enterprise Canada n’a soumis aucun élément de preuve visant à démontrer qu’elle avait subi un préjudice du fait de l’usage par Enterprise U.S. du symbole ". À mon avis, l’emploi, par Enterprise U.S., du symbole " ne saurait constituer une déclaration trompeuse ayant pour effet de discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services de Enterprise Canada. Sous le régime de l’alinéa 7a), le demandeur doit établir un préjudice (voir M & I Door Systems Ltd. c. Indoco Industrial Door Co. (1989), 25 C.I.P.R. 199 (C.F. 1re inst.)). Or, Enterprise Canada n’a établi aucun préjudice sous le régime de l’alinéa 7a).

[Non souligné dans l’original.]

(Enterprise Rent‑A‑Car Co c Singer, [1996] 2 CF 694, au paragraphe 93)

[146] La requête en dommages-intérêts et en injonction de Heaven Hill déposée à la suite de la contravention alléguée à l’alinéa 7a) de la Loi, commise par Diageo, est non fondée compte tenu de la preuve présentée au procès sur cette question. […]

[147] Le préjudice constitue un élément essentiel de toute demande faite en vertu de l’alinéa 7a) de la Loi. Toutefois, la preuve qu’a présentée Heaven Hill au procès concernant des préjudices causés par le communiqué n’était pas convaincante et se limitait au témoignage de M. Shapira. Heaven Hill n’a pas réussi à prouver que quelqu’un au Canada a pu voir le communiqué contesté, et il n’y avait pas de preuve que cette personne a causé un préjudice à Heaven Hill au Canada. […]

[Non souligné dans l’original.]

(Diageo Canada Inc. c Heaven Hill Distilleries, Inc., 2017 CF 571, aux paragraphes 146 et 147)

[42]  Ainsi, compte tenu de la jurisprudence, Whirlpool ne peut invoquer l’existence d’une présomption de préjudice sous le régime de l’alinéa 7a), et se doit de faire la preuve qu’elle a subi un préjudice réel (même aussi minime que la perte d’un seul client). Whirlpool n’a pas satisfait à ce critère préliminaire; elle ne satisfait donc pas aux trois éléments qui sont requis en application de cette disposition. L’allégation que fonde Whirlpool sur l’alinéa 7a) est rejetée.

C.  Alliance a‑t‑elle fait passer ses produits de marque SPEED QUEEN pour des produits de Whirlpool, en violation de l’alinéa 7b) de la Loi?

[43]  La Cour suprême du Canada a ainsi énoncé, dans l’arrêt Kirkbi AG c Ritvik Holdings Inc, 2005 CSC 65, le critère qu’il convient d’appliquer à l’égard de l’alinéa 7b) de la Loi : 1) l’existence d’un achalandage, 2) le fait que le public a été induit en erreur par une fausse déclaration, et 3) le préjudice réel ou possible pour le demandeur. Pour obtenir réparation, il faut que Whirlpool établisse ces trois éléments.

1)  Whirlpool conserve l’achalandage rattaché à la marque SPEED QUEEN

[44]  La Cour suprême du Canada a déjà exposé la première exigence à remplir pour ce qui est du délit de commercialisation trompeuse; il s’agit pour le demandeur d’établir l’existence d’un achalandage ou d’une « réputation relativement aux produits ou services qu’il fournit ». Whirlpool fonde sur trois arguments sa position selon laquelle sa marque SPEED QUEEN conserve un achalandage au Canada : (i) la marque SPEED QUEEN est employée pour vendre des produits au Canada depuis 85 ans, (ii) Whirlpool a vendu un nombre élevé de produits SPEED QUEEN depuis 1996, et (iii) Whirlpool continue de faire la promotion de ses produits SPEED QUEEN. Chacun de ces arguments sera examiné à tour de rôle.

[45]  Pour ce qui est du premier argument, qui a trait à la présence prolongée de la marque SPEED QUEEN au Canada, Alliance suscite de l’incertitude quant à la propriété légitime de la marque SPEED QUEEN de Whirlpool en attirant l’attention sur l’accord de cession conclu en 1979 entre McGraw‑Edison Company (le prédécesseur en titre) et Raytheon Company (le propriétaire ultérieur de la marque SPEED QUEEN aux États-Unis). Alliance allègue que cet accord prévoyait également le transfert de la marque canadienne. Cependant, après examen de l’accord, il semble n’y avoir eu aucun transfert de la marque SPEED QUEEN canadienne (encore qu’il semble manquer deux pages à la pièce jointe à l’accord, laquelle énumère toutes les marques transférées). Les dossiers du Bureau canadien des marques de commerce montrent que McGraw‑Edison Company a été la propriétaire de la marque à compter du 28 juin 1957. Pourtant, le changement de titre suivant est en faveur de Canadian Admiral Corporation Ltd. Il n’est pas mentionné dans le dossier que Raytheon Company a un jour été propriétaire de la marque SPEED QUEEN canadienne. Les circonstances de l’espèce sont semblables à celles dont il était question dans l’affaire Consorzio Del Prosciutto di Parma c Maple Leaf Meats Inc, [2001] 2 CF 536 (C.F. 1re inst.), où la Cour fédérale a conclu :

[31] La marque de commerce a été acquise par la défenderesse et ses prédécesseurs en titre au terme d’une succession valide de transferts de propriété de la marque de commerce qui remonte jusqu’à son propriétaire d’origine, Parma Food Products Ltd. Le demandeur n’a pas réussi à démontrer que la marque de commerce n’a jamais été dépouillée de son prestige à la suite de l’un de ces transferts et n’a pas, par conséquent, réussi à démontrer que la marque de commerce a perdu son caractère distinctif dans cette succession de transferts de propriété.

[46]  Pour ce qui est du deuxième point, à savoir que Whirlpool a démontré un fort volume de ventes depuis 1996, Alliance soulève plusieurs questions, dont les suivantes : a) l’absence d’investissement dans la marque (comme l’illustre l’omission de SPEED QUEEN dans les rapports annuels); b) la petitesse du marché de Whirlpool pour SPEED QUEEN, qui ne compte qu’un seul distributeur, situé en Ontario; c) le fait que les ventes soient fondées sur la demande (et, comme les ventes sont faibles, cela fait montre d’une tentative pour créer une preuve); et d) le contrat de licence n’est pas valide et il est de nature prospective.

[47]  Pour ce qui est de l’investissement dans la marque, à mon avis, les contestations constantes de Whirlpool à l’encontre de la tentative d’Alliance de faire radier sa marque SPEED QUEEN sont une preuve de son investissement dans la marque. Même si la marque SPEED QUEEN n’est pas essentielle au point de justifier une mention dans tous les rapports annuels, Whirlpool s’y intéresse suffisamment pour intenter des actions en justice jusqu’à la Cour suprême du Canada. En outre, la question de l’existence d’un seul distributeur a été examinée plus tôt, sous la question de l’existence d’un droit de common law sur la marque. Les ventes faites à un distributeur sont suffisantes pour établir qu’il y a eu des activités dans la pratique normale du commerce.

[48]  Quant aux ventes fondées sur la demande, la Loi ou la jurisprudence ne fixe aucun quota qu’une entreprise est tenue de respecter pour montrer que la marque a atteint une certaine reconnaissance. Bien que la jurisprudence reconnaisse bel et bien qu’une vente unique ne répond pas toujours à la définition d’une « vente réalisée dans la pratique normale du commerce », les ventes dont Whirlpool fait état depuis 2011 sont supérieures à une par année. À mon avis, la vente constante d’environ 140 à 250 appareils électroménagers par année entre 2011 et 2016 (à l’exception de 2015, où 59 appareils électroménagers ont été vendus) démontre le rôle actif de Whirlpool dans la pratique normale du commerce, ce qui étaye une conclusion d’achalandage.

[49]  Là encore, au vu des faits, je conclus que le contrat de licence entre Whirlpool Corp et Whirlpool est valide.

[50]  Pour ce qui est du troisième argument, qui porte sur les documents promotionnels, Whirlpool fait valoir qu’elle fait la promotion de ses produits SPEED QUEEN, comme l’illustrent les photographies prises lors d’une exposition commerciale en 2012, la relation constante qu’elle entretient avec Harco, les brochures qu’elle distribue et le site Web de Harco, qui s’annonce comme le distributeur de produits SPEED QUEEN. Alliance fait valoir que les témoins de Whirlpool ignoraient si des fonds avaient été fournis à des fins promotionnelles et elle signale que la marque SPEED QUEEN n’apparaît pas sur le site Web « Commercial Laundry ».

[51]  Il y a lieu d’accorder peu d’importance aux brochures à cet égard, car elles semblent avoir été produites pour le marché américain. Faire de la publicité aux États-Unis n’aide pas Whirlpool à établir l’existence d’un achalandage au Canada, en l’absence d’autres preuves.

[52]  Alliance ne réfute pas les preuves liées à une exposition commerciale tenue en 2012. De plus, même si la marque n’apparaît pas sur le site Web « Commercial Laundry », elle est présente sur le site Web de Harco. Cette publicité de la part du distributeur est susceptible de permettre de joindre les utilisateurs ultimes et d’assurer la promotion des ventes. En conséquence, même si les témoins ne sont peut-être pas au courant de l’existence de fonds promotionnels, il semble bien qu’on ait fait la promotion de la marque SPEED QUEEN lors d’une exposition commerciale tenue en 2012, ainsi que sur le site Web de Harco en 2014.

[53]  Compte tenu de la présence prolongée de la marque au Canada ainsi que des ventes modérées et des activités promotionnelles qu’elle a réalisées, Whirlpool a établi que sa marque SPEED QUEEN a acquis un certain achalandage sur le marché canadien, du moins en Ontario.

[54]  Pour ce qui est de la radiation pour cause de non-emploi entre 2008 et 2011, Whirlpool invoque plusieurs raisons pour expliquer la différence entre les volumes de ventes, raisons qui sont plus ou moins sérieuses. Toutefois, quand la réputation d’une marque de commerce est solide, elle peut résister à des périodes de non-emploi.

[55]  Même s’il en a été question plus tôt dans le contexte de l’abandon de la marque, le principe est toujours valable : tant qu’une marque a une solide réputation, des périodes de défaut d’emploi ne se soldent pas forcément par une perte de protection. Comme Whirlpool a été en mesure d’établir que la marque SPEED QUEEN jouit d’une certaine réputation au sein du marché canadien, elle continue de profiter d’une protection, et ce, malgré la radiation de l’enregistrement en 2016.

2)  Alliance a induit le public en erreur par de fausses déclarations

[56]  Whirlpool soutient que la marque SPEED QUEEN d’Alliance crée une certaine confusion, au sens du paragraphe 6(5) de la Loi. Plus précisément, elle allègue que : (i) les deux marques ont un degré élevé de ressemblance, car elles comportent en fait le même mot; (ii) la marque SPEED QUEEN de Whirlpool a un caractère distinctif, parce qu’elle est employée depuis 85 ans au Canada; (iii) la marque SPEED QUEEN de Whirlpool est employée depuis plus longtemps que la marque d’Alliance (1930, par opposition à 2016), et (iv) la nature des produits et la voie commerciale utilisée sont les mêmes, et, de ce fait, elles favorisent Whirlpool. Cette dernière soutient de plus qu’étant donné que les marques sont manifestement source de confusion, Alliance a fait de fausses déclarations au public et savait qu’elle vendrait des produits SPEED QUEEN en parallèle avec Whirlpool.

[57]  Dans l’arrêt Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2016 CAF 69, la Cour d’appel fédérale a établi que, suivant le deuxième volet du critère applicable à l’alinéa 7b), il suffit que le demandeur démontre que les marques prêtent à confusion d’après les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi. Compte tenu de la preuve d’Alliance au sujet de la vente de produits SPEED QUEEN au Canada et du raisonnement susmentionné de Whirlpool, il est évident que la marque SPEED QUEEN d’Alliance crée de la confusion avec la marque SPEED QUEEN de Whirlpool. Par conséquent, Whirlpool a établi le second volet du critère applicable à l’alinéa 7b).

3)  Whirlpool a subi un préjudice réel ou possible

[58]  Whirlpool soutient que les fausses déclarations d’Alliance l’ont amenée à perdre le contrôle qu’elle exerçait sur son achalandage, ce qui établit l’existence d’un préjudice présumé. Whirlpool se fonde sur un arrêt de la Cour d’appel fédérale pour avancer que, lorsque deux entreprises se livrent à la même activité commerciale avec des produits très semblables, il est possible d’inférer qu’il y a eu perte de ventes et d’occasions commerciales en raison d’une fausse déclaration.

[59]  Dans l’arrêt Group III International Ltd c Travelway Group International Ltd, 2017 CAF 215, la Cour d’appel fédérale a décrété :

[84]  Les appelantes et l’intimée sont des concurrentes directes sur le marché des bagages et des sacs au Canada. Leurs marchandises sont très semblables et sont en grande partie vendues par les mêmes magasins de détail. Dans ces circonstances, il est logique d’inférer une probabilité de perte de ventes et d’affaires en raison de la fausse déclaration de l’intimée (Orkin Exterminating Co. Inc. v. Pestco Co., 50 O.R. (2d) 726, 19 D.L.R. (4th) 90 (C.A. Ont.)).

[60]  En l’espèce, il est possible de tirer la même conclusion, car Alliance et Whirlpool se livrent toutes deux à la même activité de vente de laveuses et de sécheuses, et les deux vendent leurs marchandises au sein du même marché canadien. Il est donc possible d’inférer que Whirlpool a vraisemblablement subi des pertes.

[61]  En conclusion, Whirlpool a répondu aux trois exigences liées à l’alinéa 7b) et établi qu’Alliance avait fait passer sa marque SPEED QUEEN pour une autre, en violation de la Loi.

[62]  Cela dit, compte tenu de la preuve qui m’est soumise et du faible volume de ventes des produits SPEED QUEEN de Whirlpool au Canada, j’accorderai des dommages-intérêts symboliques d’un montant de 20 000 $.

D.  Alliance a‑t‑elle au Canada un achalandage rattaché à la marque SPEED QUEEN et, dans l’affirmative, comment devrait‑il être protégé?

[63]  Alliance prétend qu’il n’est pas nécessaire qu’une entreprise réalise des ventes réelles au Canada pour que sa marque de commerce ait un achalandage au pays. Des consommateurs canadiens qui voyagent aux États-Unis pourraient être exposés à la marque SPEED QUEEN d’Alliance, ou ils pourraient lire dans des revues des informations sur les produits de cette dernière. Alliance soutient que son site Web, les médias sociaux et d’autres publications attirent des visiteurs canadiens.

[64]  Whirlpool fait valoir que la preuve d’achalandage d’Alliance est anecdotique et qu’elle constitue du ouï-dire. Elle ajoute que l’idée selon laquelle des Canadiens pourraient entendre parler des produits SPEED QUEEN d’Alliance pendant qu’ils sont en vacances aux États-Unis est conjecturale. De plus, si des Canadiens en voyage aux États-Unis ont pu créer un achalandage quelconque, il s’agirait d’un achalandage en faveur de la marque SPEED QUEEN de Whirlpool car, à l’époque, cette dernière était la propriétaire enregistrée de la marque canadienne. Par ailleurs, les propres témoins d’Alliance signalent qu’on ne peut tirer aucune inférence réelle des données relatives à la consultation du site Web (lesquelles faisaient état d’une hausse du nombre des consultations faites depuis le Canada), car il y a trop de variables inconnues, dont le fait de savoir si les visites sur le site étaient « humaines » ou automatisées. On ignore également si les Canadiens (ou combien d’entre eux) avaient accès à la critique des produits SPEED QUEEN d’Alliance figurant dans la publication américaine intitulée « Consumer Reports », et s’ils l’ont réellement lue. Enfin, Whirlpool soulève des questions au sujet des ventes d’Alliance, soutenant que cette dernière avait un réseau de clients fondé sur sa marque d’appareils électroménagers HUEBSCH (remplacée par la marque SPEED QUEEN en 2016). Whirlpool signale qu’Alliance n’a produit aucun chiffre sur ses ventes de produits HUEBSCH (ce qui donne à penser que le fait de changer l’image de marque de ses laveuses et sécheuses en y apposant la marque SPEED QUEEN n’a eu aucun effet sur ses ventes).

[65]  Comme il est indiqué dans la décision Enterprise Rent‑A‑Car Co c Singer, [1996] 2 CF 694, aux paragraphes 52 et 53 (une décision citée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sadhu), il est possible qu’une marque de commerce acquière un achalandage au Canada sans être réellement présente sur le marché canadien :

[52] L’achalandage peut résulter de l’usage d’une marque de commerce au Canada et de l’usage d’une marque de commerce dans un autre pays lorsque cette marque est portée à l’attention des Canadiens, soit par son usage soit par la publicité atteignant les Canadiens. Les faits de la présente affaire sont très semblables aux faits de l’affaire Orkin, précitée. Orkin Exterminating Co. Inc. était une société de contrôle des insectes et des animaux nuisibles établie depuis nombre d’années aux États-Unis. Le nom que l’entreprise utilisait depuis les années 1930 était celui de son fondateur. Le juge Morden (alors juge à la Cour d’appel) a dit ceci à la page 730 :

En ce qui concerne la réputation de Orkin au Canada, il convient de souligner les faits suivants. Les citoyens canadiens qui voyagent aux États-Unis sont exposés à l’importante publicité de Orkin et à l’utilisation de ses marques de commerce dans ce pays. Selon la preuve, des millions de Canadiens se rendent aux États-Unis chaque année, particulièrement dans les États touristiques du sud où Orkin est très active. Au Canada, la population est exposée à la publicité et aux articles concernant Orkin publiés dans les revues américaines qui sont mises en circulation ici.

[53] [...]

J’ai déjà parlé des clients canadiens de Orkin. Huit d’entre eux de la région de Toronto ont déclaré bien connaître Orkin, son entreprise et les noms et marques de commerce Orkin. Ils ont tous affirmé que s’ils devaient voir le nom ou le logo de Orkin au Canada, ils tiendraient pour acquis qu’ils représentaient la compagnie Orkin qu’ils connaissent ou une compagnie affiliée.

[66]  Cependant, comme c’est le cas dans l’arrêt Orkin Exterminating Co c Pestco Co of Canada (1985), 19 DLR 4th 90 (ONCA), dans la décision Enterprise Rent‑A‑Car Co c Singer, [1996] 2 CF 694, et dans l’arrêt Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2016 CAF 69, le demandeur est tenu de fournir une preuve à cet effet. En l’espèce, Alliance avance que des Canadiens se rendent aux États-Unis et que, de ce fait, ils devraient avoir connaissance de la marque de commerce et du nom de marque SPEED QUEEN d’Alliance. Cette dernière n’en a pourtant fourni aucune preuve réelle à cet effet. Elle se fonde sur l’affidavit dans lequel Jay McDonald déclare : [traduction] « nous croyons que de nombreux consommateurs canadiens sont exposés aux appareils électroménagers SPEED QUEEN d’Alliance […] ». [Non souligné dans l’original.] M. McDonald a même reconnu en contre‑interrogatoire que sa déclaration, à savoir que des personnes en visite aux États-Unis devraient bien connaître la marque SPEED QUEEN d’Alliance, était de nature conjecturale.

[67]  Dans le même ordre d’idées, M. McDonald a admis en contre-interrogatoire qu’il serait spéculatif de tirer une conclusion quelconque à propos de l’importance du nombre accru des consultations du site Web speedqueen.com. Il a reconnu ignorer d’où venaient réellement les consultations, si elles étaient le fait de consommateurs à la recherche d’informations, s’il s’agissait de multiples consultations de la part d’un même visiteur, ou même si les consultations étaient celles d’humains ou de robots.

[68]  Enfin, pour ce qui est de la publication « Consumer Reports », bien qu’il soit admis qu’elle est disponible au Canada, Alliance n’a fourni aucune preuve quant au nombre de Canadiens qui la consultent, que ce soit sous forme imprimée ou électronique. Là encore, affirmer que les consommateurs étaient au courant de la marque SPEED QUEEN d’Alliance grâce à la publication « Consumer Reports » est purement conjectural.

[69]  Comme Alliance le reconnaît dans son mémoire, des ventes à elles seules ne sont pas suffisantes pour établir l’existence d’un achalandage. Vu l’absence de preuves confirmant que les consommateurs canadiens connaissent sa marque SPEED QUEEN, Alliance n’a pas établi qu’elle a créé un achalandage sur le marché canadien.

1)  L’alinéa 7b) de la Loi s’applique‑t‑il de manière à empêcher Whirlpool de faire passer ses produits pour ceux d’Alliance?

[70]  Alliance soutient que Whirlpool a enfreint l’alinéa 7b) de la Loi. Elle prétend que ses produits SPEED QUEEN sont bien accueillis et recherchés, et que Whirlpool induit le public en erreur en indiquant que ses produits [traduction] « rarement vendus et non prioritaires » sont associés aux produits SPEED QUEEN d’Alliance. Les deux marques sont identiques et créent donc de la confusion, au sens du paragraphe 6(5) de la Loi. La marque SPEED QUEEN d’Alliance est distinctive, et les deux marques sont utilisées dans les mêmes voies commerciales et avec les mêmes produits, ce qui fait pencher la balance en faveur d’Alliance. Cette dernière soutient également qu’on peut conclure qu’elle a subi un préjudice en raison de la fausse déclaration de Whirlpool. Plus précisément, toutefois, Alliance souligne les pertes commerciales essuyées par Harco (qui a acheté 131 appareils SPEED QUEEN de Whirlpool).

[71]  Cependant, et comme il a été signalé plus tôt, Alliance n’a pas montré qu’elle a créé un achalandage sur le marché canadien; il y a donc lieu de rejeter ses allégations fondées sur l’alinéa 7b).

2)  Le sous-alinéa 7d)(i) de la Loi s’applique-t-il de manière à empêcher Whirlpool d’induire le public en erreur quant à la qualité des produits d’Alliance?

[72]  Alliance soutient que Whirlpool a induit le public en erreur en déclarant que ses produits étaient d’une qualité supérieure à celle des siens en s’associant aux produits d’Alliance par l’emploi de la marque SPEED QUEEN. Elle fait valoir que des « Consumer Reports » font ressortir la qualité de ses produits SPEED QUEEN, tandis que la marque SPEED QUEEN de Whirlpool est souvent associée à des articles à prix réduit. Elle allègue que la différence de prix entre ses produits SPEED QUEEN et les produits SPEED QUEEN de Whirlpool est révélatrice à cet égard.

[73]  Pour qu’Alliance ait gain de cause sur ce point, elle doit démontrer que Whirlpool a employé une fausse description qui a induit en erreur le public à l’égard des caractéristiques, de la qualité, de la quantité ou de la composition des produits SPEED QUEEN de Whirlpool. Bien qu’Alliance n’ait pas établi que sa marque SPEED QUEEN a créé de l’achalandage sur le marché canadien (ce qui veut dire qu’elle ne peut tirer avantage de la protection en la matière conférée par la Loi), je vais néanmoins traiter de certains des points importants que les parties ont soulevés.

[74]  Pour ce qui concerne le critère applicable, Alliance invoque une fois de plus la publication « Consumer Reports ». Cette preuve est viciée, pour les raisons que nous avons vues plus tôt. De plus, Alliance n’a soumis aucune preuve que les produits SPEED QUEEN de Whirlpool sont d’une qualité inférieure, mais uniquement qu’ils sont d’un prix inférieur. Cela ne suffit pas pour satisfaire au critère applicable relativement à l’article 7d) de la Loi. D’autres moyens permettent à Whirlpool d’offrir une laveuse et une sécheuse à un prix inférieur sans pour autant compromettre la nature ou la qualité du produit. Sans une preuve établissant que le prix inférieur est attribuable à un produit de qualité moindre, il est conjectural de présumer qu’un prix inférieur est synonyme de qualité inférieure.

[75]  En conséquence, comme Alliance n’a pas démontré qu’il se rattache un achalandage quelconque à sa marque SPEED QUEEN au Canada, ni que Whirlpool décrit faussement les caractéristiques, la qualité, la quantité ou la composition de ses produits SPEED QUEEN, l’allégation qu’elle formule au titre du sous-alinéa 7d)(i) doit être rejetée.

E.  La lettre de Whirlpool à Harco constitue‑t‑elle une conduite trompeuse, en violation de la Loi sur les marques de commerce et de la Loi sur la concurrence?

[76]  Alliance est d’avis que la lettre que Whirlpool a envoyée à son distributeur Harco soulève des questions relativement à la Loi et à la Loi sur la concurrence, car les déclarations suivantes y ont été faites :

[traduction]

i.  « les deux parties [Whirlpool et Alliance] ont obtenu des décisions juridiques en leur faveur à des moments différents »;

ii.  « la procédure [concernant la marque SPEED QUEEN] est en cours »;

iii.  Whirlpool continuera de « commercialiser les produits de marque commerciale SPEED QUEEN au Canada ».

[77]  Alliance soutient que le paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence empêche de donner au public, sciemment ou sans se soucier des conséquences, des indications fausses ou trompeuses afin de promouvoir ses produits ou des intérêts commerciaux. Il est inutile de prouver que quiconque a été réellement trompé par la déclaration, ou que celle‑ci était accessible au public. Alliance fait valoir qu’il était trompeur de faire allusion aux décisions rendues en faveur de Whirlpool, car ces dernières ont toutes été infirmées par la Cour d’appel fédérale. Elle soutient que la lettre transmise à Harco donne l’impression que Whirlpool est toujours propriétaire de la marque SPEED QUEEN. Elle indique de plus qu’on ne sait pas clairement qui a réellement reçu cette lettre, et si Harco n’a pas distribué ses propres produits après avoir reçu la lettre. Elle estime qu’elle a donc droit à des dommages-intérêts par suite de la perte de cette vente, en application du paragraphe 36(1) de la Loi sur la concurrence. Elle soutient de plus que Whirlpool a violé l’alinéa 7a) de la Loi, car elle a fait une déclaration fausse ou trompeuse qui discrédite son entreprise, ses produits ou ses services, ce qui lui a causé un préjudice. Les déclarations trompeuses en question figurent dans la lettre envoyée à Harco. Cette lettre, fait-elle valoir, donne une idée fausse de ses activités commerciales au Canada ainsi que de ses droits et de ses intérêts à l’égard de la marque SPEED QUEEN.

[78]  Comme il a été mentionné plus tôt, le critère à appliquer au regard de l’alinéa 7a) a été énoncé comme suit dans l’arrêt S&S Industries Inc c Rowell, [1966] RCS 419 :

[TRADUCTION]

1.  une déclaration fausse et trompeuse;

2.  le fait de chercher à discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services d’un concurrent; et

3.  l’existence d’un préjudice.

[79]  La Cour d’appel de l’Ontario a reconnu que le critère à appliquer relativement au paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence est le même que celui qui se rattache à l’alinéa 7a) de la Loi, si ce n’est que le paragraphe 52(1) exige que la déclaration ait été faite en ayant connaissance de sa fausseté ou en faisant preuve d’insouciance à cet égard (Direct Energy Marketing Limited c National Energy Corporation, 2014 ONCA 105, au paragraphe 8).

[80]  Par souci de commodité, précisons que la lettre en litige indique ce qui suit :

[traduction]

Whirlpool et Alliance sont engagées dans un conflit touchant la marque SPEED QUEEN au Canada. Les deux parties ont obtenu des décisions judiciaires en leur faveur à des moments différents. La procédure est en cours, mais Whirlpool demeure confiante qu’elle continuera d’être propriétaire de la marque SPEED QUEEN au Canada. Nous allons chercher une issue favorable pour Whirlpool et ses partenaires commerciaux, tout en continuant de commercialiser au Canada les produits de marque commerciale Speed Queen.

[81]  Il est difficile de savoir ce qui est exactement trompeur ou faux dans cette lettre. Il est vrai que Whirlpool et Alliance ont toutes deux obtenu des décisions favorables à des stades différents de l’instance. Fait à noter, Alliance admet, dans son mémoire, que cette déclaration est [traduction] « littéralement vraie », mais elle affirme que la partie trompeuse de la lettre tient au fait que la majorité des juges de la Cour d’appel fédérale ont infirmé la dernière décision favorable à Whirlpool. Toutefois, bien qu’il soit vrai que la dernière décision soit favorable à la position d’Alliance, cela n’enlève rien au fait que la Commission des oppositions des marques de commerce et la Cour fédérale se sont toutes deux prononcées en faveur de Whirlpool.

[82]  De plus, il est vrai que, en novembre 2016, la procédure était toujours en cours. Le 13 septembre 2016, Whirlpool a déposé deux demandes de marques de commerce : l’une pour la marque nominative SPEED QUEEN et l’autre pour le logo. De plus, le 26 octobre 2016, Alliance a présenté sa propre demande relative à la marque SPEED QUEEN, demande à laquelle Whirlpool entendait s’opposer (comme en témoigne la déclaration d’opposition déposée le 23 novembre 2016). C’est donc dire qu’au moment où la lettre a été envoyée à Harco, Whirlpool était engagée dans des instances différentes pour tenter de faire valoir son droit sur la marque SPEED QUEEN.

[83]  Pour ce qui est de la déclaration finale portant sur le fait que Whirlpool continue de commercialiser ses produits de marque SPEED QUEEN, elle pourrait donner l’impression générale que Whirlpool, à ce stade de la procédure, est toujours propriétaire de la marque SPEED QUEEN. La vente continue de produits de marque SPEED QUEEN pourrait donner à penser au lecteur que Whirlpool, à ce stade de l’instance, demeure propriétaire de la marque. Cependant, même si cela donne effectivement une telle impression, comme il a été indiqué plus tôt, je suis d’avis que Whirlpool a bel et bien conservé son droit de common law sur la marque. Dans ce contexte, cette déclaration n’était ni fausse ni trompeuse.

[84]  De plus, Alliance n’a établi l’existence d’aucun préjudice consécutif. Elle allègue qu’elle a perdu la clientèle de Harco non pas à cause de cette lettre, mais à la suite de rencontres tenues avec elle en décembre. Alliance a reconnu ce fait dans son mémoire, à la section intitulée [traduction] « Faits » :

[traduction]

À un certain moment lors des réunions tenues au Michigan, Harco a informé Whirlpool qu’elle allait continuer d’acheter et de distribuer des laveuses et des sécheuses SPEED QUEEN de Whirlpool et qu’elle ne distribuerait pas la gamme SPEED QUEEN d’Alliance au Canada.

Environ deux semaines après ces discussions, Harco a passé une commande de 131 appareils électroménagers SPEED QUEEN de Whirlpool, soit plus du double du nombre de ceux qu’elle avait achetés durant toute l’année civile précédente.

[85]  Lors du contre-interrogatoire de Trey (Charles) Northrup, les avocats d’Alliance l’ont interrogé sur ce point :

[traduction]

Q.  Donc, vous dites « […] à la suite de nos discussions […] »; et ces discussions ont eu lieu les 12 et 13 décembre, si j’ai bien compris; est‑ce exact?

R.  C’est exact.

Q.  « […] Harco a confirmé qu’elle allait continuer d’acheter et de distribuer des laveuses et des sécheuses Speed Queen de Whirlpool, et qu’elle ne distribuerait pas la gamme Speed Queen d’Alliance au Canada […] ». C’est donc à la suite des discussions que ces choses sont arrivées, n’est‑ce pas?

R.   Oui.

Q.   Et c’est pour ça que je vous ai dit plus tôt que ce n’était pas juste le 26 octobre, ni même la lettre dont nous allons parler dans une minute ou deux […]

R.  C’est sûr.

Q.  […] qui l’a convaincu de poursuivre la distribution. C’était, en partie, la réunion que vous avez eue avec lui […]

R.  Je pense qu’il faudrait que je lui pose la question.

Q.   Bien. Ce que vous dites est juste. Mais ce n’est qu’à cette époque-là environ, à la mi-décembre, qu’il s’est engagé envers vous à continuer de faire ces achats?

R.  C’est bien ça.

[Non souligné dans l’original.]

[86]  Comme il est dit dans la décision E Mishan & Sons Inc. c Supertek Canada Inc., 2016 CF 986, au paragraphe 33, pour que l’alinéa 7a) s’applique, il faut qu’il y ait un lien de causalité entre la déclaration trompeuse et le préjudice allégué. On ne peut confirmer quel effet la lettre a eu sur la décision de Harco de ne plus acheter de produits SPEED QUEEN d’Alliance, car, pendant cette période, il y a aussi eu d’autres réunions (dont Alliance elle-même concède qu’elles ont eu pour effet de dissuader Harco d’acheter des produits auprès d’elle).

[87]  Enfin, pour ce qui est du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence, Alliance n’a présenté aucune preuve de connaissance ou d’insouciance.

[88]  En conséquence, même si des passages de la lettre donnent faussement l’impression que Whirlpool a continué d’être propriétaire de la marque SPEED QUEEN, Alliance n’a pas satisfait aux critères applicables en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence et de l’alinéa 7a) de la Loi.

V.  CONCLUSION

[89]  Au vu de l’analyse qui précède, Whirlpool a établi qu’elle détient un droit de common law sur la marque SPEED QUEEN, en plus d’avoir démontré qu’Alliance a fait passer ses produits SPEED QUEEN pour des produits de Whirlpool, en violation de l’alinéa 7b) de la Loi.

[90]  Toutes les autres allégations de Whirlpool et d’Alliance sont rejetées.


JUGEMENT dans les dossiers T‑920‑17 et T‑1230‑17

LA COUR ORDONNE que :

  1. La demande de Whirlpool Canada LP est accueillie en partie;

  2. Whirlpool Canada LP est la propriétaire de la marque de commerce non déposée SPEED QUEEN au Canada;

  3. La défenderesse, Alliance Laundry Systems LLC, a appelé l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux de Whirlpool Canada LP, en violation de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13;

  4. Il est ordonné à Alliance Laundry Systems LLC de payer à Whirlpool Canada LP des dommages-intérêts d’un montant de 20 000 $;

  5. Il est interdit à Alliance Laundry Systems LLC, de même qu’à ses dirigeants, préposés, représentants, mandataires ou toute personne qu’elle contrôle directement ou indirectement, d’employer la marque SPEED QUEEN ou tout nom commercial, tout style commercial ou toute dénomination sociale comprenant cette marque ou toute marque de commerce similaire au point de créer de la confusion au Canada;

  6. Il est interdit à Alliance Laundry Systems LLC, de même qu’à ses dirigeants, préposés, représentants, mandataires ou toute personne qu’elle contrôle directement ou indirectement, d’appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux de Whirlpool Canada LP;

  7. Alliance Laundry Systems LLC est tenue de cesser d’employer au Canada toute brochure, toute documentation promotionnelle et de vente ou tout document, toute déclaration et toute publicité, sous quelque forme ou support que ce soit, qui incluent ou mentionnent la marque SPEED QUEEN ou tout nom similaire à cette marque, notamment l’adresse https://ca.speedqueen.com;

  8. Il est interdit à Alliance Laundry Systems LLC d’appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux de Whirlpool Canada LP;

  9. Il est ordonné à Alliance Laundry Systems LLC de remettre à Whirlpool Canada LP, ou de détruire sous serment, la totalité des affiches, des annonces publicitaires et des autres documents, sous forme imprimée, électronique ou autre, ce qui inclut la totalité des cartes professionnelles et des documents publicitaires, promotionnels et d’étiquetage, selon le cas, dont l’emploi violerait les droits de Whirlpool Canada LP et qui sont — ou pourraient être — en la possession, sous l’autorité ou sous la garde d’Alliance Laundry Systems LLC;

  10. Il est ordonné à Alliance Laundry Systems LLC d’envoyer à ses clients, y compris ses distributeurs et détaillants, une déclaration indiquant expressément qu’elle n’est pas la propriétaire de la marque SPEED QUEEN au Canada;

  11. La demande d’Alliance Laundry Systems LLC est rejetée;

  12. Les dépens sont adjugés en faveur de Whirlpool Canada LP dans le dossier T‑920‑17, et en faveur de Whirlpool Canada LP et de Whirlpool Corporation dans le dossier T‑1230‑17 (uniquement pour les frais engagés avant que l’ordonnance réunissant les deux demandes soit rendue).

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de juillet 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIER :

T‑920‑17

INTITULÉ :

WHIRLPOOL CANADA LP c ALLIANCE LAUNDRY SYSTEMS LLC

DOSSIER :

T‑1230‑17

INTITULÉ :

ALLIANCE LAUNDRY SYSTEMS LLC c WHIRLPOOL CANADA LP ET AL

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATES DE l’AUDIENCE :

LES 4 ET 5 MARS 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 22 MAI 2019

COMPARUTIONS :

Aaron Rubinoff

John Siwiec

POUR LA DEMANDERESSE
WHIRLPOOL CANADA LP
dans le dossier T‑920‑17

 

POUR LA DÉFENDERESSE
WHIRLPOOL CANADA LP
DANS LE DOSSIER T‑1230‑17

Peter E.J. Wells

Adam Chisholm

POUR LA DÉFENDERESSE
ALLIANCE LAUNDRY SYSTEMS LLC
DANS LE DOSSIER T‑920‑17

POUR LA DEMANDERESSE
ALLIANCE LAUNDRY SYSTEMS LLC
DANS LE DOSSIER T‑1230‑17

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Perley‑Robertson, Hill & McDougall LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE
WHIRLPOOL CANADA LP
dans LE DOSSIER T‑920‑17

 

POUR LA DÉFENDERESSE
WHIRLPOOL CANADA LP
dans LE DOSSIER T‑1230‑17

McMillan LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE
ALLIANCE LAUNDRY SYSTEMS LLC
dans LE DOSSIER T‑920‑17

POUR LA DEMANDERESSE
ALLIANCE LAUNDRY SYSTEMS LLC
dans LE DOSSIER T‑1230‑17

 

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