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Date : 20040706

Dossier : T-1021-03

Référence : 2004 CF 963

Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN        

ENTRE :

                                             SPENCO MEDICAL CORPORATION

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                           EMU POLISHES INC.

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La défenderesse a présenté une requête en jugement sommaire visant à faire rejeter l'action en usurpation de marque de commerce introduite par la demanderesse concernant sa marque déposée POLYSORB employée en liaison avec des semelles intérieures de chaussures. À l'appui de sa requête, la défenderesse soutient qu'il n'existe pas de risque de confusion entre POLYSORB et sa marque de commerce POLYSOFT, employée elle aussi en liaison avec des semelles intérieures.


LES FAITS

[2]                La demanderesse, Spenco Medical Corporation, est une société privée constituée suivant la loi de l'État du Texas, aux États-Unis. Au Canada, les produits commercialisés par Spenco comprennent des semelles de rechange et des garnitures intérieures de chaussures fabriquées à des fins médicales, comme le support du pied. L'un des produits consiste en des semelles intérieures de couleur verte portant la marque de commerce POLYSORB, laquelle a été enregistrée au Canada le 24 mars 2003, sous le numéro LMC578018. La demanderesse vend ce produit au Canada sous la marque POLYSORB depuis le mois de février1990.

[3]                La défenderesse, Emu Polishes Inc. (Emu), est une société privée constituée sous le régime des lois fédérales canadiennes. Elle emploie la marque non enregistrée POLYSOFT en liaison avec ses semelles intérieures vertes. Elle a demandé l'enregistrement de cette marque au Bureau des marques de commerce du Canada. La demanderesse s'est opposée à la demande d'enregistrement au motif que la marque POLYSOFT créerait de la confusion avec sa marque POLYSORB; la décision sur cette question n'a pas encore été rendue. Emu possède également la marque de commerce POLYCUSHION, qui a été enregistrée au Canada le 14 février 2002 sous le numéro LMC557896, de même que la marque non enregistrée POLY-DRY. Ces deux marques ont déjà été employées en liaison avec des semelles intérieures, mais elles ne le sont plus. La défenderesse vend des semelles intérieures POLYSOFT, au Canada, depuis le mois de septembre 1998.


La preuve de la défenderesse

[4]                La preuve de la défenderesse comporte les allégations suivantes :

[Traduction]

A.         Emploi de POLY et de SORB dans les marques de commerce existantes

1.         La coexistence et l'emploi des mots POLY et SORB sont répandus dans le registre des marques de commerce, et les deux mots, de même que la combinaison POLYSORB, sont utilisés dans différentes industries par d'autres parties que la demanderesse.

2.         Un nombre important de marques de commerce en usage (840) comportant le mot POLY coexistent dans le registre des marques de commerce, et plusieurs d'entre elles sont employées en liaison avec des marchandises semblables appartenant à la même catégorie générale de produits; une recherche dans le registre indique qu'au moins treize marques sont employées en liaison avec des vêtements, des chaussures et des semelles intérieures (classe 25), et quarante-quatre, en liaison avec des instruments et appareils médicaux (classe 10).


3.         Le mot SORB est également d'usage courant parmi les commerçants pour décrire les propriétés d'absorption de leurs produits respectifs, et le registre des marques de commerce renferme deux cent quarante marques en usage comportant le mot SORB, employées en liaison avec des marchandises analogues appartenant à la même catégorie générale de produits; une recherche dans le registre indique qu'il existe cinquante-deux de ces marques appartenant à la classe 10, et douze appartenant à la classe 25.

4.         Le mot POLYSORB est utilisé dans diverses industries pour décrire les qualités et la composition physique de produits absorbants à base de polyuréthanne, dont des matériaux de rétention d'humidité pour plantes, des produits d'absorption de peinture, des couches et des produits servant à l'amortissement des chocs.

5.         Trois marques déposées POLYSORB appartenant à trois entités distinctes n'ayant pas de lien entre elles coexistent dans le registre des marques de commerce : l'une d'elles est celle de la demanderesse, la deuxième appartient à Roquette Freres et est employée dans l'industrie alimentaire et pharmaceutique depuis le 5 février 1979, soit bien avant la date d'enregistrement (le 24 mars 2003) et la date de premier emploi (février 1990) de POLYSORB, et la troisième, propriété de United States Surgical Corporation, est employée en médecine (le principal domaine d'utilisation de la marque de la demanderesse) depuis le 26 juin 1984, soit, encore une fois, bien avant la date d'enregistrement et la date de premier emploi de la marque de la demanderesse.

B.          Description des produits des deux parties

1.          Emu vend des semelles intérieures ordinaires visant à rendre des chaussures plus confortables, tandis que Spenco fournit des semelles intérieures spécialisées pour des usages médicaux ou sportifs.


2.         Emu vend ses semelles intérieures par l'intermédiaire de détaillants généraux et de cordonneries, tandis que les semelles de Spenco sont distribuées par des magasins spécialisés, comme des magasins de vêtements et d'articles de sport.

C.         La création et la sélection de la marque de commerce POLYSOFT

1.         Emu a retenu POLYSOFT comme nom de marque de son produit parce qu'il suggère les qualités qu'un client est susceptible de rechercher dans une semelle intérieure. POLY évoque la composition des semelles, généralement à base de polymères, notamment de polyuréthanne, et SOFT décrit la sensation de confort, douce et relaxante, que le produit procure aux pieds.

2.         La défenderesse a créé et choisi la marque POLYSOFT pour des raisons analogues à celles qui ont présidé au choix de sa marque déposée POLYCUSHION.

3.         Le choix des noms de marque POLYSOFT, POLYCUSHION et POLY-DRY découle du recours usuel aux mots composés soudés, c'est-à-dire à la combinaison de mots ordinaires pour former un mot ne se trouvant pas nécessairement dans les dictionnaires.

4.         Il existe plus de cent cinquante mots composés soudés, dans les dictionnaires anglais, qui commencent par le préfixe POLY, notamment : polyacid, polycristal, polypharmacy, polypodium, polysyllable, polywater, polytechnic et polysensuous.


La preuve de la demanderesse

[5]                La preuve de la demanderesse comporte les allégations suivantes :

[Traduction]

1.         Le préfixe POLY a de multiples significations, et la définition du dictionnaire n'a rien à voir avec le polyuréthanne ou les semelles intérieures. POLYSORB est un mot inventé.

2.         POLYSORB n'est pas une maque employée en liaison avec la vente de produits de polyuréthanne ou de polyester ou de produits absorbants. Elle n'est utilisée qu'en liaison avec la vente de semelle intérieures.

3.         POLYSORB figure en majuscules sur les emballages, le matériel promotionnel, la publicité et les factures.

4.         Les commentaires positifs de la clientèle indiquent que la gamme de semelles intérieures POLYSORB de Spenco a procuré un achalandage important à l'entreprise.

5.         Spenco consacre chaque année une somme importante à la commercialisation des produits POLYSORB; son budget annuel de publicité se compare au montant total des ventes annuelles de semelles intérieures POLYSOFT. Les ventes de semelles POLYSORB dépassent de beaucoup celles des semelles POLYSOFT.

6.         Spenco commercialise ses produits auprès des podiatres. Ceux-ci connaissent bien les produits POLYSORB et les recommandent à leurs patients.


7.         L'emballage des semelles POLYSORB est bien identifié par les clients.

8.                   Le dessus des semelles intérieures POLYSORB est vert, le dessous, noir et jaune; les semelles intérieures POLYSOFT sont vertes sur le dessus et leur dessous est maintenant noir et jaune, après avoir déjà été gris.

9.                   L'emballage des semelles POLYSOFT porte les mots « loisir, travail et sport » , tandis que les mots « Marche/Course » , « Pour tous les jours » ou « Multi-sports » figurent sur celui des semelles POLYSORB.

10.               Le nom de marque et la couleur d'un produit sont généralement les éléments les plus significatifs pour les clients. La couleur verte des deux semelles intérieures peut constituer un élément de reconnaissance induisant un comportement d'achat et peut accroître la confusion entre les deux marques de commerce. Le problème s'aggrave du fait que seules deux lettres différencient les marques de commerce et que ces deux lettres sont placées à la fin des marques, FT et RB.

11.               Les suffixes SORB et SOFT sont tous deux susceptibles de suggérer les mêmes idées, car le consommateur comprendra qu'un matériau comme le polyuréthanne présente des caractéristiques communes comme la douceur et l'absorption, en plus de contribuer à l'amortissement des chocs.

12.               Les consommateurs qui demandent des semelles intérieures POLYSORB reçoivent parfois des semelles POLYSOFT, et se font dire par les vendeurs que c'est [traduction] « la même chose » .


LE CRITÈRE APPLICABLE EN MATIÈRE DE JUGEMENT SOMMAIRE

[6]                Les règles relatives au jugement sommaire sont énoncées aux règles 213 à 219 des Règles de la Cour fédérale, 1998 DORS 198-106; la règle 216, en particulier, prévoit notamment ce qui suit :


216. (1) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

(2) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est :

[...]

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

(3) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour conclut qu'il existe une véritable question litigieuse à l'égard d'une déclaration ou d'une défense, elle peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d'une partie, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si elle parvient à partir de l'ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit.

[...]

216. (1) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

(2) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that the only genuine issue is

[...]

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.

(3) Where on a motion for summary judgment the Court decides that there is a genuine issue with respect to a claim or defence, the Court may nevertheless grant summary judgment in favour of any party, either on an issue or generally, if the Court is able on the whole of the evidence to find the facts necessary to decide the questions of fact and law.

[...]



[7]                La Cour ne rend pas de jugement sommaire lorsque l'existence d'une véritable question litigieuse est démontrée. Toutefois, la règle 216(3) permet explicitement à la Cour de rendre un jugement sommaire malgré l'existence d'une véritable question litigieuse si « elle parvient à partir de l'ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit » . La Cour d'appel fédérale a récemment passé en revue les principes applicables en matière de jugement sommaire dans les arrêts MacNeil Estate c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord) (2004), 316 N.R. 349 (C.A.F.) et Trojan Technologies, Inc. c. Suntec Environmental Inc., 2004 CAF 140, [2004] A.C.F. no 636 (C.A.F.) (QL).

[8]                Dans l'arrêt MacNeil Estate, précité, la Cour d'appel fédérale a repris, en l'approuvant, l'énoncé, souvent cité, des principes formulés par la juge Tremblay-Lamer dans la décision Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 C.F. 853 (1re inst.), et elle a clarifié le rôle général du juge des requêtes ainsi que le rôle plus particulier qui lui incombe relativement à la règle 216(3). Voici les recommandations formulées par la Cour dans l'arrêt MacNeil Estate:

1. Lorsqu'il se pose une question de crédibilité, l'affaire ne devrait pas être tranchée au moyen d'un jugement sommaire rendu en vertu du paragraphe 216(3), mais devrait plutôt faire l'objet d'une instruction parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès (voir paragraphe 32 de MacNeil Estate);

2. En vertu du paragraphe 216(3) des Règles, le juge des requêtes peut uniquement tirer des conclusions de fait ou de droit à condition qu'existent dans le dossier des éléments de preuve pertinents qui ne portent pas sur une question de fait ou de droit « sérieuse » reposant sur des inférences (voir paragraphe 33 de MacNeil Estate);

3. Le paragraphe 216(3) des Règles permet au juge, par suite d'une requête en jugement sommaire, après avoir conclu qu'il existe une « véritable question litigieuse » , de mener une instruction en se fondant sur la preuve par affidavit en vue de trancher les questions qui se posent dans l'action s'il est possible de le faire. Toutefois, il n'est pas toujours possible de le faire, en particulier en présence d'éléments de preuve contradictoires, lorsque l'affaire repose sur des inférences ou lorsqu'une question de crédibilité est en jeu (voir paragraphe 46 de MacNeil Estate).

LES DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA LOI SUR LES MARQUES DE COMMERCE, L.R.C. 1985, ch. T-13

[9]                L'article 2 de la Loi définit ainsi l'expression « créant de la confusion » et le mot « distinctif » :



« créant de la confusion » Relativement à une marque de commerce ou un nom commercial, s'entend au sens de l'article 6.

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

"confusing", when applied as an adjective to a trade-mark or trade-name, means a trade-mark or trade-name the use of which would cause confusion in the manner and circumstances described in section 6;

"distinctive", in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;


[10]            Et l'article 6 énonce notamment ce qui suit :



6. (1) Pour l'application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l'emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

Idem

(2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

[...]

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris_:

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

6. (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

Idem

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

[...]                                                          

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.


[11]            Les alinéas 7a), b) et c) énoncent certaines interdictions se rapportant à la concurrence déloyale et aux marques interdites :


7. Nul ne peut :

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un concurrent;

b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;

c) faire passer d'autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

7. No person shall

(a) make a false or misleading statement tending to discredit the business, wares or services of a competitor;

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;

(c) pass off other wares or services as and for those ordered or requested;


[12]            Enfin, les articles 19, 20 et 22 décrivent les droits conférés par l'enregistrement d'une marque de commerce et les actes constituant des atteintes à ces droits :



19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l'enregistrement d'une marque de commerce à l'égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l'emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

Violation

20. (1) Le droit du propriétaire d'une marque de commerce déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l'employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. ...

[...]

22. (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à cette marque de commerce.

19. Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade-mark in respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade-mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade-mark in respect of those wares or services.

Infringement

20. (1) The right of the owner of a registered trade-mark to its exclusive use shall be deemed to be infringed by a person not entitled to its use under this Act who sells, distributes or advertises wares or services in association with a confusing trade-mark or trade-name, ...

[...]

22. (1) No person shall use a trade-mark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching thereto.

[...]


ANALYSE

Y a-t-il une véritable question litigieuse

[13]            Sous le régime de la règle 216(1) des Règles de la Cour fédérale, il me faut d'abord déterminer, pour statuer sur la requête en jugement sommaire, si la déclaration présente une véritable question litigieuse ou si l'existence d'une telle question est si douteuse qu'il n'y a pas lieu de l'examiner davantage.

[14]            J'estime que les véritables questions litigieuses suivantes se dégagent de la déclaration :

1.          L'emploi par la défenderesse de sa marque de commerce POLYSOFT en liaison avec des semelles intérieures crée-t-elle de la confusion du fait qu'il peut vraisemblablement faire conclure que les semelles intérieures POLYSOFT et POLYSORB sont fabriquées ou vendues par la même personne?


2.          La défenderesse a-t-elle appelé l'attention du public sur ses marchandises ou son entreprise de manière à vraisemblablement causer de la confusion avec les semelles intérieures de la demanderesse, contrevenant à l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, lequel codifie le délit de commercialisation trompeuse de la common law?

[15]            Je signale que la défenderesse n'a pas fait valoir que la marque de commerce POLYSORB, étant descriptive de la nature des semelles intérieures de la demanderesse, n'était pas enregistrable, et que l'enregistrement était donc invalide. Si l'enregistrement est invalide, la demanderesse ne peut, naturellement, soutenir qu'il y a eu usurpation de marque de commerce. À l'ouverture de l'audience, la demanderesse s'est opposée à ces arguments parce qu'ils n'avaient pas été plaidés dans la défense, et la défenderesse ne les a pas invoqués par la suite.

[16]            On peut trouver dans la décision récente de la juge Snider, Alticor Inc. c. Nutravite Pharmaceuticals Inc., [2004] A.C.F. no 268, paragraphe 18, l'énoncé du critère applicable en matière de confusion :

...

Le critère général de la confusion consiste, comme on l'a dit, « à se demander si, comme première impression dans l'esprit d'un consommateur ordinaire ayant un souvenir vague et imparfait de l'autre marque, l'emploi des deux marques, dans la même région et de la même façon, est susceptible de donner l'impression que les marchandises reliées à ces marques sont produites ou commercialisées par la même société » ...

[17]            Pour décider s'il existe une véritable question litigieuse, c'est-à-dire, en l'espèce, si les marques de commerce risquent d'être confondues, il y a lieu de tenir compte des facteurs suivants énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce.

(i)          Le caractère distinctif inhérent de la marque de commerce de la demanderesse et la mesure dans laquelle elle est devenue connue

Je constate que la marque de commerce POLYSORB est employée au Canada depuis 1990, que le chiffre des ventes au Canada des semelles POLYSORB est étonnamment élevé et que la vaste majorité des acheteurs du produit constitue une clientèle acquise. J'en conclus que la marque de commerce, si elle ne possède pas de caractère distinctif inhérent, a acquis ce caractère en devenant connue en liaison avec le produit de la demanderesse.

(ii)         La longueur considérable de la période pendant laquelle la marque de commerce a été en usage

La demanderesse emploie sa marque depuis 1990, tandis que la marque de commerce de la défenderesse n'est arrivée sur le marché qu'en 1998.

(iii)        La nature identique des marchandises

Aucun élément de preuve établissant que les semelles POLYSORB diffèrent en nature des semelles POLYSOLT n'a été soumis. Par conséquent, il appert de la preuve que ces produits sont de même nature.

(iv)        La nature du commerce

La défenderesse a reconnu à l'audience qu'il y a des recoupements dans le commerce des deux entreprises. La preuve établit que six détaillants vendent les deux marques.

(v)         Le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent

Il appert du témoignage d'expert soumis par la demanderesse qu'il existe un degré élevé de ressemblance entre les marques de commerce.


Pour ces motifs, je suis d'avis que la demanderesse a prouvé que la question de la confusion constitue une question litigieuse véritable.

L'emploi de POLY dans les marques de commerce

[18]            Lorsque des marques de commerce présentent des éléments communs, de petites différences suffisent à distinguer les marques car les consommateurs sont habitués de faire des distinctions. En l'espèce, il s'agit de distinguer entre divers emplois de POLY. La marque de commerce POLYSORB de la demanderesse était la seule marque employée en liaison avec des semelles intérieures qui comportait le morphème POLY. À cet égard, la présente espèce se distingue de l'affaire Alticor Inc., précitée, dans laquelle la juge Snider avait constaté que quatre-vingt-un produits appartenant à la catégorie générale des suppléments et autres produits de santé étaient vendus au Canada sous une marque de commerce comportant le préfixe NUTR, dont trente-huit pouvaient être considérés comme des suppléments vitaminiques, minéraux ou d'herbes, c'est-à-dire comme des produits identiques aux produits NUTRILITE de la demanderesse en cause.


[19]            Je conclus que l'emploi répandu de POLY dans les marques de commerce est une question qui doit être examinée au cours d'une instruction où le juge évaluera la crédibilité et le poids de la preuve selon laquelle la présence de la marque de commerce POLYSOFT associée à des semelles intérieures créerait de la confusion chez les consommateurs de semelles POLYSORB.

Évaluation de la crédibilité, appréciation de la preuve et inférences factuelles sous le régime de la règle 216(3)

[20]            J'ai la conviction de ne pas être en mesure d'évaluer correctement, comme le demande la règle 216(3), la crédibilité ou le poids des témoignages soumis par la demanderesse pour démontrer que la marque de commerce POLYSOFT de la défenderesse risque de créer de la confusion chez les clients de la demanderesse.

[21]            La demanderesse a déposé les affidavits des témoins suivants relativement aux faits pertinents :

1.         M. Gerard Mayne, président de Spenco Medical Canada (Spenco Canada);

2.         M. Blake Boulden, directeur du marketing de Spenco Corporation, au Texas;

3.         M. Peter Dacin, professeur à la faculté des études commerciales de l'Université Queen's à Kingston (Ontario) et expert en marketing;

4.         Le Dr Robert Chelin, podiatre agréé en Ontario et ancien président de l'Association médicale podiatrique de l'Ontario.   

[22]            Il faut que la crédibilité de ces témoignages soit évaluée au cours d'une instruction, et le juge devra alors apprécier la preuve et tirer les conclusions de fait qui s'imposent. Par exemple :

a)         le président de Spenco Canada, M. Mayne, a déclaré, aux paragraphes 30 et 31 de son affidavit, qu'il y aurait de la confusion chez les clients de l'entreprise :


[Traduction]

30            Avant juin 2001, j'ai appris qu'Emu Polishes Inc. (EMU) distribuait et vendait sous le nom de marque POLYSOFT une semelle intérieure au dessus vert lorsque j'ai rencontré un distributeur de POLYSORB, Industrial Safety Equipment Company (ci-après ISECO), qui vendait ces semelles POLYSOFT. J'en ai acheté une paire. La copie d'une photo des semelles POLYSOFT que j'ai achetées d'ISECO est jointe à mon affidavit [...]

31            Cette découverte m'a préoccupé parce qu'au premier coup d'oeil, les marques m'ont paru identiques. Ce n'est qu'en y regardant de plus près que j'ai vu que les marques étaient différentes. Le fait que les semelles POLYSORB et les semelles POLYSOFT se ressemblaient beaucoup au premier coup d'oeil, à cause de leur couche supérieure verte, a ajouté à mes préoccupations.

32            J'ai tout de suite pensé que nos clients, actuels et potentiels, risqueraient d'être induits en erreur par la similitude des deux marques de commerce et que l'apparence similaire des deux types de semelles accentuerait la confusion. J'ai porté cette information à l'attention de Spenco Medical Corporation, la propriétaire de la marque de commerce.

b)          le directeur du marketing de Spenco, au Texas, M. Blake Boulden, a déclaré, au paragraphe 37 de son affidavit, que les clients canadiens prennent les semelles intérieures POLYSOFT pour les semelles intérieures POLYSORB :

[Traduction]

37            Au Canada, où les semelles POLYSOFT et les semelles POLYSORB sont toutes deux vendues, les consommateurs qui demandent les semelles POLYSORB se font quelquefois donner les semelles POLYSOFT. Il arrive qu'on leur dise qu'[traduction] « il n'y a pas de différence » entre la semelle POLYSOFT et la semelle POLYSORB. Dans certains cas, les consommateurs ne savent pas qu'ils ont reçu une autre marque que celle qu'ils avaient demandée et, parfois, ils se trompent entre les deux marques. Ils achètent des semelles POLYSOFT quand ils voulaient acheter les semelles POLYSORB. À l'heure actuelle, il y a plus d'occurrences de confusion et de substitution au Canada qu'aux États-Unis, car les semelles POLYSOFT sont davantage vendues au Canada.

c)          M. Peter Dacin, qui a témoigné en qualité d'expert en marketing pour la demanderesse, a affirmé aux paragraphes 57 et 58 de son affidavit qu'il existe un risque de confusion :

[Traduction]


[57]          Le fait que le dessus de la semelle vendue par la défenderesse sous la marque de commerce POLYSOFT et le dessus de la semelle vendue par la demanderesse sous la marque de commerce POLYSORB soient tous les deux verts accroît le risque de confusion entre les deux marques. La couleur verte des semelles intérieures de la demanderesse et de la défenderesse peut constituer un signal de reconnaissance induisant un comportement d'achat et peut accroître la confusion entre les marques POLYSOFT et POLYSORB. Une fois vérifié le signal de reconnaissance provenant de la couleur verte, le processus d'examen de la marque de commerce peut se faire rapidement, ce qui risque d'engendrer des erreurs.

58                 La ressemblance entre les noms de marque POLYSOFT et POLYSORB et le fait que les deux types de semelles soient de couleur verte, aggravés par la possibilité que des vendeurs proposent de substituer un produit pour l'autre, augmentent le risque de confusion entre les marques POLYSOFT et POLYSORB. La ressemblance entre les deux marques donne crédit à la proposition d'un vendeur de substituer un produit pour l'autre. Bien que la couleur verte du revêtement supérieur des deux types de semelles accroisse vraisemblablement le risque de confusion, les marques de commerce POLYSOFT et POLYSORB elles-mêmes, employées en liaison avec des semelles ou garnitures intérieures de chaussures risquent de créer de la confusion entre elles.

d)          le Dr Robert Chelin, podiatre agréé qui a lui aussi témoigné en qualité de témoin expert pour la demanderesse, a déclaré aux paragraphes 34 et 35 de son affidavit que les patients des podiatres seront induits en erreur :

[Traduction]

34                 J'ai vu les semelles intérieures POLYSOFT et, au premier coup d'oeil, elles paraissent identiques aux semelles POLYSORB parce qu'elles ont toutes deux un revêtement supérieur vert. Les marques POLYSORB et POLYSOFT sont presque identiques et, si je n'avais pas été préalablement informé de l'existence de ces deux marques différentes, j'aurais certainement pu confondre la marque POLYSOFT et la marque POLYSORB.

35                 Je crains que des patients qui se sont fait conseiller les semelles POLYSORB puissent se tromper en voyant les semelles POLYSOFT. À cause de problème répandu de la substitution par les détaillants, je suis persuadé que beaucoup de vendeurs diront qu'il n'y a pas de différence entre les semelles POLYSORB et POLYSOFT pour vendre les semelles POLYSOFT qu'ils ont en stock. Compte tenu de la nature du marché de la vente au détail de semelles intérieures, les vendeurs essaieront de vendre les semelles qu'ils ont en stock, quelle qu'en soit la marque, et substitueront leur marque de semelles à celle qui a été prescrite par le podiatre, induisant les patients en erreur. Souvent, les patients ne sauront même pas qu'il y a eu substitution.

[33]       Relativement à la confusion, le seul témoignage présenté par la défenderesse est celui du président d'Emu, M. Armin Naldabandian. L'avocat de la défenderesse a reconnu qu'en contre-interrogatoire, le témoin allait dans toutes les directions.


[34]         L'ampleur de la documentation produite relativement à la présente requête pour jugement sommaire doit être prise en considération parce qu'elle indique l'existence d'un litige actuel entre les parties. Le dossier de requête de la demanderesse compte huit volumes dont cinq renferment les affidavits et les pièces, et quatre renferment d'autres pièces et la transcription du contre-interrogatoire des témoins de la défenderesse. Le dossier de requête de la défenderesse compte quatre volumes, dont trois renferment les affidavits et les pièces. La défenderesse a également déposé un dossier de requête additionnel comportant trois volumes, dont deux renferment la transcription du contre-interrogatoire des témoins de la demanderesse.

[35]       La preuve relative à la confusion et à la commercialisation trompeuse soulève des questions de crédibilité qui justifient que les témoins aient à déposer de vive voix. Par conséquent, il y a lieu de rejeter la requête en jugement sommaire.

[36]            Comme l'ampleur de la preuve soumise par la demanderesse démontre qu'il est nécessaire d'instruire l'affaire pour évaluer la preuve contradictoire relative à la question de la confusion, la demanderesse a droit aux dépens de la présente requête, quelle que soit l'issue de la cause.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE:

La requête pour jugement sommaire soit rejetée, la demanderesse ayant droit aux dépens de la requête quelle que soit l'issue de la cause.

                                               « Michael A. Kelen »                                                                                                   _______________________________

          Juge

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                         T-1021-03

INTITULÉ :                                        SPENCO MEDICAL CORPORATION

                                                                                                                                       demanderesse

et

EMU POLISHES INC.

                                                                                                                                        défenderesse

DATE DE L'AUDIENCE :                21 juin 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       MONSIEUR LE JUGE KELEN

EN DATE DU :                                   6 juillet 2004

COMPARUTIONS :                          Scott Miller                                                      

Sharon Griffin

pour la demanderesse

Bayo Odutola

Mme Bourbonnais

pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :       Marusyk Miller & Swain s.r.l.

Ottawa (Ontario)                                       

Tél. : (613) 567-0762

pour la demanderesse

Odutola Law Chambers

Ottawa (Ontario)

Tél. : (613) 238-1140

pour la défenderesse


                         COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20040706

                                       Dossier : T-1021-03

ENTRE :

SPENCO MEDICAL CORPORATION

                                                            demanderesse

et

EMU POLISHES INC.

                                                              défenderesse

                                                             

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                           

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