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                                                                                                                     Date : 20040326

                                                                                                          Dossier : IMM-577-04

                                                                                                      Référence : 2004 CF 464

Ottawa (Ontario), le 26 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                     CHEN, Tsai-Cheng, PENG, Sheng-Chien,

                                           WU, Chin-Chung, LIN, Chin Yuan,

                             KUO, Nai Wei, WANG, Hsiu Shan, HSIEH, Tze-En,

                                  HUNG, Mei Ying, KO, Ching Yi, KO, Yu Fan,

                             KO, Yu Chu, HSU, Tase Yuen, CHANG, Lien Fang,

                           CHEN, Yuan Hsing, LIN, Cheng-I, CHEN, Ping-Hung,

                  HSIEH, Tsung-Jen, CHEN, Yueh-Yin, FANG CHANG, Shu-Min,

                           PUI, Kwan Kay, LAI, Yung-Liang, CHANG, Ting Hui,

                                      CHANG, Fang Ming, LEI, Manuel Joao,

                       LIN, Yung Nien, HUANG HSU, Li-Mei, FANG, Ming-Tau,

                            LIU, Kun Yung, CHEN, Kun-Wen, TSENG, Hung Yu,

                                   CHANG, Mao, MENG, Lin Yu, TAI, Yu-Hu,

                                      YANG, Cheng-Kang, CHEN, Wen Shing,

                                             YU, Chung-Wen, YU, Wei-Chung

                                            LIN, Shih Chun, CHANG, Lei-Fa,

                                              CHAO, Lin Shu, HSU, Pao Hua

                                                                                                                            demandeurs

                                                                    - et -

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur


                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

INTRODUCTION

[1]         Les 41 demandeurs possédaient déjà le statut de résident permanent du Canada au moment de l'entrée en vigueur, le 28 juin 2002, de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). La LIPR a remplacé la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l'ancienne Loi). Dans la présente requête, ils sollicitent une injonction, tel que décrit ci-dessous.

[2]         Le principal motif de préoccupation des demandeurs est que les règles applicables aux résidents permanents ont changé par rapport à ce qu'elles étaient depuis des années. Ces modifications touchent principalement les demandeurs sur les deux points suivants :

·           Premièrement, à partir du 31 décembre 2003, ils doivent être en possession d'une carte de résident permanent (RP) ou de titres de voyage pour pouvoir embarquer sur un vol commercial à destination du Canada, alors qu'auparavant, ces documents n'étaient pas exigés. Ils font l'objet d'un contrôle à l'étranger avant d'embarquer sur l'avion et non pas simplement au point d'entrée au Canada.


·            Deuxièmement, le critère du maintien du statut (et donc le droit à une carte RP) de résident permanent pour la personne qui ne répond pas aux nouvelles conditions relatives à la présence effective, nouvellement imposées, a été modifié. Il fallait démontrer auparavant l'absence d'intention de cesser de résider au Canada et maintenant il faut établir l'existence de motifs d'ordre humanitaire justifiant le maintien du statut de résident permanent.

[3]         Malgré le délai de 18 mois qui a été prévu entre l'entrée en vigueur de la LIPR et celle de l'obligation d'être titulaire d'une carte RP, les modifications ont causé des difficultés aux demandeurs. La séparation des familles est toujours pénible, même lorsqu'elle n'est que temporaire.


[4]        La requête est notamment fondée sur une demande d'autorisation de contrôle judiciaire visant à obtenir, entre autres, des ordonnances enjoignant au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) de traiter leurs demandes de cartes RP dans les 10 jours de l'ordonnance en se basant sur l'existence d'une intention chez les demandeurs de cesser de résider au Canada, comme lieu de leur résidence permanente. Aucune décision n'a encore été prise au sujet de l'autorisation demandée. En outre, plusieurs actions ont été introduites devant cette Cour qui concernent ces mêmes personnes et d'autres se trouvant dans la même situation. Les demandeurs souhaitent que la présente demande de contrôle judiciaire soit traitée comme un recours collectif aux termes des Règles de la Cour fédérale (1998). Tout ceci en est à une étape très préliminaire.

LE REDRESSEMENT DEMANDÉ

[5]        Dans la présente requête, les demandeurs sollicitent une ordonnance enjoignant au ministre de prendre les mesures suivantes, en attendant que les demandes gérées spécialement soient tranchées de façon définitive :

a)          s'abstenir d'interdire aux transporteurs commerciaux exploitant des vols à destination du Canada d'embarquer des résidents permanents canadiens qui ne sont pas en possession d'une carte RP;

b)          s'abstenir de prendre à l'étranger des décisions négatives relatives à l'obligation de résidence concernant les demandeurs et les résidents permanents dont les demandes fondées sur des considérations d'ordre humanitaire sont à l'étude;


c)          subsidiairement, s'abstenir d'interdire aux transporteurs commerciaux exploitant des vols à destination du Canada d'embarquer les demandeurs et les résidents permanents dont les demandes de cartes RP fondées sur des motifs d'ordre humanitaire sont à l'étude;

d)          subsidiairement, s'abstenir de refuser de délivrer des titres de voyage conformément au paragraphe 31(3) de la LIPR aux demandeurs et aux résidents permanents dont les demandes de cartes RP fondées sur des motifs d'ordre humanitaire sont à l'étude;

e)          transmettre un avis de proposition de recours collectif à tous les résidents permanents dont les demandes de cartes RP ou de titres de voyage ont été rejetées ou qui sont visés par un rapport prévu à l'article 44 ou une décision négative relative à l'obligation de résidence prise au cours des 60 jours précédant la délivrance de la présente ordonnance, ainsi qu'à tous les résidents permanents ayant fait l'objet d'un tel refus ou rapport après la délivrance de la présente ordonnance.

LES QUESTIONS EN LITIGE


[6]         Les parties reconnaissent que les demandeurs doivent, comme dans toute requête visant l'obtention d'une injonction provisoire, établir que le critère à trois volets formulé dans Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] A.C.F. n ° 587 (C.A.) (QL) est rempli. Les demandeurs ont reconnu que ce critère s'appliquait à la présente requête et ils doivent par conséquent me convaincre de ce qui suit :

7.                   il existe une question sérieuse à trancher dans la demande sous-jacente;

8.                   les demandeurs subiront un préjudice irréparable si le redressement n'est pas accordé;

3.         la prépondérance des inconvénients, compte tenu de la situation globale des deux parties, penche en faveur des demandeurs.

[7]         En l'espèce, il se pose également la question de la compétence de la Cour d'accorder chacun des éléments du redressement demandé par les demandeurs. Il s'agit donc de savoir si la Cour a le pouvoir d'accorder le redressement demandé?

[8]         Enfin, il y a les questions reliées au recours collectif envisagé. Si je conclus que le redressement demandé devrait être accordé aux demandeurs en l'espèce, il faudra également examiner la question de savoir s'il convient de l'étendre à la catégorie présumée, comme cela a été fait dans Borisova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 1114 (C.F.) (QL). Enfin, que les autres mesures de redressement soient accordées ou non, il y a la question de savoir s'il y a lieu d'envoyer un avis à tous les membres de la catégorie présumée.


LE CONTEXTE

[9]         Il est utile de décrire le contexte dans lequel se posent les questions en litige en l'espèce. Les différences entre le traitement accordé aux résidents permanents par l'ancienne Loi et celui que prévoit la LIPR ainsi que les répercussions de la modification du régime applicable aux demandeurs et aux personnes se trouvant dans des situations similaires sont particulièrement pertinentes.

La résidence permanente selon l'ancienne Loi

[10]       Les aspects clés des dispositions relatives à la résidence permanente de l'ancienne Loi étaient les suivants :

·           le résident permanent recevait un document prouvant que le droit d'établissement lui avait été accordé (IMM 1000) et qui faisait état de son statut de résident permanent. Le formulaire IMM 1000 n'était pas une preuve de son statut de résident permanent mais plutôt de son droit d'établissement;

·            la loi n'exigeait pas que les transporteurs aériens vérifient au moment de l'embarquement l'existence de ce document;


·            si le résident permanent demeurait à l'extérieur du Canada pendant plus de 183 jours au cours d'une période de douze mois, il était réputé avoir cessé de résider au Canada et pouvait réfuter cette présomption en montrant qu'il n'avait pas cette intention (paragraphe 24(2) de l'ancienne Loi).

Les cartes de résident permanent prévues par la LIPR et son Règlement

[11]       Les personnes qui avaient le statut de résident permanent selon l'ancienne Loi ont automatiquement obtenu le même statut aux termes de la LIPR. La LIPR a créé un nouveau régime de documents pour les résidents permanents. Tous les résidents permanents doivent désormais recevoir un document faisant état de leur statut de résident permanent (la carte RP) (paragraphe 31(1)). La détention d'une carte RP valide fait présumer que son titulaire a le statut de résident permanent.

[12]       Les personnes qui obtiennent le statut de résident permanent après l'entrée en vigueur de la LIPR se voient délivrer automatiquement une carte RP. Cependant, les demandeurs et les autres personnes qui étaient des résidents permanents avant l'entrée en vigueur de la LIPR doivent demander leur carte RP.


L'obligation de résidence

[13]       Aux termes de la LIPR, tous les résidents permanents doivent respecter une obligation de résidence (paragraphe 28(1)). L'obligation de résidence est reliée à la délivrance de la carte RP; lorsqu'ils demandent une carte RP, les résidents permanents aux termes de l'ancienne Loi sont tenus de remplir la condition de résidence imposée par la LIPR. La plupart des résidents permanents n'éprouvent aucune difficulté à respecter l'obligation générale de résidence qui exige qu'ils soient présents au Canada pendant au moins 730 jours sur une période quinquennale (paragraphe 28(2)). Cette obligation de résidence crée cependant des problèmes aux demandeurs et aux personnes se trouvant dans une situation comparable.

[14]      Ces personnes peuvent remplir la condition de résidence et obtenir une carte RP soit en étant effectivement présents au Canada, soit en étant réputés l'être (alinéa 28(2)a) ou b)) ou en justifiant le maintien du statut de résident permanent en raison de circonstances d'ordre humanitaire (alinéa 28(2)c)). Les demandeurs en l'espèce et la catégorie présumée de personnes visées par le recours collectif envisagé soutiennent qu'elles ne remplissent pas la condition de la présence effective prévue aux alinéas 28(2)a) ou b). Par conséquent, elles sont obligées d'invoquer les dispositions en matière de circonstances d'ordre humanitaire de l'alinéa 28(2)c) pour obtenir une carte RP.


L'obligation imposée aux transporteurs commerciaux

[15]      Pour les résidents permanents qui ne possédaient pas au 31 décembre 2003 une carte RP et qui se trouvaient à l'étranger ou qui avaient prévu de voyager à l'étranger, la nouvelle Loi a eu un effet très concret sur leur possibilité de revenir au Canada par avion. Le paragraphe 148(1) de la LIPR interdit à un transporteur aérien d'amener un passager au Canada si celui-ci n'est pas titulaire des « documents réglementaires » exigés. Le 31 décembre 2003, jour de l'entrée en vigueur des alinéas 259a) et e) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), la carte RP et le titre de voyage officiel sont devenus des « documents réglementaires » . Par conséquent, les compagnies aériennes sont aujourd'hui légalement tenues de vérifier le statut des personnes qui se rendent au Canada.

Les titres de voyage

[16]      Les résidents permanents qui n'ont pas de carte RP peuvent également se rendre au Canada avec un titre de voyage. Pour des raisons de sécurité, les cartes RP sont imprimées au Canada et elles doivent y être obtenues. Pour la personne qui se trouve à l'étranger et qui répond aux conditions légales de délivrance de la carte RP, un fonctionnaire du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (MCI) délivre un titre de voyage s'il est convaincu de ce qui suit :


1.          le demandeur a respecté l'obligation de résidence énoncée à l'alinéa 28(2)a) ou b) (alinéa 31(3)a)); ou

2.         il y a un constat relatif aux circonstances d'ordre humanitaire aux termes de l'alinéa 28(2)c) (alinéa 31(3)b)); ou

3.         la personne a été effectivement présente au Canada au moins une fois au cours des 365 jours précédents et (alinéa 31(3)c)) :

-            elle a interjetée appel devant la Section d'appel de l'immigration d'une décision prise à l'étranger au sujet de l'obligation de résidence de l'article 28 (le paragraphe 63(4) prévoit cet appel); ou

-            le délai d'appel prévu au paragraphe 63(4) n'est pas expiré.


[17]       À la différence de la carte RP, le titre de voyage n'est pas une attestation de statut; c'est en fait un document qui est délivré en remplacement d'une attestation de statut de façon à permettre à son titulaire de retourner au Canada où il pourra se procurer sa carte RP, si elle est disponible, ou en demander une, s'il ne l'a pas encore fait, ou encore poursuivre son appel devant la Section d'appel de l'immigration. Les résidents permanents peuvent demander des titres de voyage dans tous les bureaux des visas canadiens.

[18]       Dans un cas urgent et lorsque le résident permanent est en mesure de produire des documents prouvant qu'il répond à la condition de présence effective de l'alinéa 28(2)a) et qu'il n'a pas perdu son statut de résident permanent aux termes de l'article 46 de la LIPR, la demande de titre de voyage est habituellement traitée dans les 24 heures.

[19]       Si la personne ne répond pas à la condition de présence effective, le dossier est transmis pour examen au gestionnaire de programme du bureau des visas. Celui-ci procède alors au constat relatif aux circonstances d'ordre humanitaire, si nécessaire. Un constat positif répond à la condition de résidence de l'article 28 de la LIPR et a pour effet de supprimer la violation éventuelle de l'obligation relative à la présence effective. Un tel constat autorise également la délivrance d'un titre de voyage. Ce constat prend néanmoins un certain temps à établir.

Les autres façons de revenir au Canada


[20]       Le résident permanent accepte parfois de se rendre au Canada en qualité de visiteur. Dans ces cas-là, MCI délivre un visa de résident temporaire (VRT) à la personne concernée si celle-ci informe le MCI par écrit qu'elle renonce à ses droits d'appel concernant une décision négative relative à l'obligation de résidence et si elle a droit autrement à obtenir un VRT.

[21]       Enfin, les résidents permanents qui ne rentrent dans aucune des catégories ci-dessus peuvent néanmoins revenir au Canada dans certains cas. L'article 175 de la LIPR énonce que ces personnes peuvent obtenir un titre de voyage pour retourner au Canada si la Section d'appel de l'immigration estime qu'elles doivent être présentes pour l'audition de leur appel.

APPLICABILITÉ DE LA DÉCISION BORISOVA


[22]      Les demandeurs invoquent principalement la décision Borisova, précitée, une décision du juge Gibson de la Cour, et ils affirment que cette décision justifie que le redressement demandé leur soit accordé. Dans Borisova, précitée, le juge Gibson a accordé une injonction provisoire à une catégorie de demandeurs qui, comme en l'espèce, n'avaient pas encore obtenu l'autorisation de présenter des demandes de contrôle judiciaire sous-jacentes et dont les demandes n'avaient pas encore été transformées en recours collectif. Les demandeurs étaient des particuliers qui avaient demandé le statut de résident permanent dans la catégorie économique aux termes de l'ancien règlement. La LIPR et le nouveau Règlement imposent toutefois aux demandeurs appartenant à cette catégorie un fardeau plus lourd lorsqu'il s'agit de démontrer le bien-fondé de leur demande. Le juge Gibson a considéré que l'imposition d'un fardeau plus lourd causerait un préjudice irréparable aux demandeurs s'il n'accordait pas l'injonction provisoire demandée. Le juge Gibson a déclaré qu'aux termes des paragraphes 18(1) et (3) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour avait le pouvoir d'accorder l'injonction provisoire demandée par les demandeurs au tout début de l'instance. Il a donc délivré une injonction interdisant au ministre de se prononcer de façon définitive sur les demandes présentées par les demandeurs aux termes de la LIPR.

[23]      Plus précisément, le juge Gibson enjoignait au ministre (i) de s'abstenir de rejeter de façon définitive les demandes de résidence permanente déposées avant le 1er janvier 2002 par des travailleurs qualifiés, des travailleurs autonomes, des entrepreneurs et des investisseurs visés au paragraphe 8(1) de l'ancien règlement qui n'avaient pas reçu d'avis les informant qu'une décision avait été prise à ce sujet avant la date de l'ordonnance et (ii) de faire parvenir aux personnes dont les demandes de visas d'immigrant étaient touchées par le paragraphe (i) de l'ordonnance un avis concernant le recours collectif envisagé. Le juge Gibson a également jugé que la directive demandant au ministre de s'abstenir de prendre certaines mesures était une « mesure provisoire » , comme l'envisage l'article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, et que la Cour avait donc le pouvoir d'émettre une telle directive.


[24]      La décision Borisova, précitée, appliquait la décision prononcée par le juge Kelen dans l'affaire Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 260 (1re inst.) (QL). Dans cette affaire, des personnes se trouvant dans une situation semblable avaient obtenu, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, un bref de mandamus obligeant le ministre à traiter leurs demandes de visa avant l'échéance du 30 mars 2003 et aux termes de l'ancien régime réglementaire.

[25]      Une injonction provisoire a été accordée dans la décision Borisova, précitée, mais je note qu'il existe un certain nombre de différences importantes entre les faits de cette affaire et ceux de la présente espèce.

1.         La nature des changements apportés au cadre législatif


Les Cours qui ont entendu les affaires Borisova, précitée et Dragan, précitée, examinaient des modifications apportées au cadre réglementaire du traitement des demandes de résidence permanente et non pas un nouveau régime législatif. Les demandes de résidence permanente avaient été présentées aux termes du Règlement de 1978 qui prescrivait la façon de calculer les points d'appréciation. Les changements apportés par le Règlement entré en vigueur le 31 mars 2003 introduisaient une méthode d'attribution des points d'appréciation qui était différente et incontestablement plus stricte.

En l'espèce, les demandeurs font face à un tout nouveau concept qui est établi par la loi elle-même (LIPR) - la notion de carte RP et l'obligation imposée aux transporteurs aériens de vérifier à l'extérieur du Canada si les résidents permanents possèdent ces cartes.

En particulier, pour ce qui est de la demande faite aux transporteurs commerciaux de permettre à des résidents permanents canadiens qui ne sont pas titulaires d'une carte RP de monter à bord de vols à destination du Canada, la différence est très importante. En pratique, faire droit à la requête exigerait que soit suspendue l'application de ces dispositions législatives, non pas seulement à l'égard des demandeurs, mais à celle de toutes les personnes qui montent à bord d'un vol à destination du Canada. Dans Borisova, précitée, il était possible de connaître les personnes concernées en se basant sur la date à laquelle elles avaient présenté leurs demandes mais comment les transporteurs commerciaux pourraient-ils identifier les demandeurs?


2.         La nature du préjudice causé aux personnes concernées

Comme nous l'examinons plus loin dans la section consacrée au préjudice irréparable, dans Borisova, précitée, la modification apportée au processus était facilement identifiable et quantifiable. En l'espèce, il n'est pas certain que le nouveau processus imposant une obligation en matière de résidence se traduira par un traitement plus rigoureux des résidents permanents.

3.         Les attentes des personnes concernées


Dans Borisova, précitée, les demandeurs visés par l'injonction accordée avaient tous présenté une demande de résidence permanente au Canada dans l'attente légitime que leurs demandes seraient traitées conformément aux dispositions de l'ancienne Loi. Une bonne partie de ces immigrants potentiels attendaient depuis des années que leurs demandes soient examinées. Tel n'est pas le cas ici. Les cartes RP sont un élément nouveau de la LIPR qui n'était pas prévu par l'ancienne Loi. En outre, grâce au délai accordé pour la mise en oeuvre des dispositions relatives aux cartes RP, à savoir du mois de juin 2002, moment où la LIPR est entrée en vigueur, au 31 décembre 2003, jour où les cartes RP devenaient obligatoires pour certaines personnes, les résidents permanents ont eu 18 mois pour examiner les nouvelles dispositions et prendre les arrangements nécessaires, le cas échéant, pour tenir compte des nouvelles règles. CIC a pris des mesures suffisantes pour informer les résidents permanents des conséquences de l'obligation en matière de résidence.

Le traitement des demandes qui font appel à une décision relative aux circonstances d'ordre humanitaire a certes subi un retard mais le traitement de toutes les demandes concernées par la présente requête a commencé et se poursuit.

[26]       Compte tenu de ces différences importantes, je suis convaincue que la décision Borisova, précitée, ne s'applique pas aux faits de la présente espèce.

ANALYSE DES ÉLÉMENTS DU CRITÈRE À TROIS VOLETS

[27]      Je vais maintenant examiner les éléments du critère utilisé pour accorder une injonction.


Existe-t-il une question sérieuse à juger?

[28]      Les demandeurs soutiennent que la demande initiale soulève plusieurs questions sérieuses. Aux fins de la présente requête, je tiens pour acquis sans me prononcer sur ce point, que la demande initiale soulève effectivement des questions qui répondent au premier volet du critère.

Les demandeurs ont-ils établi qu'ils subiraient un préjudice irréparable?

La précarité de la situation des demandeurs

[29]       La première possibilité de préjudice irréparable serait que les résidents permanents se trouvant à l'étranger ne puissent revenir au Canada ou qu'ils ne puissent quitter ce dernier pays. Les preuves n'indiquent pas que cela soit le cas sauf, peut-être, dans des cas très rares. En fait, les demandeurs n'ont pas été en mesure de signaler un seul cas où un résident permanent aux termes de l'ancienne Loi aurait été empêché, de façon permanente, de revenir au Canada à cause de la LIPR. Il semble que la plupart des demandeurs, sinon tous, aient réussi à revenir au Canada en obtenant des titres de voyage dans les bureaux situés à l'étranger.


[30]       Il est vrai que le traitement des documents exigés dans le cas où la demande de carte RP est fondée sur des considérations d'ordre humanitaire est plus long. Cela a entraîné des conséquences regrettables. Par exemple, certains demandeurs n'ont pu se réunir avec leur famille pour le Nouvel An chinois et un demandeur n'a pu assister aux funérailles d'un membre de sa famille. Mais jusqu'ici, ce délai n'a pas été, d'après moi, très long; il est de toute évidence beaucoup plus court que les longs délais qu'ont connus les demandeurs dans les affaires Borisova, précitée et Dragan, précitée.

[31]      Par conséquent, le préjudice que pourraient subir les demandeurs n'est, pour le moment, qu'hypothétique.

La modification du critère relatif à la conservation du statut de résident permanent


[32]       Il est incontestable que la LIPR a modifié le critère appliqué pour décider si une personne est un résident permanent. Les demandeurs signalent un aspect particulier de ce processus qui, d'après eux, leur cause un préjudice irréparable. C'est le fait que le « critère de l'intention de cesser de résider au Canada » a été remplacé par une évaluation des circonstances d'ordre humanitaire. Les parties reconnaissent toutes les deux qu'il y a eu un changement mais elles ne s'entendent pas sur le fait que le nouveau critère est plus rigoureux. Les demandeurs soutiennent que c'est le cas et le défendeur affirme que les nouvelles conditions sont moins rigoureuses et plus souples. Il n'y avait pas ce désaccord dans l'arrêt Borisova, précité, dans lequel toutes les parties reconnaissaient que le nouveau régime réglementaire imposait une norme plus stricte. C'est en se fondant sur l'existence d'un critère beaucoup plus rigoureux que le juge Gibson en est arrivé à sa conclusion que les demandeurs avaient établi qu'ils subissaient un préjudice irréparable.

[1]         Voici ce qu'a déclaré au paragraphe 27 le juge Gibson au sujet du préjudice irréparable :

« J'aborde maintenant la question du préjudice irréparable. Je suis convaincu qu'il est bien reconnu en droit que la possibilité d'immigrer au Canada, plus particulièrement en provenance du « Tiers Monde » ou des « pays en voie de développement » est vue par bon nombre de personnes comme un objectif particulièrement attrayant, dont la privation, ou même l'amoindrissement des probabilités de l'atteindre, ne peut être compensée par des dommages-intérêts. Bon nombre des membres de la catégorie présumée se retrouveraient dans cette situation si leur demande était traitée en fonction des nouveaux critères. » [Non souligné dans l'original.]

[2]         Dans Kanes c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1993) 69 F.T.R. 48, au paragraphe 10, une autre affaire d'immigration, la juge Reed a déclaré :

« J'estime qu'en l'espèce l'existence d'un préjudice irréparable est certaine et qu'elle ne résulte pas d'une série d'éventualités. Si la suspension n'est pas accordée, il ne sera pas possible au requérant de présenter une demande de droit d'établissement fondée sur la seule preuve que sa revendication a un minimum de fondement. Il devra, à l'égard 'une telle demande, s'acquitter d'un fardeau de preuve beaucoup plus lourd, savoir celui qui est applicable devant la Section. Compte tenu de l'importance que les personnes qui désirent s'établir au Canada et, en particulier, celles qui viennent de pays du Tiers Monde, attachent à l'obtention de la résidence permanente, ce fardeau plus lourd constitue nettement, à mon avis, un préjudice irréparable. »


[3]         Ainsi, la jurisprudence de la Cour indique clairement que, dans le contexte de l'immigration, l'imposition d'une condition d'entrée au Canada plus sévère peut constituer un préjudice irréparable. Cependant, pour en arriver à cette conclusion, il faut constater deux choses : premièrement, que le préjudice n'est pas une simple possibilité mais une certitude; et deuxièmement, que la condition ou le fardeau imposé est sensiblement aggravé. En l'espèce, je ne suis pas convaincue que le fait d'avoir remplacé le critère de l'intention de « cesser de résider » par l'examen de circonstances d'ordre humanitaire aurait pour résultat a) d'exclure certains demandeurs qui auraient répondu aux critères de l'ancienne Loi ou b) d'alourdir le fardeau de la preuve.


[4]         À la différence de la situation dont il s'agissait dans Borisova, précité, la différence qui existe entre l'ancien régime et le nouveau n'est pas clairement marquée. Si un résident permanent ne réussit pas à s'acquitter de son obligation de résidence en invoquant des circonstances d'ordre humanitaire, comment puis-je savoir s'il répondrait ou non au critère de l'intention de cesser de résider? Les parties m'ont cité plusieurs décisions de la Section d'appel de l'immigration qui portaient sur le sens de l'expression « intention de cesser de résider au Canada » (Bossio c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration T98-00394 (IAD); Duckworth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] I.A.D.D. no 920 (QL) et d'autres). J'ai examiné ces décisions et je considère que les facteurs qui ont été examinés sont très semblables à ceux qui donneraient lieu à l'examen d'une demande fondée sur des considérations d'ordre humanitaire. Le critère de l'intention de cesser de résider au Canada semble faire appel aux mêmes notions et aux mêmes facteurs que l'examen des circonstances d'ordre humanitaire.

[5]         Cette opinion s'appuie sur une décision récente de la Section d'appel de l'immigration (Kuan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] I.A.D.D. no 638, au paragraphe 20 (Q.L.)), dans laquelle la formation a brièvement comparé les deux façons d'apprécier le maintien de la résidence permanente.

« Bien que les exigences en matière de résidence effective portent maintenant sur un calcul mathématique, il est important de noter que la Section d'appel [de l'immigration] et, en réalité, un agent d'immigration, ont le pouvoir discrétionnaire, qui ne leur était anciennement pas reconnu sous le régime de l'ancienne Loi, de permettre la conservation du statut nonobstant la résidence effective insuffisante d'un résident permanent au cours de la période pertinente. La Section d'appel a également reconnu, dans les décisions qu'elle a prises à ce sujet sous le régime de la Loi actuelle, que les intentions d'une personne au cours d'une période ou de périodes prolongée(s) de résidence effective à l'extérieur du Canada constituent un facteur important à prendre en considération dans l'évaluation d'un appel fondé sur des motifs discrétionnaires. »

[6]        Ce passage appelle deux remarques. La première est que la LIPR (la nouvelle Loi) crée ou élargit un pouvoir discrétionnaire. Deuxièmement, la Section d'appel de l'immigration reconnaît que l'intention est un facteur pertinent aux termes de la LIPR. Compte tenu de ces conclusions, comment les demandeurs peuvent-ils affirmer que les nouvelles règles leur nuisent?


[7]         En conclusion, les demandeurs n'ont pas établi l'existence d'un préjudice irréparable. Étant donné que le critère applicable en matière d'injonction est cumulatif, cette conclusion détermine l'issue de la requête. Néanmoins, dans le cas où j'aurais conclu à tort à l'inexistence d'un préjudice irréparable, je vais examiner la prépondérance des inconvénients.

La prépondérance des inconvénients

[8]         L'appréciation de la prépondérance des inconvénients passe par l'examen des intérêts en jeu. L'importance à attacher aux divers facteurs doit s'apprécier en fonction des faits de chaque affaire. Voici tel qu'exposé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt RJR - MacDonald c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, au paragraphe 80, les éléments qu'il convient de prendre en considération :

·            la nature du redressement demandé et du préjudice invoqué par les parties;

·                       la nature de la loi contestée;

·                       la nature de l'intérêt public.


La nature du redressement demandé et du préjudice subi par les demandeurs :

[33]       La réparation demandée dans la présente requête (et en fait dans la demande initiale d'autorisation et de contrôle judiciaire) est la suspension de l'application de certaines dispositions de la LIPR et du Règlement. Il est difficile de prendre une mesure aussi drastique sans avoir eu l'occasion d'entendre des arguments portant sur toutes ces questions. En outre, le sujet de la demande initiale est complexe. Pour la présente requête seulement, il y a 11 volumes et plus de 4 000 pages d'observations. Les parties ont tout juste pu achever leurs observations orales relatives à la présente requête en une journée d'audience complète.


[34]       Il est impossible de prendre à la légère une mesure aussi grave que de suspendre l'application de dispositions législatives. Dans le cadre d'une requête aussi complexe et compte tenu des conséquences très graves qu'aurait le fait d'accorder le redressement demandé, il faudrait que je constate que les demandeurs souffrent un préjudice extrêmement grave. Comme je l'ai mentionné dans la partie consacrée au préjudice irréparable, je n'ai pas conclu à l'existence du préjudice grave qu'invoquaient les demandeurs. L'inconvénient que représente l'obligation de demander une carte RP ou un titre de voyage et les retards causés aux demandeurs qui ne sont pas en mesure de répondre facilement à l'obligation de résidence prévue à l'article 28 de la LIPR ne l'emporte pas sur les répercussions qu'aurait la suspension de l'application de ces dispositions législatives.

La nature de la loi

[35]       Tel que nous l'avons examiné plus haut, le cadre législatif applicable aux résidents permanents fourni par la LIPR ne constitue pas une simple amélioration des dispositions de l'ancien règlement relatif à la résidence permanente. Ces nouvelles dispositions introduisent en fait des concepts et des éléments nouveaux et importants. La notion d'obligation de résidence existait déjà de façon indirecte dans l'ancienne Loi mais elle est désormais exprimée en termes différents et qui vont bien au-delà de la présomption d'intention de cesser de résider. L'ancienne Loi ne traitait pas de la carte RP. En outre, un aspect important des nouvelles dispositions est le rapport direct avec la sécurité. Cet aspect est examiné ci-dessous sous la rubrique « intérêt public » .

[36]       Enfin, cette législation touche, outre les demandeurs en l'espèce, un très grand nombre de personnes. Toute personne qui est à l'heure actuelle un résident permanent du Canada, ou qui le deviendra, aura le droit à obtenir une attestation de statut. Pour illustrer l'ampleur des répercussions, il suffit de mentionner le fait que l'année dernière, plus de 600 000 demandes de cartes RP ont été traitées pour le compte de résidents permanents. Ce chiffre vient s'ajouter à celui des cartes délivrées aux nouveaux résidents permanents.


[37]      Par conséquent, le régime législatif dont les demandeurs voudraient voir la suspension en vertu de la présente requête est très vaste et compte tenu du grand nombre des cartes RP déjà délivrées, cette suspension risquerait de créer une grave confusion. Les demandeurs n'ont pas réussi à établir que la suspension de l'application de cette législation serait dans l'intérêt public (RJR - MacDonald, précité).

L'intérêt public

[38]       L'objectif recherché par le cadre législatif en question constitue une bonne base de départ pour apprécier l'intérêt public en jeu ici. Les objectifs de la LIPR en matière d'immigration sont exposés au paragraphe 3(1). L'un des objets de cette loi est de retirer le plus d'avantages possibles de l'immigration (alinéa 3(1)a)), mais elle vise également à protéger la santé des Canadiens et à garantir leur sécurité (alinéa 3(1)h)).

[39]       Les dispositions visées par la présente requête sont directement et manifestement reliées à la sécurité des Canadiens. Il est incontestable que l'identification des résidents permanents au moyen d'un document comme les cartes RP qui sont délivrées après une soigneuse vérification est dans l'intérêt public. Comme cela est déclaré dans le résumé de l'étude d'impact de la réglementation (REIR) qui accompagnait le Règlement :



Ces [systèmes des cartes RP] dispositions sont présentées afin d'assurer la délivrance d'un document sûr et de réduire ainsi les cas de fraude et d'utilisation abusive de l'actuelle fiche d'établissement (IMM 1000). Elles font partie intégrante des mesures prises pour assurer la sécurité des Canadiens.

These [PR card system] provisions are being introduced in support of the issuance of a secure status document to reduce the incidence of fraud and misuse associated with the current record of landing document (IMM 1000). These provisions serve as an integral component ensuring the safety and security of Canadian society.


[40]       La sécurité est encore renforcée en imposant aux sociétés de transport le fardeau de confirmer le statut des personnes qui se rendent au Canada avant qu'elles n'entrent dans ce pays. Logiquement, cela est préférable à laisser des personnes non admissibles se rendre au Canada d'où il est parfois difficile de les renvoyer. Si l'on supprimait ce fardeau, même temporairement, des personnes non admissibles risqueraient d'arriver aux frontières canadiennes. J'estime que cela serait contraire à l'intérêt public, tel qu'il est exprimé dans les objectifs de la LIPR et du REIR. D'autres aspects du redressement sollicité par les demandeurs sont tout aussi peu attrayants et pourraient également entraîner des conséquences indésirables.


[41]      Les demandeurs sollicitent, à titre subsidiaire, une ordonnance qui interdirait au défendeur de refuser la délivrance de titres de voyage aux demandeurs et aux résidents permanents dont les demandes de carte RP fondées sur des considérations d'ordre humanitaire sont en cours de traitement. Il est possible que certains demandeurs fassent partie de cette catégorie mais il y a la possibilité que des personnes qui étaient auparavant des résidents permanents et qui vivent maintenant à l'étranger aient cessé d'être des résidents permanents, selon la définition de la LIPR. Si la réparation demandée était accordée, il suffirait que ces personnes présentent une demande fondée sur des considérations d'ordre humanitaire pour qu'on leur délivre un titre de voyage. Il est évident que les intérêts du Canada seraient mieux protégés si tous ces cas faisaient l'objet d'un examen. De toute façon, comme j'ai pu le constater, les vérifications préalables à la délivrance des titres de voyage ne sont pas très approfondies et les conditions d'obtention ne sont pas très lourdes.

Conclusion

[42]       En résumé, les demandeurs n'ont pas démontré qu'ils subiraient un préjudice irréparable s'ils n'obtenaient pas l'injonction demandée. En outre, la prépondérance des inconvénients favorise fortement le défendeur. Par conséquent, les demandeurs n'ont pas démontré que le critère permettant d'accorder une injonction à la présente requête était rempli.

LE POUVOIR D'ACCORDER LE REDRESSEMENT DEMANDÉ

[43]      Étant donné que j'ai conclu que les demandeurs n'avaient pas établi que le critère permettant d'accorder le redressement demandé était rempli, il n'est pas nécessaire que j'examine la question de savoir si la Cour a le pouvoir d'accorder le redressement demandé par les demandeurs.


LA NOTIFICATION DES MEMBRES DE LA CATÉGORIE PRÉSUMÉE

[44]      Un des redressements demandés dans la présente requête est que le défendeur notifie les membres de la catégorie présumée. Cette demande semble être indépendante des autres mais j'estime qu'elle doit également répondre au critère à trois volets. Par conséquent, étant donné que je ne suis pas convaincue que les demandeurs et, par conséquent, les membres présumés du recours collectif envisagé sont en mesure de démontrer l'existence d'un préjudice irréparable ou que la prépondérance des inconvénients joue en leur faveur, je rejette également cette demande. Cependant, même s'il était possible d'examiner séparément cette demande, je n'accorderai pas le redressement demandé.


[45]       Dans Pearson c. Inco Ltd. (2001), 57 O.R. (3d) 278 (autorisation d'appel refusée [2002] O.J. no 2134 (A.C.S.) (QL)), une affaire qui concernait un recours collectif envisagé, le demandeur avait présenté une requête devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario pour obtenir une ordonnance enjoignant au défendeur d'établir une liste des membres de la catégorie proposée. Dans cette affaire, comme en l'espèce, aucun recours collectif n'avait été autorisé. La question examinée par la Cour dans cette affaire portait sur la question de savoir s'il était approprié que le défendeur communique avec les membres de la catégorie présumée avant l'autorisation du recours mais l'analyse à laquelle procède le juge Nordheimer contient un certain nombre d'éléments qui indiquent que la Cour ne devrait informer les membres de la classe présumée que dans des circonstances exceptionnelles.

[traduction] « La question en litige ne soulève pas une préoccupation qui joue pourtant un rôle fondamental dans sa résolution à savoir la mesure dans laquelle l'avocat du représentant demandeur proposé peut prétendre représenter tous les membres de la catégorie présumée ou en défendre les intérêts. À cette étape de l'instance, aucun recours collectif n'a encore été autorisé. Il faut donc au préalable décider que la présente instance est susceptible d'être transformée en recours collectif avec les effets obligatoires qu'a une telle instance sur les membres de la catégorie visée par l'autorisation. Sur ce point, les membres de la catégorie proposée sont dans une situation très comparable à celle des tiers dans une instance ordinaire...

... il ne conviendrait pas d'accorder aux membres de la catégorie proposée un traitement différent de celui qui est accordé aux tiers dans une autre action à une exception près. L'exception vise le cas où le demandeur ou le défendeur entend communiquer avec les membres de la catégorie proposée selon des modalités telles qu'elles causeraient une injustice à ces personnes ou saperaient l'intégrité du recours collectif. L'intimidation comme celle qui a été exercée dans l'affaire Vitelli c. Villa Giardino Homes Ltd. (2001), 54 O.R. (3d) 334 (A.C.S.), où certaines personnes ont tenté d'obtenir un règlement des réclamations sans que les personnes concernées aient obtenu des renseignements suffisants au sujet de leurs droits comme cela aurait pu se passer dans l'arrêt Lewis v. Shell Canada Ltd. (2000), 48 O.R. (3d) 612 (A.C.S.), sont des exemples de cette exception. Il ne faudrait toutefois pas que l'exception devienne la règle car autrement la Cour serait inévitablement amenée à examiner de façon très détaillée toutes les activités antérieures au procès exercées par les parties -- un résultat manifestement indésirable. Dans une grande mesure, les membres d'une catégorie proposée sont comme les autres citoyens. Ils ont l'obligation de protéger leurs intérêts et, à cette fin, d'obtenir des conseils. Parallèlement, elles ont le droit de s'occuper de leurs affaires comme elles l'entendent, sans intervention de notre tribunal. »


[46]       Ce jugement indique d'après moi que la Cour ne devrait rendre une ordonnance concernant la notification des membres d'une catégorie présumée que dans des circonstances exceptionnelles. Le cas d'un défendeur qui aurait avec des membres de la catégorie proposée des rapports susceptibles de compromettre l'intégrité du recours collectif lui-même pourrait être une de ces circonstances. Le défendeur pourrait compromettre l'intégrité de la catégorie en adoptant un comportement intimidant, en essayant d'obtenir des règlements sachant que les membres de la classe présumée ne disposent pas de renseignements suffisants. Il faudrait essentiellement que le défendeur fasse preuve de mauvaise foi, ou qu'il adopte un comportement pouvant presque être qualifié d'abusif pour que la Cour s'écarte de sa position normale qui consiste à ne pas intervenir dans les activités préalables à un procès. Cela veut dire que la Cour reconnaît que les citoyens doivent protéger leurs intérêts et demander des conseils juridiques lorsqu'ils pensent en avoir besoin. Je ne suis pas convaincue qu'il existe en l'espèce des circonstances exceptionnelles de cette nature.

[47]       Je ne vois rien qui puisse constituer même de loin de la mauvaise foi, un comportement intimidant ou une conduite abusive de la part de CIC. Évidemment, l'application des nouvelles dispositions a entraîné une certaine confusion au départ. Cette confusion et les quelques erreurs qui ont été commises (comme celle de demander une renonciation au droit d'appel dans certains cas) sont regrettables mais ne constituent pas, à elles seules, un comportement abusif. Le dossier montre aussi que le défendeur a corrigé certaines erreurs et continue d'essayer de remédier aux problèmes dès qu'ils apparaissent. Le fait que les manuels administratifs et les brochures d'information ont été révisés à plusieurs reprises ne montre pas, comme le soutiennent les demandeurs, que le défendeur n'a pas agi de bonne foi; cela vient plutôt confirmer le fait qu'en préparant ces publications, CIC prend des mesures pour régler les problèmes à mesure qu'ils apparaissent et pour conseiller les parties au sujet de leurs droits.


[48]      En outre, le défendeur veille à affecter des ressources adéquates pour l'examen des demandes fondées sur des considérations d'ordre humanitaire, pour la délivrance rapide des titres de voyage et pour réduire le plus possible les bouleversements et les difficultés causés aux familles séparées.

[49]      Encore une fois, il est facile d'établir une distinction entre la présente espèce et l'arrêt Borisova, précité, dans lequel il était clair que le gouvernement avait consacré des ressources insuffisantes à des problèmes qui étaient faciles à constater.

[50]       Pour ces motifs, je refuse d'accorder la demande de notification des membres de la catégorie présumée.

CONCLUSION

[51]       Pour tous ces motifs, la requête est rejetée.


[52]       Pour ce qui est de la possibilité de transformer ces instances en recours collectif, il est incontestable que le chemin sera long et difficile. En outre, le résultat recherché par les demandeurs et les membres de la catégorie présumée - un retour à l'ancien régime législatif où il n'y avait pas de carte RP et au critère relatif à l'intention de cesser de résider - implique une révision complexe de la législation et de sa validité. Comme cela a été discuté avec l'avocat à la fin des plaidoiries sur la présente requête, il serait peut-être préférable de présenter à la Cour un cas type portant sur la demande initiale de mandamus, qui serait examiné rapidement. Étant donné que la demande de contrôle judiciaire et les demandes associées initiales font l'objet d'une gestion de cas, cette façon de procéder permettrait peut-être de régler plus rapidement et plus facilement ces questions et éviterait aux parties des dépenses considérables. L'avocate du défendeur a déclaré qu'elle serait prête à collaborer à la mise en oeuvre d'une telle solution.

                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée.

                                                                                                                  _ Judith A. Snider _             

                                                                                                                                         Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-577-04

INTITULÉ :                                              TSAI-CHENG CHEN ET AL. c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                        VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 2 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                              LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                             LE 26 MARS 2004

COMPARUTIONS:

Lawrence Wong                                                                  POUR LES DEMANDEURS

Brenda Carbonell                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Banafsheh Sokhansanj

Sean Gaudet

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Wong Pederson Law Offices                                               POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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