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Date : 19990705


Dossier : T-1412-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 5 JUILLET 1999

EN PRÉSENCE DU      JUGE LEMIEUX

ENTRE :

     RIDOUT & MAYBEE,

     demanderesse,

     - et -

     SEALY CANADA LTD./LTÉE,

     défenderesse.

     ORDONNANCE

     Pour les motifs ci-joints, l"appel est rejeté avec dépens.

    

J U G E

Traduction certifiée conforme :

Richard Jacques, LL. L.

Date : 19990705

Dossier : T-1412-98

ENTRE :

     RIDOUT & MAYBEE,

     demanderesse,

     - et -

     SEALY CANADA LTD./LTÉE,

     défenderesse.

    

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

A.      INTRODUCTION

[1]      Il s"agit d"un appel interjeté en vertu de l"article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, (la " Loi ") contre une décision du registraire des marques de commerce (le " registraire ") en date du 12 mai 1998, mettant en cause la radiation pour non-emploi prévue à l"article 45 de la Loi.

[2]      Le paragraphe 45(1) de la Loi dispose ce qui suit :


45. (1) The Registrar may at any time and, at the written request made after three years from the date of the registration of a trade-mark by any person who pays the prescribed fee shall, unless the Registrar sees good reason to the contrary, give notice to the registered owner of the trade-mark requiring the registered owner to furnish within

three months an affidavit or a statutory declaration showing, with respect to each of the wares or services specified in the registration, whether the trade-mark was in use in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since that date.

45. (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l'enregistrement d'une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu'il ne voie une raison valable à l'effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l'égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l'enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l'avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date.

[3]      Le paragraphe 45(3) prévoit qu"une marque de commerce est " susceptible de radiation " du registre des marques de commerce s"il " apparaît " au registraire que la marque de commerce n"a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant immédiatement la date de l"avis et que le défaut d"emploi n"a pas été attribuable à " des circonstances spéciales qui le justifient ".

[4]      La question fondamentale en cause en l"espèce est de savoir si le défaut d"emploi d"une marque de commerce enregistrée par le propriétaire inscrit est justifié par des circonstances spéciales.

B.      HISTORIQUE

[5]      Sealy Canada Ltée (" Sealy ") est un fabricant de meubles au Canada.. Depuis 1982, Sealy est propriétaire de la marque FANTASY enregistrée en vue de l"emploi en liaison avec des matelas et des sommiers à ressorts, des divans-lits, des canapés et des fauteuils ainsi que des lits réglables.

[6]      Le 10 octobre 1996, à la demande du cabinet d"avocats et des agents de marque de commerce Ridout and Maybee, le registraire a donné un avis à Sealy au titre du paragraphe 45(1), lui enjoignant d"indiquer, pour la période allant du 10 octobre 1993 au 10 octobre 1996, si sa marque de commerce FANTASY avait été employée ou si des circonstances spéciales justifiaient son défaut d"emploi.

[7]      Sealy, en réponse à l"avis du registraire, a déposé l"affidavit de Craig Dunlop, vice-président principal et chef de l"exploitation de la société depuis 1984. M. Dunlop, dans son affidavit, a déclaré que Sealy avait, depuis le 26 novembre 1982, employé sa marque de commerce FANTASY en l"inscrivant sur des étiquettes apposées de manière permanente sur chaque article produit et vendu de sa ligne de matelas et sommiers à ressorts.

[8]      Dans son affidavit, M. Dunlop a déclaré qu"au début de 1985, Sealy avait vendu sa ligne de matelas et sommiers à ressorts FANTASY en exclusivité à la Compagnie T. Eaton (" Eaton ") pour la vente au détail dans ses magasins Eaton, et que des ventes d"une valeur de 5 000 000 $ ont été conclues [TRADUCTION] "sur une base régulière et significative au cours de la période de janvier 1985 à novembre 1993 ".

[9]      M. Dunlop a ajouté aux paragraphes 7, 8 et 9 de son affidavit :

                 7.          [TRADUCTION] À la suite de l"arrêt des ventes de la ligne de produits FANTASY à Eaton en novembre 1993, Sealy a tenté de trouver un autre détaillant auquel il pourrait fournir en exclusivité sa ligne de produits FANTASY. Ces efforts se sont déroulés de manière continue de janvier 1994 à août 1996.                 
                 8.          Les efforts de Sealy pour trouver un autre détaillant ont été accompagnés d"activités suivies de développement de nouveaux produits et, en outre, de pourparlers continus avec Eaton en vue de renouer l"accord antérieur de vente au détail.                 
                 9.          Les recherches de Sealy pour trouver un détaillant régulier ayant l"exclusivité des matelas et sommiers à ressorts de marque FANTASY ont été affectées par le ralentissement général de l"activité économique au début de la décennie 90. Dans le contexte économique incertain de l"époque, la demande des consommateurs pour des produits à prix relativement élevés a chuté, entre autres pour les gros articles de ménage comme les matelas et les sommiers à ressorts, dont les produits de Sealy. Par conséquent, Sealy n"a pas réussi, jusqu"à récemment, à intéresser un détaillant à vendre une ligne de produits portant la marque FANTASY.                 

[10]      Au paragraphe 10 de son affidavit, M. Dunlop indique qu"en août 1996, Sealy a engagé des négociations avec The Brick Warehouse Limited ("The Brick") pour la production et la fourniture à The Brick de ses matelas et sommiers à ressorts FANTASY. M. Dunlop déclare qu"en septembre 1996, The Brick a pris un engagement verbal [TRADUCTION] "d"acheter à Sealy des matelas et des sommiers à ressorts pour en faire une ligne courante d"articles de literie faisant l"objet de promotions régulières dans les magasins The Brick ". M. Dunlop déclaré que des commandes ont été effectivement placées au cours de la période d"octobre à décembre 1996. M. Dunlop a annexé à son affidavit des commandes de The Brick. La première est datée du 10 octobre 1996 pour une livraison le 28 octobre 1996, à l"établissement de The Brick à Edmonton, d"une quantité de matelas et sommiers à ressorts de la ligne FANTASY de Sealy.

[11]      M. Dunlop a expliqué les circonstances spéciales reliées au défaut d"emploi de sa marque de commerce FANTASY pendant la période visée dans les termes suivants :

                 12.          [TRADUCTION] Que Sealy n"a pas et n"a jamais eu l"intention pendant la période visée d"abandonner la marque de commerce FANTASY.                 
                 13.          Que le défaut d"emploi de la marque de commerce FANTASY au cours de la période de novembre 1993 à août 1996 était indépendant de la volonté de Sealy, et qu"il résultait d"une incapacité temporaire de trouver un détaillant pour les marchandises produites et vendues sous la marque de commerce FANTASY. Que cette incapacité de trouver un détaillant s"est produite malgré des recherches suivies et intenses pour en trouver un, ces efforts étant affectés par la conjoncture économique du Canada au cours de la période de défaut d"emploi de la marque de commerce.                 
                 14.          Que Sealy a repris l"emploi de sa marque de commerce FANTASY en vendant des matelas et des sommiers à ressorts portant la marque de commerce FANTASY à The Brick pour la vente au détail.                 

[12]      Selon l"article 45 de la Loi, l"affidavit de M.. Dunlop est le seul affidavit que peut recevoir le registraire et le contre-interrogatoire n"est pas autorisé.


C.      LA DÉCISION DU REGISTRAIRE

[13]      Le registraire a déterminé que la période visée se situait entre le 10 octobre 1993 et le 10 octobre 1996.

[14]      La décision du registraire ne vise effectivement que les matelas et sommiers à ressorts FANTASY de Sealy. Le registraire a fait observer que l"affidavit de M. Dunlop ne faisait pas allusion aux autres marchandises pour lesquelles la marque de commerce FANTASY avait également été enregistrée, soit des divans-lits, des canapés et des fauteuils ainsi que des lits réglables, affirmant :

                 [TRADUCTION] ... Je suis incapable de trouver quelque preuve de l"emploi à aucun moment de la marque de commerce en liaison avec ces marchandises et la preuve n"établit pas que le défaut d"emploi dans le cas de ces marchandises est attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient                 

[15]      Le registraire poursuit en décrivant le défaut d"emploi de la marque pour les matelas et sommiers à ressorts FANTASY au cours de la période visée en ces termes :

                 [TRADUCTION] Au vu des éléments de preuve dans leur ensemble, j"estime qu"ils sont insuffisants pour établir l"emploi de la marque de commerce enregistrée à un moment ou l"autre de la période visée. Bien que M. Dunlop ait allégué l"emploi de la marque entre 1985 et novembre 1993 , et qu"il ait déclaré des ventes de l"ordre de 5 000 000 $ au cours de cette période, il n"est pas clair que des ventes ont été effectivement réalisées en octobre et novembre 1993, soit les seuls mois qui tombent dans la période visée. M. Dunlop a préféré rester vague et n"a pas fourni de ventilation annuelle des ventes, ni de chiffres de ventes pour les mois d"octobre et novembre 1993, ni déclaré clairement que les ventes avaient été réalisées au cours de ces deux mois . De plus, il n"a pas joint de factures portant des dates comprises dans ces deux mois qui m"auraient permis de conclure que des ventes de ces articles avaient eu lieu au cours de ces deux mois en particulier.                 
                                 

[16]      Le registraire a cité la décision du juge Cattanach dans l"affaire Aerosol Fillers Inc. c. Plough (Canada) Ltd., 45 C.P.R. (2d) 194 (C.F. 1re inst.) aux pages 198-199; confirmée par (1980), 53 C.P.R. (2d) 62 (C.A.F.), sur l"obligations du registraire, dans ses décisions sur les questions touchant l"article 45, de veiller à recueillir des éléments de preuve fiables et à n"accorder aucun poids aux déclarations ambiguës d"un affidavit. Il a jugé que l"affidavit de M. Dunlop était ambigu, peu clair et qu"il ne démontrait pas que des ventes de matelas et de sommiers à ressorts portant la marque de commerce FANTASY avaient été conclues au cours de la période visée, interprétant cette ambiguïté contre Sealy.

[17]      Une fois constaté le défaut d"emploi au cours de la période visée, le registraire a abordé la question de savoir si Sealy avait démontré que le défaut d"emploi était imputable à des circonstances spéciales. Il a eu recours au critère des " circonstances spéciales justifiant le défaut d"emploi ", établi par la Cour d"appel fédérale dans l"affaire Le registraire des marques de commerce c. Harris Knitting Mills Ltd. (1985), 4 C.P.R. (3d) 488 et formulé dans les termes suivants :

                 Trois facteurs très importants sont à considérer. Premièrement, il faut tenir compte de la durée du défaut d"emploi de la marque de commerce. Deuxièmement, on doit déterminer si ce défaut d"emploi par le propriétaire inscrit s"explique par des circonstances indépendantes de sa volonté. Troisièmement, il faut s"enquérir de l"existence d"une intention sérieuse de reprendre dans un bref délai l"emploi de la marque.                 

[18]      En ce qui concerne le premier facteur, soit la durée du défaut d"emploi de la marque de commerce, le registraire a noté ce qui suit :

                 [TRADUCTION] S"agissant du premier facteur, la preuve du dernier emploi de la marque de commerce (avant la date de l"avis) n"est pas claire. Le déposant a déclaré au paragraphe 6 de son affidavit qu"au cours de la période visée (de janvier 1985 à novembre 1993) les ventes de matelas et de sommiers à ressorts associées à la marque de commerce ont totalisé 5 000 000 $. Dans les circonstances, je suis disposé à admettre que la marque de commerce a pu être employée jusqu"à un moment quelconque en 1993.                 

[19]      La décision du registraire quant à savoir si le défaut d"emploi de la part de Sealy était attribuable à des circonstances indépendantes de la volonté de Sealy est formulée comme suit :

                 [TRADUCTION] S"agissant des deuxième et troisième facteurs, la rupture de la relation avec la société Eaton (le détaillant exclusif) en novembre 1993 est la raison de l"arrêt de l"emploi. Il est clair que cette rupture devait avoir un effet perturbateur sur l"emploi de la marque de commerce et qu"elle représentait des circonstances indépendantes de la volonté du déposant justifiant une certaine période de non-emploi. M. Dunlop a expliqué les mesures prises par le déposant pour reprendre l"emploi de la marque, les efforts qu"il a déployés de manière continue au cours de la période de janvier 1994 à août 1996 pour trouver un autre détaillant exclusif et l"effet perturbateur de la conjoncture sur ces efforts au cours de la décennie 90. Le déposant a néanmoins engagé des négociations avec un détaillant (The Brick) en août 1996 et est parvenu à une entente verbale avec lui en septembre 1996, tous événements antérieurs à la date de l"avis. Étant donné l"arrêt des ventes à Eaton en 1993 et compte tenu du temps que peut demander au déposant la recherche d"un nouveau détaillant et les négociations avec lui, je suis d"avis qu"on peut conclure que le déposant semble avoir agi rapidement pour corriger la situation.                 

[20]      Le registraire a estimé que l"intention sérieuse de reprendre dans un bref délai l"emploi de la marque était avérée, du fait que Sealy avait négocié avec succès une entente avec The Brick avant le terme de la période visée. Au vu du témoignage de M. Dunlop, le registraire a conclu qu"il avait été démontré que le défaut d"emploi de la marque de commerce en liaison avec les matelas et les sommiers à ressorts FANTASY était imputable à des circonstances spéciales qui le justifiaient. Par conséquent, les marchandises du type matelas et sommiers à ressorts ont été maintenues au registre des marques de commerce. Les autres marchandises de marque FANTASY ont été radiées.

D.      ANALYSE

     a) Le critère de contrôle

[21]      Le paragraphe 56(1) de la Loi prévoit l"appel à la Cour :


56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.


56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.

[22]      Le paragraphe 56(5) de la Loi dispose :


56. (5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

56. (5) Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

[23]      En l"espèce, Sealy n"a pas fourni d"autre affidavit.

[24]      Bien que l"appel interjeté au titre de l"article 56 de la Loi ait été qualifié de procès de novo, parce que le propriétaire inscrit est habilité à apporter une nouvelle preuve, la Cour a indiqué que l"approche restrictive était indiquée du fait que le registraire exerce des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires et que ses décisions en matière de marques de commerce reposent sur son expérience.

[25]      Le juge Strayer, dans l"affaire Kellogg Salada Canada Inc. c. Maximum Nutrition Ltd. et al. (1987), 14 C.P.R. (3d) 133 (C.F. 1re inst.) à la page 135, s"est exprimé en ces termes sur l"approche restrictive :

                 ... j"estime cependant que la Cour devrait hésiter à infirmer la décision du registraire ou du président à moins qu"elle ne soit clairement convaincue qu"il a tiré une conclusion erronée sur les faits ou à moins qu"on ne produise devant la Cour des éléments de preuve nouveaux et importants dont le registraire n"a pas été saisi.                 

[26]      Le juge Teitelbaum, dans l"affaire 88766 Canada Inc. c. George Weston Ltd. (1987), 15 C.P.R. (3d) 260 (C.F. 1re inst.) à la page 267, a résumé la portée de l"appel interjeté d"une décision du registraire en application de l"article 56 dans les termes suivants :

                      Il n"appartient pas à la Cour, lorsqu"elle est saisie d"un appel formé contre une décision du registraire d"annuler celle-ci parce que la Cour peut arriver à une conclusion différente de celle du registraire.                 
                      Ce n"est que lorsque l"appelante peut démontrer, il lui incombe de le faire d"ailleurs, que le registraire n"a pas interprété de façon appropriée les faits dont il est saisi ou n"a pas examiné ceux-ci qu"il y a lieu pour la Cour de modifier la décision du registraire.                 
                      La Cour peut modifier la décision du registraire si de nouveaux éléments de preuve de fond, sous forme d"affidavit ou de déclaration statutaire, lui sont présentés pour montrer qu"étant donné la preuve, le registraire est arrivé à une conclusion erronée.                 

     b)      L" argumentation de l"appelante

[27]      Le fondement de l"argumentation de l"appelante est la décision de la Cour d"appel fédérale dans l"affaire Plough (Canada) Ltd. c. Aerosol Fillers Inc., (précitée). Dans cette affaire, l"affidavit déposé par le propriétaire inscrit en réponse à l"avis du registraire affirmait simplement ce qui suit :

                 [TRADUCTION]                 
                 2. QUE Plough (Canada) Limited emploie actuellement et employait au 7 septembre 1978, la marque de commerce déposée PHARMACO dans la pratique normale du commerce en liaison avec des préparations pharmaceutiques.                 

[28]      La Cour d"appel fédérale a confirmé la décision du juge de première instance et la décision du registraire au motif que l"affidavit déposé par le propriétaire inscrit en réponse à l"avis du registraire n"était qu"une simple affirmation qui ne satisfaisait pas aux prescriptions de l"article 45 de fournir un affidavit ou une déclaration solennelle " indiquant ... si la marque de commerce a été employée au Canada ... et dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d"emploi depuis cette date. " [non souligné dans l"original]

[29]      Le juge en chef Thurlow, s"exprimant au nom de la Cour, a déclaré que l"article 45 prescrivait, non pas une simple déclaration d"emploi de la marque de commerce, mais une description de l"emploi de la marque au sens du terme " emploi " défini à l"article 4 de la Loi; le propriétaire inscrit était tenu d"informer le registraire de manière détaillée de la situation relative à l"emploi de la marque de commerce de manière à permettre au registraire et à la Cour siégeant en appel de se former une opinion et d"appliquer la règle de fond du paragraphe 45(3). Il a ajouté à la page 66 :

                 Il n'est pas permis à un propriétaire inscrit de garder sa marque s'il ne l'emploie pas, c'est-à-dire s'il ne l'emploie pas du tout ou s'il ne l'emploie pas à l'égard de certaines des marchandises pour lesquelles cette marque a été enregistrée.                 

[30]      Le juge en chef Thurlow a jugé que l"affidavit déposé dans l"affaire Plough Canada était insuffisant; les dispositions légales, a-t-il dit, exigeaient la démonstration des faits et non l"expression de l"opinion du propriétaire inscrit. De plus, il importait d"examiner ce que l"affidavit ne disait pas.

[31]      L"avocat de l"appelante s"est livré devant moi à une analyse de texte détaillée de l"affidavit de M. Dunlop, soulignant ses ambiguïtés, son manque de détails et l"absence de documents à l"appui. En fait, a plaidé l"avocat de l"appelante, le registraire lui-même a jugé l"affidavit de M. Dunlop si ambigu et si peu clair quant à l"emploi de la marque au cours des mois d"octobre et de novembre 1993 qu"il n"a pu conclure à un emploi.

     c)      L" objet de l"article 45 de la Loi

[32]      Dans l"affaire Plough Canada, (précitée), le juge en chef Thurlow. a adopté les motifs du président Jackett (tel était alors son titre) dans l"affaire Broderick & Bascom Rope Co. c. Le registraire des marques de commerce , 53 C.P.R. (2d) aux pages 276-277 :

                 L"article 44 [l"article 45 actuel] envisage en fait une procédure simple pour débarrasser le registre des inscriptions de marques de commerce qui ne sont pas revendiquées bona fide par leurs propriétaires comme des marques de commerce en usage. Tout ce que peut faire le registraire consiste à déterminer si la preuve fournie par le propriétaire inscrit ou son omission de fournir une telle preuve démontre que la marque de commerce est employée ou qu"il existe des circonstances justificatives. C"est la question que pose l"article 44. La décision du registraire ne règle rien de façon définitive sauf la question de savoir si l"inscription est susceptible de radiation ou non en vertu de l"article 44.                 

[33]      Dans l"affaire Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1987), 13 C.P.R. (3d) 289, le juge McNair de la Cour fédérale a décrit la finalité et la portée de l"article 45 de la façon suivante:

                      Il est bien établi que le but et l'objet de l'article 44 sont d'assurer une procédure simple, sommaire et expéditive pour radier du registre les marques de commerce qui ne sont pas revendiquées de bonne foi par leurs propriétaires comme des marques de commerce en usage. Cette procédure a été décrite avec justesse comme visant à éliminer du registre le " bois mort "". L'article 44 ne prévoit pas de décision sur la question de l'abandon, mais attribue simplement au propriétaire inscrit la charge de prouver l'emploi de la marque au Canada ou les circonstances spéciales pouvant justifier son défaut d'emploi.                 

     d)      Le critère des circonstances spéciales

[34]      Dans l"appel interjeté par Ridout & Maybee auprès de la Cour, Sealy n"a pas déposé d"autre affidavit pour démontrer l"emploi de la marque de commerce FANTASY pour des matelas et sommiers à ressorts au cours de la période d"octobre et novembre 1993. Le registraire, comme je l"ai mentionné précédemment, avait trouvé l"affidavit de M. Dunlop si peu clair qu"il n"avait pu conclure à un emploi au cours d"octobre et de novembre 1993. Je déduis de l"absence d"autre affidavit de la part de Sealy qu"il n"y a pas eu d"emploi de la marque de commerce FANTASY pour des matelas et sommiers à ressorts au cours d"octobre et de novembre 1993 et qu"il n"y a pas eu d"emploi au cours de la période visée (d"octobre 1993 à octobre 1996). En outre, Sealy n"a pas contesté la conclusion du registraire qu"il n"y avait pas de circonstances spéciales justifiant le défaut d"emploi pour les autres marchandises FANTASY radiées par le registraire.

[35]      La question à trancher est donc celle de l"existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d"emploi. Comme j"en ai déjà fait état, le registraire a appliqué le critère des circonstances spéciales établi par la Cour d"appel fédérale dans l"affaire Le registraire des marques de commerce c. Harris Knitting Mills Ltd., (précitée), que le juge Rouleau, dans Lander Co. Canada Ltd. c. Alex E. Macrae & Co. (1993), 46 C.P.R. (3d) aux pages 417 à 420 a formulé comme suit :

                      Le critère applicable en ce qui a trait aux circonstances spéciales justifiant le défaut d"emploi d"une marque de commerce se dégage de l"arrêt Le registraire des marques de commerce c. Harris Knitting Mills Ltd. (1985), 4 C.P.R. (3d) 488 (C.A.F.). Trois facteurs très importants sont à considérer. Premièrement, il faut tenir compte de la durée du défaut d"emploi de la marque de commerce. Deuxièmement, on doit déterminer si ce défaut d"emploi par le propriétaire inscrit s"explique par des circonstances indépendantes de sa volonté. Troisièmement, il faut s"enquérir de l"existence d"une intention sérieuse de reprendre dans un bref délai l"emploi de la marque.                 

[36]      Il est utile de rappeler les faits saillants des motifs du jugement du juge d"appel Pratte dans Harris Knitting Mills, (précitée). À mon avis, le juge d"appel Pratte a établi les éléments suivants :

     a)      il est impossible de définir précisément les circonstances qui peuvent, selon le paragraphe 44(3) [actuellement 45(3)], justifier le défaut d"emploi;
     b)      les circonstances justifiant le défaut d"emploi doivent être spéciales; c"est-à-dire des circonstances qui ne se retrouvent pas dans la majorité des affaires relatives au défaut d"emploi;
     c)      la raison du défaut d"emploi ne peut être volontaire de la part du propriétaire inscrit; le défaut d"emploi doit être indépendant de la volonté du propriétaire; le propriétaire inscrit doit manifester qu"au moins un inconvénient sérieux justifie l"interruption d"emploi de la marque;
     d)      la durée de l"emploi et la probabilité d"un défaut d"emploi continu constituent un facteur à considérer;
     e)      les circonstances spéciales forment une exception à la règle générale en vertu de laquelle une marque de commerce qui n"est pas employée doit être radiée.

E.      APPLICATION À L"ESPÈCE

[37]      Comment les facteurs établis dans Harris Knitting Mills ont-ils été appliqués à la présente affaire?

[38]      S"agissant du premier facteur, la durée du défaut d"emploi, M. Dunlop, au paragraphe 5 de son affidavit, a déclaré que des ventes de la ligne de produits FANTASY de Sealy ont été conclues de manière régulière et significative au cours de la période de janvier 1985 à novembre 1993. M. Dunlop n"a pas joint en annexe à son affidavit des étiquettes ou des factures pour établir l"emploi de la marque au cours de cette période. Le registraire a relevé que M. Dunlop avait déclaré qu"au cours de la période visée (de janvier 1985 à novembre 1993), les ventes de matelas et de sommiers à ressorts portant la marque de commerce avaient totalisé 5 000 000 $, et il a conclu en ces termes :

                 [TRADUCTION] Dans les circonstances, je suis disposé à admettre que la marque de commerce a pu être employée jusqu"à un moment quelconque en 1993.                 

[39]      Je partage l"avis de l"avocat de l"appelante que l"affidavit de M. Dunlop ne contenait pas les détails nécessaires pour établir précisément quand s"est produit le défaut d"emploi par Sealy de la marque FANTASY en liaison avec ses matelas et sommiers à ressorts et que c"est à tort que le registraire a présumé ou fait la conjecture que la marque de commerce FANTASY avait pu être employée [TRADUCTION] " jusqu"à un moment quelconque en 1993 ". Le paragraphe 45(1) est clair. Le propriétaire inscrit doit indiquer pour la marque " la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu ". L"affidavit de M. Dunlop ne l"a pas fait. Le registraire n"avait aucune idée du moment précis où l"emploi de la marque a cessé. Ses conclusions sur ce point n"ont été que simple conjecture. Il a fait erreur.

[40]      Le deuxième critère est que le défaut d"emploi doit être indépendant de la volonté du propriétaire inscrit. Encore ici, je partage l"avis de l"avocat de l"appelante sur le fait que l"affidavit de M. Dunlop n"établit pas que le non-emploi a été indépendant de la volonté de Sealy. L"affidavit de M. Dunlop fait allusion à la cessation en novembre 1993 de l"accord d"exclusivité avec Eaton pour la vente au détail et aux efforts de Sealy pour trouver un autre détaillant exclusif ou pour renouer l"accord de vente au détail avec Eaton, efforts affectés par le ralentissement économique.

[41]      À mon avis, l"affidavit de M. Dunlop ne satisfait pas au critère défini dans Plough Canada , (précitée). Il manque de détails et de précisions; ses omissions sont importantes également. L"affidavit de M. Dunlop ne précise pas, par exemple, qui (de Sealy ou de Eaton) a mis fin à l"accord d"exclusivité ni les motifs de la rupture de l"entente. L"affidavit de M. Dunlop ne précise pas pour quelle raison Sealy n"a pas pu continuer de vendre ses matelas et sommiers à ressorts à d"autre commerces de détail au cours de la période de non-emploi. Trois ans ou plus d"arrêt de production et de vente représentent une période très longue pour un fabricant. L"affidavit de M. Dunlop ne fournit pas de détails sur les activités de développement continu de nouveaux produits ni sur la nature des pourparlers suivis avec Eaton ou avec un nouveau détaillant. Sealy ne dit pas si elle a continué de produire et de vendre des matelas et des sommiers à ressorts sous une ligne de produits autre que FANTASY.

[42]      Dans l"affaire Harris Knitting Mills, (précitée), le juge d"appel Pratte a écrit à la page 493:

                 Il est capital, aussi, de savoir dans quelle mesure le défaut d'emploi est attribuable à la seule volonté du propriétaire de la marque plutôt qu'à des obstacles indépendants de lui. On ne voit pas bien pourquoi on excuserait le défaut d'emploi attribuable à la seule volonté du propriétaire de la marque.                 

[43]      Il incombait à Sealy d"en faire la preuve. À mon avis, Sealy n"a pas établi que sa décision de ne pas employer la marque FANTASY n"était pas volontaire. À cet égard, la présente affaire est similaire à la décision du juge Richard (tel était alors son titre) dans l"affaire Edwin Co. Ltd. c. 176718 Canada Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 464 (C.F. 1re inst.).

[44]      S"agissant du deuxième facteur, j"estime que c"est à tort que le registraire a considéré que le défaut d"emploi de la marque était indépendant de la volonté de Sealy. Il ne disposait pas d"éléments de preuve suffisants pour être en mesure de tirer cette conclusion.

[45]      Le troisième facteur est l"intention de reprendre dans un bref délai l"emploi de la marque. Dans la présente affaire, il y a plus que l"intention; il y a une reprise effective de l"emploi de la marque par des ventes à The Brick. Ces ventes, cependant, ont été conclues après la période visée. Des commandes ont été en effet annexées à l"affidavit de M. Dunlop. Ces commandes de matelas et de sommiers à ressorts FANTASY ont été placées par The Brick à Sealy le 18 octobre 1996, soit huit jours après le 10 octobre 1996, en vue d"une livraison prévue pour le 28 octobre 1996. C"est la conclusion à laquelle le registraire en est venu sur le fondement de l"affidavit de M. Dunlop.

[46]      À mon avis, Sealy a gain de cause sur ce point en raison de la récente décision de la Cour d"appel fédérale, datée du 22 janvier 1999, dans l"affaire Oyen, Wiggs, Green & Mutala c. Pauma Pacific Inc. et al., A-603-97. Dans cette affaire, le registraire a admis comme circonstance spéciale le fait que le déposant Pauma Pacific prenait activement des mesures avant la date de l"avis pour reprendre l"emploi de la marque de commerce et qu"il a fait la preuve que des ventes dans le cours normal des affaires avaient été conclues un mois après la date de l"avis. Dans l"affaire Pauma, le registraire s"est prononcé en ces termes :

                 [TRADUCTION] À mon avis, il s'agit de facteurs importants dont il faut tenir compte lors de l'examen des circonstances spéciales, notamment lorsque l'absence d'emploi correspond à une période de moins de trois ans.    Par conséquent, je suis convaincu qu'à la date de l'avis, la marque de commerce n'était pas stagnante dans le cas du "mélange à préparation de biscuits".    J'en suis arrivé à cette conclusion en me rappelant l'objet de l'article 45.                 

[47]      La conclusion du registraire a été confirmée par le juge en chef adjointl Jerome, 76 C.P.R. (3d) 48. La Cour d"appel fédérale, dans sa décision du 22 janvier 1999, a déclaré ce qui suit :

                 D"un autre côté, même s"il semble difficile de considérer que la simple expression d"une intention de reprendre l"emploi puisse être suffisante pour donner lieu à l"application du paragraphe 45(3) de la Loi, nous ne sommes pas disposés à contester la position adoptée par le registraire selon laquelle la réalisation effective de cette intention par la prise de mesures concrètes avant l"avis pourrait s"avérer suffisante.                 

[48]      L"affidavit de M. Dunlop spécifiait qu"en août 1996, soit avant la date de l"avis du registraire en l"espèce, Sealy avait engagé des négociations avec The Brick, que ces négociations avaient abouti en septembre 1996 à une entente verbale selon laquelle The Brick achèterait à Sealy des matelas et des sommiers à ressorts FANTASY pour en faire une ligne de literie faisant l"objet de promotions régulières dans les magasins The Brick. M. Dunlop a annexé à son affidavit des commandes de The Brick et, à la pièce C, des échantillons représentatifs d"étiquettes portant la marque de commerce FANTASY pour des matelas et sommiers à ressorts.

[49]      L"avocat de l"appelante a dit que la durée du défaut d"emploi n"avait pas été établie, qu"il n"y avait pas de pièces établissant les négociations entre Sealy et Brick Warehouse, ni de factures de Sealy à The Brick postérieures au 10 octobre 1996, ce qui constitue la meilleure preuve. Je suis persuadé, comme le registraire, qu"il existe une preuve suffisante que The Brick a bien commandé des matelas et des sommiers à ressorts FANTASY et que Sealy a repris l"emploi de sa marque de commerce FANTASY en vendant des matelas et des sommiers à ressorts portant la marque de commerce FANTASY au détaillant The Brick en octobre 1996.

[50]      J"arrive à cette conclusion en gardant à l"esprit l"intention du Parlement exprimée dans l"article 45 de la Loi. Cette intention est de radier du registre des marques de commerce les marques de commerce qui n"ont pas été employées et dont il est raisonnable de croire qu"elles ne le seront pas. À mes yeux, il ne s"agit pas du cas d"un propriétaire inscrit qui, sur réception de l"avis du registraire prévu à l"article 45, s"empresse de trouver un acheteur pour établir son intention d"employer la marque. Je suis persuadé dans la présente affaire que la relation entre Sealy et The Brick est sérieuse et réelle eu égard aux matelas et sommiers à ressorts FANTASY. À mon avis, l"intention du Parlement n"était pas de radier une marque dans ces circonstances.

[51]      L"avocat de l"appelante a cité l"affaire Belvedere International Inc. c. Sim & McBurney et al. (1993), 53 C.P.R. (3d) 522, où le juge Teitelbaum a traité de la situation de la reprise de l"emploi, facteur qu"il jugeait important pour défendre le maintien de la marque, mais qu"il a écarté dans les circonstances de l"espèce. Je suis d"avis que qu"il faut distinguer l"affaire Belvedere de la présente affaire. Dans la première, Belvedere cherchait à maintenir son enregistrement pour une ligne complète de produits capillaires en reprenant l"emploi de la marque pour trois produits seulement. Sealy, dans la présente affaire, ne cherchait pas à maintenir sa marque FANTASY pour d"autres marchandises que les matelas et sommiers à ressorts FANTASY. La marque FANTASY a été radiée pour ces autres marchandises. Selon mon interprétation, l"affaire Belvedere comportait une reprise de l"emploi purement apparente, ce qui n"est pas le cas en l"espèce.

[52]      Pour ces motifs, l"appel est rejeté avec dépens.

    

    

     J U G E

OTTAWA (ONTARIO)

LE 5 JUILLET 1999

Traduction certifiée conforme :

Richard Jacques, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              T-1412-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      RIDOUT & MAYBEE C. SEALY CANADA LTD./LTÉE
LIEU DE L"AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

                     22 AVRIL 1999


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU 5 JUILLET 1999

ONT COMPARU :

M. DOUG WILSON                      POUR LA DEMANDERESSE
MME LINDA WRIGHT                  POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LANG MICHENER                      POUR LA DEMANDERESSE

TORONTO (ONTARIO)

HOFBAUER ASSOCIATES              POUR LA DÉFENDERESSE

BURLINGTON (ONTARIO)

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