Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision



     Date: 20000329

     Dossier: T-2093-98


Entre :

     PIERRE FABRE MÉDICAMENT

     Demanderesse

     - et -


     SMITHKLINE BEECHAM CORPORATION

     Défenderesse




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE PINARD :

[1]      Le présent appel en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi) vise une décision rendue par le registraire des marques de commerce (le registraire) le 11 septembre 1998, refusant la demande d'enregistrement présentée par la demanderesse pour la marque de commerce IXEL en liaison avec des antidépresseurs. Cette demande d'enregistrement a été produite au Bureau des Marques du Canada le 9 décembre 1993 sur la base de l'usage projeté au Canada par l'entremise d'un licencié. Le 22 novembre 1994, la défenderesse a produit une déclaration d'opposition. Dans sa décision du 11 septembre 1998, le registraire a refusé la demande d'enregistrement sur la base du risque de confusion entre la marque IXEL de la demanderesse et la marque PAXIL de la défenderesse.

[2]      La seule question en litige entre les parties est celle de savoir s'il existe un risque raisonnable de confusion entre les marques en cause à la date de la décision du registraire.

[3]      Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

6. (2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.




[. . .]

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

     (a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;
     (b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;
     (c) the nature of the wares, services or business;
     (d) the nature of the trade; and
     (e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.





12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

     [. . .]

     (d) confusing with a registered trade-mark;


56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.


[. . .]

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.


6. (2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

[. . .]

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

     a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;
     b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;
     c) le genre de marchandises, services ou entreprises;
     d) la nature du commerce;
     e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants :

     [. . .]

     d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.

[. . .]

(5) Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.



[4]      Quant à la norme de contrôle judiciaire applicable en semblable matière, la Cour d'appel fédérale l'a tout récemment rappelée dans l'arrêt John Labatt Limited et al. c. Molson Breweries, A Partnership (3 février 2000), A-428-98. Dans cette affaire, Monsieur le juge Rothstein, pour la majorité de la Cour d'appel, a en effet écrit ce qui suit, à la page 12 :

         [29]      I think the approach in Benson & Hedges v. St. Regis and in McDonald v. Silcorp are consistent with the modern approach to standard of review. Even though there is an express appeal provision in the Trade-marks Act to the Federal Court, expertise on the part of the Registrar has been recognized as requiring some deference. Having regard to the Registrar's expertise, in the absence of additional evidence adduced in the Trial Division, I am of the opinion that decisions of the Registrar, whether of fact, law or discretion, within his area of expertise, are to be reviewed on a standard of reasonableness simpliciter. However, where additional evidence is adduced in the Trial Division that would have materially affected the Registrar's findings of fact or the exercise of his discretion, the Trial Division judge must come to his or her own conclusion as to the correctness of the Registrar's decision.
                             (J'ai souligné.)


[5]      Dans le présent cas, une preuve additionnelle a été produite par chacune des parties, consistant notamment des affidavits de deux experts, le Dr Brenda M. Hosington, pour la demanderesse, et le Dr Yves Roberge, pour la défenderesse. Je trouve cette preuve significative et importante, parce qu'elle couvre essentiellement une question fondamentale, soit celle reliée au degré de ressemblance entre les marques en cause, aspect de la preuve jugé déficient par le registraire. En effet, à cet égard, ce dernier a exprimé ce qui suit dans sa décision :

             Bien que je reconnaisse la compétence de M. Reich pour témoigner à titre d'expert relativement à la prononciation en anglais des marques de commerce en cause, il en est autrement pour ce qui est de témoigner à titre d'expert relativement à la prononciation en français de ces marques. De la même façon, je reconnais la compétence de M. Barbaud pour témoigner à titre d'expert relativement à la prononciation en français des marques de commerce en cause, mais non pour témoigner à titre d'expert relativement à la prononciation en anglais de ces marques. En conséquence, ni l'un ni l'autre des déposants ne m'a convaincu qu'il est compétent pour témoigner à titre d'expert relativement à la prononciation des marques de commerce en cause dans les deux langues officielles. En outre, le registraire des marques de commerce n'a pas de raison de retenir l'opinion d'un expert sur la simple foi des connaissances de ce dernier. Ainsi que l'a souligné le juge Mahoney dans William H. Rorer (Canada) Ltd. c. Johnson & Johnson, 48 C.P.R. (2d) 58, à la p. 62, le juge doit connaître les faits ou les hypothèses sur lesquels l'expert fonde son opinion de manière à évaluer la validité de cette opinion et le raisonnement qui la sous-tend. De plus, les opinions contradictoires des experts en linguistique quant à la prononciation des marques de commerce en cause et dans d'autres instances en opposition me donnent à penser que le registraire des marques de commerce ne devrait peut-être accorder que peu de poids à ce témoignage d'expert [voir, par exemple, Coca-Cola Ltd. c. Brasseries Kronenbourg, une société anonyme, 55 C.P.R. (3d) 544, et Chantelle c. Kabushiki Kaisha Chandeal, demande no 730 153, décision datée du 19 mars 1998, non encore publiée].
                             (J'ai souligné.)


[6]      Or, la nouvelle preuve d'experts, en bonne partie, porte justement sur cet aspect phonétique, dans les deux langues officielles du pays, des marques PAXIL et IXEL. Elle apporte en outre des précisions utiles sur l'aspect visuel de celles-ci.

[7]      Il ressort clairement de cette nouvelle preuve qu'il n'y a pas de risque de confusion relativement à la prononciation en français des marques en cause. À cet égard, la preuve n'est plus contradictoire. L'expert même de la défenderesse, le Dr Yves Roberge, dont la compétence en matière linguistique s'étend tant au français qu'à l'anglais, le confirme au paragraphe 12 de son affidavit :

         12.      In my opinion, the marks PAXIL and IXEL bear a low degree of resemblance in sound in French and are not likely to be confused when spoken in Canadian French.


[8]      Ainsi, étant d'accord avec le registraire lui-même que "compte tenu du caractère bilingue du Canada, c'est l'opinion du consommateur bilingue moyen, anglophone ou francophone, dont il faut tenir compte pour évaluer la question de la confusion", et que de plus, "il faut accorder une importance égale à l'anglais et au français dans l'évaluation de cette question", je suis d'avis que cet élément de preuve additionnel crucial, s'il lui avait été présenté, ne lui aurait pas permis, en appliquant le test du consommateur bilingue moyen, de souligner comme il l'a fait la faille dans la preuve d'experts reliée à l'aspect phonétique des marques et qu'il n'aurait pu se déclarer "dans le doute au sujet de la confusion".

[9]      Mon opinion est renforcie par la prépondérance de la nouvelle preuve voulant que l'emphase, dans la prononciation des marques, doive être mise sur la première syllabe. C'est cette portion qui crée une impression dominante dans l'esprit du public. La jurisprudence est constante à cet effet.1 Qu'il suffise, à titre illustratif, de citer les deux extraits suivants :

         . . . it is the first syllable of the trade marks at issue that is far the more important for the purpose of distinction: . . .2
         . . . It is axiomatic that the first word or the first syllable in a trade mark is far the more important for the purpose of distinction. . . .3


[10]      La première syllabe de chacune des marques PAXIL et IXEL doit donc prendre plus d'importance que leur suffixe, une syllabe non accentuée, dans l'évaluation du risque de confusion. Visuellement, aussi, le début des mots doit avoir prépondérance. C'est du son et de la vue de la première syllabe que se dégage plus souvent la première impression, si déterminante en la matière. À cet égard, je trouve la preuve additionnelle de la demanderesse beaucoup plus valable que celle de la défenderesse dont l'expert, le Dr Roberge, n'a pas accordé à la première syllabe l'importance requise, semblant plutôt avoir accordé une importance égale aux quatre facteurs suivants :

         1.      "Number of syllables"

         2.      "Stress pattern"

         3.      "Similarity of first syllable"
         4.      "Similarity of last syllable"


[11]      L'expert de la demanderesse, par ailleurs, le Dr Brenda M. Hosington, m'apparaît davantage tenir compte de l'importance de la première syllabe. Je ne peux qu'être d'accord avec cette preuve voulant que la première portion de la marque PAXIL, qui est l'attaque du mot, porte en soi un élément de grande force, une consonance explosive. Cette attaque avec la consonne "P" est des plus perceptible, ce qui la distingue encore plus de la marque IXEL. En effet, le premier élément entendu est une des consonnes les plus fortes et des plus distinctives de l'alphabet, soit la lettre "P". La première syllabe de PAXIL ne peut donc certes, au niveau phonétique, être confondue avec la première syllabe de IXEL, pas plus qu'au niveau visuel, d'ailleurs, vu l'évidente différence de la partie supérieure des lettres. En conséquence, aucune équivoque ne peut exister sur l'identité de la marque PAXIL par rapport à la marque IXEL, que ce soit pour une personne anglophone ou une personne francophone.

[12]      En émettant l'opinion que le registraire, s'il avait eu le bénéfice de la preuve additionnelle qui a été déposée devant cette Cour, n'aurait pas conclu comme il l'a fait à l'existence de confusion entre les deux marques, j'ai aussi tenu compte, comme lui, que les deux marques sont des mots inventés et intrinsèquement distinctifs, qu'elles ne transmettent pas d'idée particulière et qu'elles sont associées à des produits identiques distribués par les mêmes canaux. À l'instar du registraire, je note aussi que l'emploi de la marque PAXIL ne peut être attribué à la défenderesse en raison du fardeau qu'elle n'a pas surmonté d'établir qu'elle a exercé un contrôle effectif sur la qualité et la nature des produits fabriqués et commercialisés sous cette marque par une autre entité. Je note en effet que la défenderesse n'a pas déposé de preuve additionnelle à ce sujet devant cette Cour, de sorte que je dois aussi conclure qu'elle n'a pas démontré que la marque PAXIL est devenue connue au Canada en tant que sa marque. Dans les circonstances, incidemment, les allégations suivantes du Dr Roberge, aux paragraphes 19 et 20 de son affidavit, sont sans fondement et contribuent à miner la valeur de son opinion sur la ressemblance entre les deux marques :

         19.      While neither PAXIL nor IXEL have a dictionary meaning, this does not mean that both are devoid of any kind of meaning. I understand that PAXIL anti-depressant medication is sold in Canada and has been for some years, while IXEL anti-depressant medication has not been and is not currently sold in Canada. As such, there is some level of knowledge in Canada of the PAXIL product, and the meaning of PAXIL for some Canadians is a trade-mark identifying a particular product. IXEL is sought to be registered for a similar medication.
         20.      Given that PAXIL is known to some measure and IXEL is unknown, it is my view that there would be a higher likelihood of confusion with PAXIL on reading or hearing IXEL than if PAXIL medication was completely unknown in Canada.

En outre, je prend pour acquis que le registraire aurait aussi tenu compte de la jurisprudence voulant que parmi les critères mentionnés au paragraphe 6(5) de la Loi, celui de la ressemblance entre les marques est généralement le plus important. À ce sujet, qu'il suffise de référer à l'extrait suivant, souvent cité par cette Cour, tiré de l'arrêt Beverly Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding & Upholstering Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 145 (C.F., 1re instance), à la page 149 :

         . . . Realistically appraised it is the degree of resemblance between trade marks in appearance, sound, or in ideas suggested by them that is the most crucial factor, in most instances, and is the dominant factor and other factors play a subservient role in the overall surrounding circumstances.


[13]      Enfin, pour ainsi conclure à l'absence de risque de confusion entre les marques en cause, j'ai tenu compte des principes applicables, lorsqu'il s'agit de décider si l'emploi d'une marque de commerce cause de la confusion avec une autre marque de commerce, tel que les a énoncés la Cour d'appel fédérale, sous la plume de Monsieur le juge Décary, dans Miss Universe, Inc. c. Bohna, [1995] 1 C.F. 614, aux pages 621 et 622 :

             Pour décider si l'emploi d'une marque de commerce ou d'un nom commercial cause de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial, la Cour doit se demander si, comme première impression dans l'esprit d'une personne ordinaire ayant un vague souvenir de l'autre marque ou de l'autre nom, l'emploi des deux marques ou des deux noms, dans la même région et de la même façon, est susceptible de donner l'impression que les services reliés à ces marques ou à ces noms sont fournis par la même personne, que ces services appartiennent ou non à la même catégorie générale [renvoi omis].
             En décidant s'il y a vraisemblance de confusion, la Cour doit tenir compte de toutes les circonstances, y compris celles visées au paragraphe 6(5) précité.
             Il appartient toujours à celui qui demande à enregistrer une marque de commerce d'établir que, selon la prépondérance des probabilités, il n'y a aucune probabilité de confusion avec une autre marque de commerce déjà employée et enregistrée [renvoi omis].
             Plus la marque est solide, plus grande est l'étendue de la protection qui devrait lui être accordée et plus il sera difficile au requérant de se décharger de l'obligation qui lui incombe. . . .


[14]      En conclusion, la preuve additionnelle déposée devant cette Cour, jointe au reste de la preuve présentée au registraire, m'amène à réaliser que la décision en cause de ce dernier ne peut plus tenir, vu que la demanderesse a finalement établi qu'il n'y a pas de risque raisonnable de confusion entre sa marque IXEL et la marque PAXIL de la défenderesse. En conséquence, statuant comme aurait dû le faire le registraire, je rejette l'opposition de la défenderesse et ordonne au registraire de procéder à l'enregistrement de la marque IXEL faisant l'objet de la demande no 743,101, avec dépens.





                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 29 mars 2000


__________________

1      Voir, par exemple, United States Government c. Amada Co. Ltd. (1984), 75 C.P.R. (2d) 228; Neutrogena Corp. c. Guaber S.R.L. (1993), 49 C.P.R. (3d) 282; In the Matter of London Lubricant (1920) Ltd. Appln (1925), 42 R.P.C. 264 (Court of Appeal); National Cheese Co. Ltd. c. VS Services Ltd. (1997), 72 C.P.R. (3d) 279; Molson Companies Ltd. c. John Labatt Ltd. (1990), 28 C.P.R. (3d) 457 (C.F., 1re instance); Syntex (U.S.A.) Inc. c. E.R. Squibb & Sons, Inc. (1992), 39 C.P.R. (3d) 564 et Conde Nast Publications Inc. c. Union des Éditions Modernes (1980), 46 C.P.R. (2d) 183 (C.F., 1re instance), repris entre autres dans Société des Produits Nestlé S.A. c. Nabob Foods Ltd. (1982), 61 C.P.R. (2d) 248.

2      Syntex (U.S.A.) Inc., renvoi no 1, à la page 567.

3      Conde Nast Publications Inc., renvoi no 1, à la page 188.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.