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Date : 20190506


Dossier : IMM-4688-18

Référence : 2019 CF 587

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 6 mai 2019

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

YUANBIAO YE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le présent contrôle judiciaire vise la décision du 13 septembre 2018 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile du demandeur à titre de personne recherchée et convoquée par les autorités chinoises pour avoir participé à une manifestation sans permis.

[2]  Le 5 octobre 2012, le demandeur s’est rendu au Canada en avion depuis Hong Kong pour demander l’asile. Lors de l’audience devant la SPR, le demandeur a déclaré avoir pu décoller de l’aéroport de Hong Kong sans difficulté avec la complicité d’un passeur. Lorsqu’elle a rejeté la demande d’asile du demandeur, la SPR a tiré des conclusions défavorables sur la crédibilité relativement à la preuve fournie par le demandeur à ce sujet.

[3]  La SPR a conclu que si le demandeur avait été recherché par les autorités et qu’une citation à comparaître avait été délivrée, les renseignements du demandeur auraient figuré dans un système informatique appelé « Bouclier d’or » (décision, au paragraphe 33), et qu’il est peu probable que le demandeur était recherché par les autorités parce que dans ce cas, « il est plus probable que le contraire qu’il aurait été détenu au contrôle de sortie et qu’il se serait vu empêcher de quitter la Chine ou Hong Kong » (décision, au paragraphe 34). Pour en arriver à cette conclusion, la SPR s’est fondée sur le Guide jurisprudentiel - Décision TB6-11632, qui est censé être une source d’énoncés de politique et de pratique fiable en ce qui concerne les opérations gouvernementales en Chine.  

[4]  La conclusion de la SPR dont il est question en l’espèce est essentiellement une conclusion d’invraisemblance. En effet, la version du demandeur au sujet de la façon dont il aurait quitté Hong Kong est invraisemblable puisqu’elle contredit les éléments de preuve existants au sujet du Bouclier d’or. Sur la base de cette analyse, la SPR a conclu que le demandeur n’a pas la qualité de personne à protéger.

[5]  J’estime que l’arrêt He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1089, correspond à la décision faisant l’objet du présent contrôle et que, par conséquent, les passages suivants de cet arrêt sont pertinents en l’espèce :

La loi en ce qui concerne la conclusion d’invraisemblance est énoncée par le juge Muldoon dans Valtchev c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2001 CFPI 776, aux paragraphes 6 et 7 :

Le tribunal a fait allusion au principe posé dans l’arrêt Maldonado c M.E.I [1980] 2 CF 302 (CA), à la page 305, suivant lequel lorsqu’un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s’il existe des raisons de douter de leur véracité. Le tribunal n’a cependant pas appliqué le principe dégagé dans l’arrêt Moldano au demandeur et a écarté son témoignage à plusieurs reprises en répétant qu’il lui apparaissait en grande partie invraisemblable. Qui plus est, le tribunal a substitué à plusieurs reprises sa propre version des faits à celle du demandeur sans invoquer d’éléments de preuve pour justifier ses conclusions.   

Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22)].

Une inférence est une conclusion tirée en fonction des preuves logiques. Une conclusion que l’on peut raisonnablement considérer en tant que telle dans une situation donnée n’est pas établie de manière hypothétique; elle est établie selon la prépondérance des probabilités sur des preuves fortes et vérifiables.

Deux conclusions peuvent être tirées du fait qu’un adepte du Falun Gong persécuté par le PSB ou la police n’a pas été arrêté lorsqu’il s’est soumis aux mesures de sécurité en place dans un aéroport de la Chine tout en utilisant son propre passeport authentique : soit cette personne ment lorsqu’elle soutient pratiquer le Falun Gong, soit aucun rapport défavorable la concernant n’a été versé dans le système « Bouclier d’or ». Il n’est donc pas concevable de supposer uniquement que la première des deux conclusions possibles est juste.

Dans le cas présent, aucune preuve n’appuie la conclusion selon laquelle un dossier a été créé parce que le PSB est entré en contact avec les demandeurs, et aucune preuve n’appuie la conclusion selon laquelle un tel dossier a été versé dans le système « Bouclier d’or » ou selon laquelle ce système contient un dossier défavorable concernant les demandeurs.

Étant donné que la SAR n’avait aucun fondement de preuves vérifiables pour tirer la conclusion d’invraisemblance fondamentalement importante exprimée au paragraphe 6 ci-dessus, je conclus que la décision qui fait l’objet du contrôle est déraisonnable. [Non souligné dans l’original.]

[6]  Par conséquent, en l’espèce, la SPR n’avait aucune preuve que la politique et la pratique étaient en vigueur dans les circonstances faisant l’objet du contrôle. À mon avis, sans preuve de l’existence d’un dossier impliquant le demandeur dans le Bouclier d’or, la décision de la SPR est déraisonnable, car elle est fondée sur de simples suppositions.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4688-18

LA COUR STATUE que la décision faisant l’objet du contrôle est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

Il n’y a aucune question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour de mai 2019.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-4688-18

 

INTITULÉ :

YUANBIAO YE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 AVRIL 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :

LE 6 MAI 2019

COMPARUTIONS :

Nkunda I. Kabateraine

POUR LE DEMANDEUR

Erin Estok

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nkunda I. Kabateraine

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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