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Date : 20190522


Dossier : T‑1576‑17

Référence : 2019 CF 721

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2019

En présence de monsieur le juge Paul Favel

ENTRE :

JUDITH CLARK,

BARBARA JADIS‑BRUISED HEAD,

MISIKSK JADIS, TERRANCE JADIS ET

PATRICIA ANN BERNARD

demandeurs

et

CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION D’ABEGWEIT ET WENDY FRANCIS, EN SA QUALITÉ DE PRÉSIDENTE D’ÉLECTION DE LA PREMIÈRE NATION D’ABEGWEIT

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs, qui sont membres de la Première Nation d’Abegweit (la Première Nation) de la province de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, résident tous hors des trois réserves de la Première Nation, soient les réserves Morell, Scotchfort et Rocky Point. La bande a été créée en 1972.

[2]  Le 20 septembre 2017, les demandeurs n’ont pas été autorisés à voter sur les modifications proposées au code intitulé : Code Respecting Membership for the Abegweit Band of Indians [[traduction] : « Code relatif à l’appartenance à la bande indienne Abegweit »] (le Code d’appartenance), car ils n’étaient pas inscrits comme électeurs admissibles au titre de l’article 2 du règlement intitulé :  Election Regulations of Abegweit Band Custom System for Election of Chief and Council [[traduction]  « Règlement relatif au système coutumier d’élection du chef et du conseil de la bande Abegweit] (le Règlement sur les élections). Les demandeurs soutiennent que leurs droits à l’égalité ont été injustement violés en raison de la restriction relative au vote contenue dans le Règlement sur les élections.

[3]  Le 18 octobre 2017, les demandeurs ont déposé un avis de demande de contrôle judiciaire  conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, à l’encontre des articles 2 et 3 du Règlement sur les élections, qui exigent que les membres de la Première Nation âgés de 18 ans et plus aient résidé à temps plein dans l’une des réserves de la Première Nation pendant au moins six mois consécutifs immédiatement avant la date de l’élection pour être admissibles à voter (article 2) ou pour avoir le droit de se porter candidats au poste de chef ou à un poste de conseiller (article 3).

[4]  Le 25 avril 2019, les demandeurs ont déposé un avis de question constitutionnelle concernant la validité constitutionnelle des articles 2 et 3 du Règlement sur les élections. Ils soutiennent que les exigences relatives à la résidence dans les réserves énoncées aux articles 2 et 3 violent les droits à l’égalité des demandeurs, en contravention du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 (la Charte).

[5]  Les demandeurs allèguent aussi que, compte tenu des exigences en matière de résidence qui y figurent, l’article 3 du Règlement sur les élections prive injustement les membres de la bande vivant hors réserve du droit de se présenter aux élections et de conserver le poste de chef ou de conseiller de la Première Nation. Par conséquent, ils soutiennent que l’exigence de résidence dans les réserves en cause est invalide et discriminatoire, et qu’elle va à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte.

[6]  Les défendeurs, quant à eux, ne contestent pas que l’article 2 du Règlement sur les élections est discriminatoire parce qu’il viole le paragraphe 15(1) de la Charte et ne peut se justifier au regard de l’article premier de la Charte. Ils ne contestent pas non plus que l’article 3 du Règlement sur les élections va à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte. Toutefois, les défendeurs soutiennent que l’exigence de résidence concernant le droit de se porter candidat à titre de chef et de conseiller se trouve légitimée par application l’article premier de la Charte. De façon subsidiaire, ils soutiennent que seul le chef devrait être tenu de vivre dans la réserve.

[7]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.  Contexte

[8]  La Première Nation est assujettie à la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5 (la Loi sur les Indiens). Les demandeurs vivent tous hors réserve et sont tous inscrits comme « Indiens » au sens de l’article 6 de la Loi sur les Indiens.

[9]  Les demandeurs font valoir qu’en septembre 2017, la Première Nation comptait 379 membres, dont 163 vivant hors réserve. Les membres hors réserve représentent donc 43 % des membres de la Première Nation.

[10]  Les défendeurs soutiennent qu’en date du 5 avril 2019, la Première Nation comptait 274 membres adultes, dont 131 vivaient dans une réserve et 143, hors réserve.

[11]  Le défendeur, le conseil de bande de la Première Nation (le conseil de bande), est composé d’un chef et de deux conseillers élus tous les quatre ans conformément au Règlement sur les élections.

[12]  La défenderesse, Mme Francis, a été nommée comme présidente d’élection de la Première Nation (la présidente d’élection) par le conseil de bande en vue du référendum consultatif du 20 septembre 2017.

[13]  Le Règlement sur les élections a été adopté pour la première fois le 29 juillet 1982, et des tentatives de modification ont eu lieu au fil des ans, avec plus ou moins de succès. En 1994, des modifications y ont été apportées. En juin 2009, on a tenu une séance de mobilisation communautaire pour permettre aux membres de la Première Nation d’aborder la question du vote hors réserve. Plus tard, le 19 novembre 2009, la Première Nation a tenu un référendum consultatif et invité tous les membres de la Première Nation à se prononcer sur la question de savoir si les dispositions du Règlement sur les élections devaient être modifiées de manière à permettre à tous les membres de la Première Nation, y compris ceux résidant hors réserve, de voter aux élections de la Première Nation. À la suite des résultats du référendum consultatif de 2009, les exigences en matière de résidence prévues dans le Règlement sur les élections sont demeurées inchangées.

[14]  Le 11 septembre 2017, le conseil de bande a tenu un référendum consultatif visant à faire approuver ou rejeter les modifications proposées au Code d’appartenance. Celui‑ci prévoyait la même définition d’électeur admissible que celle figurant dans le Règlement sur les élections. Avant le référendum consultatif du 16 septembre 2017, les demandeurs ont envoyé à la présidente d’élection une lettre où ils demandaient que leurs noms soient ajoutés à la liste des électeurs admissibles à temps pour le référendum consultatif.

[15]  Le 18 septembre 2017, la présidente d’élection a rejeté les demandes des demandeurs. Elle a répondu que, pour avoir le droit de voter aux élections de la Première Nation, il fallait être un membre de la Première Nation âgé de 18 ans et plus, et avoir résidé à temps plein dans l’une des réserves de la Première Nation pendant au moins six mois consécutifs immédiatement avant la date de l’élection.

[16]  Le référendum consultatif a eu lieu le 20 septembre 2017, sans que les membres non résidents de la Première Nation — y compris tous les demandeurs en l’espèce — aient été autorisés à y exprimer leur vote. Les demandeurs soutiennent que ce processus électoral était injuste, car un grand nombre de membres de la Première Nation âgés de 18 ans ou plus n’ont pas pu participer à cet exercice démocratique de la Première Nation en raison du fait qu’ils résidaient hors réserve.

[17]  Les demandeurs soutiennent que leurs droits à l’égalité ont été injustement violés à cause de l’article 2 du Règlement sur les élections, qui a eu pour effet de les priver du droit de voter dans le cadre du référendum consultatif.

[18]  Les demandeurs avancent par ailleurs qu’en raison des exigences en matière de résidence qu’il impose, l’article 3 du Règlement sur les élections prive injustement tout membre de la Première Nation vivant hors réserve du droit de se porter candidat au poste de chef ou à un poste de conseiller de la Première Nation, ainsi que du droit de conserver tel de ces postes. Par conséquent, les demandeurs soutiennent que les dispositions en cause du Règlement sur les élections, à savoir les exigences en matière de résidence, sont invalides et discriminatoires parce qu’elles vont à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte.

[19]  Les parties ont par la suite suspendu la présente demande et signé une convention de règlement le 28 février 2018 (la Convention de règlement) pour aborder la question du droit de vote des membres de la bande en vue d’un référendum consultatif censé se tenir avant le 31 mars 2019. Plus précisément, la Convention de règlement prévoyait que tous les membres inscrits de la Première Nation seraient autorisés à voter, peu importe leur lieu de résidence, et que tous les membres de la Première Nation résidant à l’Île‑du‑Prince‑Édouard seraient éligibles à un poste au sein du conseil de bande, à l’exception du poste de chef. La Convention de règlement permettait également à tous les électeurs de la Première Nation de voter lors de l’élection, peu importe leur lieu de résidence. Elle devait également donner lieu à des modifications aux articles 2 et 3 du Règlement sur les élections.

[20]  Suivant l’article 22 du Règlement sur les élections, des modifications peuvent être apportées audit Règlement, à condition que 75 % des personnes qui votent lors d’un référendum consultatif approuvent les changements proposés.

[21]  Le référendum consultatif en question a eu lieu le 25 mars 2019. Le seuil d’approbation de 75 % requis dans le cadre du référendum consultatif n’a pas été atteint, et, par conséquent, les exigences en matière de résidence prévues aux articles 2 et 3 du Règlement sur les élections n’ont pas été modifiées et sont restées en vigueur.

[22]  Étant donné que l’élection suivante du chef et du conseil était prévue pour le 17 avril 2019, les demandeurs ont déposé le 2 avril 2019 une requête en redressement interlocutoire dans laquelle ils demandaient à la Cour de reporter l’élection jusqu’à ce qu’une décision soit rendue dans la présente affaire. Le 5 avril 2019, le juge Patrick Gleeson a rendu une ordonnance faisant droit à la requête visant le report de l’élection.

[23]  Les demandeurs sollicitent auprès de la Cour le redressement suivant :

[traduction]

a. Un jugement déclaratoire, fondé sur les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales ainsi que sur le paragraphe 24(1) et l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, selon lequel le refus opposé par les défendeurs à leur demande d’inscription sur la liste électorale aux fins du référendum consultatif du 11 septembre 2017 a porté atteinte à leurs droits à l’égalité protégés par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.

b. Un jugement déclaratoire, fondé sur les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales ainsi que sur le paragraphe 24(1) et l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, selon lequel la partie ci-après de l’article 2 du règlement intitulé Election Regulations of Abegweit Band Custom System for Election of Chief and Council est contraire à la loi, en plus d’être invalide car elle viole le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, et est de ce fait inopérante :

qui a résidé à temps plein dans l’une des réserves de la bande d’Abegweit pendant au moins six mois consécutifs immédiatement avant la date de l’élection.

c. Un jugement déclaratoire, fondé sur les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales ainsi que sur le paragraphe 24(1) et l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, selon lequel la partie ci-après de l’article 3 du règlement intitulé Election Regulations of Abegweit Band Custom System for Election of Chief and Council est invalide, car elle viole le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, et est de ce fait inopérante :

qui a résidé à temps plein dans l’une des réserves de la bande d’Abegweit pendant au moins six mois consécutifs immédiatement avant la date de l’élection et qui, s’il est élu, doit être disposé à résider à temps plein dans la réserve pendant la durée de son mandat.

d. Une ordonnance portant que la Cour demeure saisie de l’affaire jusqu’à ce que les dispositions pertinentes du règlement intitulé Election Regulations of Abegweit Band Custom System for Election of Chief and Council soient modifiées ou remplacées, conformément à la loi et au jugement rendu par la Cour.

e. Toute autre réparation que la Cour estime juste.

f. L’octroi des dépens aux demandeurs.

(Mémoire des faits et du droit des demandeurs, au paragraphe 78.)

[24]  Les défendeurs ne contestent pas que l’article 2 du Règlement sur les élections est discriminatoire et ne peut se justifier au regard de l’article premier de la Charte. Ils ne contestent pas non plus que l’article 3 du Règlement sur les élections porte atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte. Toutefois, les défendeurs soutiennent que l’exigence de résidence concernant le droit de se porter candidat au poste de chef ou à un poste de conseiller se trouve légitimée par application de l’article premier de la Charte. De façon subsidiaire, ils soutiennent que seul le chef devrait être tenu de vivre dans la réserve.

III.  Le Règlement sur les élections de la bande

[25]  Pour les besoins de la présente procédure, les dispositions contestées du Règlement sur les élections se lisent comme suit :

[traduction]

2.  Pour avoir le droit de voter aux élections de la bande, l’électeur doit être un membre de la bande ayant atteint l’âge de 18 ans qui a résidé à temps plein dans l’une des réserves de la bande d’Abegweit pendant au moins six mois consécutifs immédiatement avant la date de l’élection.

3.   Pour être éligible au poste de chef ou de conseiller de la bande d’Abegweit, le candidat doit être un membre de la bande ayant atteint l’âge de 18 ans qui a résidé à temps plein dans l’une des réserves de la bande d’Abegweit pendant au moins six mois consécutifs immédiatement avant la date de l’élection et qui, s’il est élu, doit être disposé à résider à temps plein dans la réserve pendant la durée de son mandat.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[26]  Les demandeurs font valoir que la demande soulève les questions suivantes :

  1. L’exigence de résidence prévue à l’article 2 du Règlement sur les élections de la bande est-elle invalide parce qu’elle est discriminatoire envers les membres de la bande, âgés de 18 ans ou plus, qui résident hors des réserves de la bande d’Abegweit, et qu’elle va donc à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte?

  2. L’exigence de résidence prévue à l’article 3 du Règlement sur les élections de la bande est-elle invalide en raison de son caractère discriminatoire dans la mesure où elle viole les droits à l’égalité des demandeurs protégés par le paragraphe 15(1) de la Charte?

  3. Dans l’affirmative, de telles atteintes peuvent-elles se justifier au regard de l’article premier de la Charte?

  4. Était-il raisonnable ou correct pour la présidente d’élection défenderesse de refuser la demande des demandeurs d’être ajoutés à la liste des électeurs admissibles en vue du référendum consultatif du 11 septembre 2017?

[27]  Les demandeurs soutiennent que les dispositions du Règlement sur les élections relatives à l’obligation de résidence violent leur droit à l’égalité et ne peuvent donc pas être sauvegardées par l’article premier de la Charte. Les tribunaux ont déjà déclaré que « les questions constitutionnelles sont généralement susceptibles d’un contrôle selon la norme de la décision correcte » (Erasmo c Canada (Procureur général), 2015 CAF 129, aux paragraphes 29 et 30 [Erasmo]; Atawnah c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 774, au paragraphe 47; Joseph c Première nation Dzawada’enuxw (Tsawataineuk), 2013 CF 974, au paragraphe 39 [Joseph]; Dunsmuir, au paragraphe 58; Cardinal c Nation des Cris de Bigstone, 2018 CF 822, au paragraphe 24 [Cardinal]). Dans les cas où un conseil de bande interprète et applique ses propres règlements électoraux, la norme applicable est habituellement celle du caractère raisonnable. Néanmoins, la Cour conclut que la norme de la décision correcte s’applique en l’espèce aux questions soulevées par les demandeurs, qui demandent à la Cour de déclarer que les exigences en matière de résidence sont inopérantes, et qu’elles vont à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte (Cardinal, au paragraphe 25).

V.  Analyse

[28]  Les parties ne contestent pas le fait que le Règlement sur les élections édicté par la Première Nation est assujetti à la Charte.

[29]  La Cour fait remarquer que, pour évaluer pleinement les questions en litige dans une demande de contrôle judiciaire, la Cour est généralement aidée par un dossier complet, des preuves par affidavit détaillées, un contre‑interrogatoire des souscripteurs d’affidavits et peut‑être des réponses aux demandes d’engagement. En l’espèce, la preuve des demandeurs prend la forme d’un affidavit souscrit par chacun des cinq demandeurs, tandis que la preuve des défendeurs prend la forme d’un affidavit émanant d’une seule personne. Il n’y a pas eu de contre‑interrogatoire des souscripteurs d’affidavits, et une bonne partie de la preuve est de nature générale. Néanmoins, la Cour rendra une décision fondée sur la preuve et les arguments présentés par les parties.

A.  Question préliminaire

[30]  À titre préliminaire, la Cour se penchera sur la demande des demandeurs visant à ce qu’elle radie les déclarations fondées sur des croyances et des opinions contenues dans plusieurs paragraphes de l’affidavit de M. Knockwood, un conseiller de la Première Nation (le conseiller Knockwood), ou à ce qu’elle ne leur accorde aucun poids. Les demandeurs soutiennent que ces opinions et croyances contreviennent aux paragraphes 81(1) et 81(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (Règles des Cours fédérales). Les demandeurs soutiennent en outre que la Cour devrait tirer une conclusion défavorable de ces croyances et opinions, parce que les défendeurs n’ont pas été en mesure de fournir des éléments de preuve à l’appui de l’affirmation selon laquelle le chef et les conseillers résidant dans les réserves peuvent gouverner efficacement en réglant les questions en temps opportun, contrairement aux membres qui résident hors réserve. Les demandeurs soutiennent que, dans la décision Joseph, la Cour n’a pas accepté les déclarations faites dans un affidavit semblable, et a conclu que les défendeurs n’avaient pas présenté de preuve à l’appui de leur déclaration selon laquelle les membres de la bande résidant dans la réserve possédaient « la base de connaissances et l’expérience au sein de la collectivité ainsi que les liens actuels avec les besoins de celle‑ci » (Joseph, au paragraphe 49).

[31]  Il est bien établi que, comme en l’espèce, la Cour peut radier des parties des affidavits. Cela dit, « le pouvoir discrétionnaire de radier un affidavit en partie ou en totalité doit être exercé avec modération et seulement dans des cas exceptionnels », de même que « dans les cas où il est dans l’intérêt de la justice de le faire, par exemple, ou dans les cas où cela causerait un préjudice important à une partie, lorsque le fait de ne pas radier un affidavit ou des parties d’un affidavit nuirait au bon déroulement de l’audition de la demande de contrôle judiciaire » (Canada (Bureau de régie interne) c Canada (Procureur général), 2017 CAF 43, au paragraphe 29).

[32]  Les défendeurs, quant à eux, ont soutenu que l’affidavit du conseiller Knockwood devrait être pris en compte dans son intégralité. Le défendeur a cité un passage de la décision Cardinal, où la preuve examinée par la Cour faisait référence à la description, par le souscripteur d’affidavit, de la « croyance » de sa communauté.

[33]  Après avoir examiné attentivement le contenu de l’affidavit du conseiller Knockwood ainsi que les observations des parties, et bien que les paragraphes contestés contiennent des déclarations fondées sur des croyances et des opinions qui vont à l’encontre de l’article 81 des Règles des Cours fédérales, la Cour est d’avis qu’ils n’ont pas à être radiés parce qu’ils ne sont pas préjudiciables aux demandeurs (Mckenzie c Bande Indienne Lac La Ronge, 2017 CF 559, au paragraphe 30; Armstrong c Canada (Procureur général), 2005 CF 1013, aux paragraphes 42 et 43).

B.  Observations des parties sur la première question : le droit de vote en vertu de l’article 2 du Règlement sur les élections

[34]  Les demandeurs font valoir que la Cour suprême du Canada (la CSC) a déjà conclu, dans l’arrêt Corbiere c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 RCS 203 (Corbiere]), que les exigences en matière de résidence applicables au droit de voter aux élections des bandes, exigences qui figuraient aux paragraphes 75(1) et 77(1) de la Loi sur les Indiens, et qui sont semblables aux articles 2 et 3 du Règlement sur les élections, étaient invalides. En effet, la formulation « réside[nt] ordinairement dans la réserve » violait les droits à l’égalité des membres de la bande vivant hors réserve, et de telles violations n’étaient pas justifiées au regard de l’article premier de la Charte. La CSC a conclu que l’exclusion de l’« autochtonité‑lieu de résidence » était un motif analogue à ceux énumérés à l’article 15 de la Charte. La distinction pratiquée entre les membres hors réserve et les membres vivant dans les réserves a été jugée discriminatoire, car elle avait trait à « une caractéristique personnelle essentielle de l’identité personnelle des membres des bandes indiennes » (Corbiere, au paragraphe 14).

[35]  Les demandeurs soutiennent en outre que, dans la décision Clifton c Hartley Bay (Président d’élection), 2005 CF 1030 [Clifton], la Cour fédérale a conclu que, tout comme l’exclusion, par application de la Loi sur les Indiens, des membres de la bande vivant hors réserve dans l’arrêt Corbiere, le Règlement sur les élections de la bande dans cette affaire contrevenait également au paragraphe 15(1) de la Charte et ne pouvait se justifier en vertu de l’article premier de la Charte, dans la mesure où il empêchait les membres de la bande vivant hors réserve de participer aux élections du conseil de bande (Clifton, aux paragraphes 48 et 58).

[36]  Les demandeurs soutiennent qu’ils ont le droit de voter et de participer à la gouvernance de la bande. Ils soutiennent que le conseil de bande est présumé représenter tous les membres de la Première Nation, au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, en ce qui concerne les questions liées à la nature collective des droits ancestraux, des titres ancestraux et des droits issus de traités. Les demandeurs appuient la conclusion de l’arrêt Corbiere selon laquelle « [que les membres de la bande] y vivent ou non, la réserve est leur territoire et celui de leurs enfants. En tant que membres de la bande ils sont représentés par le conseil de la bande auprès de la communauté en général » (Corbiere, au paragraphe 17).

[37]  Les défendeurs ne contestent pas le fait que l’exclusion des membres de la Première Nation vivant hors réserve du processus électoral de la Première Nation est discriminatoire et va donc à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte. Ils ne contestent pas non plus qu’une telle violation ne saurait se justifier au regard l’article premier de la Charte.

[38]  Les défendeurs soutiennent par ailleurs que la Première Nation ne peut modifier le Règlement sur les élections sans l’approbation des électeurs de la Première Nation. L’article 22 du Règlement sur les élections exige en effet que la Première Nation tienne un référendum consultatif et que toute modification recueille l’approbation exprimée par 75 % des voix. Les défendeurs ont également fait remarquer que les parties avaient conclu la Convention de règlement et tenu un référendum consultatif avec aussi bien les voix des membres de la Première Nation vivant dans les réserves que de ceux vivant hors réserve, mais que les modifications n’avaient pas atteint le seuil d’approbation de 75 % requis pour pouvoir modifier les articles 2 et 3 du Règlement sur les élections.

[39]  À titre de remarque, les deux parties ont fait valoir qu’il est possible qu’il y ait eu une certaine confusion quant à la structure de l’une des trois questions du bulletin de vote, c’est‑à‑dire celle liée à l’article 3 du Règlement sur les élections, telle qu’elle figurait dans la Convention de règlement, mais cette confusion possible n’est déterminante pour aucune des questions soulevées.

C.  Observations des parties sur la deuxième question : le droit de se présenter et de siéger au Conseil en vertu de l’article 3 du Règlement sur les élections de la bande

[40]  Les demandeurs ont présenté de la jurisprudence à l’appui du fait que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont déjà conclu que les exigences en matière de résidence concernant le droit de se porter candidat au poste de conseiller et de le conserver sont inconstitutionnelles (Joseph; Thompson c Première Nation Leq’á:mel, 2007 CF 707 [Thompson]; Esquega c Canada (Procureur général), 2007 CF 878, et confirmée dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Esquega, 2008 CAF 182).

[41]  Les demandeurs soutiennent en outre que la Cour fédérale a récemment tiré, dans la décision Cardinal, une conclusion semblable à celle de l’arrêt Corbiere en ce qui concerne l’obligation de résidence applicable au droit de se présenter comme candidat à un poste au sein du conseil de bande, et de conserver ce poste :

[52] [...] je suis d’avis que la distinction créée par la résidence impose un fardeau aux membres hors réserve et les prive d’un avantage ayant pour effet de perpétuer la notion erronée que les membres de la bande qui vivent hors réserve n’ont pas d’intérêt et ont une capacité réduite à participer à la gouvernance de la bande. Cette distinction renforce également le stéréotype historique selon lequel les membres hors réserve sont moins dignes de reconnaissance et n’ont pas droit aux mêmes avantages, non pas sur le mérite, mais parce qu’ils vivent hors de la réserve.

[42]  Les défendeurs ne contestent pas le fait que l’article 3 du Règlement sur les élections viole le paragraphe 15(1) de la Charte en niant le droit de certains membres de la bande de se présenter aux élections pour devenir chef ou membre du conseil, mais ils soutiennent que cette exigence de résidence peut se justifier au regard de l’article premier de la Charte.

D.  Analyse : la discrimination au sens du paragraphe 15(1) de la Charte

(1)  Première et deuxième questions

[43]  Étant donné que les éléments de preuve relatifs aux première et deuxième questions se rapportent dans les deux cas à l’exigence d’avoir résidé dans la réserve pour pouvoir voter et se présenter à une élection de la Première Nation, exigence qui est énoncée aux articles 2 et 3 du Règlement sur les élections (ou l’exclusion correspondante liée à la résidence hors réserve), la Cour examinera ensemble les éléments de preuve concernant ces questions. De plus, étant donné que les demandeurs et les défendeurs conviennent que les articles 2 et 3 du Règlement sur les élections contreviennent au paragraphe 15(1) de la Charte, il est également logique de les analyser conjointement. À titre de rappel, la Cour souligne que la preuve par affidavit est de nature générale et ne décrit pas en détail les répercussions discriminatoires précises pour les demandeurs. Elle examinera néanmoins la question en fonction des éléments de preuve dont elle dispose.

[44]  Puisque, comme il a précédemment été établi dans l’arrêt Corbiere que l’application des exigences en matière de résidence opère une nette distinction entre les membres de la bande vivant dans la réserve et ceux vivant hors réserve, les demandeurs font valoir qu’il est discriminatoire d’exiger que les membres de la bande vivent dans les réserves pour pouvoir participer aux élections de la Première Nation, attendu que le statut de membre de la bande vivant hors réserve fait partie de leur identité personnelle. À l’appui de la présente demande, les demandeurs ont fourni les affidavits de Mmes Judith Clark et Patricia Ann Bernard, des membres de la bande vivant aujourd’hui hors réserve, qui ont déclaré que plusieurs facteurs et circonstances peuvent faire en sorte qu’un membre de la bande vive dans une réserve ou hors réserve, comme la pénurie de logements dans la réserve de Scotchfort et les différences, au plan du financement des études postsecondaires, des services de santé, des programmes fiscaux et des services d’aide à l’emploi, entre les membres qui vivent hors réserve et ceux qui vivent dans la réserve. Les autres demandeurs ont également présenté des affidavits relatant des expériences semblables et décrivant leurs liens avec la Première Nation.

[45]  Les demandeurs soutiennent qu’il incombe aux défendeurs de justifier la violation découlant de l’obligation de résidence. Par exemple, dans la décision Joseph, la Cour a conclu que les défendeurs n’avaient pas fourni de preuve concernant l’importance, pour un chef ou un conseiller, de tenir des réunions « en personne », « dans la réserve ».

[46]  Les demandeurs avancent que, si l’on applique l’analyse en trois étapes concernant l’article 15 de la Charte telle qu’elle est énoncée dans Law c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 RCS 497 (Law), les articles 2 et 3 du Règlement sur les élections de la bande vont à l’encontre du paragraphe 15(1), et cette violation n’est pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[47]  Selon la première étape, les demandeurs font valoir qu’en excluant les membres de la Première Nation vivant hors réserve du droit de voter et de se présenter aux élections du Conseil, les dispositions contestées établissent une distinction claire entre les membres vivant dans les réserves et ceux vivant hors réserve, parce que les membres vivant hors réserve se voient ainsi refuser le même bénéfice de la loi que les autres, en plus de devoir assumer un fardeau inéquitable.

[48]  La deuxième étape porte sur la discrimination. Une distinction ayant été établie, cette étape vise à déterminer si cette distinction est discriminatoire. Les demandeurs soutiennent que, comme dans l’arrêt Corbiere, ils subissent un traitement différentiel fondé sur un motif analogue de discrimination.

[49]  La troisième et dernière étape consiste à déterminer si la distinction constitue effectivement de la discrimination. Les demandeurs soutiennent que les membres de la Première Nation vivant hors réserve sont manifestement exclus du processus démocratique, et que cette exclusion constitue un [traduction] « désavantage historique » pour les membres hors réserve, qui ne sont pas autorisés à voter aux élections de leur propre bande.

[50]  Lors de l’évaluation d’une demande au titre du paragraphe 15(1), la jurisprudence de la Cour établit un critère d’analyse en deux volets, comme il est exposé au paragraphe 47 de la décision Cardinal :

La Cour suprême du Canada a récemment réitéré le cadre analytique en deux volets utilisé pour déterminer si une loi porte atteinte à la garantie d’égalité en application du paragraphe 15(1) de la Charte. Le premier volet de l’analyse consiste donc « à se demander si, à première vue ou de par son effet, une loi crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue [...]. Le second volet de l’analyse est axé sur les désavantages arbitraires — ou discriminatoires —, c’est‑à‑dire sur la question de savoir si la loi contestée ne répond pas aux capacités et aux besoins concrets des membres du groupe et leur impose plutôt un fardeau ou leur nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage dont ils sont victimes » (arrêt Première Nation de Kahkewistahaw c Taypotat, 2015 CSC 30, aux paragraphes 19 et 20; voir également l’arrêt Québec (Procureure générale) c Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17, au paragraphe 25; arrêt Québec (Procureur général) c A, 2013 CSC 5, aux paragraphes 323 à 325; arrêt Withler c Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, au paragraphe 30; arrêt R c Kapp, 2008 CSC 41, au paragraphe 17).

[51]  Nonobstant la nouvelle formulation du critère d’analyse et les observations des demandeurs au sujet de l’ancienne analyse, cette légère variation entre l’une et l’autre n’influe pas, en fin de compte, sur la conclusion de la Cour concernant la question de la discrimination.

[52]  Le premier volet du critère consiste à déterminer si une telle distinction est à première vue discriminatoire. À cette étape, les demandeurs devaient établir que la règle de droit contestée crée une distinction fondée sur les motifs énumérés à l’article 15 de la Charte ou sur un motif analogue (Chipesia c Premières Nations de la rivière Blueberry, 2019 CF 41, au paragraphe 58 [Chipesia]). Comme la Cour l’a statué dans Chipesia, « [s]eulement quatre motifs analogues ont été reconnus par la jurisprudence : la citoyenneté, l’état matrimonial, l’orientation sexuelle et le lieu de résidence dans la perspective particulière de la résidence dans une réserve indienne ou hors de celle‑ci » (Chipesia, au paragraphe 58). [Non souligné dans l’original.] La Cour en conclut qu’il existe a une distinction claire entre les membres de la bande vivant dans la réserve et ceux vivant hors réserve, parce que l’exclusion d’un membre de la bande du droit de voter ou de se porter candidat au poste de chef ou de conseiller s’applique à tous les membres de la bande qui ont « la qualité de membre hors réserve » (Corbiere, au paragraphe 15). Comme il a été constaté dans l’arrêt Corbiere, les membres de la bande vivant hors réserve ne peuvent pas non plus changer leur lieu de résidence pour avoir le droit de voter et être ajoutés à la liste des électeurs admissibles, parce que la disposition législative contestée les oblige à résider à temps plein dans l’une des réserves de la Première Nation pendant au moins six mois consécutifs immédiatement avant la date de l’élection.

Ce fait tend à indiquer que l’objet de l’identification de motifs analogues à la deuxième étape de l’analyse établie dans Law est de découvrir des motifs fondés sur des caractéristiques qu’il nous est impossible de changer ou que le gouvernement ne peut légitimement s’attendre que nous changions pour avoir droit à l’égalité de traitement garantie par la loi. Autrement dit, l’art. 15 vise le déni du droit à l’égalité de traitement pour des motifs qui sont immuables dans les faits, par exemple la race, ou qui sont considérés immuables, par exemple la religion.

(Corbiere, au paragraphe 13)

[53]  Par conséquent, la Cour est d’avis qu’il est difficile, voire impossible, pour les membres de la Première Nation vivant hors réserve de déménager dans l’une des réserves pour avoir le droit de voter ou de se porter candidats au poste de chef ou de membre du conseil. Le fait d’être obligé de le faire est « à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle » (Corbiere, au paragraphe 13). En l’espèce, les demandeurs n’ont pas fourni de preuves sous forme de statistiques ou de pourcentages officiels pour prouver à la Cour, par exemple, qu’il y a pénurie de logements, laquelle rend difficile, voire impossible, pour la plupart des membres de la Première Nation de déménager dans l’une des réserves ou d’y demeurer. Les demandeurs ont toutefois fourni les affidavits de Mme Clark, de Mme Bernard et des autres demandeurs qui ont déclaré qu’il était difficile de loger tous les membres de la Première Nation dans les réserves.

[54]  En l’espèce, tous les membres de la Première Nation vivant hors réserve se voient refuser le droit de voter aux élections de la Première Nation, conformément à l’article 2 du Règlement sur les élections. L’article 2 exige qu’un membre de la Première Nation vive dans l’une des trois réserves pour pouvoir exercer son droit de vote. Une analyse semblable s’applique aux membres de la Première Nation qui, au titre de l’article 3 du Règlement sur les élections, se voient refuser le droit de se porter candidats aux élections pour un poste de chef ou de conseiller parce qu’ils vivent à l’extérieur des réserves de la Première Nation.

[55]  La Cour conclut donc qu’il existe une distinction claire entre les membres de la Première Nation vivant dans l’une des réserves et ceux vivant hors réserve en ce qui concerne le droit de vote (article 2 du Règlement sur les élections) et le droit de se présenter pour être élu chef ou conseiller (article 3 du Règlement sur les élections). Il existe une distinction fondée sur le motif analogue d’autochtonité‑lieu de résidence. Il est donc satisfait au premier volet du critère d’analyse.

[56]  En ce qui concerne le deuxième volet de l’analyse, sur la base de la preuve soumise en l’espèce, la conclusion rendue dans la décision Cardinal s’applique également à la situation qui nous occupe. Dans la décision Cardinal, la Cour a déclaré que « la distinction créée par la résidence impose un fardeau aux membres hors réserve et les prive d’un avantage[, ce qui a] pour effet de perpétuer la notion erronée que les membres de la bande qui vivent hors réserve n’ont pas d’intérêt et ont une capacité réduite à participer à la gouvernance de la bande. Cette distinction renforce également le stéréotype historique selon lequel les membres hors réserve sont moins dignes de reconnaissance et n’ont pas droit aux mêmes avantages, non pas [pour des considérations liées au] mérite, mais parce qu’ils vivent hors de la réserve » (au paragraphe 52). En toute justice pour les défendeurs, ceux‑ci n’ont pas allégué que les demandeurs n’avaient aucun intérêt à l’égard de la gouvernance de la Première Nation, mais cette remarque s’applique néanmoins à la présente affaire.

[57]  La seule preuve directe de stéréotype ou de préjugé provient de l’affidavit du conseiller Knockwood, dans lequel celui-ci a affirmé que les membres hors réserve n’étaient pas en mesure de participer à la gestion quotidienne des affaires de la Première Nation. Et la seule preuve de désavantage est liée à la pénurie de logements et au manque de réceptivité envers les préoccupations des membres de la Première Nation vivant hors réserve, telles qu’elles sont exposées dans les divers affidavits des demandeurs. Par conséquent, la Cour conclut que les demandeurs font partie d’un groupe susceptible de subir un préjudice attribuable aux stéréotypes et aux désavantages subis. Dans la décision Clifton, notre Cour a déjà conclu que le fait de refuser le droit de vote aux membres non résidents de la bande perpétuait le désavantage historique vécu par ces membres, et la même chose s’applique aux demandeurs en l’espèce. Il a également été conclu, dans l’arrêt Corbiere, au paragraphe 19, que « la différence de traitement résultant du texte de loi est discriminatoire parce qu’elle implique que les membres hors réserve des bandes indiennes sont des membres de rang inférieur de leur bande respective ou des personnes qui ont choisi de s’assimiler à la société majoritaire ».

[58]  La Cour conclut donc que les premiers et deuxième volets de l’analyse sont tous deux respectés et que, pour les mêmes raisons, les articles 2 et 3 du Règlement sur les élections contreviennent au paragraphe 15(1) de la Charte.

E.  Analyse : De telles atteintes peuvent-elles se justifier au regard de l’article premier de la Charte?

[59]  Malgré la concession du défendeur selon laquelle l’article 2 du Règlement sur les élections porte atteinte aux droits des demandeurs au titre du paragraphe 15(1) pour le motif analogue de l’autochtonité‑lieu de résidence, la Cour procédera néanmoins à une analyse fondée sur l’article premier de la Charte relativement aux violations causées par le libellé des articles 2 et 3 du Règlement sur les élections.

[60]  Les demandeurs aussi bien que les défendeurs conviennent qu’il incombe aux défendeurs de démontrer que les dispositions contestées ont un objectif qui se rapporte à des préoccupations « urgentes » et « réelles », et que le moyen choisi pour atteindre l’objectif législatif est « raisonnable » et « [peut] se justifier dans une société libre et démocratique » (Corbiere, au paragraphe 97; R c Oakes, [1986] 1 RCS 103 [Oakes]). Les demandeurs soutiennent que les défendeurs n’ont présenté aucun élément de preuve à l’appui de l’objectif législatif qui sous‑tend les dispositions contestées du Règlement sur les élections.

[61]  Les défendeurs précisent qu’il leur incombe de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la loi contestée est raisonnable et peut se justifier au regard de l’article premier de la Charte (Oakes, au paragraphe 70). Ils ajoutent que l’exigence de résidence prévue à l’article 3 du Règlement sur les élections va à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte, et soutiennent que cette violation peut être légitimée par l’effet de l’article premier de la Charte.

[62]  Premièrement, en appliquant l’analyse énoncée dans l’arrêt Oakes, les défendeurs soutiennent que le Règlement sur les élections vise un objectif suffisamment important pour justifier la limitation d’un droit garanti par la Charte. Ils soutiennent donc que l’objectif du Règlement sur les élections est semblable à celui énoncé dans l’arrêt Corbiere, à savoir celui de « donner le pouvoir de gouverner les affaires de la bande à ceux qui ont le lien le plus immédiat et le plus direct avec la réserve, à savoir les membres de la bande vivant dans la réserve, car ils ont une capacité spéciale de contrôler son avenir ». Les défendeurs soutiennent que le chef et les conseillers qui résident dans les réserves sont à même de gérer et exploiter efficacement les entreprises, les programmes et les services de la bande.

[...] Bien que les membres des bandes habitant les réserves et ceux qui vivent hors de celles‑ci soient touchés par bon nombre des fonctions caractérisées par le droit de vote, ceux qui habitent les réserves ont effectivement un intérêt plus direct dans bien des fonctions du conseil de bande. En ce qui a trait aux fonctions «locales» du conseil de bande, ils sont les seuls à avoir un intérêt. Quant aux fonctions influant sur l’avenir des terres de la réserve ou la construction d’installations dans la réserve, les membres qui résident dans celle‑ci ont, en général, un intérêt plus direct et immédiat dans les décisions du conseil de bande. Les décisions concernant les terres de la réserve touchent de façon immédiate le lieu où ils vivent, et la décision de céder la réserve entraînerait pour eux l’obligation de quitter leur domicile et, dans bien des cas, d’abandonner leur gagne‑pain. Cette constatation ne saurait suggérer que les non‑résidents seraient plus enclins à céder la réserve ou à prendre des décisions qui ne seraient pas dans l’intérêt de l’ensemble de la bande, mais elle reconnaît plutôt que, dans les circonstances actuelles, ceux qui vivent dans la réserve ont des intérêts particuliers dans les terres qui la composent.

(Corbiere, au paragraphe 101)

[63]  Deuxièmement, les défendeurs soutiennent que, pour ce qui est de démontrer qu’il y a un lien rationnel entre le moyen et l’objectif, le fardeau n’est pas lourd. Les défendeurs font valoir que l’obligation, pour le chef ou les conseillers, de vivre dans la réserve et d’avoir un lien direct et immédiat avec ses habitants, est rationnellement liée à l’objectif qui leur permettra assurément de gérer les affaires courantes des programmes et services de la Première Nation. Les défendeurs soutiennent également que la gestion quotidienne des affaires de la Première Nation, telle qu’elle est décrite dans l’affidavit du conseiller Bernard, illustre la nécessité, pour les membres du Conseil, d’être résidents de la réserve et d’être accessibles aux entreprises et aux membres qui y sont établis.

[64]  Troisièmement, les défendeurs soutiennent qu’il n’y aurait pas d’atteinte minimale à limiter le droit des membres de la bande vivant hors réserve d’occuper des postes au sein du conseil de bande. Ils avancent que si la Cour déclare invalide l’exigence de résidence applicable au droit de vote aux élections de la Première Nation, les membres de celle-ci vivant hors réserve, y compris les demandeurs, pourront ainsi participer aux prochaines élections. Les défendeurs mentionnent également qu’il y a actuellement plus de membres de la Première Nation vivant hors réserve que de membres vivant dans les réserves, ce qui permettrait aux membres de la Première Nation vivant hors réserve d’avoir une influence sur la gouvernance de la bande.

[65]  Enfin, les défendeurs affirment qu’« il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l’objectif reconnu comme "suffisamment important" » (Oakes, au paragraphe 70; soulignement omis). Ils ajoutent que les membres de la Première Nation vivant hors réserve pourraient toujours voter lors de référendums consultatifs à venir en ce qui concerne de futures modifications à apporter au Règlement sur les élections. Des membres hors réserve qui voteraient aux élections auraient désormais un rôle à jouer dans le choix de leur chef ou de leurs conseillers. Les défendeurs soutiennent donc que la limitation du droit garanti par la Charte est proportionnelle, car elle n’exclut pas complètement les membres de la Première Nation vivant hors réserve du processus électoral. En fin de compte, les défendeurs soutiennent que [traduction] « [l]’exigence de résidence fait en sorte que la collectivité dans son ensemble reçoive une représentation responsable et efficace parce que l’autorité dirigeante est située au centre de l’activité – la réserve ». Et, [traduction] « [p]ar conséquent, les droits collectifs de la bande l’emportent sur les droits individuels des demandeurs. »

(1)  Article 2

[66]  Les défendeurs ont établi que l’objectif de la disposition législative contestée est de conférer le pouvoir de gouverner les affaires de la Première Nation à ceux qui ont le lien le plus direct et le plus immédiat avec la réserve. Toutefois, la Cour ne trouve aucun lien rationnel entre le droit de vote des membres de la Première Nation et l’obligation de résider dans la réserve pour atteindre l’objectif visé. Les demandeurs sont complètement exclus du processus d’élection, et les défendeurs n’ont pas démontré (comme ils l’ont concédé eux-mêmes) que cette exclusion est nécessaire ou peut se justifier au regard de l’article premier de la Charte. Selon la preuve présentée par Mme Smith, les membres de la Première Nation vivant hors réserve représentent environ 43 % de la Première Nation. Bien que la Cour reconnaisse qu’il peut y avoir des questions qui ne concernent que les membres de la Première Nation sur la réserve, il n’est néanmoins pas justifié d’exclure les membres de la Première Nation vivant hors réserve du droit de vote, étant donné que, à supposer qu’ils soient autorisés à voter, ils ne pourront constituer la majorité de la communauté votante, et que plusieurs questions intéressant les réserves elles‑mêmes peuvent également les toucher. La Cour conclut donc que l’article 2 du Règlement sur les élections porte atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte, et ne constitue pas une limite raisonnable qui peut être justifiée en vertu de l’article premier de la Charte.

(2)  Article 3

[67]  La Cour est d’avis qu’il n’y a pas non plus de lien rationnel entre l’objectif de la mesure législative en cause et l’exigence de résidence concernant le droit de se porter candidat à un poste de conseiller, pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment concernant l’article 2 du Règlement sur les élections. La Cour traitera séparément de la question du poste de chef plus loin dans les présents motifs.

[68]  Comme l’a fait remarquer la Cour dans la décision Cardinal : [traduction] « [c]ompte tenu du fait qu’environ la moitié des membres de la NCB résident à l’extérieur de la réserve, il est difficile de voir pour quelles raisons les conseillers dans la réserve [...] peuvent représenter les intérêts des membres vivant hors de celle-ci, alors qu’à l’inverse, un conseiller vivant hors réserve ne peut, lui, représenter les intérêts des membres vivant dans la réserve » (au paragraphe 70). Les données démographiques présentées par les parties, bien que différentes, font état d’une population importante hors réserve. La Cour arrive à la conclusion que les défendeurs n’ont pas réussi à la convaincre que l’exclusion des membres de la Première Nation vivant hors réserve à titre de candidats au poste de conseiller est justifiée. Le fait d’être éligible au poste de conseiller ne signifie pas qu’un membre de la Première Nation sera nécessairement élu à ce titre. La Cour ne souscrit pas à l’argument des défendeurs selon lequel la Première Nation pourrait se trouver dans une situation où tous les dirigeants de celle-ci résident hors réserve, ou même à l’extérieur de la province ou du territoire. Les électeurs de la Première Nation exerceront leur jugement et détermineront qui est le mieux placé pour devenir leurs conseillers élus. Par conséquent, les défendeurs ne sont pas parvenus à établir que l’exigence de résidence pour le poste de conseiller était justifiée.

[69]  Pour ce qui est du poste de chef, maintenant, la Cour conclut que l’exclusion des membres hors réserve pour l’élection au poste de chef est justifiée. La Cour convient avec les défendeurs que, si elle conclut que l’exigence de résidence aux fins du vote est inconstitutionnelle, et qu’elle en arrive à la même conclusion pour ce qui est de l’exigence de résidence pour le poste de conseiller —comme c’est effectivement le cas —, alors l’exclusion des membres hors réserve du droit de se porter candidats au poste de chef constitue une atteinte minimale aux droits des membres de la Première Nation vivant hors réserve.

[70]  La Cour convient avec les défendeurs que les membres de la Première Nation ont le pouvoir et l’autorité inhérents de décider si un membre de la bande vivant hors réserve peut se présenter comme chef, et que cela relève, en définitive, de la gouvernance interne d’une Première Nation, à l’égard de laquelle la Cour doit faire preuve de déférence. Peut‑être un bulletin de vote bien formulé et structuré permettrait-il aux parties d’ajuster la composition du conseil de bande de manière à atteindre l’équilibre dont il était question dans l’arrêt Corbiere.

[71]  La Cour fait également remarquer que, dans la décision Joseph, le juge Strayer, en examinant le paragraphe 104 de l’arrêt Corbiere au sujet de l’équilibre qui peut être créé dans la conception des structures de gouvernance, a déclaré ce qui suit aux paragraphes 54 et 55 :

À mon avis, ces commentaires ont été formulés dans le contexte d’une analyse fondée sur l’article premier de la Charte, plutôt que sur l’article 15, mais je prends note de l’argument des défendeurs selon lequel la Cour suprême du Canada s’est montrée disposée à accepter une structure de gouvernance qui comporte certaines distinctions entre les membres résidents et non résidents, pourvu qu’elle n’entraîne pas une privation complète du droit de vote.

En ce sens, la situation examinée en l’espèce semble nouvelle, puisque les tribunaux se sont penchés sur la privation du droit de vote imposée aux membres non résidents et sur l’impossibilité pour ceux‑ci d’accéder à un poste au sein du conseil, mais non sur les cas où seuls quelques postes du conseil sont réservés aux membres résidents. Je conviens avec les défendeurs que le code de 2011, qui se situe entre l’exclusion totale des membres non résidents et la symétrie complète entre ceux‑ci et les membres résidents, se rapproche davantage de l’approche symétrique que les lois examinées dans les affaires Corbiere et Esquega. Je conviens aussi qu’il est fort possible qu’existe une solution qui, sans représenter la parfaite symétrie, serait constitutionnelle.

[72]  Nonobstant ce qui précède, et compte tenu du fait que, dans l’affaire Joseph, les faits concernaient une situation où un poste sur quatre était accessible à un non‑résident et où, sur 520 membres, 90 résidaient dans une réserve, la Cour avait alors fait remarquer qu’une « structure qui accorde une majorité qualifiée permanente aux membres résidents et empêche les membres non résidents de diriger le conseil en qualité de président ne peut être considérée comme une structure équilibrée » (au paragraphe 57). En l’espèce, rien n’indique qu’un tel déséquilibre existe. Madame Smith a fourni des éléments de preuve selon lesquels environ 43 % des membres résidaient hors des réserves de la Première Nation, tandis que les défendeurs ont déclaré que, sur 274 membres [traduction] « adultes », 143 résidaient hors réserve. Peu importe les différentes façons respectives de décrire et de dénombrer la population; les éléments de preuve et les circonstances de l’espèce se distinguent de ceux de l’affaire Joseph.

[73]  En l’espèce, le conseil de bande de la Première Nation, composé d’un chef et de deux conseillers, est relativement petit. Les membres de la Première Nation vivant hors réserve pourront dorénavant participer plus activement à la gouvernance de la Première Nation, s’ils choisissent de le faire, et il leur sera aussi possible non seulement de voter, mais également de se porter candidats à l’un des deux postes de conseiller.

[74]  Supprimer la partie de l’article 3 en cause de manière à permettre aux membres de la Première Nation vivant hors réserve de se porter candidats aux postes de conseiller, le poste de chef restant exclu, établit un équilibre approprié et respecte la déférence dont est empreinte la Cour à l’égard de la nature autonome de la Première Nation.

F.  Le rejet de la demande des demandeurs d’être ajoutés à la liste des électeurs admissibles aux fins du référendum consultatif du 11 septembre 2017

[75]  La précédente conclusion voulant que l’article 2 du Règlement sur les élections viole les droits des demandeurs garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte, et que cette violation ne puisse se justifier au regard de l’article premier de la Charte, rend déraisonnable la décision de la présidente d’élection d’exclure les demandeurs de la liste électorale aux fins du référendum consultatif du 20 septembre 2017 sur le Code d’appartenance.

G.  Redressement

[76]  Dans la décision Joseph, le juge O’Keefe a déclaré, au paragraphe 59, ce qui suit :

Je comprends l’incertitude à laquelle sont exposés les défendeurs et d’autres bandes indiennes du Canada quant au type de structure de gouvernance qui satisferait aux exigences de l’article 15 de la Charte, mais il n’appartient pas à la Cour fédérale de dicter les lois. L’esprit de la Charte exige plutôt que le rôle des tribunaux se limite à l’examen des lois adoptées par les législateurs et n’englobe pas l’imposition de changements particuliers à l’avance, en l’absence d’éléments de preuve suffisants à ce sujet.

[77]  Le choix du redressement approprié pour une Première Nation autonome, dans le cas présent, met la Cour dans une position difficile. Selon la preuve qui lui a été soumise, le seuil d’approbation de 75 % des votants est difficile à atteindre. La preuve dont dispose la Cour montre que les parties ont engagé des discussions fructueuses ayant mené à une Convention de règlement, laquelle, à son tour, a mené en mars 2019 à un référendum consultatif où tous les électeurs avaient le droit de se prononcer sur trois questions. Lors du référendum consultatif de mars 2019, deux des questions (l’une concernant l’article 2 du Règlement sur les élections, et l’autre, sur les processus électoraux) ont reçu ce que l’on pourrait qualifier d’appui général de la communauté (soit 61 % et 59 % des voix, respectivement). La troisième question (concernant l’article 3 du Règlement sur les élections, à l’exclusion du poste de chef) a reçu moins d’appuis (49 %), en partie, peut-être, en raison d’une certaine confusion liée à la structure du bulletin de vote. La Cour est également d’avis qu’il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard des Premières Nations qui souhaitent élaborer leurs propres lois.

[78]  La Cour félicite les parties d’avoir collaboré à l’amiable pour tenter de corriger l’injustice créée par l’article 2 du Règlement sur les élections, et pour trouver une solution créative concernant l’article 3 du Règlement sur les élections (encore une fois, à l’exception du poste de chef), tel que précisé dans la Convention de règlement et lors du référendum consultatif de mars 2019.

[79]  La Cour est également d’avis que les défendeurs ont clairement tenté de remédier aux violations des droits subies par les demandeurs en entamant des discussions qui ont mené à la Convention de règlement. Le Règlement sur les élections en l’espèce, un élément du droit autochtone de la Première Nation qui fait partie des traditions juridiques du Canada (Pastion c Première nation Dene Tha’, 2018 CF 648, aux paragraphes 7 à 13), prévoit un seuil d’approbation des modifications fixé à 75 %, et celui-ci a fait obstacle à une discussion autrement conviviale et fructueuse entre les membres de la Première Nation. Les lois autochtones comportent de multiples facettes, et ne portent pas seulement sur des questions comme celles des élections ou de l’appartenance. Elles peuvent également traiter de la relation d’une communauté avec le monde qui l’entoure, et de la relation qui lie les membres de la communauté entre eux. La Cour est d’avis que la Convention de règlement, de même que le processus qui y a mené, étaient des manifestations du processus d’élaboration du droit autochtone de la Première Nation et que, dans la mesure où ils avaient pour objectif de remédier aux violations de la Charte, il y a lieu pour la Cour de les respecter.

[80]  La Cour accorde aux demandeurs le jugement déclaratoire sollicité selon lequel le refus, par les défendeurs, d’accéder à leur demande d’être ajoutés à la liste des électeurs aux fins du référendum consultatif du 20 septembre 2017 a porté atteinte à leurs droits à l’égalité protégés par le paragraphe 15(1) de la Charte.

[81]  La Cour accorde aux demandeurs le jugement déclaratoire sollicité selon lequel la partie suivante de l’article 2 du Règlement sur les élections va à l’encontre de la Charte, et est de ce fait inopérante :

qui a résidé à temps plein dans l’une des réserves de la bande d’Abegweit pendant au moins six mois consécutifs immédiatement avant la date de l’élection.

[82]  La Cour accorde aux demandeurs — seulement en ce qui concerne le poste de conseiller— le jugement déclaratoire sollicité voulant que la partie suivante de l’article 3 du Règlement sur les élections aille à l’encontre de la Charte, et soit de ce fait inopérante :

qui a résidé à temps plein dans l’une des réserves de la bande d’Abegweit pendant au moins six mois consécutifs immédiatement avant la date de l’élection et qui, s’il est élu, doit être disposé à résider à temps plein dans la réserve pendant son mandat.

[83]  La Cour n’accorde pas le jugement déclaratoire relatif à l’article 3 en ce qui concerne le poste de chef. Le poste de chef demeurera assujetti à l’exigence de résidence prévue dans le Règlement sur les élections jusqu’à ce que la Première Nation en décide autrement.

H.  Dépens

[84]  Les demandeurs ont droit aux dépens afférents à la demande.

VI.  Conclusion

[85]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. En ce qui concerne les jugements déclaratoires sollicités par les demandeurs, ainsi qu’ils sont énoncés au paragraphe 23 des présents motifs, le premier est accordé tel que demandé. Le deuxième jugement déclaratoire est également accordé. Le troisième est accordé en partie, soit à l’égard du poste de conseiller seulement.

[86]  Les demandeurs ont également demandé que l’intitulé soit modifié, avec le consentement des défendeurs, afin de corriger le nom de la deuxième demanderesse, « Barbara Jadis », dans l’intitulé, et de le remplacer par « Barbara Jadis‑Bruised Head ». La Cour ordonne que l’intitulé soit modifié en conséquence.


JUGEMENT dans le dossier T‑1576‑17

LA COUR statue que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
  2. La Cour accorde aux demandeurs le jugement déclaratoire selon lequel le refus, par les défendeurs, d’accéder à leur demande d’être ajoutés à la liste des électeurs aux fins du référendum consultatif du 20 septembre 2017 a porté atteinte à leurs droits à l’égalité protégés par le paragraphe 15(1) de la Charte.
  3. La Cour accorde aux demandeurs le jugement déclaratoire selon lequel la partie suivante de l’article 2 du Règlement sur les élections va à l’encontre de la Charte, et est de ce fait inopérante :

qui a résidé à temps plein dans l’une des réserves de la bande d’Abegweit pendant au moins six mois consécutifs immédiatement avant le jour de l’élection.

  1. La Cour accorde aux demandeurs — seulement en ce qui concerne le poste de conseiller— le jugement déclaratoire sollicité voulant que la partie suivante de l’article 3 du Règlement sur les élections aille à l’encontre de la Charte, et soit de ce fait inopérante :

qui a résidé à temps plein dans l’une des réserves de la bande d’Abegweit pendant au moins six mois consécutifs immédiatement avant la date de l’élection et qui, s’il est élu, doit être disposé à résider à temps plein dans la réserve pendant son mandat.

  1. La Cour demeure saisie de l’affaire jusqu’à ce que les dispositions pertinentes du Règlement sur les élections soient modifiées ou remplacées, conformément à la loi et au jugement rendu par la Cour.
  1. Les demandeurs ont droit aux dépens afférents à la demande.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de juillet 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1576‑17

INTITULÉ :

JUDITH CLARK, BARBARA JADIS‑BRUISED HEAD, MISIKSK JADIS, TERRANCE JADIS ET PATRICIA ANN BERNARD c CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION D’ABEGWEIT ET WENDY FRANCIS, EN SA QUALITÉ DE PRÉSIDENTE D’ÉLECTION DE LA PREMIÈRE NATION D’ABEGWEIT

LIEU DE L’AUDIENCE :

Charlottetown (Île‑du‑Prince‑Édouard)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 MaI 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

LE 22 MaI 2019

COMPARUTIONS :

Catherine Fagan

POUR LES DEMANDEURS

 

John W. Hennessey, c.r.

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arbutus Law Group LLP

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

McInnes Cooper

Avocats

Charlottetown (Île‑du‑Prince‑Édouard)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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