Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190513


Dossier : IMM-5045-18

Référence : 2019 CF 670

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Winnipeg (Manitoba), le 13 mai 2019

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

FAISAL TARIQ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue par l’agente principale N. Sohal (l’agente) le 24 août 2018 à la suite d’un examen des risques avant renvoi (l’ERAR). Dans le cadre de l’ERAR, l’agente a conclu que M. Faisal Tariq, un ressortissant du Pakistan, n’avait pas produit suffisamment de nouveaux éléments de preuve pour démontrer qu’il serait exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner au Pakistan.

[2]  La seule question en litige est de savoir si l’agente a mal interprété ou mal appliqué l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) au moment d’examiner les lettres rédigées par des membres de la famille, lesquelles portent des dates postérieures aux dates des décisions de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) et de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) et ont été présentées dans le cadre de la demande d’ERAR. Les lettres décrivent des événements qui se sont produits environ 14 mois après le prononcé de la décision de la SAR.

II.  Contexte

[3]  Monsieur Tariq a allégué être persécuté parce qu’après qu’il eut prononcé un discours à son collège en mai 2011, des étudiants wahhabites mulsulmans ont considéré qu’il avait blasphémé contre l’Islam.

[4]  Monsieur Tariq a prétendu qu’après son discours, de nombreux étudiants l’avaient accusé d’avoir insulté l’Islam et que des coups de feu avaient été tirés dans les airs. Il a affirmé qu’il avait été agressé et qu’à l’arrivée de la police, ses agresseurs s’étaient enfuis. Il a mentionné qu’après ces événements, il s’était senti surveillé. Il avait notamment été suivi par une voiture et celle-ci avait tenté de le percuter alors qu’il se déplaçait sur sa motocyclette. Il a ajouté que sa maison avait été bombardée de pierres, que des graffitis menaçants y avaient été peints et que des coups de feu avaient été tirés en direction de celle-ci. M. Tariq a expliqué qu’il avait fini par aller se réfugier au domicile de son oncle 60 kilomètres plus loin et qu’il n’était sorti de la maison qu’une seule fois, et ce, pour se soumettre à l’examen médical requis dans le cadre de sa demande de visa d’étudiant au Canada.

[5]  Tant la SPR que la SAR ont conclu que les allégations de M. Tariq n’étaient pas crédibles.

[6]  La SPR a jugé que le témoignage de M. Tariq ne concordait pas avec les allégations faites dans son formulaire Fondement de la demande d’asile et qu’il n’avait pas répondu aux questions de manière directe. La SPR s’est également dite préoccupée par le fait que M. Tariq n’avait présenté une demande d’asile que près de trois ans après avoir abandonné ses études, moment où il était passible d’expulsion.

[7]  Le ministre a porté à l’attention de la SPR l’existence de diverses photos publiées sur Facebook, lesquelles indiquaient que M. Tariq n’était pas allé se réfugier chez son oncle comme il l’avait affirmé, mais qu’il se trouvait plutôt à Lahore, qu’il était en contact avec ses amis et qu’il assistait à des événements. Rejetant l’explication de M. Tariq à savoir que son frère avait publié les photos dans le but de semer ses agents de persécution, la SPR a conclu que M. Tariq ne vivait pas dans la clandestinité.

[8]  La SAR a examiné la décision de la SPR et a formulé, au sujet des éléments de preuve, plusieurs commentaires supplémentaires indiquant tous que les éléments de preuve n’étaient pas crédibles ou étaient insuffisants. La SAR a jugé que la présomption de véracité du témoignage de M. Tariq avait été réfutée et elle a souscrit à la conclution de la SPR selon laquelle M. Tariq n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.

III.  Analyse

[9]  La seule partie pertinente de la décision faisant l’objet du contrôle est l’analyse faite par l’agente des nouveaux éléments de preuve produits par M. Tariq dans le cadre de sa demande d’ERAR.

[10]  L’approche utilisée par l’agente pour évaluer l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve, en vertu de l’alinéa 113a) de la LIPR, s’apprécie selon la norme de la décision raisonnable (Asiri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1025, au paragraphe 11).

[11]  Une décision est raisonnable si elle découle d’un processus décisionnel justifié, transparent et intelligible, et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 (Dunsmuir)).

[12]  Les nouveaux éléments de preuve comprenaient trois lettres datées du 23 février 2018 et rédigées par des membres de la famille de M. Tariq, à savoir son frère aîné, son père et son frère cadet. Chacune des lettres contenait de nouveaux éléments de preuve concernant les risques :

[traduction]

Il y a deux semaines, le 10 février 2018, une personne a tiré six ou sept coups de feu sur la façade de notre maison, entre minuit et une heure du matin. Mon [lien et nom] et mon [lien et nom] nous sommes levés et avons regardé par la fenêtre vers la rue. Quatre ou cinq personnes ont tiré des coups de feu et lancé des pierres vers la fenêtre. [Nom ou lien] a appelé la police pour porter plainte, mais à l’arrivée de la police, de 20 à 25 minutes plus tard, les agresseurs avaient fui. Les agresseurs sont revenus à plusieurs reprises pendant deux à trois mois pour nous menacer et faire des graffitis sur les murs (« remettez-nous Faisal » et « mourez en enfer).

[13]  L’agente s’est penchée très brièvement sur les nouveaux éléments de preuve.

[14]  L’agente a d’abord reproduit le libellé de l’alinéa 113a) de la LIPR puis elle a souligné que les observations présentées dans le cadre de l’ERAR contenaient les mêmes allégations que celles qui avaient été présentées à la SPR.

[15]  L’agente a déclaré qu’elle n’était pas convaincue que les lettres constituaient de nouveaux éléments de preuve. Elle a reconnu que les lettres [traduction«[faisaient] référence à des menaces dont le demandeur a continué à faire l’objet, notamment en février 2018 ». Cependant, elle a conclu que même si les événements étaient postérieurs à la décision relative à la demande d’asile, les lettres [traduction« démontr[aient] le même risque que celui allégué par le demandeur devant la SPR ».

[16]  Le ministre reconnaît que les nouveaux éléments de preuve ne peuvent pas être rejetés uniquement parce qu’ils portent sur le même risque que celui sur lequel s’est penchée la SPR. Toutefois, renvoyant à l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 (Raza), le ministre affirme que les éléments de preuve peuvent être rejetés s’ils ne sont pas substantiels et s’ils ne réfutent pas les conclusions de fait en matière de crédibilité de la SPR.

[17]  Malheureusement, l’agente n’a examiné aucune des questions énoncées dans Raza. Ne disposant pas des motifs invoqués par l’agente pour rejeter les éléments de preuve, la Cour ne peut se fonder que sur ses déclarations selon lesquelles les lettres portent des dates postérieures à la date de la décision relative à la demande d’asile et qu’elles démontrent le même risque que celui qui a été allégué devant la SPR.

[18]  Les motifs pour lesquels l’agente a rejeté les nouveaux éléments de preuve ne sont pas transparents ni intelligibles; ils ne permettent pas de comprendre pourquoi l’agente les a rejetés.

[19]  Les motifs, lus dans leur ensemble, « répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16).

[20]  En l’espèce, même lus dans leur ensemble et examinés à la lumière du dossier sous‑jacent, les motifs fournis par l’agente ne répondent pas aux critères établis dans Dunsmuir.

[21]  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[22]  Les faits en l’espèce ne soulèvent aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5045‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie.

  2. La décision de l’agente datée du 24 août 2018 est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  3. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de juin 2019.

Geneviève Bernier, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5045‑18

 

INTITULÉ :

FAISAL TARIQ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 MAI 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 13 MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Caroline Pellerin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.