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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Canada c. Mid-Atlantic Minerals Inc. (1re inst.) [2003] 1 C.F. 168
Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Canada c. Mid-Atlantic Minerals Inc. (1re inst.) [2003] 1 C.F. 168

Date: 20020516

Dossier: T-1184-00

Citation neutre: 2002 CFPI 569

ENTRE:

                          SA MAJESTÉLA REINE

                                                             Demanderesse

ET:

                       MID-ATLANTIC MINERALS INC.

                                                             Défenderesse

                          MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                 Cet appel de la défenderesse d'une ordonnance datée du 8 mars 2001 rendue par le protonotaire Me Richard Morneau porte sur la validité de l'article 10 du Barème des droits des services à la navigation maritime ("le Barème") adopté en vertu des articles 47 et suivants de la Loi sur les océans, L.R.C. 1996, ch. 31("la Loi"). La Cour est appelée, plus précisément, à décider si le Ministre des Pêches et Océans ("le Ministre") était habilité à fixer les droits payables par les utilisateurs des services à la navigation maritime en distinguant entre navires canadiens et navires étrangers et, dans l'hypothèse d'une telle habilitation, si cette imposition était discriminatoire.


[2]                 Le débat est né du refus de la société défenderesse de payer les frais en question, ce qui a amené la Couronne à réclamer devant la Cour Fédérale le paiement de ces droits[1]. Le protonotaire a accueilli l'action simplifiée intentée par la demanderesse en recouvrement des droits de services à la navigation payables par la défenderesse aux termes du Barème, et condamné la défenderesse à lui payer la somme de 7052,36$ avec intérêts au taux prescrit au Règlement sur les intérêts et les frais administratifs, et ce à compter du 2 avril 1998. La défenderesse cherche à obtenir une ordonnance accueillant le présent appel et infirmant l'ordonnance du protonotaire ainsi qu'une ordonnance rejetant l'action de la demanderesse avec intérêts et dépens.

Le contexte législatif

[3]                 Afin d'être à même de bien comprendre la teneur des questions soulevées par les parties, un examen du contexte législatif dans lequel s'inscrit le présent litige s'impose.

[4]                 La Garde côtière canadienne ("GCC") fournit de nombreux services à la navigation maritime dans les eaux canadiennes. Ces services consistent, notamment, à la mise en place, dans les eaux canadiennes et dans les ports situés dans les eaux canadiennes, au bénéfice des bateaux qui y naviguent, de systèmes d'assistance visuelle tels des bouées, balises, phares, lumières, de systèmes d'assistance radar et de systèmes d'assistance auditive tels des cors à brume, bouées sifflantes, etc. Les services à la navigation maritime fournis par la demanderesse consistent aussi en des services de trafic maritime et de diffusion d'informations par les centres des Services des communications et du trafic maritime de la GCC.

[5]                 Ainsi, en 1989, le gouvernement fédéral a mis sur pied une politique visant à recouvrer les coûts nécessaires à la fourniture de services rendus par lui et les organismes sous son contrôle, dont la GCC.


[6]                 Le 1er juin 1996, entra en vigueur le Règlement sur les prix des services à la navigation maritime ("le Règlement"), le prédécesseur du Barème contesté en l'espèce. Ce règlement était édicté en vertu de l'article 19(1)(a) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.C. (1985), ch. F-11. Après l'entrée en vigueur du Règlement, le Ministre continua les consultations avec l'industrie maritime afin d'améliorer le système de recouvrement des coûts. Ces consultations se sont poursuivies depuis et se poursuivent encore aujourd'hui. Le système de tarification que constitue le Barème fut donc mis en place après avoir abondamment consulté les représentants de l'industrie maritime.

[7]                 En 1997, la validité du Règlement fut contestée en cette Cour par l'Association des armateurs canadiens, mais celle-ci rejeta la contestation et son jugement fut maintenu par la Cour d'appel fédérale en 1998. Ces jugements sont rapportés à The Canadian Shipowners Association et al. v. Her Majesty in Right of Canada et al. (1997), 137 F.T.R. 216 (C.F. 1ère inst.); (1998) 233 N.R. 162 (C.A.F.).

[8]                 Le 1er juillet 1997, le Règlement fut abrogé et le Barème contesté en l'espèce entra en vigueur.               

Les faits


[9]                 La défenderesse Mid-Atlantic Minerals Ltd. est une compagnie canadienne qui s'emploie au transport maritime, incluant sur le fleuve Saint-Laurent. À cette fin, et compte tenu de la non-disponibilité de navires immatriculées au Canada, la défenderesse a exploité dans les eaux canadiennes un navire non-canadien d'une jauge brute de 17,594 tonneaux, le M.V. Bjorn, en vertu d'un permis d'entrée temporaire délivré sous la Loi sur le Cabotage, L.C. 1992 , ch. 31, et valide pour un mois, soit du 9 février au 9 mars 1998.

[10]             En application de l'article 10 du Barème, la défenderesse reçut une facture de la demanderesse datée du 3 mars 1998 lui réclamant, dans les trente jours, la somme de 8420,68$ pour les services à la navigation rendus par la demanderesse au navire de la défenderesse pendant la durée de validité de son permis.

[11]            À ce jour, bien que dûment mise en demeure le 19 juin 2000, la défenderesse n'acquitta qu'un montant de 1,368.62$, seul montant qu'elle estimait devoir aux termes du Barème, et refuse de payer le solde impayé de la facture du 3 mars 1998, soit 7052,36$, d'où la présente action.


[12]            Cette action est contestée par la défenderesse pour le seul motif que le Barème, sur lequel est fondée la réclamation de l'appelante, serait nul et illégal. Le règlement trace une distinction entre navires canadiens et non canadiens et en ce qui concerne les vraquiers (bulk carrier) et porte-conteneurs, il impose une tarification différente et qui favorise nettement les navires canadiens. Selon la défenderesse, le Ministre n'a pas le pouvoir de prévoir une tarification par catégories de navire fondée sur la nationalité. Cette distinction est discriminatoire, en conflit avec la loi habilitante et, donc, illégale.

[13]            Dans sa défense, la défenderesse a admis tous les faits donnant ouverture à l'application de l'article 10 du Barème précité. Toutefois, la défenderesse n'a produit aucune preuve pour soutenir les allégations de sa défense et, par conséquent, aucun des faits allégués par la défenderesse dans sa défense n'a été prouvé devant le protonotaire.

[14]            À l'audition de la cause le 6 mars 2001, le protonotaire a indiqué aux parties qu'il refusait de se prononcer sur la question de la validité du Barème et qu'il n'entendrait pas les arguments des parties à cet effet compte tenu du fait que la défenderesse avait fait défaut d'entreprendre une demande de contrôle judiciaire pour contester la légalité du Barème en question et qu'elle ne pouvait rechercher une conclusion déclarant son illégalité en défense à une action. Plus précisément, le protonotaire refusa de considérer le moyen de défense du défendeur jugeant qu'aucune règle des Règles de la Cour Fédérale, 1998 ne permet à une défenderesse de simplement soulever l'illégalité d'un règlement dans une défense et ainsi échapper aux exigences statutaires des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour Fédérale.


[15]             Par conséquent, le protonotaire accueillit l'action intentée par la demanderesse compte tenu des admissions des parties, tels qu'ils apparaissent au dossier. La défenderesse en appelle maintenant de cette décision.

Les questions en litiges

[16]            Le présent appel soulève les deux questions suivantes :

1) Le protonotaire a-t-il erré en droit en décidant que la défenderesse ne pouvait contester la légalité du Barème dans le cadre d'une défense à l'action intentée par la demanderesse, justifiant ainsi l'intervention de cette Cour?

2) Dans l'affirmative, le Barème sur lequel la demanderesse fonde sa réclamation est-il ultra vires des pouvoirs du Ministre?


Les prétentions des parties

[17]            Quant à la procédure, la défenderesse soumet que le protonotaire a erré en droit en lui refusant le droit à une défense pleine et entière. Il a erré en soulevant, de son propre gré, une question qui ne faisait pas partie des allégations des parties et qui n'était pas incluse dans les mémoires de conférence préparatoire des parties ni des discussions qui ont eu lieu lors de la conférence préparatoire en présence de l'Honorable juge Hugessen. La défenderesse soumet également que le protonotaire a erré en droit en jugeant que le seul moyen de contester la légalité d'un règlement fédéral est une demande de contrôle judiciaire basée sur les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour Fédérale. Le protonotaire n'a appuyé sa décision sur aucune jurisprudence ni autorité, et la défenderesse soumet qu'elle n'en a trouvé aucune.

[18]            De surcroît, la défenderesse argumente que les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour Fédérale, qui concernent la révision judiciaire par la Cour Fédérale des tribunaux fédéraux, n'ont rien à voir avec le droit d'une partie d'invoquer la nullité d'un règlement fédéral comme moyen de défense. Enfin, la défenderesse soumet que le protonotaire a erré en droit en lui refusant de plaider toute question qui pourrait entraîner le rejet d'une cause d'action tel que prévu aux articles 175 et 183(c)(i) des Règles de la Cour Fédérale, 1998.


[19]            Quant au fond de l'action, la défenderesse affirme que la loi habilitante et en particulier les articles 47 et suivants de la Loi permettent au Ministre de fixer les droits payables par les utilisateurs des services à la navigation maritime. Selon la défenderesse, ces dispositions ont pour objet de permettre aux autorités fédérales de recouvrer les sommes dépensées pour la fourniture de ces services. Elles ne permettent pas, ni explicitement ni implicitement, de distinguer entre navires canadiens et navires étrangers, ni de favoriser au moyen d'une tarification plus avantageuse les premiers au détriment des seconds. La défenderesse soumet que la Cour suprême du Canada a, à maintes reprises, affirmé qu'une telle distinction dans un règlement doit, pour être valide, être expressément autorisée par la loi habilitante, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. De plus, la discrimination exercée entre navires canadiens et non-canadiens n'est absolument pas essentielle pour permettre au Ministre d'exercer son pouvoir réglementaire en matière de tarification des services à la navigation maritime.


[20]            La défenderesse soumet enfin que le présent cas doit être distingué de celui impliquant l'ancien Règlement, lequel règlement a été jugé valide par cette Cour au motif que les distinctions qu'il traçait étaient autorisées par la loi délégatrice puisque le libellé des dispositions de ce règlement était bien différente et prévoyait expressément la possibilité de créer des catégories de navires pour les fins de tarification. Par conséquent, la défenderesse demande à la Cour de rejeter la réclamation de la demanderesse au motif qu'elle est fondée sur un barème illégal.

[21]            La demanderesse prétend pour sa part que la décision du protonotaire est bien fondée et, à tout événement, que la défenderesse n'a pas fait la preuve qu'elle a fait l'objet d'un traitement différent et préjudiciable en raison de l'origine de son navire. De surcroît, elle prétend que le Barème est intra vires des pouvoirs du Ministre.

[22]            Dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, la Cour d'appel fédérale s'est prononcée sur la norme de contrôle d'une décision discrétionnaire d'un protonotaire. Elle exprima sa conclusion comme suit au paragraphe 95 de la décision:

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.


[23]            La décision en cause en est une qui, à mon avis, est entachée d'une erreur de droit et qui porte sur une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, ce qui fait que la Cour doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire par instruction de novo. Comme l'analyse exposée ci-bas le démontre, la Cour ne peut souscrire à la conclusion à laquelle est arrivée le protonotaire. Il y a donc lieu d'intervenir.

Dispositions législatives et réglementaires pertinentes

[24]            Le Barème s'applique à tous les navires commerciaux qui sont exploités en eaux canadiennes, à l'exception des navires exclus de la définition de "navire" de l'article 1 du Barème et à l'exception des navires exemptés aux termes de l'article 2. Outre ces deux dispositions qui prévoient respectivement les définitions et le champ d'application du Barème, celui-ci est divisé en trois parties, soit : Partie I, relative aux prix applicables à la région de l'Ouest; Partie II, relative aux prix applicables à la région des maritimes, à la région de Terre-Neuve et aux régions Laurentienne et du Centre; Partie III, relative aux dispositions générales. Les Parties I et II sont toutes deux divisées en deux sections, la première traitant des navires non canadiens et la deuxième, des navires canadiens. La Partie III établit, notamment, le prix à payer pour les navires exploités conformément à un permis d'entrée temporaire délivré en vertu de la Loi sur le Cabotage. La défenderesse fut facturée en vertu de la Partie III du Barème. Avant d'aborder l'analyse, il serait utile de reproduire les dispositions pertinentes de la Loi et du Barème.

1)        Loi sur les océans


Facturation

47. (1) Le ministre peut, sous réserve des règlements d'application du présent article éventuellement pris par le Conseil du Trésor, fixer les prix àpayer pour la fourniture de services ou d'installations au titre de la présente loi par lui-même ou le ministère, ou tout organisme fédéral dont il est, du moins en partie, responsable.

(2) Les prix fixés dans le cadre du paragraphe (1) ne peuvent excéder les coûts supportés par Sa Majesté du chef du Canada pour la fourniture des services ou des installations.

2)        Barème des droits des services àla navigation maritime

PARTIE II

PRIX APPLICABLES À LA RÉGION DES MARITIMES, À LA RÉGION DE TERRE-NEUVE ET AUX RÉGIONS LAURENTIENNE ET DU CENTRE

Navires non canadiens

6. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3) et des articles 7 et 10, le prix que doit payer, pour des services à la navigation maritime, le navire non canadien qui charge ou décharge une cargaison dans un port canadien est le produit de la multiplication du poids, en tonnes métriques, de la cargaison chargée ou déchargée, jusqu concurrence de 50 000 tonnes, par :

a) 0,16 $, pour les régions Laurentienne et du Centre;

[...]

(2) Dans le calcul du prix visé au paragraphe (1), le poids de la cargaison chargée ou déchargée ne comprend pas le poids de la cargaison transbordée qu'un autre navire a transportée et pour laquelle un prix a déjà été payé.

(3) Le prix calculé selon le paragraphe (1) ne peut dépasser 0,05 $ par tonne métrique d'agrégats et de 0,15 $ par tonne métrique de gypse.

[...]

Navires canadiens


8.(1) Sous réserve des paragraphes (2) à(5), le prix trimestriel que doit payer, pour des services àla navigation maritime, le navire canadien qui est exploitédans les eaux canadiennes de la région des Maritimes, de la région de Terre-Neuve ou des régions Laurentienne et du Centre est le produit de la multiplication de sa jauge brute par 1,25 $.

(2) Le prix trimestriel que doit payer, pour des services àla navigation maritime, le navire canadien qui est un transporteur de vrac ou un porte-conteneurs exploitédans les eaux canadiennes de la région des Maritimes, de la région de Terre-Neuve ou des régions du Centre et Laurentienne est le produit de la multiplication de 1/100 de la distance parcourue en kilomètres, arrondie au prochain nombre entier le plus élevé, par le nombre de tonnes métriques transportées au prix de 0,0076 $.

[...]

PARTIE III

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

9. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le prix que doit payer, pour des services àla navigation maritime, le navire non canadien qui est exploité dans les eaux canadiennes des régions de Terre-Neuve et des Maritimes ou des régions Laurentienne et du Centre et qui n'est pas assujetti aux autres prix fixés par le présent barème des droits est le produit de la multiplication de sa jauge brute par 0,42 $.

(2) Le prix prévu au paragraphe (1) est payé au plus une fois par mois.

10. Le prix que doit payer, pour des services àla navigation maritime, le navire non canadien qui est exploitédans les eaux canadiennes conformément àun permis d'entrée temporaire délivréen vertu de la Loi sur le cabotage est le produit de la multiplication de sa jauge brute par 0,42 $ et le nombre de mois durant lequel le permis est valide.

(mes soulignés)

La question procédurale


[25]            La demanderesse soumet que le paragraphe 18(1) de la Loi sur la Cour Fédérale prévoit que cette Cour a compétence exclusive pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral et le paragraphe 18(3) de la même loi prévoit que les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par la présentation d'une demande de contrôle judiciaire. Or, en l'espèce, en défense à l'action, la défenderesse demande à cette Cour de déclarer ultra vires et illégal le Barème sur lequel est fondé la réclamation de la demanderesse. Ce faisant, elle demande à cette Cour de rendre un jugement déclaratoire contre un office fédéral, en l'occurrence le Ministre. La demanderesse se fonde sur la décision de cette Cour dans l'arrêt Saskatchewan Wheat Pool v. Canada (Attorney General), (1993) 17 Admin. L.R. (2d) 236 pour argumenter que la jurisprudence est à l'effet qu'un ministre ou le gouverneur en conseil exerçant un pouvoir réglementaire en vertu d'une loi fédérale constitue un office fédéral et, donc, que la seule façon appropriée pour faire déclarer un tel règlement invalide est de procéder par demande de contrôle judiciaire. Ainsi, la demanderesse soumet que le protonotaire a correctement décidé que la défenderesse aurait dû procéder par voie de contrôle judiciaire pour contester la légalité du Barème et, pour ce seul motif, l'appel devrait être rejeté.

[26]            La décision de cette Cour dans l'arrêt Saskatchewan Wheat Pool ne présente pas à mon avis une solution définitive à la présente affaire car elle doit être nettement distinguée de cette dernière. Dans cet arrêt, les procédures étaient intentées par la demanderesse Saskatchewan Wheat Pool par voie de contrôle judiciaire contre le procureur général du Canada pour faire déclarer ultra vires les Règlements édictés par le gouverneur en conseil en vertu du la Loi sur la Commission canadienne du blé, L.C. 1985, ch. C-24. Or, en l'espèce, la défenderesse n'a opposé la validité du Barème qu'en réponse à une action qui fut intentée contre elle par la demanderesse pour recouvrement de frais. Je reproduis ici les extraits pertinents de la décision du juge Rothstein (alors juge de première instance) par souci de commodité :


2 The proceedings were commenced by way of notice of motion for judicial review pursuant to section 18.1 of the Federal Court Act, R.S.C. 1985, c. F-7, as amended. In the course of setting this matter down for hearing, the question of whether these proceedings should be by way of application for judicial review under section 18.1 or by way of action and statement of claim was considered by the parties.

3 Counsel for the Saskatchewan Wheat Pool was of the view that the appropriate procedure might be that of an action commenced by way of statement of claim. Counsel for the respondent did not object to this approach, and an agreement was reached that the matter should proceed by way of action instead of by way of application for judicial review. A document dated August 30, 1993, entitled Agreement as to Procedure was filed to this effect.

4 As the matter presently stands, there is filed a motion seeking judicial review and a statement of claim commencing an action and a statement of defence in response. While there is no doubt that between the two procedures the matter is properly before the Court, (and I will grant the extension of time sought with respect to the filing of the application for judicial review) for the sake of clarity, I will briefly express my views as to the appropriate procedure in a case such as this.

[...]

6 When the Governor in Council acts pursuant to a statute, it is a federal board. See for example, National Anti-Poverty Organization v. Canada (A.G.), [1989] 1 F.C. 208(T.D.), reversed without comment on this point, [1989] 3 F.C. 684 (F.C.A.).

[...]

8 It would appear from these provisions [section 18] that in challenging a decision or order of the Governor in Council made pursuant to statutory authority, the correct and only procedure is to proceed by way of originating notice under section 18.1 of the Federal Court Act as was originally done here.

[...]

12 Section 18 is a specific statutory provision which deals with prerogative writs and declarations in respect of decisions and orders of federal boards, commissions and other tribunals. As I read section 18, it clearly provides that proceedings brought against the Attorney General of Canada for declaratory relief in respect of a decision or order of a federal board, commission or other tribunal are to be brought by way of application for judicial review under section 18.1 and in no other way. The fact that the parties have agreed that the Federal Court shall decide a question of law does not derogate from section 18. If the question relates to a federal board, commission or other tribunal, judicial review is the proper procedure. Nor do I see any distinction in the definition of federal board, commission or other tribunal or in section 18 that would exclude from the ambit of section 18 the Governor in Council or any other federal board when acting in a legislative capacity.


13 No explanation has been provided that satisfies me that Parliament would have intended that legislative acts of federal boards, commissions or other tribunals should be challenged by way of action while decisions or orders of a judicial, quasi-judicial or administrative nature should be challenged by way of judicial review. Indeed, the amendments to the Federal Court Act brought into force on February 1, 1992, were introduced, at least in part, to clarify and simplify proceedings in the Federal Court. At this time, when the courts are tending to move away from technical distinctions, I do not think Parliament, in enacting the February 1, 1992 amendments to the Federal Court Act, would have intended that there be a subtle distinction between the way in which proceedings are brought to challenge legislative actions as opposed to actions of a judicial, quasi-judicial or administrative nature. No useful purpose would be served by such a distinction.

14 I am fully satisfied that the proceedings as originally framed under section 18.1 were properly brought. However, in order to avoid unproductive procedural objections at the appeal stage of these proceedings, I will allow the statement of claim and agreement as to procedure between counsel to subsist as filed.

(mes soulignés)

[27]        Les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour Fédéraledisposent :

18.(1) Sous réserve de l'article 28, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour_:

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l'alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d'obtenir réparation de la part d'un office fédéral.

[...]

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d'une demande de contrôle judiciaire.

18.1(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut:

a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;


b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

(mes soulignés)

[28]            À ma lecture de ces dispositions, il m‘apparaît clair que les recours intentés contre un office fédéral pour jugement déclaratoire contre toute "décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte" de cet office doivent l‘être par voie de contrôle judiciaire et pas autrement. Contrairement à la conclusion du protonotaire, ces dispositions ne prévoient pas d'autres exigences statutaires auxquelles la défenderesse aurait pu "échapper" en déposant une défense à une action intentée par la demanderesse. Les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour Fédérale stipulent que toute personne ayant l'intention de se pourvoir contre une "décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte" d'un office fédéral doit procéder par voie de contrôle judiciaire. Or, en l'espèce, rien n'obligeait la défenderesse à attaquer de façon préventive (une sorte de pre-emptive strike) la "décision" de la demanderesse de lui réclamer une somme d'argent pour services rendus et ce, dès l'instant où la facture du 3 mars 1998 lui a été transmise, alors même qu'aucune mesure concrète n'avait été encore été prise contre elle. De surcroît, les Règles 175, 178 et 183(c) sont très claires à l'effet que, une fois une action intentée contre une personne, cette dernière peut et même se doit de soulever et plaider dans sa défense tout point de droit qui pourrait entraîner le rejet d'une cause d'action.


[29]            Ce n'est qu'en réponse à une action que la demanderesse a choisi elle-même d'intenter contre la défenderesse que cette dernière cherche à faire déclarer un tel règlement invalide.

La question de fond

La défenderesse a-t-elle étédésavantagée parce qu'elle exploitait un navire non canadien?


[30]            Pour pouvoir invoquer que le Barème est illégal parce qu'il impose une tarification différente pour les navires canadiens par rapport aux navires non canadiens et qui favorise nettement les navires canadiens en ce qui concerne les vraquiers et porte-conteneurs, la défenderesse devait d'abord établir qu'elle a effectivement été désavantagée en raison de l'exploitation d'un vraquier ou porte-conteneur non canadien. En effet, la défenderesse prétend qu'un tarif moins élevé lui aurait été chargé si elle avait exploité un navire canadien puisque, selon elle, elle aurait été chargée sous le paragraphe 8(2) du Barème applicable aux porte-conteneurs et transporteurs de vrac canadiens et non en vertu de l'article 10. C'est pour cette raison qu'elle prétend qu'il y a discrimination. Or, il n'y a aucune preuve au dossier permettant de conclure que le navire de la défenderesse aurait été chargé en vertu du paragraphe 8(2) s'il avait été un navire canadien. Le paragraphe 8(2) est une disposition d'exception qui ne s'applique qu'aux porte-conteneurs et aux transporteurs de vrac, tels que définis au Barème, et rien dans la preuve ne démontre qu'en l'espèce le M.V. Bjorn se qualifiait sous l'une ou l'autre de ces définitions, la défenderesse n'ayant produit aucune preuve au dossier à cet effet.

[31]            À l'audience devant cette Cour, la demanderesse fit valoir que la défenderesse n'a déposé aucune preuve au dossier devant le protonotaire démontrant que le M.V. Bjorn était un transporteur de vrac. Une requête a alors été déposée par la défenderesse en vertu de la Règle 60 des Règles de la Cour Fédérale, 1998 afin de remédier à cette lacune dans sa preuve, alors que l'appel de la décision du protonotaire était déjà pris en délibéré depuis près d'une semaine. Compte tenu de l'état de la présente affaire au stade avancé de l'appel de la décision du protonotaire, je rejetterais la requête de la défenderesse pour les motifs exposés ci-bas.


[32]            Il est bien établi en jurisprudence que le juge siégeant en appel d'une décision d'un protonotaire est lié par le dossier tel que constitué devant celui-ci : James River Corp. of Virginia v. Hallmark Cards Inc. et al. (1997), 126 F.T.R. 1 aux pp. 9-10. Suivant la première branche du test établi par la Cour d'appel fédérale dans Brunckost (Frank) Co. et al. v. Gainers Inc. et al., [1993] F.C.J. No. 874 (QL) (C.A.F.), une partie ne peut être autorisée à déposer de la preuve au stade de l'appel que si elle ne pouvait raisonnablement connaître l'existence de cette preuve en première instance ou que ces éléments de preuve n'étaient pas disponibles à ce moment-là : Symbol Yachts Ltd. c. Pearson, [1996] 2 C.F. 391 aux pp. 398-400. En l'espèce, par sa requête, la défenderesse désire mettre en preuve le permis d'entrée temporaire émis en vertu de la Loi sur le Cabotage qui, selon elle, démontre que son navire était un transporteur de vrac au sens du Barème et qui indique la quantité de marchandises transportées par elle entre un point A et un point B. Or, ce permis a été délivré à la défenderesse en 1998. Il est donc évident que ce permis et les données factuelles qu'il contient étaient connus de la défenderesse à l'époque où elle pouvait déposer ses affidavits en première instance en vertu de la Règle 299 qui prévoit que la preuve dans les actions simplifiées se fait par affidavits. Pour ce seul motif, la requête devrait être rejetée.


[33]            De surcroît, à l'audition en première instance, le protonotaire a signalé au procureur de la défenderesse que certaines des allégations contenues à sa défense n'avaient pas été prouvées vu qu'aucun affidavit n'avait été produit par la défenderesse dans le cadre de l'action simplifiée. Suite à cette intervention du protonotaire, jamais le procureur de la défenderesse n'a manifesté son intention de déposer en preuve ledit permis ou quelqu'autre élément de preuve. La défenderesse n'a pas non plus demandé à cette Cour, avant l'audition de l'appel, la permission de déposer la nouvelle preuve et ce, malgré le fait que la demanderesse a clairement indiqué dans son dossier de réponse son argument fondé sur l'insuffisance de la preuve de la défenderesse. Ainsi, il est maintenant trop tard pour le faire et une telle requête pour déposer de la nouvelle preuve ne peut être faite à l'heure actuelle, alors que l'appel a été pris en délibéré.

[34]            Devant l'absence de preuve que le M.V. Bjorn était un transporteur de vrac, il faut présumer que si celui-ci avait été un navire canadien, on lui aurait chargé le tarif applicable aux navires canadiens ordinaires, lequel est prévu au paragraphe 8(1) du Barème. Or, le tarif chargé aux navires canadiens ordinaires (c'est-à-dire qui ne sont ni des porte-conteneurs ni des transporteurs de vrac) en vertu de cette disposition est le même que celui chargé au navire non canadien exploité en vertu d'un permis de cabotage et visé par l'article 10, bien que calculé d'une manière différente. Ainsi, il appert qu'il n'y aucune preuve au dossier permettant de conclure que la défenderesse aurait été assujettie à un tarif moins élevé si elle avait exploité un navire canadien. La défenderesse n'ayant aucunement démontré qu'elle a été désavantagée parce qu'elle a exploité un navire non canadien, elle ne peut donc fonder son attaque de la légalité du Barème sur cette prémisse.


Le Barème est-il valide même s'il prévoit une tarification par catégories de navire fondée sur la nationalité?

[35]            Même en prenant pour acquis que la défenderesse a souffert d'une différence de traitement en raison du fait qu'elle exploitait un navire non canadien, je suis d'avis que le Ministre avait le pouvoir d'édicter un barème prévoyant une tarification par catégories de navire fondée sur la nationalité.

[36]            La demanderesse a reconnu que le Barème distingue entre navires canadiens et navires étrangers dans l'imposition des droits payables par les utilisateurs des services à la navigation maritime. Il s'agit donc seulement de déterminer si la Loi autorise un tel traitement discriminatoire.


[37]            Pour établir la validité de l'article 10 du Barème, il faut interpréter la Loi et déterminer si celle-ci permet au gouverneur en conseil de fixer les droits payables par les utilisateurs des services à la navigation maritime en distinguant entre navires canadiens et navires étrangers. Il est acquis, à partir de documents mis en preuve (Affidavit de Tim Meisner), que l'objectif poursuivi par le législateur en adoptant les articles 47 et suivants de la Loi est le recouvrement des bénéficiaires des services de navigation maritime rendus par le gouvernement fédéral et les organismes sous son contrôle d'une partie des coûts nécessaires à la fourniture de ces services. L'objectif recherché par le gouverneur en conseil en adoptant les dispositions du Barème, quant à lui, n'est pas contesté en l'espèce. Il s'agit plutôt ici de déterminer si celui-ci est conforme à celui envisagé par le Parlement dans la loi habilitante[2].


[38]            L'article 47 de la Loi octroie au Ministre un large pouvoir discrétionnaire de fixer des prix pour les différents services fournis par les ministères ou organismes fédéraux sous sa juridiction, dont les services à la navigation maritime fournis par la GCC. Outre les limites de common law telle la mauvaise foi ou l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans un but impropre qui ne s'appliquent pas en l'espèce, les seules limites au pouvoir du Ministre sont les suivantes. D'une part, les droits doivent viser, aux termes du paragraphe 47(1) de la Loi, un service relevant de la responsabilité du Ministre. En l'espèce, cette condition est respectée vu l'article 41 de la Loi. D'autre part, en vertu du paragraphe 47(2) de la Loi, les droits recouvrés ne doivent pas excéder le coût des services rendus. Enfin, en vertu de l'article 50 de la Loi, le ministère a l'obligation de consulter les personnes qu'il juge intéressés avant de fixer des prix. Ces deux conditions sont également respectées tel qu'il appert de la preuve.

[39]            La disposition habilitante n'impose pas d'autres limites au pouvoir du Ministre et, à mon avis, elle permet la création de catégories d'usagers fondée sur la nationalité des navires. En effet, le Ministre étant habilité à fixer "les prix pour la fourniture de services", il peut fixer divers prix, selon différents critères, pour différentes catégories de navires visées par le Barème, et il peut même s'abstenir de fixer des prix pour certaines catégories de navires. Le Ministre n'est pas limité à fixer un seul prix applicable à toutes catégories de navires pour le même service[3]. La version anglaise du texte de l'article 47 confirme d'ailleurs cette interprétation. En effet, les mots "may fix the fees to be paid for a service" démontrent que plusieurs prix peuvent être établis pour le même service sans aucune restriction.    

[40]            Le procureur de la défenderesse m'invite à décider que l'article 47 n'autorise pas le Ministre à fixer les droits payables par les utilisateurs des services à la navigation maritime en distinguant entre catégories de navires puisque le libellé de cet article est différent de celui de l'article 19 du Règlement de 1996. Ce dernier habilitait expressément le Ministre "à fixer par règlement le prix à payer, individuellement ou par catégorie, par la bénéficiaires des services ou les usagers des installations", ce qui n'est pas le cas de la nouvelle disposition.

[41]            Il est évident, à la lecture de l'article 47 de la Loi, que cette dernière n'autorise pas expressément le gouverneur en conseil à édicter des règlements imposant une tarification par catégories de navire fondée sur la nationalité. Cependant, l'administration de la Loi exige implicitement que le Barème puisse distinguer entre certaines catégories de navire pour des raisons valables. L'objectif du législateur et la réalité entourant la navigation maritime commerciale permet, je pense, de conférer un statut spécial, par exemple, aux vraquiers et porte-conteneurs et permettrait aussi, à mon avis, de considérer dans une classe à part les navires non canadiens pour fins d'imposition de frais (Affidavit de Tim Meisner aux para. 7, 21, 41-45). Les propos de la Cour fédérale - section de première instance dans l'affaire The Canadian Shipowners Association précitée sont d'une grande pertinente sur ce point :


3 [...] For Canadian ships, the fee is payable annually. Non-Canadian ships pay the fee on a periodic basis when entering or navigating Canadian waters in the Western Region and on loading or unloading cargo in other regions. The mode of imposition of the fees vary according to ships' flag, type of vessels or the condition under which the vessel entered into Canada. It also varies by Western, Central and Atlantic region.

[...]

10 The Marine Navigation Services Fees Regulations prescribes fees for one class of users, namely, commercial shipping. The fact that the Regulations prescribe different fee structures and modes of imposition of those fees to reflect different operations within the commercial shipping industry, does not create new classes of users nor does it constitute discrimination as alleged by the applicants. The fee structure for the West Coast, after extensive consultation between the shipping industry and the Canadian Coast Guard, is based on vessels' Gross Registered Tonnage, which is applicable to both Domestic and Foreign ships. The fees for Canadian Flag Vessels are structured on an annual basis because the Canadian Coast Guard does not have access to domestic activity on a trip by trip basis. The data for domestic activity is available on an annual basis for the purpose of developing and structuring a fee.

11 In the Atlantic and Central Regions, the fee for foreign vessels are based on cargo tonnage, reflecting the feedback received from the marine industry that indicated a preference for cargo based fees. The fees for Canadian Flag vessels are structured on an annual basis because the Coast Guard does not have access to domestic activity such as movements and cargo loaded/unloaded on a trip by trip bases. The data for domestic activity is available on an annual basis for the purpose of developing and structuring a fee. The fee for Other Foreign flags non-cargo is a rate per vessel Gross Registered Tonnage since they do not load or unload cargo. The fee for foreign Flag Cruise ships is a flat fee per visit to a Canadian port because they do not load or unload cargo and as well, it reflects the preference of the Cruise industry. The Coasting trade vessels are foreign vessels (cargo and non-cargo) that must obtain a licence to operate in the domestic industry. The fee is based on the length of the licence.

12 Furthermore, impliedly contained within legislation's discretionary power to create classes of uses, is the Governor in Council's power to include or exclude certain types of ships from payment of fees [...].

[...]

13 I am satisfied therefore that the evidence does not support any allegation of discrimination concerning the fee structure and mode of imposition contained in the Regulations. In all cases, it is clear that the Regulations were made for valid reasons and in good faith.

[...]


16 In summary therefore, section 19 of the Financial Administration Act explicitly authorizes the imposition of fees or charges for the services provided by Her Majesty on users or classes of users. The class of users towards which the Marine Navigation Services Fees Regulations are aimed is the commercial shipping industry operating in Canadian waters. The rationale for the different fee structure prescribed by the Regulations is based on the reality behind the operation of ships in Canada by the commercial shipping industry and were designed after extensive consultation between the Canadian Coast Guard and the industry.

[42]            Je ne partage donc pas l'avis du procureur de la défenderesse à l'effet que seul un texte législatif exprès permet l'établissement, par règlement, de catégories ou de sous-catégories de navires fondée sur la nationalité pour fins de tarification.   

[43]            D'ailleurs, le principe selon lequel une habilitation générale à fixer des prix ou des droits pour services rendus par des ministères ou organismes fédéraux permet à l'administration fédérale de fixer des prix par catégories d'usagers est bien établi en jurisprudence.


[44]            Dans l'affaire Aerlinte Eirann Teoranta c. Canada, [1987] 3 C.F. 383 de cette Cour et portée devant la Cour d'appel en 1990 ((1990), 68 D.L.R. (4th) 220), plusieurs compagnies aériennes contestaient le Règlement sur les taxes des services aéronautiques (Air Services Fees Regulations) qui prévoyaient des droits d'atterrissage plus élevées pour certaines catégories de vols. Les vols transocéaniques faisaient l'objet de droits plus élevés que les vols internationaux qui, à leur tour, faisaient l'objet de droits plus élevés que les vols domestiques. Ces taxes étaient établies en fonction du poids des aéronefs et la preuve avait démontré que le coût de construction et d'entretien des pistes et d'accueil des passagers était plus élevé dans le cas des vols transocéaniques. Les compagnies demanderesses qui fournissaient des vols transocéaniques contestaient ledit Règlement qu motif, notamment, qu'il était discriminatoire à leur égard. Le Règlement était édicté en vertu de l'article 5 de la Loi sur l'aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2, disposition similaire à l'article 47 de la Loi et qui prévoyait que :

5. Le gouverneur en conseil peut établir des règlements, ou, en conformité des modalités qu'il peut spécifier, autoriser le Ministre à établir des règlements prescrivant la taxe relative à l'utilisation

a) d'une installation ou d'un service fournis par le Ministre ou en son nom, pour un aéronef ou relativement à un aéronef; et

b) d'une installation ou d'un service qui ne sont pas visés par l'alinéa a) et qui sont fournis à un aéroport, par le Ministre ou en son nom.

[45]            Relativement à la portée de cette disposition, le juge Muldoon écrivait ceci aux pp. 391-392 de la décision en première instance :

Le pouvoir discrétionnaire conféré au gouverneur en conseil et, subsidiairement, au Ministre des Transports, est général, étendu et pratiquement absolu. Ce pouvoir discrétionnaire de prescrire une taxe pour l'utilisation de toute installation ou de tout service par le ministre ou en son nom, à tout aéroport et relativement à tout aéronef, comporte celui de taxer ou non l'utilisation de toute installation ou de tout service, ou encore de taxer certains services et non d'autres.

[46]            Quant à l'aspect discrimination proprement dit, le juge se dit d'avis que la jurisprudence portant sur la discrimination applicable en droit municipal n'était pas applicable aux règlements adoptés par le gouverneur en conseil ou un ministre de la Couronne et conclut que ni la discrimination ni le caractère déraisonnable des règlements pris par l'exécutif ne constituaient des motifs pour les annuler (pages 399-403 de la décision). Selon lui, le pouvoir d'établir des règlements prescrivant une taxe pour l'utilisation d'installations et de services sans autres entraves comporte le pouvoir de créer des catégories d'usagers. Je ne puis souscrire à l'argument du procureur de la défenderesse à l'effet que le ratio de cette affaire ne peut trouver application en l'espèce puisque la Loi sur l'aéronautique prévoyait un pouvoir de taxation et non un pouvoir de recouvrement de frais pour services rendus. À mon avis, le mode d'imposition (taxes/frais) n'a aucun impact sur la question de la validité du Barème en l'espèce.

[47]            Dans l'arrêt Compagnie de publication La Presse c. Procureur Général du Canada, [1967] R.C.S. 60 sur lequel se fondait le juge Muldoon dans Aerlinte, la Cour Suprême du Canada en était venu à une conclusion similaire relativement à un règlement portant sur les droits de licence à payer en matière de radio-diffusion. Dans cette affaire, l'article 3 de la Loi sur la Radio, S.R.C. (1952), ch. 233 stipulait que :

3. Le gouverneur en conseil peut

a) prescrire le tarif des droits à payer pour les licences et pour l'examen relatif aux certificats de capacité détenus et émis en vertu de la présente loi.


[48]            En vertu de cette disposition, le gouverneur en conseil édicta un règlement qui fixait des droits de licence plus élevés pour les compagnies qui avaient des revenus bruts de plus de 200,000 $. La Presse, qui entrait dans cette catégorie, contesta le règlement au motif qu'il était discriminatoire à son égard. Le juge Abbott, pour la majorité, rejeta l'argument en ces termes à la p. 75 de la décision :

As to the alleged discriminatory character of the regulation, I am not satisfied that it is in fact discriminatory. In any event s.3 of the Act puts no limitation upon the powers of the Governor in Council to prescribe licence fees. That such fees may in fact be discriminatory, in my opinion, affords no legal ground of attack upon the validity of the Order.

[49]           Ainsi, l'on remarque que le caractère discriminatoire d'un règlement édicté par l'exécutif, et qui fixe des droits d'usage pour services rendus, en vertu d'une habilitation législative générale a peu ou pas d'effet sur sa validité. La Cour d'appel fédérale dans l'affaire Aerlinte a d'ailleurs confirmé à l'unanimité, à la p. 228 de sa décision, les propos du juge Muldoon sous la plume du juge Heald en ces termes :

On the basis of this factual situation, the submission with respect to discrimination cannot be sustained. However, having said this, I must add that even if the record established discrimination, the result would not be any different. I agree with the trial judge that "... neither discrimination nor even unreasonableness is a ground for quashing regulations enacted by the executive ... I also agree with him that "The power to make regulations prescribing charges for use of facilities and services without further fetter, is the power to establish categories of users"".


[50]            Suivant cette jurisprudence, je suis d'avis que le Ministre avait le pouvoir, en vertu de l'article 47 de la Loi, de prévoir une manière différente de tarification pour services à la navigation maritime rendus, à l'égard des navires canadiens et les navires non canadiens. Le Barème contesté en l'espèce est donc intra vires des pouvoirs du Ministre, celui-ci ayant le pouvoir de créer des catégories d'usagers fondées sur la nationalité des navires aux fins de la tarification de ses services.


[51]            Si l'on acceptait la position de la défenderesse, le Ministre serait placé dans une situation où non seulement il devrait charger tous les navires profitant de ses services, mais il devrait aussi les charger selon un seul et même tarif. Il n'y aurait donc qu'un seul prix s'appliquant à tous les navires, peu importe leur catégorie, leurs activités et la région où s'exercent celles-ci. À mon avis, une telle position va non seulement à l'encontre du texte de l'article 47 de la Loi dont le libellé est assez large pour permettre la création de catégories fondées sur la nationalité des navires aux fins de fixer les droits, mais aussi à l'encontre de l'intention du législateur. En effet, celui-ci n'aurait pas octroyé de pouvoirs de fixer des prix si son intention était de fixer un seul prix pour tous puisqu'il n'aurait eu qu'à indiquer ce prix dans la Loi directement. Ainsi, pour pouvoir donner un sens au pouvoir conféré au Ministre en vertu de l'article 47 de la Loi, celui-ci doit être interprété comme l'autorisant à créer différentes catégories d'usagers, y compris une catégorisation fondée sur la nationalité des navires (canadiens et non canadiens), aux fins de la fixation des prix pour services rendus.

                                                                                                

[52]            Je voudrais, en terminant, commenter brièvement la décision de cette Cour dans l'arrêt Canada c. St. Lawrence Cruise Lines Inc., [1997] 3 C.F. 899. Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale déclara invalide et ultra vires les dispositions d'un Règlement qui imposaient des droits particuliers, calculés en fonction du nombre de passagers, relativement aux seuls navires de croisière utilisés "pour un voyage au cours duquel les passagers sont à bord pour au moins une nuit" pour le motif qu'elles étaient discriminatoires. Le législateur avait pris soins, de manière exceptionnelle, d'ajouter au texte de la Loi sur les ports et installations portuaires publics, L.R.C. (1985), ch. P-29 une exigence de "garantir l'égalité de traitement", ce qui démontrait, selon la Cour d'appel, "qu'il a voulu conférer aux usagers des ports canadiens des droits plus amples que ceux qui découlent de l'exigence implicite de non-discrimination que les tribunaux importent généralement dans les textes de loi". Or, aucune disposition semblable ou analogue n'est contenue dans la Loi sur les océans, ni dans la Loi sur l'aéronautique. Cet arrêt doit donc être nettement distinguée de l'affaire en l'espèce et ne peut être d'aucun secours à la défenderesse.

[53]            Puisque je suis arrivé au terme du délibéré, pour les motifs exposés ci-dessus, à la conclusion que le Barème n'était pas discriminatoire en vertu du droit administratif en distinguant entre navires canadiens et navires étrangers pour fins de tarification des services à la navigation maritime, je n'ai pas à décider si les principes applicables en matière de discrimination au sens du droit municipal le sont aussi vis-à-vis les règlements émanant de l'exécutif.

Dispositif

[54]            Pour ces motifs, j'accueille l'appel en ce qui a trait à la décision du protonotaire quant à la possibilité de contester la légalité d'un règlement fédéral autrement que par une demande de contrôle judiciaire et le rejette en ce qui concerne la décision sur le fond. La défenderesse est donc tenue au paiement de la somme de 7 052,36 $ avec intérêts au taux prescrit au Règlement sur les intérêts et les frais administratifs, et ce à compter du 2 avril 1998. Les dépens sont adjugés à la demanderesse.

ligne

      JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 16 mai 2002


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                         

DOSSIER :                     T-1184-00

INTITULÉ:                    Sa Majesté la Reine et Mid Atlantic Minerals Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :         Montréal, Quebec

DATE DE L'AUDIENCE :         le 10 avril, 2002

MOTIFS de l'ordonnance et ordonnancedu juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :           le 16 mai, 2002

COMPARUTIONS:

Me Bernard Letarte                                 POUR LE DEMANDEUR

Me André Braen                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Morris Rosenberg                                   POUR LE DEMANDEUR

Sous-procurer général du Canada

Marler & Associés                                  POUR LE DÉFENDEUR

Montréal, Québec



[1] La Cour fédérale a compétence pour entendre cette action de la Couronne contre un particulier, en vertu de la compétence générale que lui confère l'art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] en matière de droit maritime canadien; l'art. 22(2)s), notamment, donne compétence à la Cour fédérale eu égard à "une demande de remboursement des droits de bassin, de port ou de canaux, notamment des droits perçus pour l'utilisation des installations fournies à cet égard".

[2] J.M. Keyes, Executive Legislation, Butterworths : Toronto, 1992 aux pp. 225-227

[3] À ce sujet, il convient de citer l'arrêt Forget c. Québec (Procureur Général), [1988] 2 R.C.S. 90 où le juge Lamer écrivit au para. 32 du jugement majoritaire de la Cour Suprême du Canada que : "Cette disposition n'oblige pas l'Office à n'adopter qu'un seul moyen pour mesurer le niveau de connaissance du français. Au contraire, l'emploi du terme "peuvent" indique bien que le législateur a entendu conférer à l'Office une discrétion quant aux modalités de preuve qu'il doit établir par règlements. En vertu de l'art. 35 de la loi, l'Office a le pouvoir d'édicter tout mode de preuve qu'il juge nécessaire pour apprécier la connaissance appropriée du français des postulants, notamment la tenue d'examens et la délivrance d'attestations. En donnant à l'Office le droit d'établir, par règlements, diverses façons permettant d'évaluer la connaissance du français, la loi confère implicitement à l'Office le pouvoir de distinguer entre classes de postulants. Si le législateur avait voulu que la connaissance de la langue française s'apprécie par un seul mode de preuve applicable à tous les aspirants professionnels, il aurait clairement exprimé cette intention".


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