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Date : 20030429

Dossier : T-1915-01

Référence neutre : 2003 CFPI 531

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

ENTRE :

                                                                       LARRY ROSS

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                          LE CONSEIL MOHAWK DE KANESATAKE

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                 La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard d'une décision par laquelle le Conseil mohawk de Kanesatake (le défendeur) a mis fin, en date du 28 septembre 2001, à l'emploi de M. Larry Ross (le demandeur) qui agissait comme chef de police adjoint et chef de police intérimaire de la Première nation de Kanesatake, à Oka, au Québec.

[2]                 Le demandeur sollicite maintenant une ordonnance prononçant la non-validité et l'annulation de cette décision. Il demande également d'être réintégré dans son ancien emploi.

CONTEXTE

[3]                 Le demandeur, un membre de la bande des Mohawks d'Akwesasne, a été engagé par le défendeur comme agent de police en avril 1997. En mai 1999, il a été promu chef de police adjoint. Le 11 décembre 2000, il a été nommé chef de police intérimaire.

[4]                 Par une résolution portant numéro 046/9900/0069, le chef de police de l'époque, Joseph Montour, et le demandeur, alors chef de police intérimaire, sont devenus des employés permanents du Conseil défendeur.

[5]                 Le corps de police mohawk de Kanesatake (le corps de police), initialement connu sous l'appellation « Comité du maintien de l'ordre de Kanesatake » , a été établi en 1997 conformément à une entente tripartite signée par le Conseil défendeur, le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec. Cette entente, intitulée « Entente provisoire concernant le maintien de l'ordre à Kanesatake » , a été suivie d'une autre entente tripartite, signée par les mêmes parties, en 1999 (l'entente de 1999). L'entente de 1999, intitulée « Entente concernant l'établissement et le maintien d'un corps de police à Kanesatake » , était une continuité de la première entente avec certaines variations.


[6]                 L'entente de 1999 prévoit l'établissement et le maintien d'un corps de police à Kanesatake. Les clauses pertinentes sont les articles 4.1 et 4.6, lesquels sont rédigés comme suit :

4.1            Le corps de police mohawk de Kanesatake est, par la présente, établi et maintenu comme le corps de police chargé de maintenir la paix, l'ordre et la sécurité publique dans la zone de patrouille, de prévenir le crime et les infractions aux lois applicables et d'en rechercher les auteurs.

4.6            Il est convenu que le Conseil mohawk de Kanesatake sera seul responsable de la sélection et du recrutement des policiers de Kanesatake selon les critères suivants : [¼]

[7]                 Outre l'établissement d'un corps de police, les ententes de 1997 et de 1999 prévoyaient la création du Comité de sécurité publique de Kanesatake (le Comité de sécurité publique) pour assurer l'indépendance de la police. L'article 5.1 de l'entente de 1999 est rédigé comme suit :

Il est convenu qu'afin d'assurer l'indépendance fonctionnelle du corps de police mohawk de Kanesatake, le Conseil mohawk de Kanesatake maintiendra le Comité de sécurité publique de Kanesatake (le « Comité » ) imputable devant le Conseil de l'orientation du corps de police mohawk de Kanesatake et chargé d'en déterminer les buts, objectifs, priorités et politiques de gestion et d'en surveiller l'application.

[8]                 Les articles 5.2 et 5.3 énumèrent les responsabilités du Comité de sécurité publique de Kanesatake. Les dispositions suivantes sont pertinentes :

5.2            Il est entendu que les responsabilités du Comité de sécurité publique de Kanesatake seront les suivantes :

a)             consulter et conseiller le Conseil mohawk de Kanesatake sur les questions de police et autres questions connexes;

[¼]


e)             veiller à ce que les objectifs du corps de police mohawk de Kanesatake, à savoir protéger la vie et les biens, appliquer la loi et mettre en oeuvre des services de police préventifs, soient atteints de façon efficiente, efficace et professionnelle;

f)             établir des politiques et des normes pour la gestion et l'administration efficaces du corps de police mohawk de Kanesatake, y compris des normes de rendement pour le chef du corps de police;

g)            créer un code de discipline et veiller à ce que le corps de police mohawk de Kanesatake dispose de mécanismes pour le traitement impartial et indépendant des plaintes ayant trait à des griefs et à des recours en ce qui concerne la discipline et le licenciement;

[¼]

5.3            Le Comité de sécurité publique de Kanesatake est responsable de déterminer et de maintenir les objectifs et les priorités du corps de police mohawk de Kanesatake. Ces responsabilités comprennent toute décision relativement à l'embauche et le licenciement des employés du corps de police mohawk de Kanesatake, ainsi que la responsabilité, en dernier ressort, pour toute décision concernant les mesures disciplinaires des membres du corps de police.

[9]                 L'article 6.1 de l'entente de 1999 prévoit l'utilisation du Code de déontologie des policiers du Québec pour régir la conduite des membres du corps de police. L'article 6.2 prévoit que le Comité de sécurité publique doit élaborer un code de discipline pour le corps de police.

[10]            Le Comité de sécurité publique a élaboré le Code d'éthique et de discipline des services de police mohawks de Kanesatake (le Code) en novembre 1998. Le Code établit aussi une procédure pour les questions de discipline. Il décrit le rôle du Comité de sécurité publique dans la tenue d'une audience, prévoit une procédure pour l'audience et garantit à la personne visée la possibilité de présenter une défense pleine et entière. Le Code prévoit également le licenciement comme sanction.


[11]            Le Comité de sécurité publique a préparé un énoncé des politiques et des procédures concernant son rôle. Cet énoncé préliminaire a été présenté au Conseil pour examen en octobre 1997. Conformément à la résolution numéro 038/9798/0069 datée du 7 octobre 1997, le Conseil a adopté l'énoncé de politique [traduction] « en principe » et [traduction] « sous réserve de l'examen final et de l'approbation » . La preuve n'indique pas si l'énoncé de politique a finalement été approuvé. La preuve concernant la question de savoir si le Conseil défendeur et le Comité de sécurité publique ont agi en conformité avec l'énoncé de politique relativement à l'embauche et au licenciement des membres du corps de police est contradictoire.

[12]            L'énoncé de politique énumère les responsabilités respectives du Comité de sécurité publique et du Conseil défendeur pour les questions touchant le travail. Les dispositions traitant des pouvoirs du Comité comprennent ce qui suit :

[traduction]

RESPONSABILITÉS

Le Comité a le pouvoir général de fournir le service de police aux résidents mohawks de Kanesatake et sur le territoire correspondant et de le promouvoir, sans limiter la portée générale des dispositions qui précèdent.

[¼]

-              Pour faire en sorte qu'un nombre suffisant de personnes soient employées pour l'exercice des fonctions du service de police;

[¼]

Le Conseil mohawk de Kanesatake ou l'un de ses membres ne doit pas, sauf dans la mesure prévue par la présente annexe :


a.              Exercer à l'égard du service de police des attributions ou un contrôle que le Comité de sécurité publique est habilité à exercer ou,

b.              Donner des instructions au chef de police ou à un agent de police ou un membre du service de police [¼]

[13]            L'énoncé de politique limite comme suit le rôle du défendeur pour les questions touchant les services de police :

[traduction] Lorsque des membres du service de police mohawk de Kanesatake doivent être congédiés pour des motifs autres qu'un congédiement justifié, c'est le Comité de sécurité publique et non le Conseil mohawk de Kanesatake, qui procède aux licenciements.

[14]            L'entente de 1999, le Code d'éthique et de discipline et l'énoncé de politique dans sa version préliminaire font partie du contexte institutionnel de la décision du 28 septembre 2001. Les faits particuliers concernant cette décision sont décrits dans les affidavits du demandeur, de Louise Bonspille, de James Gabriel et de Steven Bonspille, lesquels ont été déposés dans la présente affaire.

[15]            Tel qu'il a été mentionné précédemment, le 28 septembre 2001, le demandeur exerçait les fonctions de chef de police intérimaire du corps de police mohawk de Kanesatake. Louise Bonspille était présidente du Comité de sécurité publique. James Gabriel était grand chef de la Première nation de Kanesatake. Steven Bonspille était l'un des chefs du Conseil défendeur et il était responsable de la Justice et de la Sécurité publique, notamment des questions concernant la police.

[16]            Une réunion du Conseil défendeur a été tenue le 28 septembre 2001. L'une des questions à l'ordre du jour portait sur le rôle du demandeur en tant que chef de police intérimaire. Selon le chef Bonspille, le Conseil avait reçu de nombreuses plaintes quant à la manière dont le demandeur s'acquittait de ses fonctions. Certaines de ces plaintes alléguaient qu'il avait recours à des méthodes agressives en matière de maintien de l'ordre. Les plaintes ne provenaient pas seulement des membres de la communauté de Kanesatake. Toutefois, la principale préoccupation ce jour-là avait trait à la manière dont le demandeur avait exécuté un mandat de perquisition le 26 septembre 2001. Il n'est pas certain que les autres plaintes ont été officiellement déposées auprès du Conseil.

[17]            Ce jour-là, le demandeur, en collaboration avec des membres de la Sûreté du Québec, a exécuté un mandat de perquisition chez certains membres de la bande. Le mandat de perquisition a été exécuté dans le cadre d'une enquête criminelle concernant le trafic de drogues dans la communauté. Lors de cette opération, la résidence de Robert Gabriel, membre de la bande, a été fouillée.


[18]            La perquisition effectuée au domicile de M. Gabriel a permis d'établir la preuve d'une exploitation de culture hydroponique intérieure, laquelle a été découverte dans un bunker sous la résidence et dans une dépendance de la propriété. Aucune quantité de marijuana n'a été trouvée, mais la police a mis la main sur une importante somme d'argent en devises américaines, soit environ 47 000 $, cachée dans un coffre-fort à l'intérieur de la résidence. Certains autres biens ont été saisis au domicile de M. Gabriel qui était absent au moment de l'exécution du mandat de perquisition.

[19]            Lorsque M. Gabriel a appris qu'une perquisition avait été effectuée chez lui et que certains biens avaient été saisis, il s'est plaint au Conseil. Il est également allé au poste de police et a fait des remontrances à un agent.

[20]            Le lendemain, soit le 27 septembre 2001, certains associés et membres de la famille de Robert Gabriel, venus à moto ou à bord d'autres véhicules, se sont rassemblés à l'extérieur du poste de police où ils ont exprimé leur mécontentement de vive voix.

[21]            Dans une déclaration qu'il a préparée, M. Terry Isaac, qui a été nommé chef de police intérimaire le 28 septembre 2001, après le licenciement du demandeur, a indiqué que la police a été informée d'un certain nombre d'incidents qui se sont produits dans la communauté et qui mettaient en cause les membres de la famille Gabriel.

[22]            Le 28 septembre 2001, peu après 9 h en matinée, la police a reçu un appel téléphonique l'avisant que M. Robert Gabriel se trouvait dans les bureaux du Conseil. Il aurait, selon ce qui est allégué, bousculé des gens.

[23]            Le chef Pearl Bonspille a rédigé un rapport sur les événements qui se sont produits dans les bureaux du Conseil le matin du 28 septembre 2001. Son rapport a été déposé en preuve avec l'affidavit du chef Steven Bonspille. Tous les membres du Conseil, composé de six chefs et du grand chef James Gabriel, étaient présents. Robert Gabriel, son épouse, Bertha Bonspille, et plusieurs autres membres de sa famille étaient également présents.

[24]            M. Gabriel s'est plaint de la manière dont sa résidence a été fouillée. Il s'est plaint au grand chef Gabriel et il a exigé que ses biens lui soient rendus. Il a saisi le grand chef Gabriel à la gorge et, selon ce dernier, il a commencé à l'étrangler. Deux personnes sont intervenues pour séparer les deux hommes. Robert Gabriel a menacé de poursuivre le grand chef et sa famille s'il leur arrivait quoi que ce soit, à lui ou sa famille.

[25]            M. Robert Gabriel a ensuite sauté sur la table de la salle du conseil. Le chef Bonspille s'est interposé devant lui pour éviter d'autres confrontations. Robert Gabriel a ensuite dit qu'il rentrait chez lui pour [traduction] « se retrancher » .

[26]            Deux policiers sont venus du poste de police pour constater la situation. Lorsqu'ils ont été informés que l'ordre était revenu, ils sont demeurés à l'extérieur de la salle du conseil pendant que la réunion se poursuivait.

[27]            La réunion s'est poursuivie. Ceux qui étaient présents ont exprimé leurs plaintes visant le demandeur dans l'exercice de son rôle de maintien de l'ordre dans la communauté.

[28]            Le chef Steven Bonspille était présent pour ces événements mais il a quitté la salle de réunion peu après le départ de Robert Gabriel pour essayer de trouver le demandeur et lui demander s'il pouvait assister à la réunion. Lorsqu'il a appelé au poste de police, il a été avisé par un agent en service que le demandeur était à l'extérieur de la communauté.

[29]            Dans son affidavit, le chef Steven Bonspille a déclaré qu'après avoir joint le poste de police, le chef John Harding lui a fait part des renseignements reçus par Bertha Bonspille au sujet du demandeur. Apparemment, Bertha Bonspille avait été informée, par un dénommé Mark Delisle, que le demandeur avait appelé pour dire qu'il savait que Robert Gabriel était armé et que le demandeur et son équipe [traduction] « s'en venaient pour le prendre; nous sommes armés et il va tomber » . Le chef Steven Bonspille a précisé dans son affidavit que le chef John Harding lui avait dit que Bertha Bonspille avait transmis cette indication au Conseil.

[30]            Le chef John Harding a également dit au chef Steven Bonspille que le chef Clarence Simon avait présenté une motion en vue de congédier immédiatement le demandeur et que cette motion avait été adoptée par tous les autres membres du Conseil. Dans son affidavit, le chef Steven Bonspille a convenu que cette décision était appropriée dans les circonstances et qu'il l'appuyait.


[31]            Le demandeur a été avisé de cette décision. On lui a demandé de remettre son insigne de police et son revolver, ce qu'il a fait. Il n'a pas demandé au Conseil de réexaminer sa décision.

[32]            Avant la réunion du 28 septembre, le chef Steven Bonspille s'est entretenu avec Louise Bonspille, présidente du Comité de sécurité publique. Ils ont discuté de la situation concernant le demandeur. Louise Bonspille a proposé que le demandeur soit mis en congé payé pour la durée de l'enquête. Le chef Steven Bonspille a informé son interlocutrice qu'il présenterait cette proposition au Conseil à la réunion du 28 septembre. Toutefois, selon ce qu'il a affirmé au contre-interrogatoire, il ne l'a pas fait. Il a précisé qu'il n'avait pas eu la possibilité de le faire.

[33]            Au contre-interrogatoire, le chef Steven Bonspille a également fait valoir que cette proposition était celle de Louise Bonspille et non la sienne. Quoi qu'il en soit, la proposition n'a pas été présentée au Conseil. Le Conseil n'a traité qu'une motion visant à congédier le demandeur immédiatement.


[34]            Ces faits sont relatés dans les affidavits, y compris les pièces à l'appui, déposés par les personnes identifiées précédemment et les transcriptions de leur contre-interrogatoire. De ces personnes, seuls le chef Steven Bonspille et le grand chef James Gabriel étaient présents à la réunion du 28 septembre 2001. Le chef Steven Bonspille n'a pas été présent durant toute la réunion et certaines des questions dont son affidavit fait état sont fondées sur du ouï-dire, particulièrement en ce qui a trait à ce que le chef John Harding lui a rapporté au sujet de la conversation entre Mark Delisle et Bertha Bonspille à propos du fait que le demandeur était armé et des intentions de ce dernier à l'égard de Robert Gabriel.

[35]            Le grand chef Gabriel a été présent durant toute la réunion. Il a été contre-interrogé sur son affidavit à propos des événements qui se sont produits à la réunion et de l'atmosphère qui y avait cours. Il a décrit la situation comme étant [traduction] « extrêmement orageuse » . Il a ajouté que les gens étaient en état de choc et que, à son avis, les décisions prises n'étaient pas rationnelles.

[36]            Le grand chef Gabriel a pensé qu'il fallait faire quelque chose pour désamorcer la situation afin d'assurer la sécurité de la communauté et celle du demandeur.

[37]            Au moment de la réunion, le grand chef n'était pas au courant de la discussion que le chef Steven Bonspille avait eue avec Louise Bonspille à propos de la possibilité de mettre le demandeur en congé payé. Il ne s'est pas demandé, au moment de la réunion, si le Comité devait intervenir dans cette décision de mettre fin à l'emploi du demandeur. Il a attribué ce manquement au climat de tension extrême, au ton élevé des discussions et à l'attaque violente dont il a été victime de la part de Robert Gabriel.

[38]            Le chef Steven Bonspille n'était pas présent pour le vote sur la motion en vue de licencier le demandeur. Toutefois, conformément à ce qu'il a déclaré dans son affidavit et au contre-interrogatoire, il était d'accord avec cette décision. Il considérait qu'il s'agissait d'une décision raisonnable, eu égard au bien-être de la communauté. Il a rejeté la proposition selon laquelle le Comité de sécurité publique aurait dû intervenir dans cette décision et il a ajouté que le Conseil prenait les décisions d'embaucher et de licencier les membres du corps de police.

[39]            Louise Bonspille n'était pas présente à la réunion du Conseil. La preuve qu'elle a présentée, tant dans son affidavit qu'au contre-interrogatoire, abordait le rôle du Comité sous un autre aspect. Selon elle, le Comité participait aux décisions relatives à l'embauche et au licenciement. Elle a invariablement maintenu que le Comité aurait dû intervenir dans cette décision de mettre fin à l'emploi du demandeur, conformément à l'entente de 1999.

[40]            Certains éléments importants se dégagent des affidavits et des transcriptions de contre-interrogatoire. Premièrement, la réunion tenue par le Conseil le 28 septembre 2001 avait pour objet le demandeur et la manière dont il s'acquittait de ses fonctions de maintien de l'ordre, particulièrement en ce qui a trait au mandat de perquisition exécuté le 26 septembre 2001.

[41]            Deuxièmement, le demandeur n'était pas présent à cette réunion et peu d'efforts ont été déployés pour le joindre ce jour-là.

[42]            Troisièmement, la réunion a donné lieu à du grabuge et le Conseil a traité seulement une motion visant à licencier le demandeur sans lui donner la possibilité de répondre aux allégations faites à son endroit.

[43]            Quatrièmement, le Conseil a agi sans l'intervention du Comité de sécurité publique et n'a pas envisagé d'autres solutions que le licenciement. Aucun vote officiel n'a été enregistré et le Conseil a voté en présence des membres de la communauté qui se prétendaient lésés.

[44]            Ce contexte est celui de la demande de contrôle judiciaire du demandeur à l'égard de la décision du Conseil.

ARGUMENTS DU DEMANDEUR

[45]            Le demandeur affirme que le Conseil est un « office fédéral » au sens de la définition donnée à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7. Par conséquent, la Cour a compétence pour faire droit à cette demande. Il allègue également que le degré d'équité applicable est élevé parce que la décision porte atteinte à son droit d'exercer sa profession. À l'appui de cet argument, il invoque l'arrêt Kane c. Conseil d'administration de l'Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 R.S.C. 1105, page 1113.

[46]            Le demandeur prétend qu'il n'y avait aucun empêchement à ce que le défendeur communique avec lui avant de prendre la décision finale de le congédier, malgré l'existence de l'urgence perçue. Il reconnaît qu'un décideur peut agir sans audition en réaction à une situation d'urgence, mais cela n'a pour effet d'anéantir complètement ses droits sur le plan procédural. L'existence d'une urgence peut permettre de différer une audition, comme le précise l'arrêt Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643.

[47]            En outre, comme cette règle constitue une exception aux critères de respect de la justice naturelle, elle devrait être appliquée de manière restrictive, comme l'indique la décision Barrera c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 2 C.F. 3 (C.A.). Le demandeur allègue qu'il n'était pas nécessaire de le congédier parce que le retourner chez lui ou lui ordonner de ne pas arrêter M. Gabriel aurait suffi à désamorcer la situation d'urgence potentielle.

[48]            Le demandeur soutient que le Conseil a agi de manière manifestement déraisonnable en décidant de l'existence d'une urgence. Il affirme que le Conseil a réagi à une conduite illégale et à de l'intimidation et que, ce faisant, il s'est appuyé sur des considérations inconvenantes et non pertinentes. Toute conclusion de fait tirée par le Conseil en réaction à de l'intimidation serait vulnérable parce qu'elle l'aurait été de manière abusive et arbitraire.


[49]            Le demandeur prétend de plus que la décision du Conseil devrait être annulée parce qu'elle est le résultat de l'intimidation et de la violence extrêmes exercées à l'égard du Conseil lors de la réunion. Par conséquent, la décision était contraire à la procédure du Conseil pour une saine gestion publique.

[50]            Le demandeur fait également valoir qu'il a été congédié sans motif valable, contrairement à la législation en matière de travail.

[51]            Le demandeur allègue en outre que l'établissement du Comité de sécurité publique par le Conseil constituait une délégation de pouvoirs relativement aux questions en matière de services de police, notamment la discipline et le licenciement des agents. Il soutient que la décision du Conseil de le licencier excédait sa compétence. Pour cet argument, le demandeur s'appuie sur Griffin c. Canada (Agriculture Canada, Division des inspections), [1989] A.C.F. no 300 (1re inst.) (Q.L.).


[52]            Le demandeur ajoute que, si la décision est annulée sans autre ordonnance, il devrait alors être réintégré dans son ancien emploi comme s'il n'avait jamais été licencié. Il aurait alors droit au salaire et aux avantages sociaux découlant de sa fonction, sous réserve de mesures d'atténuation, et aux frais remboursables occasionnés par son licenciement. Il s'appuie sur une présomption favorisant la réintégration d'un employé, à moins qu'il y ait des raisons qui s'y opposent, et il conclut qu'il devrait être réintégré. À cet égard, le demandeur invoque Énergie atomique du Canada Ltée c. Sheikholeslami, [1998] 3 C.F. 349 (C.A.); Chalifoux c. Première nation de Driftpile, [1999] A.C.F. 781 (1re inst.) (QL); et Pitawanakwat c. Canada (Procureur général), [1994] 3 C.F. 298 (1re inst.).

[53]            Le demandeur dit que, même si la réintégration ne réparera pas complètement les dommages que le licenciement a causés à son rôle et sa réputation, le défaut de le réintégrer anéantirait sa réputation. Il ajoute qu'il s'agit là d'un facteur important en faveur de sa réintégration et invoque Johnny c. Tsewultun Police Service Board, [2000] C.L.A.D. no 468 (QL), paragraphe 69.

[54]            Finalement, le demandeur allègue que le défaut de le réintégrer ébranlerait l'autorité des agents de police et le respect manifesté à leur égard dans la communauté, en plus d'établir un précédent dangereux qui mettrait en péril l'emploi d'agent de police, en conséquence des tactiques d'intimidation utilisées par des membres de la communauté.

ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

[55]            Le défendeur allègue que la compétence du Conseil en matière de services de police découle en partie de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, particulièrement des alinéas 81(1)c) et d). De plus, le Conseil détient la compétence accessoire qu'il est nécessaire d'exercer de par ses obligations prévues par la loi; voir Assu c. Chikite, [1999] 1 C.N.L.R. 14, paragraphe 30 (C.S.C.-B.).


[56]            Le défendeur soutient que les ententes signées par le Conseil concernant les services de police à Kanesatake reconnaissaient que le Conseil avait autorité exclusive pour ces questions. La délégation de pouvoirs à laquelle le demandeur a fait allusion serait contraire à la loi parce que le Conseil ne peut déléguer ce qui lui a été délégué par le Parlement. À l'appui de cet argument, il invoque Lainey c. Conseil de la Nation Huronne-Wendat, [2000] 1 C.N.L.R. 155 (C.S. Qué.), paragraphe 38.

[57]            Le défendeur soutient que l'entente en question, soit l'entente de 1999, autorise le Comité de sécurité publique à jouer un rôle consultatif en matière de services de police.

[58]            Le défendeur prétend que sa décision exige l'application d'une norme de contrôle faisant appel à une grande retenue judiciaire parce qu'il s'apparente à un organisme municipal exerçant son pouvoir discrétionnaire pour des questions touchant l'intérêt public. À l'appui de cet argument, le défendeur invoque Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Limited, [2000] 1 R.C.S. 342, paragraphe 35.


[59]            Le défendeur soutient que la décision de licencier le demandeur découlait du pouvoir discrétionnaire général qu'il détient dans l'exercice de son mandat touchant les services de police. Invoquant la décision Assu, précitée, le défendeur allègue qu'il est autorisé à prendre des décisions lorsqu'il constate qu'elles visent des questions comprises dans les limites de son pouvoir discrétionnaire, pourvu que ces décisions soient des décisions éclairées et qu'elles soient prises à la majorité des voix au moment d'assemblées dûment convoquées. Dans la présente affaire, le défendeur se fonde sur l'opinion suivant laquelle une crise était en train de se développer dans la communauté et sur sa connaissance de la conduite antérieure du demandeur, laquelle a donné lieu à des plaintes contre lui.

[60]            Le défendeur dit n'être tenu à aucune obligation d'équité procédurale envers le demandeur parce qu'il constitue, en tant que décideur, un organisme élu. La décision a été fondée sur des motifs de politique générale, soit les intérêts de la communauté en matière de sécurité et de bien-être. Invoquant la décision Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, le défendeur insiste n'être tenu à aucune obligation d'équité procédurale envers le demandeur.

[61]            Subsidiairement, le défendeur allègue que, s'il était tenu à une obligation d'équité procédurale, elle serait minimale en raison du statut de titulaire d'une charge à titre amovible du demandeur. Le défendeur note que le demandeur a été congédié du poste de chef de police intérimaire, une affectation temporaire. L'obligation réduite d'équité procédurale envers les titulaires d'une charge à titre amovible ne comprend pas la tenue d'une audience ou la communication formelle des motifs. En outre, le défendeur soutient que le fait de se rendre disponible pour discuter des motifs de licenciement peut être suffisant dans le cas d'un organisme créé par la loi.


[62]            De plus, le défendeur déclare avoir agi de bonne foi et dans le contexte d'une situation d'urgence et il s'appuie sur la décision Cardinal, précitée. Le demandeur n'a pas cherché à présenter des observations au Conseil ni demandé que la décision soit réexaminée.

[63]            Le défendeur fait valoir que les titulaires d'une charge à titre amovible peuvent être congédiés sans justification et il invoque l'arrêt Ocean Port Hotel Limited c. Colombie-Britannique (General Manager Liquor Control) (1999), 174 D.L.R. (4th) 498, paragraphes 34, 35, 37 et 38 (C.A.C.-B.); décision infirmée pour d'autres motifs [2001] 2 R.C.S. 781. Le défendeur s'appuie sur le fait que la conduite du demandeur avait soulevé beaucoup de controverse, à tel point qu'il y avait lieu de conclure qu'il ne bénéficiait plus de la confiance de la communauté.

[64]            Selon le défendeur, même lorsqu'il est établi qu'une administration publique a manqué à l'obligation d'agir équitablement envers un titulaire de charge, ce dernier ne peut être réintégré. À cet égard, le défendeur se fonde sur les décisions Hewat c. Ontario (1998), 37 O.R. (3d) 161 (C.A.), page 169, et Dewar c. Ontario (1998), 37 O.R. (3d) 170 (C.A.).


[65]            Le défendeur invoque la relation contractuelle avec le demandeur et affirme, en se fondant sur Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199, que le droit des contrats devrait s'appliquer lorsqu'il n'est pas remplacé par des termes explicites dans l'entente de 1999 ou dans une loi régissant le lien entre les parties. L'exécution en nature à titre de réparation n'est généralement pas possible en droit des contrats et, par conséquent, le demandeur n'a pas droit à la réintégration.

ANALYSE

[66]            La principale question en litige dans la présente demande consiste à décider s'il y a eu manquement à l'équité procédurale dans la manière de procéder du Conseil défendeur pour prendre la décision du 28 septembre 2001 visant à renvoyer sans préavis le demandeur. Cette question générale comprend des questions incidentes, soit celles de savoir si le défendeur a excédé sa compétence en ne faisant pas appel au Comité de sécurité publique dans sa décision et si le demandeur était un titulaire de charge à titre amovible ayant droit à peu d'équité procédurale, s'il y a droit.

[67]            Cette demande se rapporte à la décision par laquelle le Conseil a mis fin, en date du 28 septembre 2001, à l'emploi du demandeur qui agissait comme chef de police intérimaire. La demande de contrôle judiciaire est fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Le paragraphe 18.1(4) énonce les motifs sur lesquels une demande de contrôle judiciaire peut être fondée. Il est rédigé comme suit :


(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;


b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

e) a agi ou omis d'agir en raison d'une fraude ou de faux témoignages;

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

(f) acted in any other way that was contrary to law.


[68]            Les décisions du Conseil défendeur peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire puisqu'il est un « office fédéral » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Voir également Coalition to Save Northern Flood c. Canada, [1995] 9 W.W.R. 457 (C.A. Man.) et Gabriel c. Canatonquin, [1980] 2 C.F. 792 (C.A.).

[69]            Même si la décision à l'étude a mis fin à l'emploi de chef de police intérimaire du demandeur, nous centrerons notre attention non pas sur l'aspect du droit de l'emploi de la décision mais sur le processus suivi par le Conseil défendeur pour y parvenir. Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire et non d'une action en dommages-intérêts.

[70]            Les éléments essentiels de l'équité procédurale ont été analysés par la Cour suprême du Canada dans Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, laquelle a affirmé que l'obligation d'agir équitablement comportait deux volets : le droit d'être entendu et le droit à une audition impartiale. Au paragraphe 82, la Cour a expliqué ce qui suit :


L'obligation d'agir équitablement comporte essentiellement deux volets, soit le droit d'être entendu (règle audi alteram partem) et le droit à une audition impartiale (règle nemo judex in sua causa). La nature et la portée de cette obligation peuvent varier en fonction du contexte particulier et des différentes réalités auxquelles l'organisme administratif est confronté ainsi que de la nature des litiges qu'il est appelé à trancher : Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, p. 895-896, propos cités avec approbation dans l'arrêt 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, par. 22, et Ruffo, précité, par. 88. Ainsi, dans l'arrêt Baker, précité, par. 23-28, le juge L'Heureux-Dubé rappelait précisément que la jurisprudence reconnaît plusieurs facteurs pour déterminer les exigences de l'équité procédurale dans un contexte donné. Sans en dresser une liste exhaustive, elle mentionne : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle l'organisme en question agit; (3) l'importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et (5) le respect des choix de procédure que l'organisme administratif a lui-même faits, particulièrement quand la loi lui en confie le soin. C'est dans cet esprit que j'examinerai maintenant les allégations de violation des règles de l'équité procédurale soulevées par l'appelant en l'espèce.

[71]            Dans la présente affaire, le défendeur soutient que le caractère urgent de la situation l'avait empêché de communiquer avec le demandeur et de lui donner la possibilité d'être présent à l'assemblée. De plus, il allègue qu'on avait tenté de le joindre mais en vain et que, en tout état de cause, il avait été dépassé par d'autres événements.

[72]            En ce qui a trait à la situation d'urgence, le défendeur s'appuie sur la décision Cardinal, précitée, pour justifier sa décision de procéder en l'absence du demandeur.

[73]            Dans l'arrêt Cardinal, précité, la Cour suprême du Canada analysait une situation résultant de la décision d'un directeur de prison de maintenir certains détenus en ségrégation après que le Conseil d'examen des cas de ségrégation eut recommandé de cesser la ségrégation et sans donner aux détenus touchés la possibilité d'entendre les reproches formulés contre eux et de présenter des observations.

[74]            La Cour suprême du Canada a confirmé la décision cruciale du directeur d'imposer l' « isolement administratif » sans audition en cas d'urgence imminente. Elle a approuvé la réponse administrative à l'origine en déclarant ce qui suit au paragraphe 16 de la décision :

[¼] À cause de la nature apparemment pressante ou urgente de la décision d'imposer la ségrégation dans les circonstances particulières du cas, il ne pouvait y avoir d'exigence ni à l'égard d'un avis préalable ni à l'égard d'une audition préalable à la décision.

[75]            Toutefois, la Cour n'a pas approuvé la décision administrative de poursuivre la ségrégation sans respecter les règles de l'équité procédurale. À cet égard, elle a affirmé ce qui suit au paragraphe 21 de la décision :

La question est donc de savoir ce que l'équité dans la procédure exigeait du directeur dans l'exercice de son pouvoir, en application de l'art. 40 du Règlement sur le service des pénitenciers, de maintenir la ségrégation ou l'isolement administratifs des appelants, malgré la recommandation du Conseil, s'il était convaincu qu'elle était nécessaire ou souhaitable pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l'établissement. Je suis d'accord avec le juge en chef McEachern et le juge Anderson de la Cour d'appel qu'à cause des effets graves de la décision du directeur pour les appelants, l'équité dans la procédure exigeait qu'il leur fasse connaître les motifs de sa décision prochaine et leur donne la possibilité, même de façon informelle, de lui présenter des arguments relatifs à ces motifs et à la question générale de savoir s'il était nécessaire ou souhaitable de maintenir leur ségrégation pour assurer l'ordre et la discipline dans l'établissement.

[76]            Dans la présente affaire, il est manifeste que le demandeur n'a pas été avisé que la question de son emploi continu serait examinée par le défendeur le 28 septembre 2001. Eu égard à son statut d'employé du Conseil défendeur, confirmé par la résolution du 23 novembre 1999, le demandeur avait droit à l'équité procédurale pour ce qui est de la cessation de son emploi. Ce dernier point a été analysé par la Cour suprême dans l'arrêt Knight, précité.

[77]            Dans cette décision, la Cour suprême a estimé que, peu importe si une personne est considérée comme un employé permanent, pouvant être renvoyé pour un motif valable, ou comme un titulaire d'une charge à titre amovible, une obligation d'équité minimale s'applique. La Cour a écrit ce qui suit aux pages 668 et 669 de la décision :

[¼] On doit noter à ce stade que le devoir d'agir équitablement ne fait pas partie du droit commun du travail en tant que tel. Il procède plutôt du fait que l'employeur est un organisme public dont les pouvoirs dérivent d'une loi et doivent s'exercer en conformité avec les règles du droit administratif.

L'existence d'une obligation générale d'agir équitablement dépendra de l'examen de trois facteurs : (i) la nature de la décision qui doit être rendue par l'organisme administratif en question, (ii) la relation existant entre cet organisme et le particulier, et (iii) l'effet de cette décision sur les droits du particulier. Notre Cour a affirmé dans l'arrêt Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, précité, que dans les cas où ces trois éléments se retrouvent, une obligation générale d'agir équitablement incombe à un organisme décisionnel public (le juge Le Dain au nom de la Cour, à la p. 653).

[78]            Il est évident, à mon avis, que le demandeur avait au moins droit aux éléments minimaux de l'équité procédurale. La question suivante consiste à se demander si le respect de l'équité procédurale, notamment le droit d'être informé des reproches formulés contre lui et la possibilité de faire des observations, a été suspendu en raison de l'urgence perçue.

[79]            Il a été établi dans l'arrêt Cardinal, précité, que le droit à l'équité procédurale peut être suspendu en situation d'urgence. Il n'est pas éliminé. Il est respecté si la possibilité d'être entendu est accordée une fois qu'il est remédié à la situation d'urgence. Ce n'est pas ce qui s'est produit en l'espèce. Le défendeur fait valoir que le demandeur n'a pas sollicité le réexamen de la décision.

[80]            À mon avis, cet argument est sans valeur. La décision avait été prise. Contrairement au contexte factuel de l'arrêt Cardinal, précité, il n'y avait aucune possibilité pour une seconde décision.

[81]            La conclusion concernant l'urgence relevait probablement de la compétence du défendeur, bien que la preuve présentée au sujet du tumulte provoqué au sein de la communauté par les activités de Robert Gabriel, sa famille et ses associés soulève des doutes quant au caractère raisonnable de la conclusion tirée par le défendeur à cet égard. Par exemple, le défendeur a refusé l'offre d'assistance de la police durant la réunion du 28 septembre 2001. Toutefois, la reconnaissance du droit à être entendu ne constitue qu'un seul des éléments essentiels de l'obligation d'équité procédurale. Le second élément essentiel est le droit à une audition impartiale et cela inclut un décideur impartial.

[82]            La preuve présentée soulève des doutes importants quant à l'impartialité du décideur. La réunion du Conseil tenue le 28 septembre 2001 a été prise en charge par Robert Gabriel et ses associés. Le défendeur n'a pas fourni d'ordre du jour ou d'écrit formel sur ce qui s'est produit à l'assemblée. Les événements qui s'y sont produits sont décrits dans les affidavits du grand chef Gabriel et du chef Steven Bonspille, notamment la déclaration du chef Pearl Bonspille, laquelle est jointe à l'affidavit du chef Steven Bonspille, ainsi que dans les transcriptions de contre-interrogatoire.

[83]            La scène résultante en est une de chaos. L'assemblée du Conseil a été réquisitionnée par des membres de la communauté. Il y a eu un acte d'agression. Le grand chef Gabriel a affirmé que « tout le monde était pratiquement en état de choc » . Il a ajouté : « je ne crois pas que des décisions rationnelles ont été prises » .

[84]            Dans ces circonstances, je conclus que la décision n'a pas été prise de manière équitable et impartiale. Le défendeur n'a pas respecté le second critère essentiel de l'équité procédurale et sa décision ne peut être maintenue.

[85]            En outre, le défendeur a agi sans consulter le Comité de sécurité publique. Le chef Steven Bonspille avait discuté avec Louise Bonspille avant la réunion. Une autre solution a été proposée, à savoir renvoyer le demandeur chez lui sans le priver de salaire. Toutefois, cette proposition n'a jamais été présentée au Conseil pour qu'il l'examine, parce que la situation a dégénéré. Le défendeur n'a pas réussi à contenir l'assemblée.

[86]            Le défendeur allègue maintenant qu'il n'était pas obligé de consulter le Comité pour la question du licenciement du demandeur parce que le Comité ne jouait qu'un rôle consultatif en matière de services de police. Quoi qu'il en soit, c'est le Conseil défendeur, et non le Comité, qui était l'employeur du demandeur.

[87]            Par cet argument, le défendeur fait abstraction de l'entente de 1999, particulièrement des dispositions qui prévoient la création du Comité de sécurité publique. L'article 4.6 de l'entente prévoit que le défendeur « sera seul responsable de la sélection et du recrutement » des membres du corps de police. Par contre, l'article 5.3 établit la responsabilité de l'embauche et du licenciement de la façon suivante :

5.3            Le Comité de sécurité publique de Kanesatake est responsable de déterminer et de maintenir les objectifs et les priorités du corps de police mohawk de Kanesatake. Ces responsabilités comprennent toute décision relativement à l'embauche et le licenciement des employés du corps de police mohawk de Kanesatake, ainsi que la responsabilité, en dernier ressort, pour toute décision concernant les mesures disciplinaires des membres du corps de police.

[88]            Le défendeur prétend être seul à pouvoir décider des questions visant les services de police, conformément aux alinéas 81(1)c) et d) de la Loi sur les Indiens, lesquels sont rédigés comme suit :


81. (1) Le conseil d'une bande peut prendre des règlements administratifs, non incompatibles avec la présente loi ou avec un règlement pris par le gouverneur en conseil ou par le ministre, pour l'une ou l'ensemble des fins suivantes :

[¼]

81. (1) The council of a band may make by-laws not inconsistent with this Act or with any regulation made by the Governor in Council or the Minister, for any or all of the following purposes, namely,

[¼]

c) l'observation de la loi et le maintien de l'ordre;

d) la répression de l'inconduite et des incommodités;

(c) the observance of law and order;

(d) the prevention of disorderly conduct and nuisances;


[89]            Le pouvoir du défendeur de prendre des règlements en vertu des alinéas 81(1)c) et d) n'est pas contesté. Cependant, en l'espèce, il n'y a aucune preuve qu'il a exercé ce pouvoir. L'entente de 1999 n'est pas un règlement.

[90]            Au contraire, cette entente constitue un contrat et, selon la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta dans Siksika Nation c. Canada (Procureur général), [2002] A.J. no 798 (QL), elle doit être interprétée comme telle. Dans cette affaire, la Cour s'est penchée sur l'interprétation des clauses transitoires d'une entente similaire concernant la prestation des services de police dans une réserve. La Cour a interprété l'entente comme s'il s'agissait d'un contrat et elle a estimé que, conformément aux règles d'interprétation des contrats, les termes de l'entente devaient prendre leur sens ordinaire.

[91]            Je souscris à cette approche. Dans la présente affaire, l'entente de 1999 prévoit l'établissement du Comité. Elle prévoit également que le défendeur est seul responsable de la sélection et du recrutement des membres du corps de police et que le Comité de sécurité publique, créé en vertu de l'entente, est responsable de « toute décision relativement à l'embauche et le licenciement » de ces membres. À mon sens, le Conseil n'avait pas l'option d'écarter le Comité pour décider de mettre fin à l'emploi du demandeur. Le Comité est un produit de l'entente de 1999.


[92]            Le Comité a rédigé un énoncé de politique qui définit son rôle dans la cessation d'emploi des membres du corps de police, exception faite d'un congédiement justifié. La version préliminaire de cet énoncé de politique a été acceptée en principe par le défendeur, sous réserve de l'examen final et de l'approbation. La preuve n'indique pas si l'énoncé a finalement été accepté. Cependant, la preuve du grand chef Gabriel et de Louise Bonspille démontre que le Conseil défendeur et le Comité ont collaboré pour décider des licenciements.

[93]            Les articles 4.6 et 5.3 de l'entente de 1999 manquent peut-être un peu de cohérence, mais il reste que, en tant que signataire de l'entente, le défendeur a reconnu que le Comité jouait un rôle dans le congédiement des membres du corps de police. Les deux dispositions peuvent à juste titre être interprétées pour dire que le Comité aura un certain rôle à jouer dans les décisions de licenciement autres que pour un motif valable.

[94]            Le défendeur a écarté la Commission. Il n'y a eu qu'une conversation entre le chef du Conseil responsable des services de police et la présidente du Comité, Louise Bonspille. Il n'y a aucune preuve qu'elle ait parlé au nom du Comité en tant qu'entité.

[95]            Ce comportement est une autre manifestation du manquement à l'obligation d'agir équitablement. Le défendeur a écarté ses propres processus d'une manière qui fait craindre un manque de bonne foi.

[96]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il ne reste que la question de la réparation.

[97]            Le demandeur prie la Cour de lui accorder une ordonnance enjoignant au défendeur de le réintégrer et de lui verser ses arrérages de salaire. Le défendeur dit que la réparation outrepasse la compétence de la Cour pour une demande de contrôle judiciaire.

[98]            Le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur la Cour fédérale décrit les réparations possibles pour une demande de contrôle judiciaire dans les termes suivants :


(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut :

(3) On an application for judicial review, the Trial Division may

a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.


[99]            La réintégration n'est pas une réparation possible, pas plus que les dommages; voir Tench c. Canada (Procureur général), 179 F.T.R. 126.

[100]        La question de l'applicabilité du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, à la présente situation a été soulevée au début de l'audition de la présente demande. Les deux parties ont maintenu qu'il ne s'appliquait pas. Je note que les réparations de réintégration et de compensation pour perte de salaire sont possibles lorsqu'une personne lésée a recours à ce code et invoque Johnny c. Tsewultun Police Service Board, précité, une décision d'un tribunal d'arbitrage en matière de travail, laquelle était fondée sur le Code canadien du travail.


[101]        Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision rendue le 28 septembre 2001 par le Conseil défendeur est annulée et l'affaire est renvoyée pour un nouvel examen en conformité avec les présents motifs. Le demandeur a droit à ses dépens dans la présente instance.

                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision rendue le 28 septembre 2001 par le Conseil défendeur est annulée et l'affaire est renvoyée pour un nouvel examen en conformité avec les présents motifs. Le demandeur a droit à ses dépens dans la présente instance.

                                                                                         « E. Heneghan »                

                                                                                                             Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                       COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                   SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                             T-1915-01

INTITULÉ :                                            LARRY ROSS

c.

LE CONSEIL MOHAWK DE KANESATAKE

LIEU DE L'AUDIENCE :                    OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 11 SEPTEMBRE 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         MADAME LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                         LE 29 AVRIL 2003

COMPARUTIONS :

M. PETER ANNIS POUR LE DEMANDEUR

M. SEBASTIAN SPANOPOUR LE DÉFENDEUR

M. MARTIN W. MASON

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

VINCENT DAGENAIS GIBSON LLP POUR LE DEMANDEUR

OTTAWA (ONTARIO)

M. MORRIS ROSENBERG, C.R.POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA.

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